dimanche 24 janvier 2010

Un autre dimanche


Aujourd'hui, c'est dimanche. Encore. Une autre semaine qui s'achève--ou qui commence, c'est selon. Comme je le disais l'autre jour, à force d'en accumuler (des semaines), le temps va finir par essuyer le dégât qui a souillé le pays. Le temps, et la compétence de tous ceux, toutes celles qui sont ici, avec nous, et qui besognent sans se soucier de savoir si nous sommes dimanche ou lundi. Aujourd'hui, d'ailleurs, c'est l'affluence d'un gros lundi... Alors on est là. Et puis, comment, ce matin, ne pas trouver cocasse cet orthopédiste américain qui tente d'expliquer à une Haïtienne qu'il va pouvoir réparer sa main aussitôt qu'il aura les broches nécessaires pour attacher les os! Je ne suis même pas sûr d'avoir bien compris moi-même... Mais radiographies en main, il gesticulait, mêlait un mot de français à ses explications en anglais, mimait, gesticulait, démontrait ce qu'il fallait faire, bref, il expliquait. J'ai traduit en deux phrases: sourire béat de la dame. Je viens de la revoir tout à l'heure, le docteur va l'opérer dans quelques minutes, me dit-elle. Sourire de contentement. Et tous ces Haïtiens qui s'étonnent de nous entendre parler leur langue couramment... "Ou pa ameriken?" me demande l'un deux. "Non", réponds-je. Et là, pour craquer ce sourire qui n'est jamais bien loin de la surface, j'ajoute: "Se ayisyen mwen ye!"

Parler avec le peuple reste une activité très intéressante. Mais par les temps qui courent, qui fait mal aussi. Un a perdu toute sa famille; un autre a perdu ses trois enfants; un autre sa femme et sa soeur... et on vous dit ça avec cette résignation inimitable parce que tellement profonde, tellement vraie. Ce matin, quelqu'un m'a dit: "C'est comme pour Job." Or, si vous suivez mes écrits, vous vous souvenez que j'ai comparé le peuple haïtien au Job de la bible (et non à Steve). "Bondye bay, Bondye pran", continuait mon interlocuteur, un homme dans la trentaine pas con pour deux sous. On a pensé "Job" tous les deux en même temps. On a eu le même haussement d'épaules. Sauf que lui a perdu ses deux enfants; moi, je n'ai rien perdu, pas même l'accès à Internet... Deux poids, deux mesures... je compatis à son malheur, mais ma compassion me semble sonner creux. Je suis Canadien, issu d'un pays riche où les biens abondent. Je peux, si je le veux, quitter ce monde de cauchemar et me retrouver en quelques heures dans mon pays, les deux pieds dans la sloche, certes, mais en sécurité et dans l'abondance. Pas eux. Eux, ils sont dans la misère et cette misère est leur lot. Le seul pour le moment. La reconstruction va prendre un temps fou, nécessitera des moyens titanesques, cafouillera, perdra le nord, pour finalement aboutir, oui sans doute, mais à quoi?  Seul l'avenir nous le dira. Pour le moment, nous parons à l'essentiel; les amochés et les éclopés d'abord. Et laissez-moi vous le dire, les amis: ils sont nombreux...

Cependant, le chaos du début a maintenant fait place à un "chaos organisé", comme le disait un médecin américain. Et c'est vrai: le personnel médical sait un peu mieux où donner de la tête, on développe des méthodes de travail et on traite les patients. Et toujours, en pivotant autour de l'axe de l'inégalable Nathacha. Tout passe par elle, tout aboutit à elle. Et tout le monde la remarque, tout le monde loue son efficacité, mais elle, elle s'en fout comme de sa première paire de bobettes! Tout ça pour vous dire que les éclopés, les fracturés, les blessés reçoivent des soins et, d'après ce que je peux constater, de fort bons. C'est déjà ça de pris, n'est-ce pas? Comme le disait l'un des médecins américains: "Those who get here are really lucky."

Et toujours, toujours, ce sourire, triste mais avenant, amer mais chaleureux. Car si ici une vie ne vaut rien, "rien ne vaut une vie", pour citer Malraux. Et le combat des jours se poursuit, et l'on sait que ce ne sera pas facile, mais comme disent les Haïtiens: "N'ap lite" (nous allons nous battre). Et vous savez quoi? Ils vont finir par gagner...

2 commentaires:

  1. Coucou Richard,

    A propos de ton message de jeudi le 21 au sujet du courage.....

    Je ne crois pas que ce courage te sois venu lors de ce séisme à Haïti, je crois plutôt que le courage tu l'as eu en quittant ton pays et en allant vivre dans ce pays hors norme, où il arrive aussi des séismes hors normes...mais bon j'imagine que tu dois posséder un courage hors norme car de te lire et d'imaginer tout ce qui peut se passer actuellement dans ces endroits doit ressembler à l'enfer sur la terre....

    Bye et continue d'être courageux même si tu ne crois pas l'être..

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  2. Bon. Je sais pas trop quoi dire. Merci, peut-être as-tu raison...

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