mercredi 30 novembre 2011

Radoub


Vous le savez maintenant – je pense que je l'ai répété ad nauseam – l'une de nos tâches en ce pays, l'une des plus importantes je pense, c'est de veiller à ce que tout marche comme il se doit. Or, les équipements et les infrastructures de notre petit hôpital accusent leur âge et l'on doit par conséquent s'efforcer d'étirer leur espérance de vie avant de changer, refaire ou reconstruire. Ainsi en est-il de nos voitures, qui ont vu le mécanicien plus souvent que le chauffeur (presque) et de certaines de nos constructions. Mais quelquefois, l'opération cosmétique ne suffit plus et il faut se résoudre à remplacer (voir l'affaire de la nouvelle génératrice) ou refaire. Cette fois, c'est la maison que nous habitons qui fait l'objet de notre attention.

Pour ceux qui ne le savent pas, il s'agit d'une maison plutôt spacieuse, conçue et construite initialement pour les sœurs qui, jadis, demeuraient et travaillaient à notre hôpital. Mais à la grande déception de la fondatrice et constructrice de la maison, les sœurs n'ont jamais voulu habiter cette grande maison, qu'elles jugèrent trop isolée, pas suffisamment sécuritaire, inutilement loin de l'hôpital (3 minutes à pied) et donc, inintéressante à tous égards. Si bien que lorsque nous sommes venus pour la première fois, la maison était inhabitée et ne l'avait jamais vraiment été. Nous l'avons prise comme elle était et y avons fait notre niche, comme on dit en créole. Et nous l'avons peu à peu améliorée, pour en faire un logis tout à fait convenable.

Cependant, depuis quelque temps, nous songions à nous attaquer à la cuisine qui était vraiment trop perméable aux fourmis et autres petites bêtes similaires qui y avaient élu domicile. Et comme de surcroît nous étions un peu fatigués des couleurs fades qui l'habillaient, nous avons décidé d'en changer la céramique et de refaire les armoires supérieures. Jusque là, rien de majeur, me direz-vous, et vous auriez raison en temps normal. Mais dans le présent contexte, vous avez tort. Car ici, tout est en béton et défaire représente une tâche non seulement physiquement exigeante, mais ingrate, malpropre, bruyante et fastidieuse. Bref, la première étape, la démolition, est pénible sur tous les plans. Radoub majeur (en passant, que voilà un joli mot issu du vocabulaire maritime de nos ancêtres et que l'on prononce *radou.). Depuis lundi dernier donc, nous en souffrons les inconvénients, sans trop nous plaindre, galvanisés que nous sommes par les résultats à venir, bien que ce soit encore un avenir incertain...

Tout de même, le travail progresse. Dans la bonne humeur haïtienne habituelle, excessivement ponctuée de discussions aussi futiles que passionnantes pour les divers protagonistes. Même Éraise s'en mêle et y va de son grain de sel que les gars apprécient à sa pleine valeur d'assaisonnement. Et les éclats de rire volent tout comme les débris de l'ancienne céramique : dans l'insouciance générale...

Certes, certains diront sans doute que ces travaux restent bien insignifiants en regard de la reconstruction du pays et qu'ils ne méritent guère plus qu'un simple «post» sur Facebook. Mais c'est faire preuve de courte vue. D'abord, le travail mérite d'être fait. Et j'ajouterai : bien fait, une exigence peu courante en Haïti où les pseudo-spécialistes pleuvent. J'exige une certaine qualité de travail et n'hésite pas à faire reprendre une étape que j'estime bâclée. Eh bien croyez-le ou non, non seulement ne m'en tient-on pas rigueur, mais encore, on apprécie de s'initier aux standards «blancs». Hier, j'en faisais la remarque au poseur de céramique, lui disant qu'il y a autant de bons ouvriers ici en Haïti qu'au Canada ou en France ou n'importe où ailleurs, la différence étant souvent dans la connaissance de ces standards ergonomiques répandus unanimement. J'estime donc contribuer, bien modestement mais pas moins réellement, à l'amélioration de leurs compétences techniques et à l'intégration de ces compétences. Puis, il y a le facteur monétaire : les ouvriers travaillent et sont payés pour le faire et ne s'en trouvent pas plus mal, c'est évident. Enfin, il y a la bonhomie, le contact simple d'êtres humains qui œuvrent à un même dessein, sans compétition, sans stress, sans rivalité. Et ça, tout le monde apprécie, moi le premier, je vous le dis tout net.

Non, ce n'est pas un monde parfait. Mais qu'en avons-nous besoin? Une céramique neuve et tout va déjà mieux...

mercredi 23 novembre 2011

L'ami des bêtes


Vous le savez sans doute, si vous êtes un tant soit peu assidus de ces chroniques, je suis l’ami des bêtes. Surtout lorsqu’elles sont inoffensives et sans défense, comme cet âne que nous avons recueilli et que nous hébergeons toujours. Ou comme cette mygale emprisonnée dans notre chambre à coucher et qui ne demandait qu’à quitter ces lieux inhospitaliers. Mais la bête qui nous accroche le plus reste sans conteste le chien, qu’on décrit parfois comme «le meilleur ami de l’homme». Eh bien, je puis vous dire : pas ici en Haïti. Les chiens sont au mieux, traités avec indifférence, au pis, craints et chassés à coups de bâton ou lapidés.

Mais depuis que nous sommes ici, j’ai prêché par l’exemple, prenant le temps d’établir quelques liens amicaux avec les deux chiens qui ont maintenant élu domicile à notre hôpital. La chienne d’abord, puis le chiot qui a presque atteint sa majorité mais qui reste chiot dans son âme canine et dont la seule raison de vivre semble de jouer, de courir, de dormir et de manger. Mais tout le monde s’est pris d’affection pour ce bon toutou et personne ne le maltraite puisqu’il n’y a pas raison de le faire. Or, ce chien a la fâcheuse habitude de se coucher sous l'une ou l'autre des voitures pour faire l’une de ses quatorze siestes quotidiennes. C’est ainsi qu’est arrivé ce qui devait arriver : la voiture sous laquelle il dormait nonchalamment s’est déplacée et lui a passé sur le corps. Bon vous me direz que c’est un jeune chien, qu’il a les os encore tout caoutchoutés et que, par conséquent, il n’a pas dû en souffrir trop. Mais c’est lourd une voiture. Si bien que même si ses os sont intacts, le pauvre animal s’est fait esquinté la patte et depuis, ronge son frein (pas celui de la voiture voyez comme il n’est pas rancunier) en attendant que le mal s’estompe.

Mais aujourd’hui, je me suis décidé à faire venir le vétérinaire qui lui a fait quelques piqûres, pour faire bonne mesure. On verra ce que ça donnera. Et puis j’ai pensé qu’il valait mieux emmener le chien à la maison, histoire de lui permettre de mieux récupérer. La tête des gens! Le Blanc qui porte dans ses bras un jeune chien de 60 livres et le chien qui se laisse faire! Tout un portrait! Les sourires entendus et polis en disaient long sur ma douce folie... Mais la leçon porte ses fruits, justement parce qu’elle fait la preuve que le chien n’est pas mauvais, même blessé. C’est tout un exemple!

Il va sans dire que les Haïtiens ne sont pas délibérément méchants avec les chiens, mais ne font rien pour s'attirer leurs faveurs. Pourquoi en effet se soucier des bêtes lorsque les humains n’ont souvent pas accès au strict minimum vital? Simple question de priorité, on sera d’accord là-dessus. Alors l’ami des bêtes, oui, mais sans pousser, sans exagérer.

Il n’empêche que ces bons rapports avec le chien m'invitent à parler de ce principe cher à Schweitzer et dont l’hôpital du même nom à Deschapelles a fait sa devise : "Ehrfurcht vor dem Leben" ou "Révérence pour la vie" (en anglais). Pour un hôpital, avouez que ça sonne bien, même si en bout de ligne, c’est un principe plutôt évident : on voit mal un hôpital qui ne se soucierait pas de l’état de santé de ses malades... Quoique, en certains endroits… mais passons. Schweitzer, quant à lui, a poussé plus loin cette idée de révérence, de respect profond et l’a appliquée sans réserve à tout ce qui était animé de vie, incluant les animaux, bien entendu. Bel exemple à imiter, s’il en est un. Mais pour mes proches haïtiens, ce n’est pas tant le principe qui vaut comme les résultats qu’il donne. Donner de l’amour, même à un chien, et voir que même le chien le rend spontanément en étonne plusieurs. Et quand je demande : «Mais vous, que préférez-vous? Un sourire ou un coup de pied?»  Rires jaunes…

samedi 19 novembre 2011

Refait!


Je remonte. Doucement, je refais surface. Prise dans les brumes fébriles, ma pensée errait, sans fil conducteur, sans énergie, sans tonus. Mais aujourd'hui, ça va mieux. La tête me tourne toujours un peu, mais pas trop et l'horizon ressemble à ce à quoi un horizon doit ressembler : une ligne horizontale relativement fixe. La descente au purgatoire s'achève, les muqueuses se replacent, la fièvre se dissipe, la pensée se réorganise. Bref et comme on dit en créole «m'refè», me voilà refait... ou presque.

Si vous n'avez pas deviné, je vous parle ici de ma dernière chute rhinovirale, mieux connue sous le nom de grippe. Malade, votre auteur préféré! Oh pas au point d'en faire tout un plat – vous connaissez mon stoïcisme, maintenant –, mais suffisamment pour altérer mes journées habituelles, suffisamment pour que je me retire même dans mes quartiers privés pour faire un petit somme en pleine journée, c'est vous dire...

«Une vraie grippe d'homme?», m'a demandé avec une malicieuse compassion (!) l'une de mes proches. Une grippe d'homme? Hmmm... Je ne sais pas pour vous, mais j'ai cru déceler dans la formulation une certaine ironie, comme si une «grippe d'homme» n'était en bout de ligne qu'un motif à raillerie, comme si nous, les hommes, faisions exprès pour être malades afin d'attirer la commisération féminine. Ce que ma chère compagne a, de son côté, confirmé sans hésiter : une «grippe d'homme», ce ne peut être qu'une grippe de «moumoune». Pour les non-Québécois, je précise que «moumoune» est un péjoratif pas trop méchant, mais sur le modèle de la suffixation en -oune, rien pour être fier. «Ti-coune, ti-zoune, toutoune, bouboune (non, ça c'est créole), poupoune, nounoune...» ont tous la même connotation moqueuse et quelque peu condescendante. Donc, une grippe de «moumoune», ce n'est pas une grippe qui mérite qu'on s'y attarde. Et vlan!

Or, il me semble qu'en ces pénibles occurrences où la santé s'étiole, un peu de compassion – authentique, je veux dire – serait de mise. Même pour nous, mâles imperturbables dans l'adversité. Un sourire bienveillant, un baiser tendre sur la joue (attention au virus, quand même), un regard attendri... un rien suffirait! Mais hélas!... On nous nourrit d'ironie...

Heureusement, mes compagnons haïtiens, eux, comprennent la nécessité de compatir. Un peu trop sans doute, mais bon, rien n'est parfait, vous le savez trop bien. Mais ils sont là, me retiennent la main qu'ils viennent de serrer (!) en me demandant comment je vais et en m'enjoignant de me soigner, de prendre du repos et de boire du thé amer. Oui, oui. Du thé amer. C'est, paraît-il, la panacée bien connue contre ce mal inévitable. Le remède qui vous remet sur pied en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je n'ai pas osé demander ce qu'un thé sucré pouvait faire comme différence, car ici, on ne rit pas avec les médications : on les suit rigoureusement. Peut-être l'amertume suffit-elle à purger le mal?... Car enfin, qui voudrait d'un thé ou d'un café sans sucre? (Nous mis à part, bien entendu...) Donc, le thé amer... Que je n'ai pas pris, je le confesse ici, préférant m'en remettre au vin rouge qui lui, a fait ses preuves dans le passé et ne se dément pas. Mais bon, on ne peut tout de même pas débuter la journée au vin rouge, hein? Alors j'ai souffert, stoïquement je le redis, en attendant que les muqueuses se replacent et que l'homéostasie retrouve ses paramètres habituels. Et ça s'en vient, là. Pas encore tout à fait terminé, mais sur la bonne voie.

Alors oui, quoi qu'en pensent quelques femelles à l'esprit retors, l'homme a eu sa grippe et a su y faire face en homme, sans courber l'échine, sans fléchir, sans gémir ni pleurer. Tout comme Lancelot ce «bon chevalier courtoi [qui] met sont habilité au combat en tout les sens.» (sic et heureusement anonyme), il en sort aujourd'hui vainqueur. Et toujours modeste avec ça.

Et pour faire bonne mesure, le ragoût de patte de cochon...

vendredi 18 novembre 2011

Un autre congé


Aujourd'hui, c'est congé! Un autre, yééé! Mais celui-ci n'est pas bidon : l’événement historique qui le sous-tend le mérite amplement. Car il s’agit de la commémoration de la bataille qui a changé l’histoire d’Haïti en lui faisant accéder, quelques mois plus tard, à l’indépendance. C’était au début du 19e siècle. D’ailleurs, je vous réfère à Wikipédia sur le sujet, car bien que court, l’article situe bien l’événement et campe les protagonistes avec justesse, surtout Campois-la-Mort, dont la prestation héroïque a sans doute contribué à la reddition française. D’ailleurs, je vous cite Wiki, en anglais, cette fois, mais bon, je pense que vous allez vous y retrouver : "The Battle of Vertières marked the first time in the history of mankind that a slave army led a successful revolution for their freedom."

Mais ce n’est pas d’Histoire dont je veux vous parler aujourd’hui, pas de celle passée, mais bien de l’Histoire à venir, celle qui n’est pas encore écrite et qui, peut-être, fera beaucoup parler dans cent ans. Ou peut-être pas. On n’en sait rien, vu qu’elle n’est pas écrite… Mais il n’empêche que c'est en ce jour historique que le président Martelly a choisi de doter à nouveau le pays d’une armée. L’article de cyberpresse d'hier nous apprend, entre autres choses, que ce faisant, Martelly rompt avec une période de 17 ans sans armée, ce qui n’est quand même pas rien. Pourquoi une armée? Certainement pas pour faire la guerre, on s’en doute et Martelly lui-même s’en défend bien. Il s’agit d’une armée pacifique dont la fonction première restera de suppléer les forces onusiennes qui sont devenues une véritable épine au pied national et dont il faut se défaire «au plus sacrant», comme on dit par chez nous. Mais on ne peut pas faire ça brusquement, ce serait contraire aux règles diplomatiques les plus élémentaires, alors on se trouve une raison et comme ça, les susceptibilités sont indemnes. Si le président Martelly réussit à implanter une armée — ou en tout cas ce qui en tiendra lieu —, il pourra dès lors remercier publiquement les forces de l’ONU, la trop fameuse MINUSTAH, sans que personne n’y trouve à redire, car la nouvelle armée haïtienne s’occupera justement à faire le travail de l’autre. Quoi de plus naturel à ce qu’un pays utilise ses propres ressources humaines plutôt que celles du voisin?

Jusque là, ça va. Mais là où ça se gâte, c’est dans l’application pratique. Car le pays est bien fragile, tout le monde le sait, et les forces de l’ordre sont complètement dépassées par l’ampleur du travail à faire. La MINUSTAH ne fait pas de miracles de ce côté, mais elle contribue justement au maintien minimal de l’ordre, évitant les grands dérapages qui pourraient ébranler le pays plus que le dernier séisme. La nouvelle armée pourra-t-elle remplir ce rôle? Pas vraiment, et pas par manque de courage comme par manque de moyens matériels. Et d’entraînement des recrues, bien entendu. Or ces choses coûtent cher. Très cher. Non, je n’ai pas de chiffres à vous donner, mais tout le monde sait qu'une armée équipée représente un investissement colossal. Forcément. Alors on peut se poser la question : mais où prendra-t-on l’argent pour supporter cette armée? Comment peut-on penser que l’État haïtien pourra simplement payer ses militaires alors que les enseignants voire les médecins passent souvent des mois sans toucher leur salaire? Or, que fait une armée sans solde? Elle se fâche, prend ses armes et les met à la tempe de son patron. En tout cas, c'est un peu le portrait de l’histoire de l’armée en Haïti et la raison pour laquelle Aristide avait choisi de la démanteler en 1995 : il avait eu sa leçon... Alors je ne sais pas pour vous, mais pour moi, je vois dans l'instauration de cette nouvelle armée, un certain risque, risque que la MINUSTAH, malgré toutes ses faiblesses, n’a jamais pu représenter...

Mais tout comme le "Delendae est Carthago" de Caton, le moto du pays c'est «La MINUSTAH dehors», ce que tout le monde appuie sans réserve, semble-t-il...

samedi 12 novembre 2011

Une autre nouvelle génératrice


Et puis? Qu'en dites-vous? Pas mal, hein! Car oui,, la photo ci-dessus représente bien notre dernière acquisition : une génératrice de 110 kW de puissance nominale, de quoi alimenter un village ou presque! Si vous vous souvenez – et si vous ne vous souvenez pas, eh bien je vous le rappelle ici – je vous ai déjà parlé de génératrice il y a de cela plusieurs années – tempus fugit, je vous l'ai répété à maintes reprises – à l'occasion de l'achat d'une nouvelle. Et non, elle ne nous a fait pas défaut encore. Ça va se produire un jour, c'est sûr, mais pour l'instant, elle nous procure toujours un excellent service. Pourquoi cette nouvelle machine donc? Par simple précaution. Certes, comme je vous l'ai mentionné jadis, le courant est normalement fourni par la compagnie d'électricité nationale, l'EDH (Électricité d'Haïti, sur le modèle français de l'EDF), mais la régularité laisse à désirer et la génératrice devient alors la source d'énergie nécessaire à nos opérations. Mais une suffit largement, n'est-ce pas? Alors pourquoi la seconde? Je viens de vous le dire : par simple précaution. Imaginez que vous êtes sur la table d'opération pendant que le médecin est en train de vous rectifier l’œil. Or, tout à coup, plus de courant! Plus de lumière, plus de moniteurs, plus de climatisation, plus rien! Avouez que ce n'est pas un scénario tellement réjouissant. Alors on met toutes les chances de notre côté pour qu'une telle situation ne se produise jamais.

Et puis celle-ci possède une caractéristique absente chez l'autre : un caisson silencieux. J'avais décliné l'option en 2008 tout simplement parce que le modèle désiré n'en était pas muni et qu'il aurait fallu attendre quelques mois pour l'obtenir. Et puis, je me disais : «Est-ce que c'en vaut vraiment la peine?» Car ce n'est pas donné. Mais les amis, je vous le dis : c'est le jour et la nuit! Comme quoi il faut parfois prendre le temps de bien choisir...

Cela m'amène à vous glisser un mot à propos du coût de la machine. Tout comme l'autre, achetée en 2008, on parle ici d'une affaire à $25,000 US, si l'on arrondit la somme. Or je ne sais pas pour vous, mais pour nous, $25,000 c'est un joli paquet. Pourtant, cette fois comme la fois précédente, les patrons ne sont nullement fait tirer l'oreille pour autoriser le décaissement des fonds et aussitôt que je demande la somme, en moins de 48 heures, elle est déposée dans notre compte à la banque. Je considère que, sans être un exploit, c'est tout de même une belle démonstration que dans ce pays que l'on dit totalement inefficace, certaines choses fonctionnent plus qu'adéquatement et les transferts bancaires en sont un bel exemple.Et, bien sûr, du soutien des patrons en ce qui a trait aux achats matériels.

Quoi? Vous voulez savoir si j'ai négocié le prix comme je le fais habituellement? Non, pas vraiment. Juste le transport qui normalement coûte mille dollars et que je me suis fait offrir en prime. Vous allez me dire que c'est peu, car je sais que pour vous, $1,000 c'est pas grand-chose, mais pour nous, c'est quand même une belle petite somme. Même si ce n'est pas notre argent personnel, on essaie tout de même de minimiser les dépenses institutionnelles. Oh! Pas pour les compliments patronaux!... Simplement question de principe...

Si bien que, tandis que je vous écris ces lignes, le delco, comme on dit en créole, ronronne comme un gros matou au ventre plein et satisfait tout le monde (pas le matou, là!). Reste à savoir s'il pourra passer l'épreuve du temps et nous donner un bon rendement pendant les 10,000 heures de service qui constituent sa performance nominale, soit environ une dizaine d'années. Serai-je encore là pour vous donner la suite de l'affaire? Mmmm... Question épineuse s'il en est une... Vu mon âge avancé, la chose paraît tout de même aléatoire...

Mais comme on dit ici, Bondye konnen...

vendredi 11 novembre 2011

11-11-11


La numérologie, ça vous dit quelque chose? Et l’apophénie? Bon coupons au plus court : 11-11-11, la date de ce jour, vous y êtes maintenant? C’est que pour plusieurs, cette séquence du nombre 11, nombre premier, s’il en est un, est certainement significative et probablement porteuse d’un message à saveur cosmique. L’apophénie, c’est ça : cette manie de voir des patterns là où il n’y a, en fait, que des occurrences plus ou moins fortuites. Les formes des nuages ou des montagnes en sont des exemples. J’avoue pour ma part ne pas avoir cette imagination. Bien sûr, comme tout le monde, je vois dans le dessin ci-dessous un visage, même s’il ne sourit pas.

Quant à la photo ci-dessus, même s'il s'agit d'un caprice géologique, il est difficile de ne pas y voir un profil quelconque, homme ou bête, c'est selon. Bon, ça, c'est assez évident. Mais les formes dans les nuages, non. Dès lors, je ne suis pas vraiment sensible aux visions apocalyptiques que des séquences numériques pourraient suggérer. Mais ça n’empêche pas d’autres d’y croire et de s’en sentir concernés… C’est comme la fin du monde annoncée pour le 21-12-12. Vous y croyez, vous? Eh bien pas moi. Tout ça ce n’est que pure fantaisie.

Pourtant, on peut se demander pourquoi des tas de gens croient à cette prédiction ou à toute autre fondée sur des interprétations douteuses de données qui le sont encore plus. Faut-il y voir un besoin social de sentir que notre destinée ne nous appartient pas? Est-ce une preuve de l’existence d’un être suprême (et fort en math, à part ça…) qui prend toutes les décisions concernant le sort de l’humanité? Ou est-ce simplement le désir que «quelque chose» se passe, qui viendrait rompre la monotonie du quotidien?

Mais à la vérité, il n’y a pas de quoi s’exciter. Ici en tout cas, en ce jour de novembre ensoleillé comme les autres, on aurait peine à penser qu’une catastrophe potentielle est suspendue au-dessus de nos têtes. La vie se déroule à son rythme normal, les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes en s’efforçant de résoudre leurs problèmes habituels. S’il nous tombe dessus une catastrophe imprévue, eh bien so be it, comme disent nos voisins du nord. Mais pour l’heure, rien de nouveau sous le soleil… Et l’heure fatidique, ben elle approche… plus que 7-8 minutes au moment où j’écris ces lignes. Et lorsque vous les lirez, tout sera dit ou presque…

Revenons-en à l’essentiel, donc. C’est surtout vendredi, un vendredi qui, selon l’ordre des jours et les conventions sociales annonce la fin de semaine qui, même sous ces latitudes, reste associée au repos et au farniente.

À moins que d’ici là, la terre n’ait arrêté de tourner, sait-on jamais…

vendredi 4 novembre 2011

Affaires croches



Quand j’ai vu le titre de cet article, hier, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire… C’aurait tellement pu se passer en Haïti!... Et on se dit que c’est bien effrayant, que ça n’a pas de bon sens que c’est inconcevable et tout le reste, sans même se rendre compte qu’en fait, ce n’est pas bien méchant et plutôt créatif comme affaire croche…

Cependant on parle dans l’article de corruption et franchement, je vois mal ce qui a été corrompu dans cette affaire. Le système? Le fonctionnaire qui fausse les documents? Ou tout le monde qui profite de la supercherie? Est-on corrompu parce que l’on profite d’un système troué comme une passoire? Moi j’appellerais plutôt ça de l’opportunisme… Une belle qualité d’ailleurs, et qui se trouve assez répandue ici en Haïti. Une porte mal fermée est comme une invitation à entrer, non? En tout cas, j’en connais pas mal pour qui c’est comme ça. Et lorsqu’on se trouve à la source du système, eh bien il devient doublement important de ne pas laisser de portes entrebâillées qui pourraient donner à d'autres des idées pas nécessairement honnêtes… Incidemment, je parlais l’autre jour avec la responsable d’une autre ONG locale qui me demandait quelle était la technique que nous utilisions pour maintenir le contrôle de l’hôpital. Je lui ai répondu que nous étions là, tout simplement. En Haïti, comme partout ailleurs, c’est quand le chat est parti que les souris s’en donnent à cœur joie… Pas besoin de sortir le bâton donc, le seul fait d’être présent est suffisant pour que l’ordre soit maintenu. Un peu comme lorsque l’on voit une voiture de police stoppée sur le terre-plein entre les voies de l’autoroute… On lève le pied bien vite…

Sauf que dans le cas de la police, c’est vraiment la peur du bâton, sous forme d’une juteuse contravention, qui nous fait ralentir, alors qu’ici, à notre petit hôpital, je dirais que c’est plutôt la perspective d’une carotte bien mûre… Nos employés sont bien traités et j’ose penser qu’ils en sont conscients. Les conditions de travail ne sont certes pas parfaites — où le sont-elles? — mais elles se sont améliorées sensiblement au cours de notre mandat, et ce fait est aisément observable (ceci dit en toute modestie, vous l’avez deviné). Tout de même, cela ne signifie pas que tous sont contents de leur sort et qu’ils baignent dans la grâce divine, à jamais écartés de la tentation. N’exagérons rien. Ce sont des humains et je ne suis pas convaincu qu’une occasion de filouter le système, si elle se présentait, serait automatiquement écartée, surtout si le risque de se faire prendre est pratiquement nul. Car tout est là, n’est-ce pas? Ne pas se faire prendre. Il ne s’agit donc pas d’une propension morale à ne pas prendre ce qui ne nous revient pas de droit, mais plutôt une évaluation des chances de se faire prendre si on le fait. D’où sans doute l’énormité de certaines escroqueries lorsque leurs auteurs se sont finalement faits prendre et que le chat (pas celui qui garde les souris) est sorti du sac…

Mais avouons qu’à petite échelle, il n’y a pas grand dommage; qui se formalisera de voir qu'un stylo a disparu? L’une de mes infirmières préférées a justement cette manie de partir avec mes stylos — plus par distraction que par concupiscence, je le précise, mais tout de même, l’effet reste le même. Je pourrais aussi vous parler de ce pauvre père de 9 enfants, pris la main dans le sac (si je puis dire) à voler un gallon d’essence (soit environ 4 litres) pour faire cuire ses aliments… Auriez-vous congédié le type, vous?

Et puis l’article parle de corruption et là, je tique. Car il me semble qu’une personne corrompue, c’est une personne qui a plié sur ses principes à la demande d’une autre personne, le corrupteur, en échange d’une faveur quelconque — habituellement de l’argent, mais dans certains cas, de n’importe quelle autre nature. L’essentiel ici est que la personne corrompue n’est pas foncièrement d’accord avec elle-même pour crochir, mais succombe néanmoins à l’appât du gain.

D’ailleurs, j’avoue être tout à fait d’accord avec la réflexion de Serge Thibault, dans ce texte publié sur cyberpresse et intitulé «La corruption et nous» :
«L'illusion fondamentale sur laquelle repose le contrat social dans nos sociétés modernes est que l'acquisition du sens moral est une chose qui va de soi. Or, rien n'est plus faux. Contrairement au mythe rousseauien de l'enfant fondamentalement bon qui serait corrompu par la société, l'acquisition des fondements moraux relève d'un apprentissage à la fois rigoureux et héroïque.»
J’aime assez le qualificatif «héroïque». Car il faut parfois être de la trempe d’un héros pour savoir résister à la tentation… Ou bien un saint, tout simplement…

Alors je vous en prie, pas trop vite pour jeter la première pierre…



mardi 1 novembre 2011

La Toussaint



Aujourd'hui, c'est la Toussaint. Si vous me lisez un tant soit peu et si vous êtes un tant soit peu attentif à ce que vous lisez, vous le saviez parce que je vous l'avais annoncé le jour de l'Action de Grâce : Toussaint = congé. Ce serait déjà suffisant pour se réjouir (car quoi que les mauvaises langues en pensent, nous vivons dans une structure de travail et un congé s'apprécie toujours, même en Haïti), mais il y a plus. Car la Toussaint, les amis, c'est une fête bien spéciale qui mérite notre attention. En effet, je viens tout juste de découvrir (merci Wikipédia) que  
«Elle est dédiée à tous les saints. "Cette célébration groupe non seulement tous les saints canonisés, c’est-à-dire ceux dont l’Église assure, en engageant son autorité, qu’ils sont dans la Gloire de Dieu, mais aussi tous ceux qui, en fait et les plus nombreux, sont dans la béatitude divine". Il s’agit donc de toutes les personnes, canonisées ou non, qui ont été sanctifiées par l’exercice de la charité, l’accueil de la miséricorde et le don de la grâce divine.»
 «Exercice de la charité, accueil de la miséricorde»... vous ne trouvez pas que ça me ressemble vous autres? Bon, je sais, il manque le don de la grâce divine et la reconnaissance papale, mais bon, on naît pas tous saints, n'est-ce pas? Il faut s'y astreindre, se forcer et y mettre le temps. Peut-être un jour, quand je serai vieux... Non mais franchement, en connaissez-vous, vous autres, des jeunes saints? On connaît plus aisément les jeunes seins, semble-t-il... Bon je blague, je le reconnais...

Mais le plus drôle, c'est que, vu sous l'angle présenté ci-dessus, l'on peut aisément reconnaître les saints, les saintes, tout comme on reconnaît aisément les artistes : à leur œuvre. Remarquez que tous les artistes ne sont pas saints, tout ceints qu'ils soient de leur art (oui, je sais, elle était facile, mais irrésistible...). Mais les deux sont mus par cette même poussée qui force à sortir de soi, l'un pour créer, l'autre pour soulager. L'effet est similaire : la catharsis déconstipe, porte ses fruits, humanise. En un mot comme en mille, ça fait du bien.

Remarquez que vue comme ça, la sainteté devient moins rattachée à une religion, et davantage axée sur l'humain. J'ai déjà dit quelque part dans ce recueil de textes, que je n'étais pas trop impressionné par ce qu'on appelle parfois, non sans cynisme, «l'odeur de sainteté». Il faut dire que l'expression s'applique trop souvent hélas à des personnes qui n'ont rien à voir avec la sainteté, mais qui s'en réclament parfois ouvertement. Style : voyez comme je suis saint! À se demander s'ils sont simplement sains d'esprit, tiens... Mais il y a cette arrogance, cette supériorité de ceux – et j'insiste ici sur le genre masculin – qui se pensent en odeur de sainteté, alors qu'ils puent la médiocrité et l'hypocrisie...

Cela dit, ce qui m'intéresse dans cette fête, c'est qu'elle n'est pas que dédiée aux saints répertoriés, catalogués et décédés depuis des années, voire des centaines d'années, mais aussi aux autres, aux bonnes personnes qui mènent une bonne vie et qui ne sont pas encore mortes... Car il ne faudrait quand même pas confondre la fête des Saints avec celle des Morts, demain... Celle-là, je vous en reparle un de ces quatre, mais pas demain, tout de même...

Et pour terminer, cette explication, toujours tirée de l'article sur Wikipédia, qui vaut ce qu'elle vaut de la raison du congé :  
«Lors de la période de Toussaint, toute la famille paysanne, y compris les enfants, était rassemblée pour récolter manuellement la pomme de terre. Durant cette récolte qui ne s’applique que pour l’hémisphère nord, de nombreux enfants manquaient à l’école, d’où l’instauration progressive de vacances de Toussaint jadis appelés "vacances patates"» .
En ce qui concerne ma tendre compagne, elle voterait plutôt pour des «vacances patates pilées», si ça se faisait...