dimanche 31 janvier 2010

Un trait sur janvier

 

Aujourd'hui je pense qu'on commence à avoir la langue longue--je sais, j'ai fait un texte intitulé «la langue longue» il y a déjà quelque temps et rien n'a changé, alors vous pensez bien qu'elle n'a pas vraiment eu de chance de se remettre, la pauvre langue. Donc, on halète toujours et on a l'impression de manquer d'oxygène. (Pourtant, on vient tout juste de refaire remplir nos bouteilles, alors on ne devrait pas avoir à se plaindre...)

Sans farce: ça va pour nous. Les Brésiliens s'activent, et la barrière que le portugais représente, eh bien on la saute hardiment. Sauf que les cas manquent pour les alimenter, ces braves Brésiliens. Est-ce à dire que la quantité de blessés diminue? Malheureusement non! Mais s'entendre, répartir les blessés dans les différents centres, assurer le transport et le suivi, en un mot, coordonner, reste le défi le plus raide à relever. Je l'ai dit antérieurement, mais rien n'a changé de ce côté non plus. La volonté d'aider et d'agir ne suffit pas: il faut que tout ce beau monde s'entende sur la démarche à suivre et que les patients arrivent! Ainsi, le navire hôpital américain, ancré au large de Port-au-Prince fait bien ce qu'il peut, mais avec une seule salle d'opérations et 250 lits, il y a plus de gens couchés que de gens opérés! Nos camarades de Fond des Blancs nous disent qu'ils sont censés recueillir les post-op sortis du navire-hôpital, mais il semble que les hélicoptères fassent défaut!... Et comment allez-vous transporter ces personnes qui sortent tout juste de chirurgie, maintenant? À la nage? Les problèmes, je vous le redis, sont hénaurmes...

Et pendant ce temps, nous recevons quotidiennement des offres de l'extérieur pour des médicaments, de l'équipement médical, voire des médecins. Or, je vous le dis, ça va. Nous sommes pas mal mieux que bien d'autres et si le matériel des Brésiliens arrive à temps, nous serons tout à fait corrects. En fait, ce qui nous manque le plus, ce qui nous fait défaut, c'est un petit "break", une petite pause pour reprendre notre souffle. Mais ça, ce n'est pas pour aujourd'hui ni pour les prochains jours. Sans mentir, on s'attend à ce que février soit plutôt chargé...

Et pendant ce temps, Soeur Flora, sur l'île à Vache, juste en face des Cayes, poursuit son œuvre gigantesque avec le même courage, la même naïveté et les mêmes problèmes, augmentés d'autant par la catastrophe. C'est auprès d'elle que Alexandra Duguay, morte à Port-au-Prince, s'était attardée. Gilbert Lavoie a écrit, sur Cyberpresse, un article intéressant que je vous recommande chaudement.

Je m'arrête ici. Je sais que je ne fais pas très original en cette fin de mois, mais j'admets que je commence à être un peu tanné. Le mois prochain sera meilleur. Peut-être même qu'on pourra s'offrir une journée à la plage, comme avant? En tout cas, je ne vous garantis pas que je vais continuer d'alimenter ce blogue sur une base quotidienne, comme je l'ai fait depuis le séisme, mais bon, je vous sais cléments et je sais que vous allez me pardonner si je saute un jour ou deux...

Tiens! C'est drôle... On vient tout juste de sentir le frisson d'une autre secousse...

samedi 30 janvier 2010

N'en jetez plus, la cour est pleine!

 

Je vous ai dit naguère que je ne lisais que rarement les chroniques journalistiques. L'affaire des orthopédistes réclamant 800 $ par jour m'a fait grincer des dents, comme vous l'avez lu, mais c'est une exception. Cependant, comme les journalistes étrangers sont présentement au pays, je trouve intéressant de voir ce qu'ils en ont à dire. Lisez le texte de Patrick Lagacé, aujourd'hui. Et vous me direz ce que vous en pensez. Pour moi, il est bien clair que le pauvre Patrick est à bout. Pu capable. Sursaturé. Haïti n'est pas pour lui. Dommage qu'il n'ait pas fait son texte sous forme de blogue: j'aurais pu y aller de mon grain de sel, comme je m'amuse à le faire quelquefois. Mais son amertume fait pitié à voir. Comme il souffre, ce pauvre homme! Coincé dans le carcan de ses repères nord-américains, il ne comprend pas et il en perd l'équilibre. Patrick confond la compassion avec la passion d'un con. Car pour être passionné, on peut dire qu'il l'est, notre cher Patrick!...

De son texte, je retiens une seule phrase: «Assez, s'il vous plaît. Assez.» Sous-entendu: «Chu pu capable d'en prendre.» «Je suis au bout de la tolérance.» «C'est trop dur.» J'espère que Patrick a fini son odyssée haïtienne et qu'il va sagement rentrer dans ses quartiers montréalais, sécurisé par les odeurs familières (et non la merde et la pourriture) et les «scandales» qui éclatent quotidiennement au Québec et qui alimentent sa prose et lui procurent un job. Haïti n'est pas pour tout le monde, je l'ai dit et je continue de le dire à quiconque veut venir s'y frotter. Il n'est pas pour Patrick, ni pour Agnès Gruda, ni pour les journalistes du monde entier qui tentent de faire leur job, mais qui n'ont pas le temps ni nécessairement le goût de comprendre... Je ne leur en veux pas de faire le travail que leur job commande. Au contraire, je compatis, car ici présentement, ce n'est pas un boulot facile. Mais quand ils sont visiblement au bout du rouleau, alors il faut qu'ils quittent le milieu et le plus vite possible avant de commencer à dire des conneries et à porter des jugements péremptoires sans base valable.

Car pour plusieurs, disons-le sans détour, c'est trop. Et je ne parle pas seulement des suites du séisme: le pays, en temps normal, est tellement truffé d'excès en tous genres qu'il sature les sens des nouveaux arrivants. Il y a trop de monde; trop de chaleur; trop de pluie; trop de pourriture; trop de désordre; trop de bureaucratie; trop de problèmes. Et depuis le séisme: trop de morts, trop de blessés, trop de sans-abri, trop d'aide humanitaire mal coordonnée, trop d'argent mal géré, trop de "fait-ben" prétentieux, trop d’optimistes exaltés, trop de pessimistes, trop d'opportunistes qui profitent de la situation pour s'engraisser, trop de religieux qui exploitent la crédulité publique, trop de "bleeding hearts" (que je ne sais comment traduire), et quoi encore. Tout cela sature les sens. Et si on persiste, eh bien c'est la sursaturation et le déversement qui s'en suit fatalement.

Haïti, en temps normal, agresse. Depuis le tremblement de terre, ça choque.

Et nous autres, là-dedans? Ben disons qu'on tient le coup justement parce qu'on a développé une forme d'immunité. Un peu comme pour la tuberculose: on peut réagir positivement au test PPD sans pour autant en être atteint: la bactérie est là, mais incapable de se développer, contenue par le système immunitaire (comme c'est mon cas, incidemment). Eh bien le pays, c'est un peu comme ça. C'est complètement fou, mais notre système résiste. Pour l'heure, en tout cas. Je pourrais également vous donner l'exemple d'une personne ordinaire qui arrive sur les lieux d'un grave accident de voiture dans lequel, disons, une victime a été amputée et dont le bout de jambe gît sur la route. La vue de cette amputation peut suffire à paralyser la personne ordinaire. Mais pas le médecin ou la personne habituée à ce genre de spectacle, qui sauront faire les gestes efficaces, au-delà du dégoût, de la peur ou des moyens limités. Et ce dont Haïti a besoin en ce moment, ce sont ces personnes immunisées. Pas insensibles, comprenons-nous bien. Mais résistantes à cette invasion microbienne de la misère et de la douleur.

Une situation dure, c'est vrai, ne nous cachons rien. Pour certains, trop dure. Pour d'autres, juste dure.

vendredi 29 janvier 2010

Vendredi, dites-vous?


Va-t-on finir par avoir un vendredi où on pourra se réjouir que ce soit vendredi?

Sans doute, mais ce ne sera pas pour ce mois de janvier. Car comme vendredi aujourd'hui, laissez-moi vous dire que ce n'est pas de la tarte. Lisez ce qui suit et vous verrez...

7h00: on arrive à l'hôpital. Les Brésiliens, dont l'équipe s'est accrue de 9 nouveaux joueurs, est maintenant complète et les tentes parsèment le terrain gazonné (photo). Ricardo me dit qu'ils ont très bien dormi malgré la pluie qui a duré une bonne partie de la nuit (ça vous en dit long sur la qualité de mes nuits, d'ailleurs...). Sont très optimistes, nos amis brésiliens...
8h00: Ricardo veut se déplacer à l'Hôpital Général avec son technicien en radiologie; il a des radios à faire et il aimerait que ce soit son technicien qui les fasse. Minute papillon! On ne fait pas les choses comme ça, par ici! Je téléphone au docteur Léger qui, en bon retraité, me dit qu'il n'a pas de problèmes avec cette initiative, mais que je ferais mieux d'en parler au docteur Louissaint, le directeur de l'Hôpital Général. Je finis par rejoindre Louissaint au téléphone, lequel me dit qu'il va d'abord se rendre à l'hôpital puis qu'il va me rappeler. Évidemment, il ne le fera pas, mais ça ne fait rien car Ricardo se déplacera tout de même avec le technicien en radiologie. Entre-temps, j'envoie le chauffeur chercher Nathacha qui doit venir assister le chirurgien pour une opération délicate (greffe de peau).
9h00: Le docteur Léger arrive pour l'intervention en question. Le docteur Bill, l'Américain qui est avec nous depuis le début de la semaine, est là aussi. Tout ce beau monde se prépare à opérer.
9h30: Soeur Guadalupe, la petite sœur de la Charité de Calcutta (dont j'ai déjà parlé, pour ceux et celles qui me lisent assidûment), arrive avec une jeune fille brûlée au troisième degré à divers endroits. Elle me supplie de la prendre, car l'Hôpital Général, où ces cas aboutissent normalement, est plein à ras bord et personne ne va prendre le temps de s'occuper de la jeune fille. Je vais voir le Dr Léger qui vient tout juste d'entrer en salle d'opérations, mais qui n'a pas encore commencé le travail. Il me dit qu'il la verra après l'intervention et me suggère de l'isoler autant que possible des autres malades.
10h00: Nous ne disposons que de deux chambres privées, toutes les deux occupées. Mais dans l'une, il y a la patiente qui est justement sur la table d'opération en ce moment. Je prie donc les deux dames qui l'accompagnent de bien vouloir libérer la chambre de façon à ce que nous puissions l'utiliser pour la jeune brûlée.
10h30: En repassant dans le corridor de l'hôpital, je m'étonne de voir que cette jeune fille est toujours allongée sur une civière dans le corridor. L'infirmière me dit que les gens n'ont pas voulu libérer la chambre. Je retourne voir les dames et les mets dehors, un peu cavalièrement, je le reconnais, mais bon.
11h00: Réunion prévue avec nos médecins et Ricardo, pour que l'on puisse faire le point sur la façon dont l'équipe brésilienne compte procéder. Vernot n'a pas fini les consultations. On reporte la réunion à 13h.
11h30: Rencontre avec boss Ti-Jo, le contremaître de Raymond (vous vous souvenez? L'homme qui construisait des maisons?...), lequel n'a pas été payé depuis un bon ti-temps et commence à perdre patience. Je sais, je sais, ça n'a pas vraiment de rapport avec ce que nous faisons ici, mais j'agis aussi à titre d'intermédiaire entre Raymond qui est au Québec et Ti-Jo qui est en Haïti.
12h15: l'heure du lunch.
13h00: Retour à l'hôpital pour la réunion avec nos médecins et Ricardo. Il est indispensable de mettre les choses au point.
14h00: Problème à la cuisine: quelques-uns n'ont pas eu à manger ce midi. Chantal s'occupe de mettre en place un système qui permettra de savoir combien de personnes ont mangé et combien n'ont pas, en fonction de la nourriture qui reste. Manger reste important malgré tout...
15h00: Chu tanné. Mais il reste encore des tas de petits détails à régler, j'ai mon ulcère qui fait des siennes et j'ai encore ce truc à vous pondre pour que vous sachiez que malgré tout, on garde le moral!...
***
16h30: Interrompu au moins 14 fois, j'ai tout de même réussi à écrire ce qui précède. Et à vous le présenter, dans son emballage original comme toujours. Et avec un peu de chance, je vais pouvoir boucler la journée dans une petite demi-heure et me payer une bonne petite bière bien frette (bock congelé), dont il faut profiter d'autant plus que nous venons d'apprendre que l'usine de la bière nationale, PRESTIGE, a été détruite lors du séisme, alors une fois les stocks épuisés, on devra se mettre à l'eau claire, ou presque!

Dites, le saviez-vous? C'est vendredi aujourd'hui...

jeudi 28 janvier 2010

L'aide humanitaire grassement payée?


Je n'ai pas l'habitude de commenter l'actualité. Comme tout le monde, je lis les grands titres, dont le rôle est d'attirer notre attention. Or hier, il en est un qui a piqué ma curiosité suffisamment pour que je lise l'article au complet. Faut dire que le titre était plutôt accrocheur: «Haïti: les orthopédistes veulent être payés». Mais lisant cela, je me suis dit que ce devait être une ruse du journaliste pour nous amener à lire son article, que je vous invite à lire ici, si vous ne l'avez déjà fait. Ce n'était pas une ruse. Pour ma part, je n'en reviens pas encore. Plus je lisais, plus je rougissais de honte. Quoi! L'aide humanitaire rémunérée à raison de 800 $ par jour? C'est ça la condition? Payez-nous sinon pas d'aide? Quelle honte! Franchement, faut le faire...

Ici, à notre petit hôpital, nous avons reçu des équipes américaines, espagnoles et, dernière en lice, brésiliennes. Ces gens-là viennent avec de l'équipement, du matériel, des médicaments et surtout, surtout, leur compétence et leur générosité. Et je peux vous garantir qu'il ne se font pas payer 800 $ par jour pour leurs services...! Qu'on se comprenne bien: je n'ai rien contre la rémunération de services professionnels, bien au contraire. Mais il me semble que la générosité passe également par le renoncement à cette rémunération, quitte à la canaliser dans une autre direction, si l'argent est là et qu'on ne sait qu'en faire... Mais payer ces médecins qui ont prêté le serment d'Hippocrate de soigner leur prochain? Pensez-en ce que vous voulez, mais pour moi, c'est scandaleux, y'a pas d'autre mot.

Car ce n'est pas tant l'argent qui me choque comme le principe qui le sous-tend. Ici, on voit les équipes débarquer et ce que ces spécialistes veulent, c'est soigner. Aider. Contribuer à soulager les éclopés. Bref, faire preuve d'humanité envers un peuple différent, qui souffre, qui en arrache et qui en a maintenant plein les bras. C'est ça, l'idée de l'aide qu'on appelle humanitaire. On n'embauche pas des spécialistes; on n'achète pas les équipements ni les médicaments: on se fie sur la générosité humanitaire. Sur le bon cœur des mieux nantis. Sur leur compassion. Il s'agit ici de faire un geste qui, pour une fois peut-être, ne rapporte rien. Qui n'est pas lucratif ou mercantile. Humain, tout simplement. Or, mes compatriotes passent ici à côté d'une belle occasion. Maintenant, au contraire, tous ceux qui lisent le français ont pu lire, sinon l'article, à tout le moins son titre pas du tout équivoque dans ses implications. Et le lectorat francophone sur Internet est plus vaste qu'il ne l'a jamais été: Amérique, Europe, Asie, Afrique... sur tous les continents il y a des gens qui parlent français et qui le lisent avec aisance. Et qui disposent d'une connexion Internet. Or, je vous le demande: avez-vous lu un titre semblable ailleurs, vous autres? En anglais, en italien, en espagnol ou en finnois? Mais nous sommes où, là?

Les Haïtiens ont un mot pour ça: chiche. Et voilà pour les gens de mon pays: des gens chiches. Des gens qui sont prêts à aider à la condition qu'ils soient payés pour le faire! Et pendant ce temps, Patrick Lagacé sur son blogue d'hier s'offusque qu'il y ait un concessionnaire Porsche à Port-au-Prince!... J'avoue que je n'ai pas compris son indignation. Chacun sa montée de lait, faut croire...

En tout cas, je peux vous dire que les Brésiliens, c'est beau de les voir aller... gratuitement!

mercredi 27 janvier 2010

La vie continue...


Vous allez me dire: pourquoi cette photo? Pourquoi l'image de cette jeune femme enceinte à n'en plus pouvoir (elle est censée accoucher dans une dizaine de jours)? Simplement pour vous dire ce que le titre vous a déjà dit: la vie continue. Pas la mienne ou la vôtre, pas celle du peuple qui souffre, pas celle du personnel médical qui s'échine à la tâche, mais la vie dans son essence même. En dépit du drame haïtien, en dépit de la mort qui nous touche, même à distance, la vie continue. Cet enfant à naître a été conçu bien avant la catastrophe. Et il naîtra en plein dans ses effluves. Il en recevra l'onde de choc sociale. Mais cela ne l'empêchera nullement de vivre. Cela ne l'empêchera sûrement pas de bénéficier de l'amour de ses parents et d'un environnement familial sécurisant. (La jeune dame est l'une de nos bonnes infirmières et rien n'indique qu'elle est susceptible de perdre son emploi, relativement bien rémunéré, au cours des prochains mois, donc, stabilité financière = stabilité familiale.) Tout ça pour vous dire que la vie, en dépit de ce drame, continue d'éclore de tous les côtés à la fois et, avouez-le, ça force l'admiration. En tout cas, la mienne, puisque je ne peux parler pour vous qui êtes loin et flous.

Je trouve assez fascinant de voir que pour une vie qui s'éteint, une autre s'allume. En fait, la proportion n'est pas égale, car la vie prévaut: pour chaque mort, c'est environ 2,4 vies qui s'allument. Les statistiques en temps réel (!) telles que compilées par Worldometers valent la peine qu'on s'y arrête un peu. Amusant et instructif. Mais je m'écarte.

Ce matin, je parle à une autre jeune fille, amputée celle-là juste en bas du genou (non, ce n'est pas celle de la photo d'il y a quelques jours, mais une autre). Je lui demande comment elle va. "Pa pi mal", me répond-elle en souriant. Je lui demande si elle a mal; elle n'a pas mal. Puis je lui dis que lorsque sa plaie sera guérie, on lui mettra une prothèse et elle pourra à nouveau marcher à peu près normalement. C'est là qu'elle me demande, en parlant de la prothèse: "Ki kote m'ap jwen sa?" Je lui dis de ne pas s'en faire, que ceux qui se sont occupés d'elle ne vont pas la laisser sans prothèse et que tout va s'arranger. Elle me croit. J'espère juste ne pas lui faire une promesse électorale... Et la vie continue, même éclopée...

Et puis il y a les adventistes. Vous allez me dire que ce n'est pas tout à fait dans le même ordre d'idée et vous aurez tort: car les adventistes, dans leur déni de ce qui se passe présentement dans le pays, sont une autre manifestation de la vie qui s'exprime, en dépit de la crise et de l'insécurité qui prévalent. Je ne peux pas vous dire si l'assistance à leurs assemblées est nombreuse; mais je peux vous dire qu'à tous le soirs que le bon dieu amène (et il en amène à tous les jours), il y a une "preacher" assez en voix, rien à envier à ses collègues mâles, laissez-moi vous le dire. Pour gueuler, elle a le style. Elle chante faux comme ça ne se peut pas, mais elle aime le micro, c'est bien clair. Heureusement, ces ébats vocaux ne durent pas trop: vers 8h-8h30, c'est fini. Et le clou, c'est la chanson thème: "À Toi la gloire...", entonnée avec force, enthousiasme, énergie, cœur et détermination. Chaque fois qu'elle attaque la chanson--car c'est vraiment de cela qu'il s'agit: une attaque--, je crains pour un autre tremblement de terre. Car on ne sait jamais comment la terre peut réagir à de tels excès sonores... Qui sait? C'est peut-être suffisant pour déplacer les plaques tectoniques!... Mais encore une fois, cet élan lyrique finit par s'estomper et la nuit peut enfin reprendre ses droits au silence et à la paix.

Enfin, une petite mention pour dire que Kyra, notre très chère, a finalement fini par arriver, qu'elle a déjà retroussé ses manches et qu'elle est prête à mettre la main à la pâte. Et si ce n'est pas la vie, ça, dites-moi ce que c'est!

mardi 26 janvier 2010

Y'a des jours...


 Ça ne va pas tellement aujourd'hui.

D'abord la journée a bien mal commencé. Apprendre le décès d'une personne proche, même si c'est un décès auquel on s'attend, n'est jamais une bonne nouvelle. La mère de ma très chère s'est éteinte la nuit dernière à l'âge tout de même vénérable de 86 ans. Sans souffrance et tout en douceur, d'après ce qu'on nous a dit. Mais cette nouvelle attristante nous cause un problème supplémentaire: comment payer nos respects à la famille? Pourrons-nous seulement être présents pour les funérailles? Le Canada n'est pas loin, je le dis toujours à ceux qui pourraient penser que nous sommes à l'autre bout du monde, mais dans les circonstances actuelles, on pourrait tout aussi bien se trouver dans l'archipel des Falklands ou à Tombouctou! Bref, un problème de plus...

Or, les problèmes qui s'empilent finissent par faire une lourde charge. Style: n'en jetez plus la cour est pleine! Style: assez cétacé! Mais pourtant, on le sait bien, c'est loin d'être fini... Alors de deux choses l'une: ou bien nous allons devenir plus forts, ou bien nous allons crouler sous la charge. Je vous le ferai savoir, ne vous en faites pas...

C'est qu'il y des jours, et il y a des jours. «Des jours où on penche, d'autres où on plie, d'autres où on flanche»... Non, non, je ne déprime pas à ce point! Je vous cite seulement Ferland (Y'a des jours). Chanson assez noire, cependant, il faut bien le reconnaître, et qui invite à ne plus lutter, à ne plus se battre, mais plutôt à se laisser couler. Mais ici, a-t-on le droit de se laisser couler quand tout le monde s'accroche? Vous connaissez l'histoire de certains cas, maintenant. Et je n'ai pas envie de vous en raconter d'autres pour vous attendrir. Les temps sont durs, présentement pour les Haïtiens et pour les Haïtiennes. N'en doutez pas. Car si on parle beaucoup des nombreux morts, on ne parle pas assez de ceux qui restent et qui, même sur leurs deux jambes et leurs deux bras (pour les gymnastes), en arrachent vraiment. Mais ils s'accrochent, mes amis, ça pour s'accrocher, ils s'accrochent. Comme quelqu'un en train de se noyer et qu'on va sauver. Préparez-vous s'il vous saisit! Eh bien les Haïtiens, c'est ça. Ça s'accroche et ça ne se laisse pas couler. On dit qu'il faudra compter un bon dix ans pour reconstruire le pays. Dix ans... élastique, c'est sûr. Mais le peuple n'a pas besoin d'une reconstruction finie, polie, étincelante: ici, on se contente de peu, et dès que ce peu sera en place, je vous garantis que la vie va reprendre à peu près comme avant. Et pour cela, quelques mois suffiront.

Rencontre avec le staff américain tout à l'heure. Plusieurs s'en vont. D'autres arrivent. Tout à l'heure, c'était le joyeux chaos à l'entrée. Un groupe d'une dizaine d'Américains venaient voir ce qu'ils pouvaient faire. Finalement, après quelques palabres et voyant comment nous étions organisés, ils ont plutôt choisi d'aller à l'Hôpital Général, là où c'est moins accueillant, mais tout aussi indispensable. Demain arrive un autre groupe, des Espagnols et vendredi ou samedi, des Brésiliens. Comme quoi y'a pas que les Américains qui sont prêts à se retrousser les manches!

Bon. Ça va un peu mieux, à présent. Voir les gens hospitalisés vous sourire et vous dire qu'ils sont «pa pi mal» alors qu'ils sont salement amochés, ça redonne une perspective, disons...

Et puis, demain est un autre jour...

lundi 25 janvier 2010

Petit lundi...


«Petit lundi, grosse semaine», c'est ce qu'on dit couramment, n'est-ce pas? Ou bien est-ce le contraire? Quoi qu'il en soit, ici, le dicton ne marche plus. Comme je le disais hier, dimanche ou lundi ou mardi ou quelque autre jour, quelle différence cela fait-il pour ces gens malades et pour ceux et celles qui les soignent? Les jours se suivent et se ressemblent. Mais, je le redis pour ceux qui ne sont pas attentifs, c'est avec le temps que ce drame va se résorber, évidemment pas au point de disparaître, mais suffisamment pour que la vie au quotidien retrouve un semblant de stabilité.

Sortie en ville ce matin, pour acheter des cuvettes de plastique pour les fournitures médicales. Y'a du monde! On a dit que de plus en plus de résidents de Port-au-Prince quittaient la capitale en ruines pour la province. Eh bien je peux vous dire que Les Cayes fait partie des destinations de choix! Tant que ça reste du monde honnête, c'est un moindre mal. Mais tout de même, cet important accroissement démographique pèse lourdement sur nos faibles ressources, et comme ces ressources sont difficilement réapprovisionnables dans le contexte actuel, eh bien ça risque d'être sec sec sec dans pas grand temps...

Discussion assez chaude avec nos médecins ce matin. C'est qu'il est difficile de rester objectif et de marbre dans la situation qui nous touche tous et toutes et c'est un peu ce qu'on me reproche: de ne pas rester de marbre. Cependant et comme je l'ai expliqué, quand le feu est pris, on doit d'abord se hâter de l'éteindre; après seulement, on peut évaluer ce qui s'est passé et comment les choses auraient pu être mieux faites. Mais d'abord éteindre le feu. C'est là la priorité. Or, ce qu'on voit présentement, ce sont des cas incendiaires (fractures ouvertes infectées) qui doivent être traités le plus rapidement possible si l'on veut éviter le remède de cheval populaire ces jours-ci: l'amputation. Vous avez vu la photo précédemment publiée (vendredi dernier) de la jeune fille amputée à mi-cuisse... Certes, sa vie est sauve et elle va bien. Mais quel sera son sort, quand elle sera sur pied, en fait, sur le seul pied qui lui reste? Trouvera-t-elle une prothèse qui lui permettra de marcher à nouveau? Pourra-t-elle assurer sa subsistance? Je vous rappelle qu'il n'y a pas d'assistance sociale en Haïti... C'est pourquoi je maintiens qu'on doit d'abord parer à l'essentiel et ensuite, on pourra penser à la procédure administrative à suivre en cas de crise...

Tout de même et nonobstant ce qui précède, tout le monde fait de son mieux, même si personne ne sait si ce qu'il ou elle fait est vraiment ce qu'il y a de mieux à faire... Même les médecins ne s'accordent pas toujours sur le traitement à suivre pour un cas donné... Mais bon. Encore une fois, il s'agit moins d'atteindre 100% d'efficacité que d'atteindre une certaine efficacité. Oublions la perfection et concentrons-nous plutôt sur une action qui porte fruit. En tout cas, c'est l'esprit de la chose.

dimanche 24 janvier 2010

Un autre dimanche


Aujourd'hui, c'est dimanche. Encore. Une autre semaine qui s'achève--ou qui commence, c'est selon. Comme je le disais l'autre jour, à force d'en accumuler (des semaines), le temps va finir par essuyer le dégât qui a souillé le pays. Le temps, et la compétence de tous ceux, toutes celles qui sont ici, avec nous, et qui besognent sans se soucier de savoir si nous sommes dimanche ou lundi. Aujourd'hui, d'ailleurs, c'est l'affluence d'un gros lundi... Alors on est là. Et puis, comment, ce matin, ne pas trouver cocasse cet orthopédiste américain qui tente d'expliquer à une Haïtienne qu'il va pouvoir réparer sa main aussitôt qu'il aura les broches nécessaires pour attacher les os! Je ne suis même pas sûr d'avoir bien compris moi-même... Mais radiographies en main, il gesticulait, mêlait un mot de français à ses explications en anglais, mimait, gesticulait, démontrait ce qu'il fallait faire, bref, il expliquait. J'ai traduit en deux phrases: sourire béat de la dame. Je viens de la revoir tout à l'heure, le docteur va l'opérer dans quelques minutes, me dit-elle. Sourire de contentement. Et tous ces Haïtiens qui s'étonnent de nous entendre parler leur langue couramment... "Ou pa ameriken?" me demande l'un deux. "Non", réponds-je. Et là, pour craquer ce sourire qui n'est jamais bien loin de la surface, j'ajoute: "Se ayisyen mwen ye!"

Parler avec le peuple reste une activité très intéressante. Mais par les temps qui courent, qui fait mal aussi. Un a perdu toute sa famille; un autre a perdu ses trois enfants; un autre sa femme et sa soeur... et on vous dit ça avec cette résignation inimitable parce que tellement profonde, tellement vraie. Ce matin, quelqu'un m'a dit: "C'est comme pour Job." Or, si vous suivez mes écrits, vous vous souvenez que j'ai comparé le peuple haïtien au Job de la bible (et non à Steve). "Bondye bay, Bondye pran", continuait mon interlocuteur, un homme dans la trentaine pas con pour deux sous. On a pensé "Job" tous les deux en même temps. On a eu le même haussement d'épaules. Sauf que lui a perdu ses deux enfants; moi, je n'ai rien perdu, pas même l'accès à Internet... Deux poids, deux mesures... je compatis à son malheur, mais ma compassion me semble sonner creux. Je suis Canadien, issu d'un pays riche où les biens abondent. Je peux, si je le veux, quitter ce monde de cauchemar et me retrouver en quelques heures dans mon pays, les deux pieds dans la sloche, certes, mais en sécurité et dans l'abondance. Pas eux. Eux, ils sont dans la misère et cette misère est leur lot. Le seul pour le moment. La reconstruction va prendre un temps fou, nécessitera des moyens titanesques, cafouillera, perdra le nord, pour finalement aboutir, oui sans doute, mais à quoi?  Seul l'avenir nous le dira. Pour le moment, nous parons à l'essentiel; les amochés et les éclopés d'abord. Et laissez-moi vous le dire, les amis: ils sont nombreux...

Cependant, le chaos du début a maintenant fait place à un "chaos organisé", comme le disait un médecin américain. Et c'est vrai: le personnel médical sait un peu mieux où donner de la tête, on développe des méthodes de travail et on traite les patients. Et toujours, en pivotant autour de l'axe de l'inégalable Nathacha. Tout passe par elle, tout aboutit à elle. Et tout le monde la remarque, tout le monde loue son efficacité, mais elle, elle s'en fout comme de sa première paire de bobettes! Tout ça pour vous dire que les éclopés, les fracturés, les blessés reçoivent des soins et, d'après ce que je peux constater, de fort bons. C'est déjà ça de pris, n'est-ce pas? Comme le disait l'un des médecins américains: "Those who get here are really lucky."

Et toujours, toujours, ce sourire, triste mais avenant, amer mais chaleureux. Car si ici une vie ne vaut rien, "rien ne vaut une vie", pour citer Malraux. Et le combat des jours se poursuit, et l'on sait que ce ne sera pas facile, mais comme disent les Haïtiens: "N'ap lite" (nous allons nous battre). Et vous savez quoi? Ils vont finir par gagner...

samedi 23 janvier 2010

Stress!


Le stress. C'est ce qui a causé le tremblement de terre à l'origine. Et maintenant que la planète s'est relâchée, ce sont les suites de ce séisme qui causent le nôtre. Tout le monde sait ce qu'est le stress, alors inutile que je m'attarde à jouer le scientifique. Et si vous ne le savez pas, eh bien vous savez combien il est facile de nos jours d'accéder à l'information (ici, entre autres). Je vous donne néanmoins la définition de Hans Selye, considéré (mais pas unanimement) comme le père des études sur le stress: "Le stress est l’état de l’organisme dont le bien-être est menacé et qui n’a pas de réponse immédiate pour réduire cette menace." Pas de réponse. Tout est là. Devant l'ampleur de ce qui nous arrive, nous restons sans voix. Et sans voie. Personne ne sait au juste quoi faire--à part soigner les blessés, bien entendu--ni comment s'en sortir. L'événement a causé le stress, mais maintenant, on s'y est habitué. Cependant, non seulement la menace demeure, mais on ne peut pas vraiment la réduire, de sorte que la tension continue de monter jusqu'à ce que, finalement, ça explose. C'est exactement ce qui a provoqué le tremblement de terre. Depuis 200 ans, la tension s'accumulait: fallait bien que ça pète à quelque part! Ce fut Port-au-Prince, mais c'aurait pu tout aussi bien être Les Cayes ou Cap Haïtien, à l'autre bout du pays. Voilà pour le stress géologique. Mais je le redis, le relâchement de ce stress géologique et la catastrophe qu'il a engendrée ont fait naître, chez les humains qui l'ont vécu, un stress majeur. Traumatisant. Au point qu'à l'heure actuelle, le stress, sous forme de peur entre autres, est collectif.

La peur, parlons-en. La peur, comme il me semble l'avoir dit, est souvent causée par l'ignorance, nous le savons tous. Ainsi, quand un enfant a peur, on le rassure, on lui explique que sa peur n'est pas fondée et le sentiment s'estompe, voire disparaît complètement. C'est ainsi que moi qui vous parle, je n'ai plus peur du bonhomme Sept-Heures (bogeyman, si vous êtes plus familier avec son alter-ego anglais). L'information a effacé ma peur. Mais ici? L'information est partielle, quand ce n'est pas partiale, et les gens ne savent plus qui dit vrai et qui raconte n'importe quoi. Or maintenant, les gens ici craignent une réédition du séisme du 12 janvier dernier. Pas quelques répliques, inévitables dans les circonstances, mais une vraie réédition, en pire de préférence. Alors, comme je l'ai dit (hier ou avant-hier, je ne me souviens plus), j'ai pris le temps d'expliquer à nos employés que le danger d'un autre tremblement de terre majeur était, à toutes fins utiles, inexistant. Je pensais que ma démonstration avait porté ses fruits. Mais hier, j'apprends que la majorité des employés, suivant en cela le population en général, passe la nuit au dehors! Jusqu'aux patients de notre hôpital qui ont insisté pour faire transporter leur lit dehors! J'étais estomaqué. Nouvelle réunion: j'ai dénoncé la crédulité populaire et la paranoïa collective. Et me suis engagé sur l'honneur à ce qu'il n'y ait pas d'autres séismes majeurs... Arrogance, dites-vous? Pas vraiment. Mais il faut que quelqu'un tranche, une fois pour toutes et d'une façon radicale. Il faut qu'on puisse dire: "C'est fini. On peut commencer à reconstruire." Car l'une des caractéristiques de la peur, qui la rend si nocive, c'est qu'elle est contagieuse! Alors il faut endiguer ce flot de panique, car la peur ne conduit nulle part sauf à la mort. La peur ne construit pas: elle détruit. Elle paralyse. Elle bloque la pensée créatrice. Elle soumet. Et finalement, elle tue, car oui, on peut mourir de peur. Donc, la peur reste un ennemi de plus à combattre.

Mais au moins, ce matin, j'ai eu la satisfaction d'entendre plusieurs employés me dire qu'ils avaient osé dormir dans leur maison la nuit dernière... C'est déjà ça de pris...

Cependant il faut bien comprendre que le stress est généralisé, et pour cause: avant, on ne savait pas trop où on s'en allait, maintenant, on ne le sait plus du tout. Et oui, je l'avoue, c'est stressant... Il faut aussi comprendre que ce stress n'est pas le nôtre: il nous dépasse par son ampleur. Rien à voir avec le stress d'avoir à subir un examen ou une entrevue de sélection pour un boulot: cette dimension de stress est gérable, si je puis dire. Mais le stress présent est comme une mer qui nous entoure et qui menace d'engloutir le petit îlot de stabilité sur lequel nous nous tenons, en retenant notre souffle et en attendant. Quoi? On ne sait trop. Mais on attend...

Godot (1) peut-être?

(1) En attendant Godot, Samuel Beckett. À voir absolument (ici), ou sinon, à lire et à déguster.

vendredi 22 janvier 2010

"Avez-vous besoin d'aide?"


Aujourd'hui, j'étais parti dans une autre direction (moi, vous me connaissez maintenant: toutes les directions sont bonnes) mais l'article que je viens de lire sur Cyberpresse (ici) et la situation à laquelle nous sommes confrontés chaque jour un peu plus m'amènent à bifurquer. C'est qu'il me faut aborder le thème délicat des volontaires.

Je vous l'ai dit à plusieurs reprises depuis le début de cette catastrophe: l'aide internationale est là, sous forme de volontaires plus ou moins expérimentés unis par cette volonté d'aider. Et nous en avons besoin. C'est indéniable et c'est appréciable à la fois. Mais comme je l'expliquais ce matin à des médecins de Terre des Hommes (je pense mais n'en suis pas certain--il en passe tellement ces jours-ci), nous ne sommes pas pro-actifs dans cette affaire, mais plutôt simplement réactifs. Nous réagissons avec une efficacité variable, et c'est justement là le problème. Tout le monde ne réagit pas de la même façon au malheur généralisé et bien que la bonne volonté ne manque pas, elle n'est parfois pas suffisante. Finalement ces gens ce matin, qui me demandaient comment ils pouvaient nous aider, je les ai simplement emmenés du côté des malades hospitalisés et leur ai dit: «Faites votre choix.» Je les ai revus tout à l'heure, au chevet d'un malade, et ils n'avaient pas l'air de s'ennuyer...

Mais souvent les gens nous demandent: «Peut-on vous aider?»  La réponse, c'est oui, bien sûr. Mais comment? Ce n'est pas toujours évident. L'argent, certes, aide et aidera à la reconstruction du pays. Mais pour les bras, c'est autre chose. Car imaginez un peu: vous arrivez dans le pays depuis le Canada; premièrement, la chaleur vous surprend; vous fait suer, vous écrase même. Et puis les foules, les masses de gens qu'on ne sait pas si elles sont enragées ou simplement bruyantes. Puis cette langue qu'on croyait si proche du français et dont on n'arrive pas à comprendre un traître mot. Et puis cette souffrance qu'on n'arrive pas à soulager. Ce chaos ingérable, les odeurs, la cacophonie, la moiteur de l'air, et toujours, toujours ces gens qui grouillent comme des mouches autour de vous-savez-quoi. Et l'odeur de ça aussi... Bref, on en vient à se demander si les volontaires ne sont pas trop nombreux... Car il faut les occuper, ces braves gens, leur donner une tâche, comme on donne un os à un chien affamé; mais une fois l'os rongé, le chien a toujours faim et il en veut encore! Ainsi en est-il de notre volontaire: sa soif de sauver le peuple haïtien est inextinguible. Épuisé, il veut en faire encore. Au point où, des fois, on se demande si le volontaire, venu pour participer à la solution, ne devient pas par son zèle une partie du problème... Car le problème, les amis, vous l'avez deviné, c'est la COORDINATION. Faire marcher les deux pieds en alternance, pas en même temps; faire pousser tout le monde dans le même sens ou tirer dans le même sens si vous aimez mieux. Mais faire en sorte que l'action soit concertée, effective à défaut d'être efficace à 100%. Je vous cite un joli petit proverbe haïtien sur la chose: «Chen gen kat pye, men li ka mache nan yon sèl chemen.» Alors? Ça y est? Vous avez compris? Non? Vous donnez votre langue au chat? Bon d'accord. En français donc: "Un chien a quatre pattes, mais il ne peut marcher que dans une seul chemin". La coordination, les amis, c'est ça.

Certes, vous allez me dire: «Mais ça ne vaut pas pour les médecins, quand même...» Eh bien au risque de vous surprendre, je vous dirai que oui, ça vaut aussi pour les médecins. Ainsi hier, débarque un neurologue. Wow. Les neurologues ici ne courent pas les rues. Mais soyons francs: avons-nous vraiment besoin d'un neurologue? Je vous le donne en mille: NON. Si bien que ce gentil monsieur s'est occupé à panser des blessures légères, un travail que toute bonne infirmière peut faire les doigts dans le nez (bien que ce ne soit pas souhaitable, mais bon, vous me comprenez). Et ce n'est là qu'un exemple. Alors je vous en prie, ne m'en voulez pas trop de ne pas requérir une aide humanitaire qui ne demande qu'à aider, soit, mais qui s'occupe peu du comment. À l'heure actuelle, l'aide humanitaire est là, mais se pile sur les pieds...

Donc, je vous suggère cet article (voir URL ci-dessus) de la Presse. Intéressant et en plein sur le bobo. Et parlant de bobo, je vous dis qu'on en a plein la vue, ces jours-ci, et la photo n'en est qu'un petit échantillon...

jeudi 21 janvier 2010

La langue longue


Aussi bien commencer tout de suite si je veux avoir le temps aujourd'hui d'écrire quelques lignes, car la journée s'annonce heavy, comme disent les Athéniens quand ils s'atteignent...

Mais avant de vous dire ce qui se passe, passez-moi une petite réflexion de nature plus philosophique. Après tout, j'ai bien le droit, puisque je ne vous en ai pas servi hier...

C'est à propos du courage. Plusieurs messages nous félicitent pour notre courage et j'avoue que ça me met un peu mal à l'aise. Non, non, ce n'est pas de la fausse modestie. Mais sommes-nous vraiment courageux? Et d'abord, qu'est-ce que le courage? Endurer l'enfer sans se plaindre? De toute façon, puisqu'on a de bonnes chances d'y aboutir, aussi bien s'y préparer, non? Se retrousser les manches et rebâtir ce qui vient d'être détruit? Garder l'espoir alors que l'espoir semble si vain? Eh bien les amis, si c'est ça le courage, c'est le peuple haïtien qui est courageux: pas nous. Nous, on ne manque de rien, du moins pas encore. Ça ne prend pas tellement de courage pour s'offrir une bonne petite bière bien fraîche ou pour surfer le Web... Et puis le courage, ce peut être bien des choses: de l'entêtement, de la vanité, de l'inconscience, de l'ignorance voire de la stupidité... Or, j'aime penser que nous ne sommes pas stupides... Donc, pour le courage, eh bien je ne sais pas. Peut-être sommes-nous tout bonnement tenaces? En tout cas, merci à tous ceux, toutes celles qui nous encouragent, car c'est sans doute là la source même du courage... Et puis, au fond, quelle importance la chose a-t-elle au regard de ce qu'il y a à faire?

C'est que là, nous sommes en train de nous organiser. Ou de nous faire organiser, c'est selon. Certains, certaines, mieux avisés que d'autres (lire: plus réalistes) ont compris que Port-au-Prince n'est pas la solution: Port-au-Prince, en fait, est le problème. Or, tous les efforts présents se concentrent sur la capitale, avec pour résultat que l'aide humanitaire s'empêtre. Certes, ça progresse, mais si lentement face à des besoins si criants qu'ils faut essayer de voir ce qui peut se faire ailleurs. Et ailleurs, entre autres, c'est ici. Donc, aujourd'hui, on planifie des équipes médicales qui vont s'installer sur notre terrain et faire ce qu'il faut, en l'occurrence: réparer les gens amochés, le plus souvent, sous forme de fractures ouvertes. Il nous faut des orthopédistes et, bien entendu, le matériel. Mais ça commence à s'organiser, je vous le redis. C'est qu'ici, notre hôpital est modeste, certes, mais tout à fait convenable. De plus, la cour est grande. Et ça, c'est plutôt rare en ville. En outre, maintenant que les soldats de la MINUSTAH campent ici, l'endroit est relativement sécuritaire, ce qui n'enlève rien à la chose, bien entendu...

Autre point important, sans rapport avec ce qui précède: la banque a rouvert aujourd'hui, et bien que la queue ait été démoralisante, mon chauffeur et homme de confiance Onès a fait le pied de grue jusqu'à ce qu'il puisse rapporter l'argent. Comme ça, nous avons commencé de payer les employés pour le mois, bien que ce soit un peu d'avance, mais bon, vu les circonstances, je pense que personne ne m'en voudra de cette décision...

Bref et pour me résumer (vous le savez bien maintenant: j'adore les pléonasmes et les répétitions), ça bouge. On s'essouffle un peu, bien sûr, mais il faut maintenir la cadence. Comme dans le film Flashdance, vous vous souvenez? La scène où cette jolie jeune fille (Jennifer Beals) danse sur un rythme effréné (Maniac, de Michael Sembello, je pense). Je vous dis que ça sue... Eh bien nous autres, c'est un peu ça. On se dit qu'on aura sûrement l'occasion de reprendre notre souffle plus tard. En tout cas, on l'espère!

mercredi 20 janvier 2010

Et une autre petite secousse avec ça?


C'est drôle. Hier, je vous parle de sécurité. Je venais à peine de plaquer mon texte sur le Web que les coups de feu retentissent dans la rue, et pas un ou deux, mais une véritable fusillade! Je pose quelques questions et on me dit que les prisonniers, incarcérés à la prison juste derrière le commissariat, lui-même à deux pâtés de maison de notre hôpital, les prisonniers donc se sont évadés et que maintenant, la police leur tire dessus! Mais on est où là? Entre-temps, tout le monde est sur ses gardes, personne n'ose sortir de l'enceinte et ma petite sœur préférée, une sœur de la charité de Calcutta (non, elle n'est pas de Calcutta la ville, en fait, elle est latino et s'appelle Guadalupe), explique au gentil soldat uruguayen qu'ils doivent rester ici et nous protéger. Dix minutes plus tard, des militaires avec de jolis casques bleus sur la tête et des armes que les maniaques reconnaîtraient sans doute font le pied de grue devant la barrière alors que les coups de feu claquent dans l'air de cette fin d'après-midi tranquille. Finalement, vers 18h, ça se calme. J'apprendrai ce matin que plusieurs évadés ont été repris et qu'on en a tué onze, pas moins. Je ne peux pas dire que cela m'ait rendu chagrin...

Mais on n'a pas encore fini...

Ce matin, 6h, alors que j'allume pour ma petite heure de lecture matinale, voilà que le lit se met à tanguer! Je me retourne pour partager l'expérience avec ma compagne, mais la profondeur de sa respiration ne laisse aucun doute sur son état de conscience, alors je passe. Plus tard, à la radio d'Espace Musique--la seule qui se laisse écouter--notre cher Gilles Payer confirme qu'effectivement, Haïti vient de subir un autre tremblement de terre! Et là je me dis: ce sera l'hystérie collective! Je jette un coup d’œil sur Internet: magnitude 6,1. De quoi énerver bien du monde...

Et en effet, dehors, on ne parle que du tremblement de terre qui vient de se passer. Un peu plus tard, l'infirmière chef me dit que les infirmières ne veulent plus aller dans la salle d'opération parce qu'elles ont peur que le plafond leur tombe sur la tête... Que de gauloiseries!... Je les réunis donc toutes et leur donne un "crash course" en géologie 101. Aborde la tectonique des plaques. Leur explique les failles qui traversent l'île et qui sont au nombre de trois. Leur affirme qu'un tremblement de terre, ça ne se prévoit jamais à la journée près. Leur illustre l'effet de l'onde de choc. Leur annonce qu'il y aura sans doute d'autres tremblements au cours des prochains jours ou des prochaines semaines, mais toujours de force décroissante. J'affirme. Je garantis. Me fais convaincant. Si bien qu'elles me croient et acceptent de retourner dans la salle d'opération... Vous ai-je dit qu'il fallait faire tous les métiers ici?

Et voilà que des étrangers sont là. Les derniers en lice: des Espagnols qui prévoyaient s'installer à Port-au-Prince mais qui ont vite déchanté quand ils ont vu le merdier!... Alors ils ont commencé à regarder autour et se sont finalement dirigés vers Les Cayes. S'ils nous fournissent l'aide prévue, nous allons avancer un petit pas dans la bonne direction.

Comme vous le voyez, pas de philosophie aujourd'hui. C'est que j'avoue que je suis un peu fatigué aujourd'hui. "Bouké", comme on dit en créole. Mais d'autres sont pires que moi...

Et on tient le coup et une autre journée sera bientôt chose du passé. Peut-être qu'à force d'en empiler dans le passé, on pourra avoir un futur...

mardi 19 janvier 2010

Et ça continue...


On sent que les problèmes s'en viennent. On ne les voit pas encore, mais on les sent. Tout "problem solver" qui se respecte connaît cette sensation. Les fils détachés s'enchevêtrent en un fouillis que l'on peine à démêler. Je voudrais bien qu'Ariane me prête son fil conducteur, mais hélas, ce n'est pas possible... Il faut que les choses se passent comme elles doivent se passer. Même si on sent les problèmes, même si on les anticipe, ils ne sont pas là. Et de toute façon, ce ne sont pas des problèmes qu'on peut régler par anticipation. En passant et pour ceux que ça intéresse, "Tèt chaje", le titre de mon texte d'hier, est une expression très typiquement haïtienne qui ne se traduit pas vraiment ("tête pleine" serait la traduction et ça ne fait aucun sens, vous l'admettrez); ça veut dire aussi bien "plein les bras" ou "c'est compliqué", au choix. Mais ça s'applique vraiment à la situation présente.

Cela dit et faisant écho à la réflexion que j'ai mise sur mon "mur" Facebook ce matin, il convient de poser la question: sommes-nous en sécurité? Ceux, celles qui sont des habitués de ma prose savent que j'ai déjà abordé le thème en avril 2008, et un peu de façon prémonitoire puisque le jour suivant éclatait la violence dans les rues des Cayes. Quand je vous dis qu'on sent ça venir... D'où ma réponse à la question: sommes-nous en sécurité? C'est non. Cependant et comme je l'ai écrit, en Haïti, par les temps qui courent, il n'y a personne en sécurité. Haïtiens, étrangers, expatriés confondus: l'insécurité règne. On n'y peut rien. Mais l'insécurité ne signifie pas pour autant que nous devenons des victimes! Ainsi, la conduite sur des routes glacées engendre, à juste titre, l'insécurité; mais cela ne veut pas dire que surviendra l'accident fatal! Même chose ici: l'insécurité nous invite à faire un peu plus attention, comme par exemple, on retire la clé sur la porte extérieure, au dehors... Évidemment, la clé de la voiture est toujours sur le contact et les portes de la maison ne sont jamais verrouillées, mais bon faut pas pousser la paranoïa quand même...

C'est pourquoi à la question: "Are we okay?", je réponds "Yes", car en fait, nous le sommes. C'est vrai que tout est question d'équilibre. L'insécurité est là, oui, mais encore une fois et pour reprendre mon exemple de la route verglacée, elle n'est qu'une variable de plus. Qui engendre un stress de taille, reconnaissons-le, mais qui ne suffit pas à nous déloger d'ici, du moins pas encore. Car dans ce délicat équilibre entre la peur et la paix, il suffit parfois de peu pour que penche la balance... rarement du côté de la paix, cependant, il faut bien le dire...

Changement de propos. Lu hier ici: "US Muslims Raise $800,000 To Help Haiti Earthquake Victims" (!) Ça ne vous fait pas tiquer un peu, vous? Alors que ça ne va pas tellement bien pour la communauté musulmane, ils se forcent quand même le cul et ramassent près d'un million de dollars pour un peuple qui ne leur est nullement apparenté! Comme quoi il ne faut jamais généraliser; la bonté et la générosité sont partout, pas seulement chez les chrétiens ou les catholiques, pas seulement chez les Américains ou les Canadiens, mais partout où les humains pensent et agissent comme des humains. Je vous dis ça comme ça, juste en passant, parce que je l'ai trouvée bonne...

Entre-temps, les blessés continuent de nous arriver, certains cas plus spectaculaires que d'autres, comme cette dame qui a perdu un œil et une partie de la joue (photo). Mais notre médecin dit que, mis à part l’œil, ce n'est pas majeur. Impressionnant quand même, avouez-le.

Mais il y a pire. Pas mal plus pire, comme dirait l'autre...

lundi 18 janvier 2010

Tèt chaje!


Le travail d'un dirigeant, c'est de diriger, je pense qu'on peut s'entendre là-dessus. Et pour diriger, il faut pouvoir décider quelle direction prendre et pour cela, il faut être capable de planifier. Vous me suivez? On est en Administration 101 ici, mais c'est quand même à la base de tout le processus décisionnel: le fameux PODC que tous les étudiants en administration connaissent fatalement (pour les ignorants, PODC = Planifer, Organiser, Diriger, Contrôler). Donc, présentement, en bon petit élève formé à cette école, je veux planifier ce qui s'en vient afin de pouvoir organiser nos cliques et nos claques, de façon à pouvoir diriger efficacement. Et qu'est-ce que vous dites de cela? Belle démarche, n'est-ce pas?

Bon. Cependant, il y a un hic: la planification doit s'appuyer sur des faits solides dont la projection reste plausible. Or, les faits actuels sont mouvants et leur projection en souffre énormément. Ainsi, comment savoir combien de temps nous devons tenir avant de pouvoir trouver du carburant aisément? Les banques rouvriront-elles bientôt et seront-elles opérationnelles? Combien de temps avant que les épiceries soient réapprovisionnées? Deux semaines? Deux mois?... Personne ne le sait vraiment. Et comme dans le doute, mieux vaut s'abstenir, eh bien c'est ce que nous faisons: on conserve tant qu'on peut. Ce qui ne veut pas dire que nous n'atteindrons pas le fond du baril, surtout de celui de carburant, mais au moins, on aura fait ce qu'on aura pu.

Mais l'impossibilité de faire une planification éclairée ne signifie pas pour autant qu'on doive baisser les bras. Car les gens ont besoin que quelqu'un, à quelque part, prenne les décisions. Et à défaut d'être éclairées, qu'elles soient à tout le moins responsables. C'est là où j'en suis. On gère une crise, et par définition, une crise n'est pas du quotidien et ne peut dès lors obéir à des règles toutes faites d'avance. Alors, comme on dit, on joue ça à l'oreille... et tant pis pour les fausses notes!

Aujourd'hui, l'ONU a monté des tentes sur notre terrain pour pouvoir accommoder les patients qui ne sont pas dans un état critique mais qui nécessitent quand même des soins médicaux. Pas idéal, mais les tentes, c'est très à la mode ces temps-ci dans le pays, paraît-il...

Et on court à droite, on court à gauche, on parle anglais, français, créole ou espagnol (un peu rouillé, mais bon, faut ce qu'il faut, surtout si l'on veut converser avec un Uruguayen...), on parle beaucoup, j'aboie mes ordres (ça fait plus chien, vous ne trouvez pas?) et finalement, on marche.

Vers où? Ne me le demandez surtout pas...

dimanche 17 janvier 2010

C'est dimanche...


C'est drôle. On se lève sous un ciel bleu, les poules picorent tout doucement dans la cour, il fait 27°C à 7h ce matin et tout est paisible alentour. Difficile de s'imaginer que nous sommes dans la merde--à moins que la merde soit vraiment à ce point confortable... Mais à la vérité, sous le voile du confort, la tension est là, elle se sent comme une odeur nauséabonde et elle nous colle à la peau.

J'ai mentionné hier sur mon "mur" Facebook que ç'avait été tout un samedi. C'est que normalement, les samedis sont des jours relaxes. On travaille, mais on a le temps de placoter et tout le monde est content. Mais ce samedi n'était pas tout à fait dans le style, disons... Notre petit hôpital est plein, et pas seulement des blessés, mais aussi de ceux et celles qui les accompagnent et qui restent là en permanence. Au point qu'il faut parfois les mettre dehors, et assez rudement, parce qu'ils ne veulent pas laisser leur place et qu'ils empêchent les infirmières de faire leur travail. Le va-et-vient est incessant, les gens crient, les gens pleurent, et pire encore, il y a ceux, celles qui vous regardent sans dire un mot, sans un gémissement mais dont on sent la souffrance... Les temps sont durs, les amis...

On dort mal. Pas par insécurité--ça, ce sera plus tard--mais parce que notre sommeil est interrompu tantôt par la sonnerie du téléphone (souvent des mauvais numéros, mais à 2h du matin, c'est quand même désagréable et ça réveille tout à fait), tantôt par les cris d'une femme qui vient de perdre un proche. Car lorsque la personne sous leur garde meurt, les Haïtiens crient. Je ne dis pas qu'ils pleurent: ils crient. À gorge déployée. Le chagrin ici, ce n'est pas en serrant les dents qu'on le vit: c'est en le partageant ouvertement avec les autres. Et s'il n'y a personne alentour, ça ne fait rien: on va juste crier plus fort. Or, ces temps-ci, les gens meurent. Même ceux ou celles que nous hospitalisons, souvent meurent des suites de leurs blessures, de septicémie ou d'une cause inconnue. Hier, je parlais avec un chirurgien qui me disait, comme ça, tout bonnement, qu'il venait de faire une amputation et qu'il s'apprêtait à en faire une autre, mais que le problème, c'est qu'il devait coucher les amputés par terre par la suite, car il n'y a plus de lits disponibles à l'hôpital... Morbide, dites-vous? Je suis d'accord. Mais c'est comme ça et on s'y fait. "Le naturel est ce qu'on a toujours vu", disait Félix. À force de voir des cadavres ou des amputés, c’en devient presque naturel...

Mais je ne veux pas dramatiser outre-mesure. La réalité est déjà dramatique, point n'est besoin d'en remettre. Le fait est qu'il y a des gens ici--tous Haïtiens, Haïtiennes--qui se retroussent les manches et qui carburent au super. Nathacha, notre infirmière-chef, en est un bel exemple. Elle va, elle vient, elle court, elle vole! Elle est partout, elle règle tous les petits problèmes, elle s'adresse aux patients d'une voix forte et claire, elle met elle-même la main à la pâte si nécessaire, bref, elle est LÀ. 100%. Irremplaçable. Ce n'est pas un mot que j'utilise souvent. Car même lorsque le pape meurt, on le remplace. Mais Nathacha? Si on ne l'avait pas, on ne pourrait pas l'inventer... Et ce sont ces Haïtiens et ces Haïtiennes qui vont relever le pays: pas l'aide internationale. Parce que l'aide internationale est extérieure. Elle est nécessaire, c'est bien évident. Mais à long terme, c'est le peuple haïtien, celui-là même qui a fait ce pays, qui va le remettre debout. Tout à l'heure, je demande à l'un de mes gardiens de sécurité (qui va devenir critique dans pas longtemps--pas le gardien, mais la sécurité) s'il veut revenir cette nuit. Il a déjà 18 heures de travail en ligne à son actif. Je lui ai demandé d'aller faire un ti-repos de midi à 6h et de revenir pour la nuit. Je lui ai dit que j'allais le payer en supplémentaire. Sa réponse? "On ne fait pas ça pour l'argent, mais parce qu'on est Haïtien."

Qu'est-ce que vous voulez répondre à ça?

samedi 16 janvier 2010

Tant à faire...



L'onde de choc commence à se faire sentir...

Sartre, dans Huis Clos, fait dire à Garcin: "L'enfer, c'est les autres". Cette petite phrase, en apparence anodine et que Sartre voulait simplement représentative du point de vue existentialiste, prend maintenant ici tout son sens. L'enfer, ce n'est pas la capitale écrasée ou les immeubles détruits ni même les pertes de vies humaines; l'enfer, c'est les autres, ceux et celles qui ont survécu et qui s'efforcent maintenant de vivre tant bien que mal dans le chaos. Et qui sont prêts à tout pour y arriver. L'enfer, c'est une masse de gens dont les besoins de base, souvent simplement physiologiques (manger, boire, dormir) ne sont pas satisfaits. C'est très dangereux, ça. La grogne monte comme l'orage qui gronde au loin et qu'on sent s'approcher. Présentement, c'est encore à peu près sous contrôle, mais pas pour très longtemps encore; la digue de la retenue et du respect ne peut retenir le flot de quelque 300,000 personnes affamées, terrorisées, outrées. Quand je vous disais que le pire était à venir, c'est ça que je voulais dire. Si les secours n'arrivent pas rapidement à mettre un baume sur la plaie du peuple, ce sera la débâcle totale.

Ici, à notre petit hôpital, la digue tient. Les blessés ont envahi notre espace, c'est vrai, mais nous comblons leurs besoins essentiels alors ces gens ne se plaignent pas. Ils ont un lit, ils ont à manger, ils ont des médicaments et ils sont en sécurité, alors pour l'instant, que demander de plus? Mais la place nous manque pour accueillir tous ceux, toutes celles mal en point qui n'ont pas de place dans les autres hôpitaux. C'est un peu beaucoup désolant. Mais l'essentiel n'est pas de trop embraser, mais plutôt de bien contrôler ce qu'on allume. "Qui trop embrasse mal étreint" devient plutôt ici "Qui trop embrase mal éteint" et je pense pour ma part que c'est exactement ce qui est en train de se passer avec l'Aide internationale. Ils créent des attentes qu'ils ne peuvent éteindre avec des explications, si rationnelles et sensées qu'elles soient. On dit aussi, parlant de l'enfer, qu'il est pavé de bonnes intentions. Belle image qui s'applique plutôt bien au pays, à l'heure actuelle... Car les bonnes intentions jaillissent de partout, mais elles tombent à plat, faute d'une logistique adéquate.

On vient de me demander la permission de monter des tentes sur le terrain de l'hôpital pour désengorger un peu Port-au-Prince. Une équipe de chirurgiens de l'Université du Maryland est supposée arriver bientôt pour s'occuper des cas que nous avons, pour la plupart des cas orthopédiques et pour lesquels nous ne sommes malheureusement pas équipés. Encore une fois, on fait ce qu'on peut...

Plusieurs parmi vous veulent contribuer monétairement. C'est généreux et louable. Ce peut être une goutte d'eau dans l'océan des milliards qui seront nécessaires pour rebâtir la capitale, mais comme on dit couramment: "C'est avec des cennes qu'on fait des piasses." Alors envoyez votre goutte d'eau, tout en acceptant qu'elle ne sera qu'une petite partie de la masse liquide. Est-ce que tous ces dons parviendront vraiment au peuple haïtien? Sans doute pas. Pas tant par manque d'honnêteté qu'à cause de la complexité du processus. Mais bon. Je ne pense pas qu'il faille s'arrêter à cela. Le geste exprime plutôt une forme de solidarité qui rejoint celle d'Hemingway quand il disait: "Ne demande jamais pour qui sonne le glas, il sonne toujours pour toi." Le malheur des autres est toujours le nôtre. Et celui qui frappe Haïti présentement, ben les amis, c'est pas de la petite bière, je vous le dis tout net.

N'ap swiv...

vendredi 15 janvier 2010

TGIF (Merci mon Dieu, c'est vendredi)

Un autre jour. Un TGIF, comme disent les anglophones. Mais devrait-on remercier Dieu pour un vendredi qui termine une semaine d'horreur? Certes, nous sommes toujours en vie, et en très bon état de conservation, je dois l'admettre. Et notre ville, Les Cayes, a été épargnée de belle façon. Mais toute cette souffrance complètement inutile à Port-au-Prince, ces milliers de morts pour rien, cette destruction presque totale de meubles et d'immeubles, tout cela n'incite guère à la gratitude. On aurait plutôt tendance à regarder en l'air et à crier: "Hé! Là-haut! Lâche-nous un peu les baskets!" Mais ça ne risque pas. Les Haïtiens, je l'ai déjà dit précédemment, sont d'une endurance inégalable. Leur stoïcisme n'est pas philosophique: il est quotidien. Vous voulez une image biblique? C'est Job sur son tas de fumier qui, après avoir tout perdu, continue de louer le Bon Dieu. Le peuple haïtien, c'est ça.

Mais l'étendue de la destruction est telle qu'il faudra du temps, beaucoup de temps seulement pour mesurer le temps nécessaire à la reconstruction. Quant à la reconstruction elle-même, il faudra compter en années... Mais on y viendra. Lentement, mais sûrement. Sans jamais fléchir. Parce que c'est la vie, tout simplement. Ici, on n'en discute pas les termes. On ne juge pas la vie en termes d'accomplissements ou de sens. On ne dit pas: "C'est trop dur, je vais en finir avec la vie"; on vit, simplement. On continue. On avance en piétinant ou en se faisant piétiner, mais c'est comme ça. Ça ne se discute pas. C'est la vie...

Et la vie ici aux Cayes est bien meilleure, indécemment meilleure que celle de bien d'autres. Nous avons de l'eau courante et potable grâce à nos puits. Nous avons de la nourriture assez pour tenir pendant quelque temps. Et je le dis en toute modestie: j'ai eu la sagesse de remplir notre citerne de carburant (1,200 gallons US soit environ 6000 litres) mercredi matin, de sorte que nous sommes bons pour un petit bout de temps. Sera-ce assez pour tenir jusqu'à ce que la situation retrouve un semblant de normalité? Je ne sais pas. Impossible à dire. Mais nous sommes vraiment privilégiés en ce moment, alors je pense que oui, on peut dire "Thank God It's Friday". La fin de semaine ne fera pas une grosse différence--comment pourrait-elle en faire une?--mais elle permettra à un peu plus de temps de passer et donc aux choses de se tasser un peu plus. Pas nécessairement pour le mieux, car je vous l'ai dit: j'ai la conviction qu'on s'en va vers du mauvais, qu'on n'a pas vu le fond du baril de putréfaction. L'avenir nous le dira. Déjà, le carburant manque et le reste va suivre... Or, vu l'état du port à Port-au-Prince, c'est pas demain la veille qu'on pourra décharger les navires...

Changement de propos, les patients venus de l'Hôpital Général ont rapidement rempli l'espace que nous avions de disponible. Et ce fut manifestement très apprécié. On m'a dit--et je le crois--que la situation à l'Hôpital Général est épouvantable: les blessés sont partout, on m'a parlé d'une jeune fille amputée qui était là, au beau milieu du corridor, sans qu'on s'en occupe; du sang et des vieux pansements jonchent le sol et le personnel est tout à fait débordé. Ici au moins, on offre aux patients un lit. Propre. Et une assistance infirmière permanente. Bref, on offre des soins de santé décents. Malheureusement, on ne peut pas prendre une grosse quantité de gens. Une trentaine environ... C'est peu, mais ce peu est mille fois mieux que rien. Car comme je l'ai dit, c'est petite bouchée par petite bouchée qu'on avale cette nourriture infecte.

Et dire que je n'arrêtais pas de vous répéter qu'on coulait ici des jours calmes et sans histoires...

jeudi 14 janvier 2010

C'est pas drôle


Ça commence à ressembler à un pays catastrophé...

Les secours s'organisent tant bien que mal, on voit ça à la télé et sur Internet. Mais même avec la meilleure volonté du monde et un porte-monnaie plein, le travail ne se fera pas sans peine. Les décombres sont partout et bloquent les rues. Or, on peut difficilement nettoyer ces décombres à coups de bulldozer, car des gens se trouvent encore dessous, possiblement. On entend toutes sortes d'histoires, que je vous épargne, mais le moral commence à s'en aller vers le bas. C'est que les gens commencent à recevoir des nouvelles de leur famille et souvent, ces nouvelles ne sont pas ce qu'on attendait, hélas... Mais comme  il n'est pas encore possible de connaître le nombre de morts, eh bien les spéculations vont bon train. Et l'inquiétude des familles croît avec les heures... Chose certaine, même les estimés les plus conservateurs nous donnent des chiffres effarants: plusieurs milliers et je n'ose parler de dizaines de milliers...

Hier, la route entre les Cayes et Port-au-Prince était bloquée, effondrée. Aujourd'hui, il semble qu'on ait fait une réparation de fortune qui permet de passer. J'ai envoyé une voiture avec des gens qui veulent savoir ce qu'il est advenu de leur famille. Avec un peu de chance--rectifions: avec beaucoup de chance, leurs proches seront sains et saufs. Pourtant, déjà on entend parler de gens que nous connaissons qui sont morts. Et ça fait mal, même si ce ne sont pas des proches...

Ce matin, j'ai également décidé que nous devions mettre notre petite institution à la disposition de l'Hôpital Général des Cayes. Le directeur est venu me voir tout à l'heure et m'a chaudement remercié pour cette offre: maintenant, notre petit hôpital est plein de blessés, évacués de Port-au-Prince ce matin et qui n'avaient aucune place à l'Hôpital Général. Car les hôpitaux de Port-au-Prince sont déjà sursaturés, je n'ai pas besoin de vous le dire... Alors on fait ce qu'on peut. Ce n'est pas grand-chose, mais ce qui est fait est fait. Comme tous les désastres, il ne s'agit pas de vouloir tout faire en même temps, mais d'y aller petite bouchée par petite bouchée, comme quand maman nous forçait à manger un truc dégueulasse (vous savez, tous ces trucs bons pour la santé...). Mais je vous le dis tout net: le pire est à venir. Et dire qu'il y en a qui croient que les secours internationaux vont tout régler! Ben voyons... L'aide, c'est bien. Mais c'est bien peu. Ce qu'il faudrait présentement, c'est rien de moins qu'un miracle. Et pour ça, ben je pense qu'il faudra repasser... Non, je ne suis pas cynique, juste réaliste...

Et le pire, savez-vous le pire? Eh bien, c'est que le pire est à venir...

mercredi 13 janvier 2010

Quand la terre tremble...


Comment passer sous silence un tel événement? Faut-il, parce que tous les médias en font leurs choux gras, passer outre et faire comme si de rien n’était? Que non! Parce que, bien que n’ayant pas été exposés à la violence tellurique qu’a connue Port-au-Prince, nous avons quand même éprouvé notre part de frissons qui, fort heureusement, n’en sont restés que ça : des frissons.

Première réaction face à cette manifestation de la Nature (vous avez noté le N majuscule, n’est-ce pas?), c’est la peur. Une peur instinctive, une peur intestinale, une peur paralysante parce que tout à coup, on perd ses références. On ne sait plus sur quel pied danser, et pourtant le sol, lui, danse joyeusement! C’est une peur en grande partie associée à l’ignorance. Car même si l’on sait qu’il ne peut que s’agir d’un tremblement de terre (même si on n’en a jamais vécu, on sent bien que ce ne peut être que ça), on ne sait pas vraiment pas quoi faire. Certes, nous avons interrompu notre partie de Skip-Bo et nous nous sommes éloignés de la maison (au cas où elle s’écroulerait). Mais une fois qu’on est là, au beau milieu du terrain et que le sol ondule toujours sous nos pieds (et croyez-moi : ondule n’est pas ici une figure de style), on ne sait vraiment plus quoi faire et on a hâte en bibitte que ça stoppe. Le sol n’est pas fait pour bouger!

Cette danse du sol a duré pas loin d’une minute (non, je ne l’ai pas chronométrée, mais j’ai lu l’information quelque part). Alors nous avons recommencé à respirer, et sommes retournés à notre jeu; et voilà que ça recommence! Moins fort et moins longtemps, mais tout aussi effrayant!

Ce n’est qu’en consultant le Web qu’on a vu l’ampleur de l’événement. Presque instantanément, les rubriques s’empilaient, décrivant un désastre sans précédent. Je pensais qu’on exagérait; mais après avoir vu quelques images sur le Net, force nous fut d’admettre qu’il n’y avait là nulle exagération, bien au contraire!

Puis, au cours de la soirée et jusque vers 2h du matin, les secousses ont continué de secouer le lit (qu’est-ce que font des secousses, sinon secouer), pas au point de réveiller qui avait eu la chance de s’endormir sans elles, mais certainement au point d’empêcher celui qui ne dormait pas d’accéder au sommeil réparateur. En tout cas, une expérience que je ne vous souhaite pas, les amis et les amies.

Et aujourd’hui, on fait le compte. Le désastre est visible, et comme toujours dans ces cas-là, bon vendeur médiatique. Les experts se suivent pour nous dire pourquoi et comment cette chose a pu se produire et pour nous affirmer que, dans une perspective géologique, tout ça est «normal», finalement. Mais moi je vous dis : c’est une leçon d’humilité. Malgré la folie humaine de vouloir tout contrôler, même si les sismologues connaissent très bien les zones chaudes où des tremblements de terre sont à prévoir, quand ça frappe, c’est si soudain qu’on a tout juste le temps de retenir son souffle ou son envie de pisser ou les deux…

Et les morts? ben z’ont même pas eu le temps de faire quoi que ce soit, les pauvres…

lundi 11 janvier 2010

S'ennuyer de l'hiver blanc?

J'ai dit précédemment que j'écrirais plus souvent. Mais bon, il faut le temps, quand même... Et je ne suis pas encore retraité, moi! J'ai encore à bosser pour assurer ma pitance! Ce n'est pas comme certains, certaines, dont je tairai les noms mais qui n'en sont pas moins sources d'envie pour nous, ma blonde et moi...

Mais que j'en revienne à notre vie au sud.

C'est janvier, donc, il fait chaud, mais pas trop; il ne pleut pratiquement pas, sauf parfois la nuit, et c’est vraiment un climat propice pour prendre la vie du bon côté. Souvent on m’a demandé si je ne m’ennuyais pas de l’hiver nordique, celui où la neige et le froid dominent. Eh bien pas du tout! Y songer, oui. Mais s’en ennuyer en soupirant, que non! L’hiver frette et blanc «comme un lavabo» (Charlebois dans Dolorès) fait partie de mon histoire, je ne le nierai certainement pas. Mais les tropiques comblent admirablement mon désir (je n’ose parler ici de besoin) de lumière, de ciel bleu et de verdure. En fait, je me souviens avoir aimé l’hiver pour la première fois quand je suis arrivé à Fort-Georges (Chisasibi aujourd’hui) en un début de janvier. La neige bien tassée craquait sous nos pas comme du bois sec et la température se maintenait autour de -30°C. Mais, le soleil était presque chaque jour au rendez-vous dans un ciel limpide (trop froid pour les précipitations). Ça, j’ai aimé. Certes, le froid était paralysant, mais avec de bons vêtements, nous pouvions quand même profiter du dehors et de cette belle lumière hivernale, si courte qu’elle fût.

Par la suite, quand nous nous sommes installés dans notre niche forestière, nous avons retrouvé la neige blanche, le froid sec et l’indéniable beauté des paysages remodelés par la neige. Quelle beauté, mes aïeux! Et les tempêtes… Sur la route, en voiture, c’est un cauchemar; mais en forêt, c’est féerique, et croyez-moi, le mot n’est pas trop fort! Bref, l’hiver blanc, c’est vraiment bien. En autant qu'il ne s'étire pas interminablement, comme c'est le cas au Québec...! Et puis y’a l’hiver des villes, dont vous connaissez la couleur dominante et qui n’a rien à voir avec l’hiver blanc… Tout compte fait, donc, mieux vaut s’expatrier sous les tropiques et profiter tout doucement de ce qu’offre ce climat, et tant pis pour l’hiver blanc. Quant aux bouffées de chaleur de ma blonde que ce climat n’arrange en rien, eh bien on fait avec, comme on dit en langue ordinaire.

Bref, je ne m’ennuie pas de l’hiver blanc, même si j’en reconnais les charmes. Mais le bain de mer en janvier m’apporte toujours la sensation de faire un pied-de-nez à l’hiver-qui-n’en finit-pas-de-nous-faire-chier…

lundi 4 janvier 2010

Comme on fait son lit...


«Comme on fait son lit, on se couche». J’avoue que j’ai mis du temps à saisir le sens de ce proverbe. Je lisais «comme» dans le sens de «puisque», ce qui n’avait pas beaucoup de sens et ne pouvait qu’inciter à ne pas faire son lit… Bref, je n’y comprenais rien. Ce n’est que pas mal plus tard que j’ai compris que le «comme» signifiait en fait «de la façon dont», ce qui commençait à avoir un peu plus de bon sens. Et puis j'ai fini par piger que l’idée du proverbe c’était vraiment de nous rendre responsables des conséquences de nos actions : si le lit est bien fait, on pourra bien dormir; mais s’il est mal rangé, avec les couvertures à l’envers, on risque une nuit de «pitourne» (comme celle que je viens de passer, incidemment).

Tout ça pour vous dire que le format de ce blogue va changer en 2010. J’ai l’intention d’en faire un lit confortable qui me permettra d’y poser mon sac à idées. Ceux et celles qui lisent pourront y glaner ici et là quelques petits renseignements sur notre vie au sud, mais pour l’essentiel, il s’agira plutôt d’une réflexion personnelle—que j’entends bien partager avec vous, cela va sans dire, avec ou sans photo.

Pour je ne sais quelle raison, 2010 m’inspire. Peut-être parce que, comme je l'ai dit précédemment, l’année à venir représente justement l’avenir, ce flou vaporeux capable de changer plus rapidement que le temps au Québec, mais auquel on se prend à croire, fondant sur ce flou des espoirs souvent balayés par le vent de la réalité. Mais comme on le dit si bien par ici : l’espoir fait vivre, alors on espère. On espère que l’année sera bonne, qu’elle sera facile et satisfaisante. On espère que rien ne l’entachera, que les drames seront à la télévision seulement et que tout baignera dans l’huile. Mais à la vérité, on n’en sait rien. On ne sait pas ce que l’année nous réserve et j’avoue pour ma part que je suis bien avec ça. Un peu de piquant fait du bien de temps en temps. Mais pas trop…

Trois ans déjà ont passé depuis notre arrivée dans ce coin du pays. C’est que le temps passe, qu’on le veuille ou non! Le temps coule, en fait, comme une rivière : pas toujours de façon rectiligne, pas toujours à la même vitesse, pas toujours avec la même profondeur, le même débit, la même turbidité, et c’est précisément ce qui en fait son attrait. Et nous, chétifs débris flottants, nous sommes emportés sur la rivière du temps. Vers la mer. Vers la mort. Vers l’absorption totale avant que se poursuive le cycle. C’est-y pas beau ça?

Oui je sais, je m’emballe. Je divague. Je vous sers des métaphores à la «maire de Champignac» (lisez ou relisez les aventures de Spirou et vous allez tout comprendre), maire dont la verve n’a d’égale que son épaisseur. C'est peut-être sous l'influence de l'inimitable et regretté Frédéric Dard, dont les San-Antonio constituent une oeuvre à part entière, totalement disjonctée et donc tout à fait originale. Je sais qu'il n'a pas tellement la cote présentement, mais bon, on s'en fout: San-Antonio, c'est au-delà des modes et des caprices. C'est du grand crû, croyez-m'en... Et voilà pour ma petite chronique littéraire personnelle. Y'en aura d'autres, dites-vous bien. Lire est ici un passe-temps majeur (il l'est partout, en fait), et j'entends bien vous en parler quand la chose me dira. Quant au reste, eh bien, on verra. Quoi qu'il en soit, la fréquence de mes «postings» devrait augmenter quelque peu. Mais là encore, je ne vous fais pas de promesses: on verra...

Voilà. Encore une fois, bonne année à tout le monde et c'est sincère...