mercredi 31 octobre 2012

Un mal qui s'étire


J’ai évoqué précédemment la maladie comme raison de mon absence. Ou plutôt comme d’un sujet possible que j’aurais pu aborder. Mais qui a envie d’entendre parler de maladie, je vous le demande? Pourtant, tout bien considéré, je pense que le sujet mérite un petit détour parce qu’il illustre, une fois de plus, les particularités de vivre en ce pays. Et contrairement à ce que dit Pierre Calvé dans sa chanson, vivre en ce pays, ce n’est vraiment pas comme vivre aux États-Unis. En plus, on peut dire que cette maladie conclut bien octobre et le stress qu'il nous a concocté.

Tout a commencé par une petite fièvre, laquelle fut suivie d’une monumentale congestion. Bref, le rhume habituel, dont vous êtes tous et toutes familiers et dont j’ai déjà traité dans ces pages. J’avais donc décidé de vous en épargner les détails, me contentant de vous narrer ce rêve qui en a fait sourire plus d’un, plus d’une et c’était justement là l’intention. Donc, estimant que j’étais aux prises avec une nouvelle attaque du fameux rhinovirus, j’avais décidé de mettre en pratique les recommandations de Alfred de Vigny dans la Mort du Loup :
Gémir, pleurer, prier, est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
Mais ce rhume n’en finissait plus de s’étirer et, bien que prêt à mourir sans gémir, le sort ne semblait guère me préparer à cette ultime étape. Or, un matin, voici que je me lève après avoir vidé une autre boîte de papiers-mouchoirs (et non, je n’ai pas mouché mon cerveau, n’en déplaise aux cyniques), je constate que mes épaules sont couvertes de ces petits boutons qui sont sans rapport avec le rhume. Je vérifie l’ensemble des symptômes — congestion, fièvre répétitive, céphalées et éruptions cutanées — et ne peux que conclure à l’évidence : il ne s’agit pas d’un rhume, mais bien d’une manifestation de la fièvre Dengue, que nous avons déjà attrapée, ma compagne et moi, lors de notre premier séjour haïtien. Avouez que cela fait quand même plus sérieux.

Sans entrer dans les détails de cette affection virale, je vous dirai qu’elle n’est pas si bénigne qu’elle en a l’air, vue comme ça. Mais en principe, on y survit — à moins d’être aux prises avec sa forme hémorragique, et ça c’est une tout autre histoire —, mais la fièvre à répétition, les maux de tête, la congestion et surtout, surtout le rash qui nous incite à nous gratter sans relâche en font une maladie peu attachante. Heureusement pour nous, cette fois-ci, les démangeaisons n’étaient pas de la partie, et c’est ce qui me l’a rendue supportable. Mais à la longue, y’en a marre, comme disent les Chinois sur la Grande Muraille. Et on aspire au retour de l’homéostasie, à la santé et l’énergie retrouvée.

On dit qu’il vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade. Je pense qu’on sera tous d’accord là-dessus. Cependant, s’il faut choisir entre riche et malade ou pauvre et en santé, j’opte sans hésiter pour le second. Car à quoi peuvent servir des millions si l’on est cloué au lit, le souffle court à se nourrir de ses propres sécrétions?

Pauvre, on s’en tire. Malade, on se tire… Ou en tout cas on a presque envie de le faire...

mardi 30 octobre 2012

Échos de la fête


Je vous avais dit que je vous donnerais quelques sons de cloche de notre fête. Maintenant que l’événement est chose du passé, que la poussière est retombée et que l’eau qui nous a presque noyés se résorbe peu à peu, je pense que je peux vous en tracer un bref portrait.

D’emblée, je vous le dis tout net : ce fut une belle fête. Simple, mais de bon goût. Et pourtant, jusqu’à la dernière minute, je craignais le flop, et pour cause : d’abord, souvenez-vous que ma compagne et moi n’étions pas en mesure de fonctionner à notre pleine capacité et de veiller à ce que tout soit préparé adéquatement; il nous a donc fallu nous fier entièrement à notre comité organisateur et j’avoue que nous aurions eu tort de ne pas le faire. Mais bon. Rien n’était sûr. Ensuite, je n’avais reçu aucune nouvelle des visiteurs officiels à qui j’avais transmis une invitation, incluant ceux et celles sélectionnés pour prendre la parole. Enfin, le traiteur réservé pour la préparation de la nourriture serait-il à la hauteur? Et comment ferait-on pour limiter l’accès aux seuls invités et aux employés? Et s’il pleuvait des cordes? Bref, vous le voyez, les causes de stress ne manquaient pas.

Pourtant, le matin même du jour J, les choses semblaient tomber pile en place. Certes, la messe a débuté avec une heure de retard, mais s’est terminée dans les temps, puis quelques officiels nous ont servi de jolis et quelque peu pompeux discours et finalement, le clou de la fête — le repas — s’est déroulé sans anicroches dans l’ambiance festive qui était de mise. Même mon cher patron, Barrie I. Strafford, s’en est trouvé fort aise et y est allé de ses plaisanteries pas toujours égales, mais dont l’une qui m’a vraiment fait rire de bon cœur, lorsqu’il finissait sa maigre coupe de vin rouge et qu’il ne put en avoir d’autre. «Un verre de vin pour $5,000 [budget total de la fête], il me semble que ce n’est pas beaucoup…» Si je n’avais pas tant ri et toussé, j’aurais pu lui répondre que bien malheureusement, nous n’étions pas à Cana…

Une belle fête donc, sous le soleil, dans une belle ambiance qui a plu à tout le monde, même la fondatrice, Sœur Évelyne, présente pour l’occasion n’a pu s’empêcher d’admettre que l’événement était tout à fait réussi, pas moins qu’à l’occasion des 20 ans de l’institution.

Et pour les fondateurs, déjà passablement âgés (M. Strafford a 84 ans, je crois, et Sœur Évelyne a franchi la barre des 78 ans), cette fête était l’occasion de souligner l’œuvre qu’ils ont enfantée, sur laquelle ils ont peiné, pour laquelle ils ont investi énormément d’énergie (Sœur Évelyne) et d’argent (Strafford) et en laquelle ils ont cru avec une foi, ma foi enviable. Car pour se lancer dans pareille entreprise, en 1982, il fallait avoir le feu sacré. Ou un sacré feu là où vous pensez… Enfin bref, vous me comprenez. Et en toute justice, je rends bien volontiers à César ce qui revient à César : les honneurs de la gloire reviennent aux fondateurs et non aux administrateurs qui, comme nous, maintiennent le navire sur le cap de l’excellence.

Somme toute une fête appréciée, dont on gardera un bon souvenir. Cela seul suffit à me combler.

samedi 27 octobre 2012

Savoir s'entraider


La tempête a été pénible. Pour tout le monde, même ceux qui font partie des nantis. Le vent a soufflé fort, bien plus qu’on y est normalement habitué dans ce pays, et il a causé ce faisant quelques dommages, comme les lignes électriques brisées par les branches cassées. Mais ce ne fut rien en comparaison avec les tonnes d’eau qui nous sont tombées dessus. Or, je vous l’ai dit, une telle quantité d’eau ne s’absorbe pas, en tout cas, pas au fur et à mesure qu’elle tombe et si vous ne croyez pas à l’histoire biblique du déluge, eh bien vous n’avez qu’à passer dans notre coin et vous serez en mesure de comprendre pourquoi cet événement apparaît dans de nombreuses traditions de l’Histoire du monde. Bref, on a eu beaucoup d’eau et de nombreux endroits ont été inondés, dont la section de la maternité de l’hôpital général des Cayes.

Or, vous comprenez bien qu’on ne choisit pas le moment où l’on accouche et pluie pas pluie, quand le gâteau est prêt, faut qu’il sorte du four. Mais dans l’eau? Il me semble que, bien que certaines puissent y voir un accouchement original, voire originel, ce ne doit pas être très confortable. Et si l’accouchement pose un quelconque problème, que faire? Pomper l’eau avant d’aspirer le nouveau-né? Pas idéal. Alors quand l’administrateur de l’hôpital général m’a téléphoné pour me demander de les dépanner, je n’ai pas eu à me questionner longtemps sur la réponse à faire, si bien qu’en quelques minutes, tout ce beau monde — personnel médical et dames enceintes à divers degrés de grossesse — ont rapidement pris place dans une section de notre hôpital non utilisée.

Avoir une aile maternité nous change de l’ophtalmologie et de l’ORL; pour un, la clientèle n’est pas la même. Notez bien que j’utilise le terme «clientèle» volontairement, car ce ne sont pas des patientes, même si, en vérité, ces dames — souvent de très jeunes filles — font preuve d’une patience exemplaire. Mais elles ne sont pas malades. Certaines complications se produisent, oui, qui imposent de pratiquer les fameuses césariennes que tout le monde connaît, mais ça n’en fait pas des malades pour autant. Et considérant l’aboutissement de l’acte, le cri du nouveau-né, on ne peut pas dire qu’il ne s’agit pas là d’un moment extraordinaire qui balaie toute la douleur que la mère a pu exprimer, ici de façon très vocale et démonstrative, et qui confirme que non, il n’y a rien de malade là-dedans. Alors la maternité comme service, oui, je suis pour.

Il n’empêche que cette situation illustre bien comment les choses marchent, en cas de catastrophe : on se dépanne mutuellement. Et comme nous avons de l’espace et des bâtiments libres, disons que nous sommes souvent sollicités, pour des raisons d’importance variable. Ainsi, nous avons hébergé des enfants souffrant de malnutrition pendant quatre ou cinq mois (Terre des Hommes), avons fourni des services d’orthopédie après le séisme de 2010 (Expedicionários da Saúde — Brésil) et avons entreposé les voitures de la CRS et les épaves de la Police nationale le temps qu’ils fassent les travaux de pavage de leur cour. Entre autres. Car je ne parle pas des organisations qui viennent loger chez nous pour des raisons de commodité autant que de sécurité. Bref, notre rôle va bien au-delà des seuls soins de santé et je pense que c’est tout à fait normal et sensé dans les circonstances. Et tout cela se joue plus ou moins à l’oreille, sans qu’il soit besoin d’en faire des règles qui ne feraient sans doute qu’alourdir le processus. Car lorsque l’eau inonde, qui a envie de s’embarrasser de paperasse?

Et puis le soleil revient, sèche tout et la section maternité de l’hôpital général pourra bientôt retourner dans ses quartiers habituels, jusqu’au prochain déluge…

L’entraide, c’est ça, pas autre chose.

jeudi 25 octobre 2012

Tempête tropicale


Me revoilà. Bien tard, je n’en disconviens. J’aurais plusieurs bonnes raisons à invoquer pour justifier ce long délai depuis mon dernier texte. Mais pourquoi le ferais-je? Je sais que vous me pardonnez tout…

Paradoxalement, ce ne sont pas les sujets qui m’ont fait défaut. La fête des 30 ans de notre vénérable institution, la maladie, la visite… auraient pu et pourraient encore constituer autant de sujets sur lesquels je pourrais m’élancer. Mais avec votre permission, je passe. Car le sujet du jour mérite toute mon attention et c’est ce que je choisis de partager avec vous aujourd’hui. Et le sujet du jour, vous vous en doutez si vous suivez un tant soit peu les nouvelles en provenance des tropiques, c’est ce fameux ouragan SANDY, qu’on a vu apparaître sur les cartes de la NHC la semaine dernière et qui n’avait rien d’inquiétant puisqu’il semblait en voie de se former à l’ouest de l’île d’Hispaniola — notre île, en fait — et donc, pas de danger majeur pour nous. En plus, cet ouragan s’annonçait comme une faible tempête tropicale, alors on se disait que, dans le pire des cas, on aurait un peu de pluie et tout serait dit…

Tout cela était vrai… virtuellement. Car en réalité, quand les trombes d’eau ont commencé à nous tomber dessus et le vent à étêter les palmiers, il a bien fallu admettre qu’on était devant une vraie tempête, une des plus mauvaises qui soient passées depuis 2007, depuis que nous habitons sous ces latitudes. Comme on dit par ici, nou mele, qu’on peut traduire librement par : on est dans la merde. Car la pluie, ne l’oublions pas, c’est de l’eau. Qui vient du ciel et qui aboutit sur la terre où elle s’accumule rapidement, surtout si, comme c’est le cas en ce pays, le sol durci ne l’absorbe que peu ou pas du tout. Conséquence : les torrents se multiplient, s’entrelacent, se joignent et se rejoignent, forment des ruisseaux, des rivières capables d’emporter les ponts, les maisons, les gens… bref, un désastre. Socialement, la perception de la tempête ressemble un peu à celle d’une tempête de neige au nord : excitation vaguement festive, mêlée d’agacement quand il faut vraiment faire avec, sur la route surtout… Mais ici, l’excitation devient vite angoisse, puis résignation à devoir passer la nuit debout lorsque l’eau «envahit» la maison, puisque, souvent par ici, les gens dorment à même le sol en terre battue, alors je vous laisse imaginer… Quant à manger, puisque tout se fait au jour le jour, la pluie constitue dans ce cas un obstacle de taille, souvent insurmontable et si elle dure, eh bien il y en a des pas gros qui maigrissent encore un peu plus...

Car il faut bien le dire : la pluie, si nécessaire pour la santé de la terre et la production agricole, représente une réelle épreuve quand elle devient excessive. Haïti, plus encore que ses sœurs antillaises, est un pays de soleil. Non seulement on le tient pour acquis, mais son absence déstabilise et insécurise. Car si tout le monde apprécie une bonne petite ondée rafraîchissante et nourricière de la terre, les pluies diluviennes engendrent une pléthore de problèmes dont personne, pas même nous les nantis, n’est à l’abri.

Mais le proverbe le dit : «Après la pluie le beau temps». Et ici, on peut le prendre au pied de la lettre, sans la moindre nuance, sans le moindre doute quant à sa véracité. Le beau temps va revenir, pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais il va revenir et s’installer à demeure.

N’empêche que, comme le souligne ma chère amie Diane sur son profil Facebook, «...le Sud en octobre, pensez-y 2 fois». Car tout n’est pas toujours carte postale en cette saison.

Mais qui voudrait d’un cliché pour illustrer ce pays de la démesure?

mercredi 17 octobre 2012

J'ai fait un rêve

(c) Patrick J. Lynch
J’ai fait un rêve.

Rassurez-vous, rien à voir avec celui de Martin Luther King. Mais comme je me suis éveillé avec le fou rire, et comme cette tribune me permet de raconter ce qui me plaît, je vous le partage.

Comme la plupart des rêves, j’en ignore le commencement. Nous voici donc dans le vif du sujet, sans introduction et sans prélude, où je dis à ma douce compagne que je me sens la tête drôle, à la fois vide et pesante. Dans un deuxième tableau, un médecin et une infirmière (ou médecin elle aussi peut-être, l’histoire ne le dit pas) examinent des radiographies et nous apprennent, à ma compagne et à moi-même, que ma cervelle est «tombée» dans ma cavité nasale, laissant mon crâne vide, rien que ça! Je veux me moucher, mais on m’en empêche radicalement : le risque est trop grand que j'évacue ainsi une partie de ma cervelle! Les professionnels sont perplexes et confondus : le cas est exceptionnel et visiblement, ils ne savent pas quoi faire. On me pose des questions de routine auxquelles je réponds logiquement, preuve s’il en est besoin que mon cerveau, bien que déplacé, fonctionne toujours adéquatement. Double perplexité de la part du ou des médecins… Moi, tout ce que je désire, c’est me moucher, car la pression à l’intérieur de ma cavité nasale me chatouille irrésistiblement. Ce qu’on me refuse absolument. Et soudain, ma compagne, avec ce gros bon sens qui la caractérise, propose aux médecins : «Pourquoi ne pas le mettre tête en bas, tout simplement, et laisser la gravité remettre sa cervelle en place?»

Je me suis éveillé là-dessus, étouffé de rire et toussant comme un malade.

Car malade, c’est ce que je suis. Un rhume, rien d’autre, mais mauvais celui-là comme ça se peut pas. Genre qui garde congestionné solidement. Genre qui ne veut pas sortir. Genre qui vous fait rêver d’un grand débouchage des conduits… Mais comme toujours, il faut en prendre son parti car il faut que ça passe à son rythme. Qui n’est jamais assez rapide pour moi, bien entendu… Si bien que me voici, une fois de plus, à tempêter contre tout et pour rien. Mais on dirait que ça soulage... En tout cas, personne, parmi mes habitués, n’en fait de cas, ce qui laisse penser que mon style est connu, bien connu et pas du tout craint…

Avec tout ça, notre grosse fête arrive à grands pas, grippe ou pas, car c’est après-demain que l’événement aura lieu, qu’il pleuve ou qu’il grêle (ce qui serait vraiment étonnant dans ce pays). Et après, on fera le décompte…

Bon, assez déblatéré, faut que j’aille me moucher… sans crainte de moucher ma chère cervelle, car pour tout vous dire, je ne suis pas pressé d’avoir du «vent dans mon crâne»

mercredi 10 octobre 2012

Échos haïtiens


Plus que dix jours… Dans 10 jours, tout sera dit; ce sera comme ce sera et l’événement sera chose du passé. Mais ces 10 jours à venir seront chargés et la charge en est lourde. Mais bon. Je devrais pouvoir la supporter sans fléchir. Enfin pas trop…

La situation politique du pays se maintient. Mais c’est un équilibre que l’on sent bien précaire… Martelly a fort à faire pour convaincre le peuple en général et ses détracteurs en particulier que sa voie est la bonne, en autant qu’on lui laisse le temps de le démontrer! Ce qui n’est pas gagné d’avance… Car le peuple, si patient dans sa misère quotidienne, n’a aucune tolérance pour les politiciens corrompus, pelleteurs de nuages ou simplement gourmands. Or, c’est là un chemin que les politiciens empruntent allégrement : ma poche d’abord, vos cris et vos pleurs ensuite… La vie chère est un thème cher aux Haïtiens, je l’ai dit, et on ne peut que leur donner raison. Mais, comme le demande Martelly, faut-il pour cela prendre la rue et les armes (bien qu’on ne les prenne pas de la même façon) pour traiter ce problème? Où est la logique? Et pourtant, dans la plupart des villes du pays, la rue est présentement le théâtre de manifestations plus ou moins spontanées qui restent, jusqu’à présent, à peu près sous contrôle, mais encore une fois, c’est fragile…

Or, comme toujours les médias se hâtent de rapporter les faits choquants, comme cette dame qu'on nous dit morte lundi dans une manifestation tenue à Petit-Goâve. Je vous cite : «A Petit Goave une personne a été tuée lors de l'intervention des forces de l'ordre. La victime, une octogénaire, a été asphyxiée lorsque les agents de l'ordre ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser les manifestants.» Oh! Les méchants policiers! Asphyxier une pauvre vieille comme ça! Quelle lâcheté! Quelle honte! Haro sur les policiers! Mort aux vaches!... Mais vraiment, je vous pose la question qui me turlupine : pouvez-vous me dire, vous qui êtes intelligents et raisonnables, ce qu’une octogénaire — octogénaire, ce qui veut dire passé 80 ans! — faisait dans une manifestation qui, au mieux, se caractérise par des bousculades et des coups de poing ou de bouteille, au pire par des échanges de coups de feu, voulez-me dire ce que cette vénérable ancêtre faisait là??? En avait-elle assez de sa vie de misère? Ou bien n’était-ce qu’un suicide assisté déguisé? Quoique par asphyxie causée par des gaz lacrymogènes… Il me semble qu’il doit y avoir mieux que ça! En tout cas et quoi qu’il en soit, la dame est morte. Et les médias se sont emparés du fait divers comme d'un petit pain chaud; et l'ont bien beurré pour qu’il devienne irrésistible… Après on dira que non, les médias n’ont aucune intention manipulatrice et qu’ils ne sont que les témoins des événements… Ben voyons…

Il n’empêche que c’est ce genre d’étincelle qui risque de mettre le feu aux poudres. Une étincelle qui ne serait qu’une étincelle devient ainsi une flammèche capable d’allumer un brasier, le cas échéant. Mais jusqu’à présent, le brasier n’est pas mûr. Martelly reçoit encore le vote de confiance de la majorité, bien que cette majorité fonde comme neige au soleil — je parle du soleil tropical, bien sûr, et non de ce qui en tient lieu l’hiver sous les latitudes nordiques… Pourra-t-il se maintenir à la barre du pays et faire taire la grogne qui résonne dans les rues du pays? Ce ne sera pas facile. Mais je pense que s'il se trouve un gars capable de tenir les rênes de la stabilité, c’est bien lui…

Cela dit, l’avenir du pays n’est pas rose. La marche est haute, qui permet d’accéder au podium des pays développés, et Haïti n’est simplement pas encore prête…

Mais un jour viendra…

samedi 6 octobre 2012

Le renard et le corbeau


Ceux et celles qui me lisent régulièrement savent le genre de services que nous offrons à la population. Services spécialisés en ophtalmologie et en ORL, services qui pourraient coûter une petite fortune (en fait, nous savons pertinemment que nos frais sont environ dix fois moindres que ceux demandés par les cliniques privées de Port-au-Prince), services souvent simplement introuvables. C'est donc dire que les patients viennent de partout dans le pays pour obtenir ces soins et souvent, n'ont pas les moyens de les payer. Notre politique est d'exonérer les pauvres et les indigents, mais chaque cas doit être analysé (l'affaire de quelques minutes) afin de s'assurer qu'on a bien affaire à un «vrai» pauvre car plusieurs cherchent à nous fourvoyer...

Hier, je reçois un appel d'une dame, une Américaine sans doute, qui se trouve dans une autre ville et se dit désireuse de payer pour l'un de nos patients qu'elle a pris sous sa charge. Elle me dit qu'elle a déjà envoyé de l'argent au jeune homme en question, mais que, à ce qu'il paraît, cela ne suffit pas et elle insiste pour en transférer davantage via les systèmes de transferts habituels. Comme je n'ai pas le dossier du patient sous les yeux, je ne peux ni confirmer ni infirmer ses dires et j'accepte donc qu'elle me fasse parvenir une somme capable de couvrir les frais éventuels de son protégé. On se quitte là-dessus et je me fais apporter le dossier du patient. L'ensemble de ses frais se monte à $20. Or, le jeune homme a déjà reçu $200 et la dame m'a avoué qu'elle me faisait parvenir $100 supplémentaires pour couvrir les autres frais! Je vérifie, trois fois plutôt qu'une : il n'y a pas d'erreur, le monsieur n'a pas subi d'opération et son traitement n'a pas nécessité de médicaments coûteux, si bien que la facture totale est juste. Où est passé le reste de l'argent? Bondye konnen, comme on dit... Mais avouons que ça sent l'arnaque à plein nez...

Ayant à nouveau la dame au bout du fil, je lui explique la chose, à savoir que le transfert qu'elle assumait nécessaire ne l'est pas du tout et qu'elle peut garder son argent. Je croyais qu'elle serait heureuse de ce dénouement, mais la voilà qui insiste : «Mon protégé m'a dit qu'il avait subi une opération qui avait coûté $200», clame-t-elle. Ce à quoi je lui réponds, bien poliment mais non sans un brin de malice, qu'elle s'est fait avoir, tout simplement, ce qui n'a rien de surprenant dans cette joute entre l'ingéniosité haïtienne et l'innocence blanche. La voilà offusquée maintenant, et je sens bien qu'elle ne me croit pas, mais alors pas du tout. Comment son protégé, à qui elle distribue l'argent comme des cartes à jouer, pourrait-il la tromper? Impossible! Donc, c'est moi qui lui mens, c'est évident. Or, elle a déjà fait le transfert et il lui faudra maintenant l'annuler pour récupérer son argent, ce qui semble l'agacer au plus haut point. Et c'est alors qu'elle me demande, le plus sérieusement du monde, de donner $100 au monsieur et que je me rembourse à même la somme qu'elle vient tout juste de transférer à mon intention! Entêtée, dites-vous? Nous sommes d'accord. Vous devinez ma réponse : la chose est tout à fait hors de question! Son protégé étant impliqué dans une entreprise visant à plumer la dame de quelques centaines de dollars, je ne m'en ferai certainement pas le complice, même avec la bénédiction de la dame...!

Il n'empêche que cette naïveté n'est pas rare. Les Blancs viennent en Haïti avec l'idée d'aider le peuple et quoi de plus simple et de plus direct que de mettre la main dans sa poche pour ce faire? Quelques dollars éparpillés ici et là donnent bonne conscience au Blanc bien nanti et lui donnent l'occasion de pouvoir dire à ses proches, lorsqu'il rentre chez lui, qu'il «aide» les Haïtiens. Cela est bien illusoire. Et souvent contre-productif. Pour nous qui avons depuis de nombreuses années perdu cette naïveté, aider est une tâche complexe qui n'a rien à voir avec le porte-monnaie et ce qu'il contient. Car il faut d'abord comprendre et ça, les amis, ce n'est pas toujours évident. Mais entre nous, nous savons que ce que nous faisons est correct; nous savons qu'il faut s'élever contre la fabulation et la corruption; nous savons que les pauvres, les vrais, restent dignes malgré leur pauvreté parfois atroce et nous savons que les aider, c'est d'abord les respecter. L'argent achète bien des choses, mais jamais le cœur des gens.

Ni la bêtise humaine, malheureusement... Et le renard le signale fort judicieusement au corbeau lorsqu'il lui dit que «Tout flatteur vit au dépens de celui qui l'écoute; cette leçon vaut bien un fromage sans doute.» Minimum, cher renard, minimum...

mardi 2 octobre 2012

L'humour qui dérange


Comme bien des gens, j’aime lire La Presse sur son site Web. Pour nous, c’est affaire de garder contact avec notre pays natal et de savoir un peu ce qui s’y passe. J’avoue que je n’ai pas de parti pris envers les journalistes, mon adhésion allant plutôt à ceux et celles qui savent écrire qu’à ceux qui n’en finissent plus d’étaler leur indignation… Si bien que, Foglia mis à part, je lis tantôt l’un tantôt l’autre, sans faire de jalousie.

C’est ainsi que j’ai lu, la semaine dernière, le texte tout à fait succulent de Lysiane Gagnon, intitulé La leçon des carrés rouges. Texte succulent parce qu’il s’inscrit dans la tradition satirique d’un Montesquieu dans ses Lettres persanes, par exemple. Succulent par son ironie mordante et son sens de l’à-propos. Or, lorsqu’un ou une journaliste utilise la satire pour faire passer son message, ce n’est pas toujours gagné d’avance, car si certains, certaines manipulent l’ironie avec brio, d’autres s’y embourbent. Mais cette «lettre aux employés de Gentilly 2» m’a fait sourire et je n’y ai rien vu de bien méchant, sinon la critique déguisée qu’un Usbek aurait pu élaborer à la suite des événements du printemps dernier au Québec.

Or, quelle ne fut pas ma surprise de lire, ce matin, la mise au point que Mme Gagnon s’est dit obligée de faire à la suite de ses propos qui ont été pris au pied de la lettre par une vaste proportion de lecteurs et de lectrices! J’ai suis resté baba. Sans doute s’en trouve-t-il aussi pour croire tout ce qu’affirme Martin Masse sur lui-même…! Mais fallait-il vraiment qu’elle mette les points sur les «i»? Fallait-il vraiment qu’elle nous dise que son article n’avait rien à voir avec Gentilly, mais plutôt avec la mécanique sociale qui sous-tend toute protestation populaire? Elle s’est moquée et bien moquée. Littérairement moquée. Elle n’a pointé du doigt personne, n’a descendu en flammes personne, n’a injurié personne, a simplement résumé la saga québécoise qui a servi de prélude aux élections. Ironiquement. À un second niveau. Rien n’était à prendre au pied de la lettre, mais il fallait comprendre l’intention de l’auteure : nous offrir un tableau de ce vaudeville qui, vu de l’extérieur, n’avait rien de grandiose, je vous le dis tout net. Et je pense que la première qualité d’une personne ou d’un peuple mature, c’est bien de pouvoir rire de soi-même, même si ce que dépeint Mme Gagnon dans sa Leçon des carrés rouges risque de faire rire jaune…

Le pire, c’est qu’ici, en Haïti, il faut faire bien attention à l’ironie, tout simplement parce qu’elle est souvent non détectée et que les propos qu’on voudrait dire avec la «langue dans la joue» (tongue in cheek, comme disent nos voisins) sont souvent pris au premier degré avec, parfois, des conséquences dramatiques. Au début, c’est assez désemparant, mais on apprend vite à s'ajuster et à faire des blagues grosses et enfantines, seules capables de déclencher le rire et la joie sans arrière-pensée. Cela s’explique sans doute parce que le niveau d’éducation haïtien est souvent bas, voire insuffisant pour détecter les niveaux de langue, a fortiori si cette langue est le français au lieu du créole. Mais au Québec? J’avoue que j’en reste assez étonné…

En tout cas le texte de Mme Gagnon m’a bien fait sourire et sa mise au point m’a semblé tout à fait superflue. Mais bon. Si on me dit que c’était nécessaire…

Le plus drôle, j’oserais dire le comble de l’ironie, je vous le donne en mille avec ce titre du Nouvelliste national : «Lavalas donne un carton rouge à Martelly!» (photo ci-dessus)

Avouons qu’elle est plutôt drôle!!!