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mercredi 24 avril 2013

La clé des camps


Vous le savez maintenant : lorsque la presse internationale parle d’Haïti, cela m’incite fortement à y mettre mon grain de sel. Or, l’article ici mérite certainement qu’on s’y arrête un peu, ne serait-ce que par son ton.

D’abord, je le précise : il n’y a rien de faux dans l’article; ou si peu. C’est vrai que les expulsions ont lieu, chaque jour la presse locale en parle et, disons-le sans tourner autour du pot, ça ne fait pas l’affaire de ceux et de celles qui en font les frais. Mais l’histoire ne dit pas tout.

Il faut en effet comprendre que la destruction engendrée par le séisme de 2010 n’a que précipité un problème qui était déjà gigantesque. Incidemment, l’article le reconnaît : «Avant même le tremblement de terre, le pays souffrait déjà d'une pénurie de logements. Amnistie internationale estime qu'il manquait 700 000 logements, et les deux tiers de la population en ville vivaient dans des quartiers improvisés.»
 
Arrive le tremblement de terre, toutes ces bonnes gens, dont la «maison» n’était souvent guère plus qu’un quadrilatère de tôle recouvert d’une bâche, se sont retrouvés dans les camps temporaires, bien mieux servis qu’ils ne l’étaient avant! Résultat : plusieurs s’en sont trouvés fort bien, au point où certains n’ont pas hésité à louer leur propriété pour pouvoir profiter des largesses de l’aide internationale dans les camps... Voyez le second paragraphe de mon texte antérieur. Relisez la citation que j’avais choisie pour vous et vous allez vous rendre compte que deux ans plus tard, rien n’a changé, quoi qu’en dise Amnistie internationale.

Remarquez que je ne critique ni ne condamne le travail de cette noble organisation dont le rôle de chien de garde a toute sa raison d’être : les abus de pouvoir sont nombreux dans le monde et il est bon que, quelque part, quelqu’un crie : «Attention là! Vous dépassez les bornes!» Mais il faut se poser la question : quelles sont ces bornes? Qui les fixe? Les normes haïtiennes en matière de logement ne sont certainement pas celles du reste de l’Amérique du Nord, et pas pour des questions économiques comme en raison des habitudes de vie des Haïtiens. Ici, la maison ne sert souvent que d’endroit pour dormir car toutes les activités quotidiennes se font au dehors : la cuisine, le bain, la lessive, les loisirs, tout se fait dehors. Dès lors, déloger les gens devient un problème car pourquoi s’en iraient-ils? De là pour les autorités à y aller manu militari, c’est peut-être un peu fort, mais il faut comprendre que les gens sont très entêtés, un effet secondaire sans doute de cette résilience que l’on loue tant chez les Haïtiens…

"«Personne ne souhaite vivre dans un camp, mais la solution, ce n'est pas de les démanteler et de dire aux gens 'débrouillez-vous, souligne Anne Sainte-Marie, du bureau montréalais d'Amnistie." Permettez-moi d’être plutôt en désaccord : d’abord, je le redis, il y a des gens qui ne demandent pas mieux que de vivre dans un camp, pour la raison que j’ai mentionnée plus haut, à savoir : même si les installations y sont précaires, c’est souvent mieux qu’ailleurs. Ensuite, je crois personnellement que dans plusieurs cas, la seule façon de vider un camp de ses usagers, c’est de le démanteler. Bien sûr, les Haïtiens devront se débrouiller, mais ça, ils savent très bien le faire…

Et puis, malgré les constats d’Amnistie, le travail de relogement se fait tout de même et, ma foi, mérite d’être souligné voire louangé car ce n’est vraiment pas facile. Voyez ce qu’en dit Clément Bélizaire, directeur de l’UCLBP (Unité de construction de logements et de bâtiments publics) :
« Nous avons pu reloger à date 300,000 des 650,000 personnes qui vivaient dans les camps quand nous avons commencé nos activités. Cette année nous allons encore reloger environ 125,000 et ceci tout en respectant les prescrits des droits de l’homme ». 
Je trouve que c'est tout de même pas si mal... Et vous?

mercredi 12 septembre 2012

Une affaire de nom


On lit parfois des choses drôles. Je ne veux pas dire dans le sens qui font rire, mais plutôt bizarres, surprenantes ou insolites. Incidemment, c’est sous la rubrique « Insolite » qu’on retrouve, chez cyberpresse, ces articles qui me font toujours sourire.

Mais celui que je vous commente aujourd’hui ne provient pas de la rubrique Insolite de La Presse, mais plutôt du Nouvelliste; d’ailleurs, son titre dit déjà tout : «Fond-cochon veut changer de nom». Vous pouvez lire l’article si le cœur vous en dit, mais vous n’y apprendrez rien de plus que ce que le titre annonce de façon non équivoque. Les responsables locaux trouvent que le nom ne fait pas très sérieux et qu’il est, de surcroît, «désagréable à l’oreille»(!) Pardonnez-moi, mais je ne suis pas d’accord.

Les noms des localités émergent souvent des réalités géographiques ou sociales qui les caractérisent et je trouve tout à fait croustillant ces noms qui racontent une histoire. Or, les Haïtiens sont très créatifs en matière de noms — je l’ai déjà mentionné au sujet des personnes dans un autre texte — et les localités portent souvent des noms qui mettent en lumière ce qui les caractérise le mieux ou, en tout cas, ce qui le faisait dans le passé. Je pense, entre autres à Fond-des-Blancs, ainsi nommé parce que des Blancs, laissés derrière par l’armée napoléonienne, s’y étaient installés à demeure. On devine la raison de son pendant, Fond-des-Nègres… Dès lors, on peut aussi deviner la raison d’un nom comme « Pas Toilette », « Bistouri », « Dos d’âne », « Poux » ou « Débauché »… Même s’il y a maintenant des toilettes à Pas Toilette — en tout cas, je le présume —, la réalité historique nous rappelle que l’endroit en était sans doute dépourvu à une certaine époque et sans doute existe-t-il une histoire bien colorée pour expliquer le baptême de ce village. Alors pourquoi en changerait-on le nom? Et qui osera me dire que cette imagerie toponymique vaut moins que celle qui, au Québec, nomme tous les villages du nom d’une sainte ou d’un saint, souvent obscur et toujours sans rapport avec la réalité géographique du lieu, le saint n’y ayant jamais mis les pieds? Évidemment, c’est une autre affaire lorsqu’on veut désigner les habitants du hameau au nom insolite : Pas toilette donne quoi? *Patoilettiers? À moins que ce soit des *Chiant-culottes? Et Poux? Les *Pouilleux?

Bon, j’en ris un peu, mais ce n’est pas méchant. Au contraire, pour ma part, j’aime assez l’originalité haïtienne en matière de toponymie et je ne vois pas pourquoi Fond-cochon serait moins politiquement correct que Fond-des-Nègres, par exemple.

Mais je ne vous ai pas dit le meilleur : pour rebaptiser Fond-cochon, on propose Laval. Oui, oui, Laval, comme la municipalité au nord de Montréal, dont on dit s’inspirer d’ailleurs. C’est quoi le rapport dites-vous? Eh bien c’est ça l’affaire : y’en n’a pas!

Dites, c’est-y pas beau ça?

mercredi 30 novembre 2011

Radoub


Vous le savez maintenant – je pense que je l'ai répété ad nauseam – l'une de nos tâches en ce pays, l'une des plus importantes je pense, c'est de veiller à ce que tout marche comme il se doit. Or, les équipements et les infrastructures de notre petit hôpital accusent leur âge et l'on doit par conséquent s'efforcer d'étirer leur espérance de vie avant de changer, refaire ou reconstruire. Ainsi en est-il de nos voitures, qui ont vu le mécanicien plus souvent que le chauffeur (presque) et de certaines de nos constructions. Mais quelquefois, l'opération cosmétique ne suffit plus et il faut se résoudre à remplacer (voir l'affaire de la nouvelle génératrice) ou refaire. Cette fois, c'est la maison que nous habitons qui fait l'objet de notre attention.

Pour ceux qui ne le savent pas, il s'agit d'une maison plutôt spacieuse, conçue et construite initialement pour les sœurs qui, jadis, demeuraient et travaillaient à notre hôpital. Mais à la grande déception de la fondatrice et constructrice de la maison, les sœurs n'ont jamais voulu habiter cette grande maison, qu'elles jugèrent trop isolée, pas suffisamment sécuritaire, inutilement loin de l'hôpital (3 minutes à pied) et donc, inintéressante à tous égards. Si bien que lorsque nous sommes venus pour la première fois, la maison était inhabitée et ne l'avait jamais vraiment été. Nous l'avons prise comme elle était et y avons fait notre niche, comme on dit en créole. Et nous l'avons peu à peu améliorée, pour en faire un logis tout à fait convenable.

Cependant, depuis quelque temps, nous songions à nous attaquer à la cuisine qui était vraiment trop perméable aux fourmis et autres petites bêtes similaires qui y avaient élu domicile. Et comme de surcroît nous étions un peu fatigués des couleurs fades qui l'habillaient, nous avons décidé d'en changer la céramique et de refaire les armoires supérieures. Jusque là, rien de majeur, me direz-vous, et vous auriez raison en temps normal. Mais dans le présent contexte, vous avez tort. Car ici, tout est en béton et défaire représente une tâche non seulement physiquement exigeante, mais ingrate, malpropre, bruyante et fastidieuse. Bref, la première étape, la démolition, est pénible sur tous les plans. Radoub majeur (en passant, que voilà un joli mot issu du vocabulaire maritime de nos ancêtres et que l'on prononce *radou.). Depuis lundi dernier donc, nous en souffrons les inconvénients, sans trop nous plaindre, galvanisés que nous sommes par les résultats à venir, bien que ce soit encore un avenir incertain...

Tout de même, le travail progresse. Dans la bonne humeur haïtienne habituelle, excessivement ponctuée de discussions aussi futiles que passionnantes pour les divers protagonistes. Même Éraise s'en mêle et y va de son grain de sel que les gars apprécient à sa pleine valeur d'assaisonnement. Et les éclats de rire volent tout comme les débris de l'ancienne céramique : dans l'insouciance générale...

Certes, certains diront sans doute que ces travaux restent bien insignifiants en regard de la reconstruction du pays et qu'ils ne méritent guère plus qu'un simple «post» sur Facebook. Mais c'est faire preuve de courte vue. D'abord, le travail mérite d'être fait. Et j'ajouterai : bien fait, une exigence peu courante en Haïti où les pseudo-spécialistes pleuvent. J'exige une certaine qualité de travail et n'hésite pas à faire reprendre une étape que j'estime bâclée. Eh bien croyez-le ou non, non seulement ne m'en tient-on pas rigueur, mais encore, on apprécie de s'initier aux standards «blancs». Hier, j'en faisais la remarque au poseur de céramique, lui disant qu'il y a autant de bons ouvriers ici en Haïti qu'au Canada ou en France ou n'importe où ailleurs, la différence étant souvent dans la connaissance de ces standards ergonomiques répandus unanimement. J'estime donc contribuer, bien modestement mais pas moins réellement, à l'amélioration de leurs compétences techniques et à l'intégration de ces compétences. Puis, il y a le facteur monétaire : les ouvriers travaillent et sont payés pour le faire et ne s'en trouvent pas plus mal, c'est évident. Enfin, il y a la bonhomie, le contact simple d'êtres humains qui œuvrent à un même dessein, sans compétition, sans stress, sans rivalité. Et ça, tout le monde apprécie, moi le premier, je vous le dis tout net.

Non, ce n'est pas un monde parfait. Mais qu'en avons-nous besoin? Une céramique neuve et tout va déjà mieux...

mardi 29 juin 2010

La reconstruction


Lu aujourd'hui (et pas plus fin pour ça): «La reconstruction d'Haïti est trop lente, dit Ban Ki-moon». Un autre. Et pas un deux de pique, comme on dit couramment... Mais pas plus perspicace pour autant que notre ami Sean Penn ou n'importe quelle personne sensée. L'argent derrière la reconstruction n'est toujours pas là. On parle de 10 milliards de dollars. DIX MILLIARDS, les amis. C'est pas du p'tit change, ça! C'est même substantiel. Insuffisant, soit, mais substantiel. Ce pourrait être un bon commencement, en tout cas. Mais rien ne se passe. On parle, on ergote, on planifie, on calcule, on projette, mais rien ne se passe. Rien. Ou si peu. Encore une fois et comme je l'ai dit antérieurement, ce sont les efforts des petits qui portent fruit. Les grandes promesses internationales tombent à plat comme un soufflé trop longtemps hors du four... La montagne qui accouche... Et comme La Fontaine nous le dit: Qu'en sort-il? Une souris... Vous ne trouvez pas que ça commence à faire, vous autres?

Ce que j'ignore, c'est ce qu'il faudrait faire pour que soient débloqués ces fonds qu'on dit accessibles, mais non livrables par manque de solidité administrative (à l'interne, bien entendu). On dit bien n'importe quoi. Préval n'est sans doute pas un saint, je l'ai dit, mais cela en fait-il un voleur pour autant? Je ne crois pas. En tout cas, pas nécessairement. Et il y en a plusieurs qui, comme lui, sans être des parangons de vertu, sont suffisamment honnêtes pour gérer des fonds adéquatement. On n'a pas besoin du pape pour ça! D'ailleurs, je l'ai déjà dit, j'ai un peu en horreur l'odeur de sainteté que certains (certaines aussi, mais moins fréquemment) exsudent sans vergogne. À les entendre -- à les sentir, devrais-je dire -- on croirait que eux seuls connaissent la voie, la vérité et la vertu. Eux seuls savent quoi faire et comment le faire. Surtout s'il s'agit de gérer quelques milliards, n'est-ce pas? Les candidats à la gestion miraculeuse ne manquent pas, ici... Mais tout ça c'est de la frime, de la poudre aux yeux, comme s'il importait plus de faire bonne figure que d'attaquer le vrai problème. Et moi je vous dis, les amis : le vrai problème, c'est que les gens sont présentement dehors!

Je sais, vous allez me dire que c'est pas si simple à régler et je serai d'accord. Mais il me semble que la première chose à faire, c'est vraiment de savoir où on va mettre ces gens qui sont dans la rue depuis plus de 6 mois! Et puis je vous le dis encore, dégager les décombres qui encombrent! (Car oui : des décombres, c'est encombrant, au cas où vous en douteriez...) Mais mon impression est qu'on essaie trop de refaire du neuf avec du vieux. On idéalise la démarche. On veut que ce soit un exercice de style. Et pendant ce temps, les gens attendent, eux! Ailleurs, on peut lire un compte rendu sommaire d'une rencontre entre les gens du camp de Tabarre et les députés européens, venus «se montrer». « Il y a des choses qui marchent, mais vous ne pouvez pas tout attendre des ONG, vous devez me dire ce que nous allons faire ensemble pour améliorer la situation », dit Michèle Striffler, députée française. Comme je le disais plus haut, on pellete des nuages et on s'étonne que ça ne fasse pas un gros tas... Déprimant, dites-vous? Oui. C'est vrai. Et on ne voit pas de structure, même fragile, même branlante se dessiner dans l'horizon gris de ce pays bleu.

J'avoue qu'à la longue, ça nous rend mal à l'aise. Pour nous, évidemment, tout est différent : la maison spacieuse, l'eau courante, l'électricité 24/24 (ou presque), les films sur DVD, la connexion Internet, la nourriture variée et abondante, le vin, la bière... bref, nous ne manquons de rien. Mais on peut difficilement se fermer les yeux sur ce qui se passe dans le reste du pays, pas vrai? On peut difficilement dire : «Après moi le déluge!» On peut difficilement se laver les mains du sort de tous ces malheureux en se disant qu'on n'a rien à voir là-dedans... Je vous donne cette belle citation de John Donne, issue de la Méditation #17, tirée de "Devotions upon Emergent Occasions" (1624): "No man is an island, entire of itself; every man is a piece of the continent, a part of the main. If a clod be washed away by the sea, Europe is the less, as well as if a promontory were, as well as if a manor of thy friend's or of thine own were: any man's death diminishes me, because I am involved in mankind, and therefore never send to know for whom the bell tolls; it tolls for thee." (1)  D'où le grand roman d'Hemingway (For Whom the Bell Tolls) sur le thème, d'ailleurs. Mais qui vivra, verra...

En tout cas, tant que les cyclones nous laissent tranquilles...

(1) Aucun homme n'est une île, entièrement elle-même; chaque homme est un morceau du continent, une partie du principal. Si une motte [de terre] est emportée par la mer, l'Europe en est amoindrie, tout autant que s'il s'agissait d'un promontoire, tout comme si le manoir de l'un de tes amis ou le tien l'étaient : la mort de n'importe quel homme me diminue, parce que je suis partie intégrante de la race humaine et par conséquent ne demande jamais pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. (Traduction libre)

jeudi 24 juin 2010

La vie est dure sans toit


Lu sur Cyberpresse : «Sean Penn redoute des violences en Haïti». Évidemment, quand c'est Sean Penn, on écoute et on cite ses paroles empreintes de sagesse et de réalisme, même si ça fait déjà plus d'un mois. Et moi alors? Depuis le temps que je vous dis que ça va péter un jour ou l'autre, n'ai-je pas droit à un petit peu de crédibilité? Bien sûr, je ne suis pas Sean Penn, que j'aime beaucoup, soit dit en passant. C'est un acteur très doué, qui joue dans une grande variété de rôles, et des rôles pas toujours évidents (cf Mystic River, Milk, The Assassination of Richard Nixon, 21 Grams, pour n'en nommer que quelques-uns). Ce qui en fait sans doute un grand acteur. Mais cela lui donne-t-il l'autorité nécessaire pour déclarer que la violence risque d'éclater en Haïti? Bien sûr que non. Néanmoins, il n'a pas besoin d'autorité pour dire cela : il n'a qu'à observer un tant soit peu comment les gens vivent pour se rendre compte que ça ne peut pas continuer comme ça. Même un troupeau de moutons deviendrait enragé. Or, les Haïtiens et les Haïtiennes sont tout sauf des moutons; comment dans ces conditions ne pas conclure qu'ils vont assurément exprimer leur colère et leur dégoût? Pas besoin d'être Sean Penn pour déduire cela; on a juste à se poser la question : «Et si c'était moi, est-ce que j'accepterais sans mot dire (ou sans maudire, si vous préférez)?» Et je peux répondre pour vous tous et toutes : NON. Personne n'accepterait ce que les gens de Port-au-Prince sont contraints de vivre. Et c'est pour cela que je vous dis, en accord avec Sean Penn, oui, mais depuis plus longtemps que lui, que ça va finir par déborder -- je parle de l'amertume, de la rancœur et de la souffrance.

Pourtant, ce que le peuple veut n'est pas excessif : juste un toit pour s'abriter, aussi bien des éléments que des éventuels malfrats. À cet égard et bien qu'on n'y dise pas grand-chose, je vous recommande cet article, paru dans la Voix de l'Est lundi dernier (et disponible via Cyberpresse, bien entendu). Intéressant comme témoignage. Et je confirme que les données sont véridiques. Construire ici n'est pas affaire de luxe, mais la satisfaction de besoins qu'on pourrait situer à la base de la pyramide de Maslow (Niveau 1 : besoins physiologiques; niveau 2 : besoin de sécurité). Qu'on me permette ici de rappeler l’œuvre (et le mot n'est pas trop fort, croyez-moi) de l'ami Raymond qui, sans tambour ni trompette, continue son petit train de maisons modestes. Il en est maintenant à presque 75 et ça se poursuit allégrement, même en son absence. En termes concrets, ça veut dire 75 familles qui ne sont plus dans le chemin, comme on dit. Qui ont un toit sur la tête et des murs pour les protéger. Qui en sont, à juste titre, fiers. Et tout ça pour $1,500 US. Qui dit mieux? Et pendant ce temps, les spécialistes de tout acabit et les politiciens en mal de publicité ergotent sur les milliards de dollars qui soulageront bientôt la misère haïtienne... Bientôt. Ouais...

Mais qu'on me permette de revenir sur l'article de cyberpresse, signé Bernard Demers. Ce qu'il dit est on ne peut plus vrai. Le cas qu'il rapporte est plutôt exceptionnel, dans le sens exceptionnellement chanceux. Rares, en effet, sont les employeurs qui vont offrir une telle aide à leurs employés, et rares sont les postes qui paient si bien. Or, si les ambitions domiciliaires des Haïtiens restent bien modestes, il faut tout de même acheter le terrain, et c'est là que ça fait vraiment mal. Les terrains ici sont hors de prix. Pour une parcelle de 10 sur 20 mètres, on peut s'attendre à payer entre $5,000 et $7,000 US. Il y a beaucoup plus petit, entre des fosses d'aisance à ciel ouvert, et qui ne s'en vendent pas moins $3-4,000. Si bien que pour celui ou celle qui n'a pas eu la chance d'hériter d'un petit coin de terre, c'est la ruine avant même de pouvoir commencer la construction! Non, non, je n'exagère rien. Je parle d'expérience et je vous relate une situation bien réelle. Alors s'il se trouve parmi vous de bons samaritains au porte-monnaie bien gras qui voudraient faire «quelque chose», ne cherchez pas plus loin : envoyez-moi votre contribution et je me ferai un plaisir de l'acheminer à la personne que vous choisirez d'aider. Je puis même vous aider à choisir qui sera l'heureuse ou l'heureux élu...

Alors je lance cette bouteille à la mer, en souhaitant qu'elle s'échoue rapidement sur un rivage serein, porteur d'espoir et de lumière... Je vous le dis encore : sans toit, la vie est dure, dure, dure...

Oh! J'oubliais : et la Saint-Jean dans tout ça? Ben tu parles...

mardi 16 mars 2010

Migration

"I am unclear as to the migration patterns of people from PAP."  C'est en ces termes que notre amie Lori, une Américaine qui travaille à établir un petit centre de santé à Port Salut, m'a demandé mon opinion sur le sujet dans un message qu'elle m'a envoyé hier. L'organisation, dont elle est pour ainsi dire COO (Chief Operating Officer), s'appelle No Time for Poverty et s'efforce de faire sa part dans le secteur de la santé dans la région de Port Salut, petite ville située à environ 50 km à l'ouest des Cayes, bien connue pour sa plage superbe. Du bon monde. Leur hôpital n'est pas encore fini de construire, mais ça ne les empêche pas d'être bien présents dans le sud, notamment sous forme de cliniques ponctuelles menées par des équipes de volontaires américains. Depuis quelque temps déjà, nous avons établi un bon contact ensemble et je m'efforce de leur donner un petit coup de pouce au besoin, notamment sous forme d'information pratique.

Tout ça pour vous dire que j'ai trouvé sa question fort intéressante et tout à fait pertinente. Bien que non-expert en la matière, je me permets tout de même un avis sur la question. Car oui, il y a migration. Indubitablement. On n'a qu'à se promener dans les rues de la ville pour s'en rendre compte. Je vous ai déjà parlé de la vie dans les rues des Cayes (voir La rue qui vit). Eh bien maintenant, c'est encore plus grouillant, les gens se marchent littéralement sur les pieds et la circulation, je vous dis pas... Encore ce matin, nous avons fait une petite sortie à l'épicerie. Tandis que j'attendais dans la voiture (stationnée de drôle de façon), un groupe de jeunes est venu quémander. "Give me one dollar", me dit l'un deux, au regard vif et à la langue bien pendue. Ça faisait longtemps que je l'avais entendue, celle-là... Je ris, puis commence à bavarder avec le gamin. Qui m'apprend, très spontanément qu'il est de Port-au-Prince, mais que lui et sa famille n'ont plus de maison et qu'ils sont venus aux Cayes sur la vague recommandation d'une connaissance et que depuis, ils essaient de s'y installer. Ce n'est peut-être que pure invention, mais je ne le crois pas. Car le fait est: plusieurs habitants de Port-au-Prince ont tout perdu et tentent maintenant de se refaire une vie ailleurs, aux Cayes, pourquoi pas? Reste que leur nombre est bien difficile à estimer. Comment le faire? Qui tient un registre des allées et venues de ces gens? Comment pourrait-on le faire, d'ailleurs? Toujours est-il que l'exode, puisque c'en est un, se poursuit sans tambours ni trompettes, mais résulte en un véritable accroissement de la population des Cayes. J'en prends également pour exemple la fréquentation de notre petit hôpital. Hier lundi, nous avons vu passer pas moins de 270 patients, ce qui constitue sans doute un record d'affluence. Et ce qui est éloquent, c'est la longue file des personnes au guichet des nouveaux dossiers, ce qui laisse penser qu'une forte proportion de ces gens viennent de l'extérieur. Ces signes ne mentent pas. Les Cayes se gonfle. Avec pour conséquence que la pression sociale risque d'augmenter, car tous ces nouveaux arrivants aspirent à un minimum de vie décente. Or, les infrastructures actuelles me paraissent bien fragiles au regard du nombre de nouveaux venus. Craqueront-elles sous le poids du nombre? S'en va-t-on vers une nouvelle flambée de violence? Difficile à dire... Cependant et malgré ce que je viens de dire, j'aurais tendance à croire que non. Pourquoi? Simplement parce que les gens ont d'autres chats à fouetter. Et aussi, qu'ils caressent l'espoir que les choses vont s'améliorer. Alors ils tiennent le coup, tant bien que mal, et attendent, comme je vous l'ai dit il y a une quinzaine de jours.(L'attente). La migration de la population de la capitale suit-elle un plan quelconque? Je ne crois pas. Certains viennent, tâtent le terrain et retournent d'où ils sont venus; d'autres s'établissent sommairement; d'autres collent chez de vagues parents; d'autres enfin s'installeront à demeure, en autant que leurs conditions de vie le permettent. Voilà en substance ce que j'ai répondu à mon amie Lori. Ce n'est peut-être pas une analyse en profondeur, mais intuitivement, je dirais qu'elle reflète la réalité présente : le pays est en mouvance et ce n'est que dans plusieurs mois qu'on saura comment la population s'est distribuée. Pour l'instant, tout le monde s'accommode du surplus de population aux Cayes.

Tant bien que mal, comme toujours...

mardi 31 mars 2009

L'homme qui construisait des maisons II


Comme d’habitude, j’avais un texte joliment fignolé. Mais comme il arrive trop souvent hélas, il s’est volatilisé dans les méandres du cyberespace. Je dis «méandres», mais je sais très bien ce qui s’est passé. Cependant, loin de moi l’idée de vous embrouiller avec des notions dont, j’en suis sûr, vous vous contrefichez éperdument. L’essentiel est que mon texte est perdu, à jamais, et mon sujet était pourtant des plus intéressants, puisqu’il faisait suite à mon dernier texte, j’ai nommé l’innommable Raymond, alias «l’homme qui construisait des maisons».

C’est que Raymond vaut le détour. Dans un pays comme Haïti, les personnages colorés se suivent sans jamais se ressembler tout à fait : ce sont des marginaux et par définition, les marginaux ne se ressemblent jamais, tout le monde le sait. Sinon, comment pourrait-on parler de marginalité?

Donc, Raymond n’est pas comme «les autres». Raymond, bon ti-Québécois pure laine—il demeure à Trinité-des-Monts, à moins de 10 km de notre base pointuyenne, c’est vous dire—a décidé un jour qu’il voulait s’investir dans la dynamique haïtienne. Et comme je vous l’ai conté précédemment, pour s’investir, il l’a fait. Pas sans en baver, mais bon, le gars ne manque pas de courage, de détermination et d'idées. Raymond n’est plus une jeunesse, comme on dit couramment, mais il en gardé les qualités : un enthousiasme inébranlable et une énergie indomptable, entre autres. Animé de ces qualités, Raymond sillonne l’arrière-pays, s’arrête, considère, réfléchit, parle avec les gens, retrousse ses manches et construit, sans plus de chichis. Pas d’administration lourde et envahissante, pas de comptes à rendre—ou si peu—, pas de ‘boss’, Raymond agit à sa guise et sème le bonheur autour de lui.

Évidemment, faire le bonheur de l’un ne signifie nullement qu’on fait le bonheur de tout le monde. Les laissés-pour-compte sont plus nombreux que ceux, celles qui sont élus, ce qui entraîne forcément une certaine amertume pour les non-élus. En Haïti, tout le monde voudrait bien qu’un blanc leur offre, sur un plateau garni, une maison digne de ce nom. Mais si l’impossible a jamais eu un visage, c’est bien celui de la pauvreté haïtienne. On fait ce qu’on peut, sachant bien que l’effort ne représente, somme toute, qu’une goutte d’eau dans l’océan de ce qui va mal. Mais goutte d’eau tout de même…

Et Raymond s’ambitionne. Après le numéro 34, on fait la 35, puis la 36 et ainsi de suite. Et chaque fois, la croix bien plantée sur la porte : car Raymond croit. Son œuvre est inspirée, demande courage et force morale, mais ça marche.

Refaire le monde? Oui, c’est possible. Il suffit simplement de trouver et de mettre en chantier les Raymond dispersés à droite et à gauche…

En tout cas, chapeau mon Raymond! Lâche pas la patate, comme disent les Chinois!

lundi 23 février 2009

L’homme qui construisait des maisons



L’un plantait des arbres—Frédéric Back nous en a fait un film plutôt réussi en son genre—mais celui dont je veux vous parler aujourd’hui accomplit, dans l’ombre ou presque, une tâche tout aussi valable, sinon plus : Raymond construit des maisons. Je vous entends déjà : «Ben voyons! construire une maison, y’a rien là!» Planter un arbre non plus. Mais tout comme dans l’histoire de Jean Giono, ce n’est pas tant le geste qui compte que ce qui se trouve derrière, ce qui le fonde en quelque sorte.

Donc Raymond construit. Systématiquement, sans se poser trop de questions existentielles, il fait à la mesure de ses moyens limités, des fonds disponibles et des besoins rencontrés; ce qui ne l’empêche pas de s’attaquer à chaque nouveau projet avec le même cœur, la même énergie et la même couleur si particulière, pour en arriver chaque fois au même résultat tangible : une maison qui en a l’air et la chanson, c’est-à-dire capable de combler à la fois le besoin physiologique de s’abriter et celui, non moins important, d’assurer une certaine sécurité.

Ainsi, malgré toutes les difficultés rencontrées, Raymond a déjà 34 constructions à son actif et ça continue. Voilà une manière directe d’aider le peuple.

Car la «clientèle» de Raymond, ce sont les pauvres. Attention : pas ceux ou celles que l’on voit en ville, mais les autres, les vrais démunis, les laissés pour compte, ceux ou celles que les dernières intempéries ont laissé «le cul entre deux chaises», si vous me passez celle-là. Il s’approche de ces pauvres, les regarde, les écoute, leur donne l’espoir, retrousse ses manches, enfourche sa mobylette, achète les matériaux, les livre au site du chantier projeté, brasse le ciment, taille les 2 x 4, fait la peinture, sue, s’écorche les jointures, placote, prie, rit, chiale, se fait doucher par les pluies diluviennes, sèche sous le soleil de plomb et en moins de cinq jours (!) met fin au projet en remettant la clé au nouveau, à la nouvelle propriétaire. Coût total : $1,500 US. Oui, oui, vous avez bien lu : mille cinq cents dollars américains. Et c’est là un autre miracle, ou pas loin. Car dans ce pays où tout est hors de prix, y compris, bien sûr, les matériaux de construction, il s’agit là d’un réel tour de force! Il va sans dire que la maison reste modeste à tous égards : ne cherchez pas ici la thermopompe ou le sous-sol fini; mais l’essentiel s’y trouve, et même plus : un plancher de béton, des murs en blocs de ciment, un toit de tôle, une porte solide, le tout recouvert d’une bonne couche de peinture, c’est déjà bien plus que bien des familles peuvent s’offrir. Voilà donc une maison qui pourra accommoder deux ou douze personnes et les garder à l’abri des intempéries.

Alors dites-moi : c’est pas beau, ça? Et en plus, Raymond y ajoute son petit côté bien à lui…

jeudi 15 mai 2008

Enfin de retour!...


Long time no see, comme disent les autres, ceux dont la langue est différente… J’ai été occupé à fouetter d’autres chats qui m’ont fait négliger ce devoir que je me suis donné d’écrire quelques lignes de temps à autre. Bien sûr, le rythme du début s’épuise et à mon âge, on a vite le souffle court, alors faut me laisser récupérer! Mais les nombreux commentaires (devrais-je dire reproches?) reçus m’invitent à me remettre à la tâche et à vous pondre un petit quelque chose, ne serait-ce que pour vous arrêter de crier.

Nous sommes toujours là, au sud, et nous sommes toujours à tenter de gouverner un bateau dont la dérive est esquintée, ce qui ne rend pas la gouverne aisée, avouons-le. Tout de même, il flotte : fluctuat, nec mergitur. Reste à espérer qu’il continuera de voguer doucement sur la mer du temps, le petit navire… Je vous en reparle ultérieurement.

Avec mai, les manifestations d’avril sont choses du passé. Un passé pas loin, certes, mais passé tout de même. Cependant, rien n’est réglé pour autant et c’est à se demander à quoi le brouhaha du mois dernier aura servi. Ou à qui. Car il faut bien que, quelque part, quelqu’un en ait tiré parti… Mais on ignore qui. Ce qui tend à confirmer d’autant la thèse des barons de la drogue, lésés dans leur pratique commerciale illicite et qui voulaient donner une leçon… Le saura-t-on jamais? J’en doute. Pour l’heure, les gens sont toujours victimes d’une flambée des prix qui fait mal, même à notre vénérable institution. Hier encore, nous avons acheté du carburant pour la génératrice : $3,984 US. Vous me direz que la quantité fait toute la différence, et c’est vrai, mais il n’empêche pas moins que le prix à la pompe a monté scandaleusement au cours des dernières semaines. Sans qu’il y ait de manifestation pour autant, parce que, bon, le carburant, ce n’est pas comme la nourriture et bien que ce soit essentiel, ça ne l’est pas au même titre que le riz, par exemple.

Tout ça pour dire que les mystères d’Haïti restent entiers. Qu’est-ce qui fait que le pays entre subitement en éruption alors que rien ne le laissait présager? Qu’est-ce qui fait que le calme revient alors que rien n’a vraiment changé? Pays étranger, pays étrange… Mais l’on doit tout de même apprécier l’après-tempête et le répit qu’il nous donne.

Et c’est ainsi que la chaleur sociale a fait place à la chaleur climatique : le soleil commence à taper dur, dans ce pays qui n’en est pas avare… On cherche l’ombre ou la fraîcheur bien relative, pour ne pas dire illusoire, d’un ventilateur. Quant à la climatisation, elle tempère une pièce, certes, mais au détriment de la qualité de l’air qu’on y respire. Évidemment, à choisir entre deux maux, on choisit le moindre, et la chaleur excessive n’est pas toujours compatible avec le travail minutieux, parlez-en aux chirurgiens… Donc, on climatise, mais c’est un palliatif : le climat nordique seul en est le remède. Mais qui voudrait de ce remède amer?

lundi 17 mars 2008

« Lakay se lakay »



«Lakay se lakay». Voilà une expression toute haïtienne dont la traduction ne rend pas vraiment le sens. Car dire que la maison, c’est la maison, c’est peu dire; il faut aller plus loin et connaître l’importance de la maison et, par extension, du terroir, de la région, voire de tout le pays pour mesurer l’amour que sous-tend cette simple expression. Je me souviens d’une fois, au cours du vol d’Air Canada vers Port-au-Prince; une agente de bord ayant appris un peu de créole avait lancé l’expression : «Lakay se lakay». Les passagers, pour la plupart Haïtiens, avaient chaudement applaudi et exprimé bruyamment leur joie. Pour certains, certaines, ce n’était peut-être, tout comme pour nous, que le retour de brèves vacances en terre canadienne; mais pour d’autres ce pouvait aussi signifier la fin d’un long exil, d’où la joie bien réelle de rentrer «bò lakay», c’est-à-dire «au pays». Patriotes, les Haïtiens? Mettez-en!

Mais revenons au sens plus restreint de «lakay», (la maison). Lakay, ce n’est pas n’importe quelle maison; il y a dans le terme l’idée d’appartenance, de propriété. Le mot «kay» existe, —en fait, il a probablement été à l’origine du nom de la ville «Les Cayes»—, et signifie, de façon très générale, une bâtisse quelconque, qui peut être une construction très sommaire pour abriter une génératrice, par exemple. On parle alors d’un «ti-kay». Mais «lakay», c’est le foyer, c’est là où l’on habite.

Or, le crédit bancaire étant ce qu’il est en Haïti (c’est-à-dire inexistant), accéder à la propriété devient un véritable tour de force. Car il faut trouver l’argent nécessaire, soit pour acheter une construction existante, soit pour assumer les coûts d’une neuve. Comme le prix des maisons est souvent astronomique, inflation oblige, les gens qui possèdent un terrain choisissent plutôt de construire un «ti-kay», qui, si l’argent ne fait pas défaut, pourra éventuellement devenir habitable. Mais éventuellement ici est un grand mot. Car l’inflation fait monter le prix des matériaux et rend tout projet à budget limité très aléatoire… Si bien qu’on voit bon nombre de maisons sans toit, ou sans fenêtres (que des trous) et bien entendu, sans plancher. Et pourtant, les gens y vivent. Y mangent, y dorment, y souffrent quand la pluie inonde les lieux, bref, y luttent sans répit. (Ce n’est incidemment pas sans raison que les gens répondent souvent, à la question : « Comment ça va? » «N’ap lite» —On lutte!) Constructions sommaires, donc, parce que inachevées, et ce, pendant des années, jusqu’à ce que le vent des finances redevienne favorable. Ou qu’un bon samaritain, souvent issu de la diaspora, appuie financièrement le projet. Mais laissés à eux-mêmes, les gens parviennent rarement à élever plus qu’une modeste masure, bien inadéquate pour la famille nombreuse qui l’habitera. Dix, douze membres y cohabiteront souvent, entassés souvent les uns sur les autres sans l’ombre d’une modeste intimité. Mais alors, diront les curieux-qui-ne-pensent-qu’à-ça, et la «chose charnelle», comment s’effectue-t-elle dans ces conditions? Je vous laisse y réfléchir…

Et pourtant, malgré tout, cette maison qui n’en est pas une, c’est «lakay», c’est là où l’on habite, c’est le refuge, le havre de misère, mais havre tout de même.