mercredi 30 novembre 2011

Radoub


Vous le savez maintenant – je pense que je l'ai répété ad nauseam – l'une de nos tâches en ce pays, l'une des plus importantes je pense, c'est de veiller à ce que tout marche comme il se doit. Or, les équipements et les infrastructures de notre petit hôpital accusent leur âge et l'on doit par conséquent s'efforcer d'étirer leur espérance de vie avant de changer, refaire ou reconstruire. Ainsi en est-il de nos voitures, qui ont vu le mécanicien plus souvent que le chauffeur (presque) et de certaines de nos constructions. Mais quelquefois, l'opération cosmétique ne suffit plus et il faut se résoudre à remplacer (voir l'affaire de la nouvelle génératrice) ou refaire. Cette fois, c'est la maison que nous habitons qui fait l'objet de notre attention.

Pour ceux qui ne le savent pas, il s'agit d'une maison plutôt spacieuse, conçue et construite initialement pour les sœurs qui, jadis, demeuraient et travaillaient à notre hôpital. Mais à la grande déception de la fondatrice et constructrice de la maison, les sœurs n'ont jamais voulu habiter cette grande maison, qu'elles jugèrent trop isolée, pas suffisamment sécuritaire, inutilement loin de l'hôpital (3 minutes à pied) et donc, inintéressante à tous égards. Si bien que lorsque nous sommes venus pour la première fois, la maison était inhabitée et ne l'avait jamais vraiment été. Nous l'avons prise comme elle était et y avons fait notre niche, comme on dit en créole. Et nous l'avons peu à peu améliorée, pour en faire un logis tout à fait convenable.

Cependant, depuis quelque temps, nous songions à nous attaquer à la cuisine qui était vraiment trop perméable aux fourmis et autres petites bêtes similaires qui y avaient élu domicile. Et comme de surcroît nous étions un peu fatigués des couleurs fades qui l'habillaient, nous avons décidé d'en changer la céramique et de refaire les armoires supérieures. Jusque là, rien de majeur, me direz-vous, et vous auriez raison en temps normal. Mais dans le présent contexte, vous avez tort. Car ici, tout est en béton et défaire représente une tâche non seulement physiquement exigeante, mais ingrate, malpropre, bruyante et fastidieuse. Bref, la première étape, la démolition, est pénible sur tous les plans. Radoub majeur (en passant, que voilà un joli mot issu du vocabulaire maritime de nos ancêtres et que l'on prononce *radou.). Depuis lundi dernier donc, nous en souffrons les inconvénients, sans trop nous plaindre, galvanisés que nous sommes par les résultats à venir, bien que ce soit encore un avenir incertain...

Tout de même, le travail progresse. Dans la bonne humeur haïtienne habituelle, excessivement ponctuée de discussions aussi futiles que passionnantes pour les divers protagonistes. Même Éraise s'en mêle et y va de son grain de sel que les gars apprécient à sa pleine valeur d'assaisonnement. Et les éclats de rire volent tout comme les débris de l'ancienne céramique : dans l'insouciance générale...

Certes, certains diront sans doute que ces travaux restent bien insignifiants en regard de la reconstruction du pays et qu'ils ne méritent guère plus qu'un simple «post» sur Facebook. Mais c'est faire preuve de courte vue. D'abord, le travail mérite d'être fait. Et j'ajouterai : bien fait, une exigence peu courante en Haïti où les pseudo-spécialistes pleuvent. J'exige une certaine qualité de travail et n'hésite pas à faire reprendre une étape que j'estime bâclée. Eh bien croyez-le ou non, non seulement ne m'en tient-on pas rigueur, mais encore, on apprécie de s'initier aux standards «blancs». Hier, j'en faisais la remarque au poseur de céramique, lui disant qu'il y a autant de bons ouvriers ici en Haïti qu'au Canada ou en France ou n'importe où ailleurs, la différence étant souvent dans la connaissance de ces standards ergonomiques répandus unanimement. J'estime donc contribuer, bien modestement mais pas moins réellement, à l'amélioration de leurs compétences techniques et à l'intégration de ces compétences. Puis, il y a le facteur monétaire : les ouvriers travaillent et sont payés pour le faire et ne s'en trouvent pas plus mal, c'est évident. Enfin, il y a la bonhomie, le contact simple d'êtres humains qui œuvrent à un même dessein, sans compétition, sans stress, sans rivalité. Et ça, tout le monde apprécie, moi le premier, je vous le dis tout net.

Non, ce n'est pas un monde parfait. Mais qu'en avons-nous besoin? Une céramique neuve et tout va déjà mieux...

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