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samedi 8 février 2014

Une histoire d'yeux


Je vous raconte si souvent des inepties dans ces pages que vous devez vous demander parfois si c’est vraiment vrai qu’on s’occupe d’un hôpital spécialisé qui accomplit une tâche tout à fait remarquable dans les domaines de l’ophtalmologie (surtout) et de l’oto-rhino-laryngologie. Et pourtant, c’est bien la vérité et, incidemment, la raison d’être de notre vie au sud. Les malades affluent — nous voyons plus de 200 patients par jour — et les cas sont souvent difficiles, voire insolvables. Si bien que lorsque se pointe à l’horizon la visite d’une équipe ophtalmique américaine, nous en profitons pour mettre les bouchées doubles, si l’on peut dire, car ces étrangers, même s’ils sortent tout droit du froid et de la neige du Midwest, ne sont pas ici pour lézarder au soleil, mais pour travailler. Et les cas lourds, loin de les rendre nerveux, leur font se frotter les mains d’anticipation.

En outre et comme si leur enthousiasme ne suffisait pas, ils arrivent chargés de matériel et de produits qu’ils nous donnent gracieusement et porteurs de connaissances qu’ils ne demandent qu’à partager avec nos employés. Bref, un arrangement dont nous sommes les grands gagnants. Et les patients, bien sûr. Les patients qui, dans certains cas, se sont résignés à vivre avec leur misérable condition oculaire simplement parce que personne, dans le pays, ne peut réduire leur mal ou régler leur problème.

Ainsi en était-il de Garrisson, ce petit garçon dont notre amie Kyra s’est faite la marrraine et la protectrice. À l’âge de deux ans, atteint d’un rétinoblastome (cancer de l’œil), Garrisson a subi le traitement radical le plus souvent pratiqué en ce cas : l’énucléation, c’est-à-dire l’ablation de l’œil, tout simplement. Remède de cheval, me direz-vous, mais qui résout habituellement le problème, comme ce fut le cas avec ce petit garçon. Mais on a refermé la plaie sans lui mettre de prothèse et sans soucis pour le futur et Garrisson, guéri, n’en souffrait pas moins d’une déformation majeure du visage, la cavité orbitale s’étant contractée avec le temps.

Pour l’oculo-plasticien, ce n’était rien d’autre qu’un «beau cas». Cet habile chirurgien lui a greffé un morceau de fesse dans l’orbite et mis une prothèse temporaire qui pourra par la suite être remplacée par une autre plus adéquate. Mais déjà, le visage du garçon ressemble maintenant à un visage de jeune garçon de dix ans avec tout au plus, un bout de fesse dans l’œil… Non, sérieusement. La différence est majeure, bien que pas trop visible sur les photos ci-jointes. C’est qu’il faudra quand même un peu de temps avant que tout rentre dans l’ordre. Mais je vous le dis les amis : c’est un travail tout à fait remarquable que le chirurgien a fait là et si vous ne me croyez pas, eh bien c’est tant pis pour vous. Car le fait est là : certains patients, dont Garrisson, ont vu leur vie transformée littéralement cette semaine. L’équipe était vannée, mais contente. Qui ne le serait pas?

Garrisson avant
Garrisson tout juste après la chirurgie

 Et c’est ainsi que la première semaine de février s’en est allée : avec l’équipe médicale américaine, sans tambours ni trompettes, mais avec le sentiment que la raison d’être de notre petit hôpital s’est trouvée, une fois de plus, admirablement justifiée, comme s’il en était encore besoin, après trente ans de bons services…

Il me semble que la bière est encore meilleure dans ces temps-là, vous ne trouvez pas?

jeudi 8 septembre 2011

Du tourisme déguisé?


Vous le savez maintenant, ce sont souvent mes lectures qui m’inspirent et m’incitent à partager avec vous mes commentaires. L’article ici en est une bonne illustration, ne serait-ce que par son titre. Sa traduction française laisse un peu à désirer, mais est suffisamment proche de l’idée originale pour qu’on comprenne de quoi il retourne : les touristes affluent maintenant en Haïti, même s’ils sont d’un autre genre. Mais sont-ils vraiment d’un autre genre?

En fait, je pense que non. Le tourisme, tout le monde le sait, est d’abord une industrie, une source économique souvent extrêmement rentable, ne serait-ce que parce que les touristes dépensent des sous qu’ils n’ont pas gagnés là où ils vont. L’apport économique n’est donc pas négligeable et Haïti peut en bénéficier autant que n’importe quelle autre contrée dite touristique. Plus même. Cependant, les touristes sont, par définition, exigeants et c’est là le hic : les infrastructures haïtiennes ne sont pas à la hauteur des attentes des touristes moyens. Il y a bien quelques endroits ici et là qui offrent un produit touristique de qualité (hébergement et nourriture convenables, entre autres), mais ils ne sont pas légions. Dès lors, venir en Haïti en touriste implique un certain goût pour l’aventure et pour l’imprévu. Pourtant, le pays a beaucoup à offrir, tant sur le plan géographique (plages, montagnes, mer…) que sur le plan historique ou social. Haïti, selon l’expression consacrée «vaut le détour». Sans le moindre doute. Mais voilà : sans encadrement, venir en visite au pays est difficile, justement à cause de l’absence d’encadrement. Or, ce que font les organisations humanitaires, c’est précisément de fournir cet encadrement, cette logistique de base qui rend le séjour possible : c’est ainsi que sous prétexte de venir «aider» Haïti, on s’offre de petites vacances en pays exotique.

Certains diront que cette forme de tourisme déguisé est malsaine et trompeuse, puisque l’aide humanitaire est censée avoir des motivations beaucoup plus élevées, idéalistes ou… humanitaires quoi! Mais de vous à moi, ce n’est pas toujours le cas. Quand on lit — et je l’ai moi-même écrit — que l’aide humanitaire piétine en Haïti, c’est un constat vérifiable. Ce piétinement est loin de l’efficacité, de l’efficience et de la rentabilité. Les organisations humanitaires — religieuses ou laïques, peu importe ici —, s’appuient toutes sur de grands principes éthiques, notamment l’assistance au prochain, en l’occurrence Haïti-qui-souffre. Mais vous le savez : de la coupe aux lèvres, il y a toujours un bon bout de chemin et il arrive souvent que des intentions louables tombent à plat, érodées par des difficultés quotidiennes sous-estimées. Mais les volontaires affluent tout demême. Viennent aider. Veulent aider. Mais en profitent du même coup pour aller se reposer à la plage ou à l’hôtel quatre étoiles avec piscine limpide et acheter quelques souvenirs comme tout bon touriste qui se respecte. Se donner bonne conscience? Peut-être. Mais peut-être pas. Je pense pour ma part (et je m’appuie sur ma propre expérience) que les volontaires ne cherchent pas nécessairement à se déculpabiliser — après tout, de quoi seraient-ils coupables? — mais veulent plutôt profiter d’une occasion, en l’occurrence l’aide humanitaire, pour s’initier au pays. Voir si c’est vrai ce qu’on en dit : que le pays est merveilleux et ses gens, fascinants. C’est une très bonne chose. Haïti mérite plus que des envois d’argent, de médicaments ou de denrées périssables (!); il faut oser y venir, oser se frotter à son peuple, oser sourire et partager; il faut faire l’effort d’ouvrir l’huître de la misère pour découvrir la perle qu’elle cache, cette fameuse perle des Antilles dont les livres parlent…

Alors si le tourisme doit passer par le moule humanitaire pour s’enclencher, qu’il en soit ainsi. L’important est qu’il se développe. Car mieux que n’importe quelle aide humanitaire, s’il est une industrie capable de relever le pays, c’est bien le tourisme, et je ne suis pas le seul à le croire…

Alors, vous venez quand?

dimanche 27 février 2011

Une collaboration appréciée


Mon assiduité laisse à désirer. Je suis d'accord. Mais, mis à part l'interlude de mon anniversaire, février a été pas mal occupé, comme je vous l'ai laissé entendre. Entre autres avec la présence des patrons, lesquels comme d'habitude accaparent une grosse partie de mon temps, mais aussi à cause de la visite d'une petite équipe de volontaires, dont deux ophtalmologues, père et fils. Non, l'ophtalmologie n'est pas une discipline qui se transmet de père en fils comme la «science» vaudou; et j'avoue pour ma part être toujours surpris de voir un fils suivre les traces du père aussi loin, dans une discipline ardue comme l'ophtalmologie. Pour la petite histoire, mon père était imprimeur et bien que je me sois frotté au métier lorsque j'étais étudiant (notamment pour faire un peu d'argent de poche), je n'aurais pu penser y faire carrière. C'était pour mon père, pas pour moi. Cela en dit long sur la relation père-fils et celle, observée, de ces deux médecins confirme cette impression: ils sont complices, et pas seulement dans le domaine de l'ophtalmologie, il va sans dire.

Toujours est-il que ces médecins avaient planifié un nombre important de chirurgies de cataracte et ils n'ont pas été déçus: les patients ont afflué et ils en ont eu plein les bras. Bref et en un mot, succès sur toute la ligne.

Je vous ai dit dans mon avant-dernier texte, combien la valeur des volontaires pouvait varier, selon ce qu'ils peuvent fournir comme apport pratique. Eh bien ceux-là ont fait en une semaine plus de travail que nos médecins réguliers en font en un mois, une cadence quelque peu excessive, convenons-en, mais typique des volontaires dont le temps est limité. Une semaine est si vite passée! On parle de cinq jours, ne l'oublions pas! Bien sûr, ils étaient crevés le vendredi précédant leur départ; mais ils n’en ont pas moins adoré leur expérience. Ce qui me permet de réaffirmer ce que je disais: les volontaires formés et expérimentés sont un atout; les autres, une simple charge de travail supplémentaire pour nous.

Je reste convaincu que la volonté d’être volontaire part d’un bon naturel; et je prends toujours le temps d’examiner les demandes qui nous sont transmises dans ce sens. Et parfois, il arrive que nous ayons en tête un projet dans lequel un ou une volontaire généraliste pourrait tout à fait se sentir à l’aise. Mais ce n’est pas courant. Le travail ici est d’abord et avant tout routinier et c’est précisément pour cette raison que l’inclusion de nouveaux éléments est toujours exigeante. Et je ne vous parle pas de la barrière de la langue, toujours balayée du revers de la main comme sans importance, alors qu’elle représente un frein majeur à l’intégration des volontaires, car comment avancer quand on n’arrive même pas à se faire comprendre? Or n’en déplaise à ceux qui estiment que le créole n’est que du français déguisé, parler et se faire comprendre dans cette langue n’est pas si évident qu’on le pense, avis à tous les «tikoun»…

Ceci m'amène à vous parler d’une petite organisation locale qui s’appelle Maison de Naissance. Déjà le nom séduit. Pas besoin de se perdre dans de longues explications pour dire ce que fait cette petite organisation basée pas très loin des Cayes. Vous aurez compris qu’on y facilite, de différentes façons (allez voir le site Web) l’accouchement, un travail nécessaire et hautement apprécié (je ne parle pas de l'accouchement, hé!). Eh bien les volontaires de cette organisation ont, depuis quelques années, pris l’habitude de s’héberger à notre Institut lorsqu’ils ont à faire dans le coin. C’est une gracieuseté que nous leur fournissons moyennant compensation financière et l’arrangement fait l’affaire de tout le monde. Or, cette semaine, Jim, le chef logisticien, était présent en nos murs avec une gentille équipe composée d’une infirmière et de trois prêtres, qui ont, entre autres, participé à l’inauguration d’une école à un petit village avoisinant nommé, je vous le donne en mille : Le Prêtre! Drôle de coïncidence, hein? Vous dire qu’ils ont apprécié leur séjour serait peu dire, et ça les amis, c’est la preuve que les volontaires trouvent quand même leur pied, nonobstant ce que j’ai pu en dire précédemment. Mais il faut préciser que la taille de l’organisation d’une part et son âge d’autre part facilitent d’autant l’intégration des étrangers : la chose est nettement plus facile dans un projet qui sort tout juste de l’enfance, que pour nous, qui en sommes plutôt à la maturité de l’âge adulte, vous me suivez?

Tout ça pour vous dire que les volontaires ont leur place ici, en Haïti, mais plus l’organisation est spécifique et bien rodée, plus il est difficile pour les non-spécialistes de s’y sentir utiles et intégrés.

Alors encore une fois, on peut venir en Haïti juste pour le plaisir; on peut aussi venir y faire un travail appréciable; les deux ne sont pas incompatibles au reste, mais l’un ne justifie pas l’autre.


samedi 30 janvier 2010

N'en jetez plus, la cour est pleine!

 

Je vous ai dit naguère que je ne lisais que rarement les chroniques journalistiques. L'affaire des orthopédistes réclamant 800 $ par jour m'a fait grincer des dents, comme vous l'avez lu, mais c'est une exception. Cependant, comme les journalistes étrangers sont présentement au pays, je trouve intéressant de voir ce qu'ils en ont à dire. Lisez le texte de Patrick Lagacé, aujourd'hui. Et vous me direz ce que vous en pensez. Pour moi, il est bien clair que le pauvre Patrick est à bout. Pu capable. Sursaturé. Haïti n'est pas pour lui. Dommage qu'il n'ait pas fait son texte sous forme de blogue: j'aurais pu y aller de mon grain de sel, comme je m'amuse à le faire quelquefois. Mais son amertume fait pitié à voir. Comme il souffre, ce pauvre homme! Coincé dans le carcan de ses repères nord-américains, il ne comprend pas et il en perd l'équilibre. Patrick confond la compassion avec la passion d'un con. Car pour être passionné, on peut dire qu'il l'est, notre cher Patrick!...

De son texte, je retiens une seule phrase: «Assez, s'il vous plaît. Assez.» Sous-entendu: «Chu pu capable d'en prendre.» «Je suis au bout de la tolérance.» «C'est trop dur.» J'espère que Patrick a fini son odyssée haïtienne et qu'il va sagement rentrer dans ses quartiers montréalais, sécurisé par les odeurs familières (et non la merde et la pourriture) et les «scandales» qui éclatent quotidiennement au Québec et qui alimentent sa prose et lui procurent un job. Haïti n'est pas pour tout le monde, je l'ai dit et je continue de le dire à quiconque veut venir s'y frotter. Il n'est pas pour Patrick, ni pour Agnès Gruda, ni pour les journalistes du monde entier qui tentent de faire leur job, mais qui n'ont pas le temps ni nécessairement le goût de comprendre... Je ne leur en veux pas de faire le travail que leur job commande. Au contraire, je compatis, car ici présentement, ce n'est pas un boulot facile. Mais quand ils sont visiblement au bout du rouleau, alors il faut qu'ils quittent le milieu et le plus vite possible avant de commencer à dire des conneries et à porter des jugements péremptoires sans base valable.

Car pour plusieurs, disons-le sans détour, c'est trop. Et je ne parle pas seulement des suites du séisme: le pays, en temps normal, est tellement truffé d'excès en tous genres qu'il sature les sens des nouveaux arrivants. Il y a trop de monde; trop de chaleur; trop de pluie; trop de pourriture; trop de désordre; trop de bureaucratie; trop de problèmes. Et depuis le séisme: trop de morts, trop de blessés, trop de sans-abri, trop d'aide humanitaire mal coordonnée, trop d'argent mal géré, trop de "fait-ben" prétentieux, trop d’optimistes exaltés, trop de pessimistes, trop d'opportunistes qui profitent de la situation pour s'engraisser, trop de religieux qui exploitent la crédulité publique, trop de "bleeding hearts" (que je ne sais comment traduire), et quoi encore. Tout cela sature les sens. Et si on persiste, eh bien c'est la sursaturation et le déversement qui s'en suit fatalement.

Haïti, en temps normal, agresse. Depuis le tremblement de terre, ça choque.

Et nous autres, là-dedans? Ben disons qu'on tient le coup justement parce qu'on a développé une forme d'immunité. Un peu comme pour la tuberculose: on peut réagir positivement au test PPD sans pour autant en être atteint: la bactérie est là, mais incapable de se développer, contenue par le système immunitaire (comme c'est mon cas, incidemment). Eh bien le pays, c'est un peu comme ça. C'est complètement fou, mais notre système résiste. Pour l'heure, en tout cas. Je pourrais également vous donner l'exemple d'une personne ordinaire qui arrive sur les lieux d'un grave accident de voiture dans lequel, disons, une victime a été amputée et dont le bout de jambe gît sur la route. La vue de cette amputation peut suffire à paralyser la personne ordinaire. Mais pas le médecin ou la personne habituée à ce genre de spectacle, qui sauront faire les gestes efficaces, au-delà du dégoût, de la peur ou des moyens limités. Et ce dont Haïti a besoin en ce moment, ce sont ces personnes immunisées. Pas insensibles, comprenons-nous bien. Mais résistantes à cette invasion microbienne de la misère et de la douleur.

Une situation dure, c'est vrai, ne nous cachons rien. Pour certains, trop dure. Pour d'autres, juste dure.

jeudi 28 janvier 2010

L'aide humanitaire grassement payée?


Je n'ai pas l'habitude de commenter l'actualité. Comme tout le monde, je lis les grands titres, dont le rôle est d'attirer notre attention. Or hier, il en est un qui a piqué ma curiosité suffisamment pour que je lise l'article au complet. Faut dire que le titre était plutôt accrocheur: «Haïti: les orthopédistes veulent être payés». Mais lisant cela, je me suis dit que ce devait être une ruse du journaliste pour nous amener à lire son article, que je vous invite à lire ici, si vous ne l'avez déjà fait. Ce n'était pas une ruse. Pour ma part, je n'en reviens pas encore. Plus je lisais, plus je rougissais de honte. Quoi! L'aide humanitaire rémunérée à raison de 800 $ par jour? C'est ça la condition? Payez-nous sinon pas d'aide? Quelle honte! Franchement, faut le faire...

Ici, à notre petit hôpital, nous avons reçu des équipes américaines, espagnoles et, dernière en lice, brésiliennes. Ces gens-là viennent avec de l'équipement, du matériel, des médicaments et surtout, surtout, leur compétence et leur générosité. Et je peux vous garantir qu'il ne se font pas payer 800 $ par jour pour leurs services...! Qu'on se comprenne bien: je n'ai rien contre la rémunération de services professionnels, bien au contraire. Mais il me semble que la générosité passe également par le renoncement à cette rémunération, quitte à la canaliser dans une autre direction, si l'argent est là et qu'on ne sait qu'en faire... Mais payer ces médecins qui ont prêté le serment d'Hippocrate de soigner leur prochain? Pensez-en ce que vous voulez, mais pour moi, c'est scandaleux, y'a pas d'autre mot.

Car ce n'est pas tant l'argent qui me choque comme le principe qui le sous-tend. Ici, on voit les équipes débarquer et ce que ces spécialistes veulent, c'est soigner. Aider. Contribuer à soulager les éclopés. Bref, faire preuve d'humanité envers un peuple différent, qui souffre, qui en arrache et qui en a maintenant plein les bras. C'est ça, l'idée de l'aide qu'on appelle humanitaire. On n'embauche pas des spécialistes; on n'achète pas les équipements ni les médicaments: on se fie sur la générosité humanitaire. Sur le bon cœur des mieux nantis. Sur leur compassion. Il s'agit ici de faire un geste qui, pour une fois peut-être, ne rapporte rien. Qui n'est pas lucratif ou mercantile. Humain, tout simplement. Or, mes compatriotes passent ici à côté d'une belle occasion. Maintenant, au contraire, tous ceux qui lisent le français ont pu lire, sinon l'article, à tout le moins son titre pas du tout équivoque dans ses implications. Et le lectorat francophone sur Internet est plus vaste qu'il ne l'a jamais été: Amérique, Europe, Asie, Afrique... sur tous les continents il y a des gens qui parlent français et qui le lisent avec aisance. Et qui disposent d'une connexion Internet. Or, je vous le demande: avez-vous lu un titre semblable ailleurs, vous autres? En anglais, en italien, en espagnol ou en finnois? Mais nous sommes où, là?

Les Haïtiens ont un mot pour ça: chiche. Et voilà pour les gens de mon pays: des gens chiches. Des gens qui sont prêts à aider à la condition qu'ils soient payés pour le faire! Et pendant ce temps, Patrick Lagacé sur son blogue d'hier s'offusque qu'il y ait un concessionnaire Porsche à Port-au-Prince!... J'avoue que je n'ai pas compris son indignation. Chacun sa montée de lait, faut croire...

En tout cas, je peux vous dire que les Brésiliens, c'est beau de les voir aller... gratuitement!

vendredi 22 janvier 2010

"Avez-vous besoin d'aide?"


Aujourd'hui, j'étais parti dans une autre direction (moi, vous me connaissez maintenant: toutes les directions sont bonnes) mais l'article que je viens de lire sur Cyberpresse (ici) et la situation à laquelle nous sommes confrontés chaque jour un peu plus m'amènent à bifurquer. C'est qu'il me faut aborder le thème délicat des volontaires.

Je vous l'ai dit à plusieurs reprises depuis le début de cette catastrophe: l'aide internationale est là, sous forme de volontaires plus ou moins expérimentés unis par cette volonté d'aider. Et nous en avons besoin. C'est indéniable et c'est appréciable à la fois. Mais comme je l'expliquais ce matin à des médecins de Terre des Hommes (je pense mais n'en suis pas certain--il en passe tellement ces jours-ci), nous ne sommes pas pro-actifs dans cette affaire, mais plutôt simplement réactifs. Nous réagissons avec une efficacité variable, et c'est justement là le problème. Tout le monde ne réagit pas de la même façon au malheur généralisé et bien que la bonne volonté ne manque pas, elle n'est parfois pas suffisante. Finalement ces gens ce matin, qui me demandaient comment ils pouvaient nous aider, je les ai simplement emmenés du côté des malades hospitalisés et leur ai dit: «Faites votre choix.» Je les ai revus tout à l'heure, au chevet d'un malade, et ils n'avaient pas l'air de s'ennuyer...

Mais souvent les gens nous demandent: «Peut-on vous aider?»  La réponse, c'est oui, bien sûr. Mais comment? Ce n'est pas toujours évident. L'argent, certes, aide et aidera à la reconstruction du pays. Mais pour les bras, c'est autre chose. Car imaginez un peu: vous arrivez dans le pays depuis le Canada; premièrement, la chaleur vous surprend; vous fait suer, vous écrase même. Et puis les foules, les masses de gens qu'on ne sait pas si elles sont enragées ou simplement bruyantes. Puis cette langue qu'on croyait si proche du français et dont on n'arrive pas à comprendre un traître mot. Et puis cette souffrance qu'on n'arrive pas à soulager. Ce chaos ingérable, les odeurs, la cacophonie, la moiteur de l'air, et toujours, toujours ces gens qui grouillent comme des mouches autour de vous-savez-quoi. Et l'odeur de ça aussi... Bref, on en vient à se demander si les volontaires ne sont pas trop nombreux... Car il faut les occuper, ces braves gens, leur donner une tâche, comme on donne un os à un chien affamé; mais une fois l'os rongé, le chien a toujours faim et il en veut encore! Ainsi en est-il de notre volontaire: sa soif de sauver le peuple haïtien est inextinguible. Épuisé, il veut en faire encore. Au point où, des fois, on se demande si le volontaire, venu pour participer à la solution, ne devient pas par son zèle une partie du problème... Car le problème, les amis, vous l'avez deviné, c'est la COORDINATION. Faire marcher les deux pieds en alternance, pas en même temps; faire pousser tout le monde dans le même sens ou tirer dans le même sens si vous aimez mieux. Mais faire en sorte que l'action soit concertée, effective à défaut d'être efficace à 100%. Je vous cite un joli petit proverbe haïtien sur la chose: «Chen gen kat pye, men li ka mache nan yon sèl chemen.» Alors? Ça y est? Vous avez compris? Non? Vous donnez votre langue au chat? Bon d'accord. En français donc: "Un chien a quatre pattes, mais il ne peut marcher que dans une seul chemin". La coordination, les amis, c'est ça.

Certes, vous allez me dire: «Mais ça ne vaut pas pour les médecins, quand même...» Eh bien au risque de vous surprendre, je vous dirai que oui, ça vaut aussi pour les médecins. Ainsi hier, débarque un neurologue. Wow. Les neurologues ici ne courent pas les rues. Mais soyons francs: avons-nous vraiment besoin d'un neurologue? Je vous le donne en mille: NON. Si bien que ce gentil monsieur s'est occupé à panser des blessures légères, un travail que toute bonne infirmière peut faire les doigts dans le nez (bien que ce ne soit pas souhaitable, mais bon, vous me comprenez). Et ce n'est là qu'un exemple. Alors je vous en prie, ne m'en voulez pas trop de ne pas requérir une aide humanitaire qui ne demande qu'à aider, soit, mais qui s'occupe peu du comment. À l'heure actuelle, l'aide humanitaire est là, mais se pile sur les pieds...

Donc, je vous suggère cet article (voir URL ci-dessus) de la Presse. Intéressant et en plein sur le bobo. Et parlant de bobo, je vous dis qu'on en a plein la vue, ces jours-ci, et la photo n'en est qu'un petit échantillon...