jeudi 31 janvier 2013

Elle est bien bonne!


Aujourd’hui, dernier jour de ce long mois (après tout, il a 31 jours, n’est-ce pas), je voulais vous pondre un petit quelque chose. Mais j’étais en panne d’inspiration et j’avais décidé, en bon «procrastinateur» de remettre ça à demain ou un autre jour, en tout cas, pas aujourd’hui. Or, voilà que je tombe sur ce petit article qui m’a fait sourire et a suscité mon envie de vous le commenter. Parce que, quoi qu’en dise le vénérable monsieur Laferrière, les Haïtiens ne pratiquent pas l’humour, en tout cas, pas systématiquement. Et pourtant, Dieu sait qu’ils aiment rire!...

Chaque jour que nous vivons en ce pays, nous le vivons parmi le peuple. Nos employés sont des gens ordinaires, d’un niveau d’éducation variable mais toujours bien éduqués et vous comprenez que je parle ici des deux sens du mot éducation. Polis, réservés, ils se garderaient bien de faire de l’ironie de mauvais goût sur le dos d’une personne. Mais rire de l’autre en sa présence, ça oui, c’est permis et tout le monde s’en tape les cuisses, y compris le dindon de la farce. Certains se prêtent mieux que d’autres au jeu et tout le monde le sait. Remarquez que je dis «certains» — pas «certaines» car cela ne concerne pas les dames, pour qui les messieurs ont toujours un respect très gentleman. On fait des blagues donc, mais ce sont des blagues légères, simples et sans objet. Et on en rit de toutes ses dents. Et ça s’arrête là.

Ça s’arrête là parce que, au second niveau, là où la blague serait tendancieuse et se rapprocherait de la critique voilée, on redevient tout ce qu’il y a de sérieux. Il n’y a qu’à écouter ces animateurs de radio faire le procès de tel ou tel délégué politique, ministre ou même le président lui-même pour se rendre compte qu’il n’y a pas d’humour dans leur intention de communication, même si, pour moi, ces animateurs sont souvent drôles justement par leurs propos marqués par une émotion exagérée, tout à fait dans le style d’un humoriste. Mais pour ceux et celles qui les écoutent, le message n’est pas drôle : il est critique et informatif. Ainsi en est-il de tous ces pasteurs, "preachers" devrais-je dire, qui se prennent pour Billy Graham et qui, enflammés par leur vertu, servent des discours qui sont tellement excessifs qu’ils en deviennent drôles — pour nous du moins, car encore une fois, pour le peuple, le message est indéniablement sérieux et personne n’oserait en rire. Alors je ne sais pas, mais avant qu’un Louis-José Houde ou un Martin Matte puissent faire craquer ces gens, je pense qu’il coulera encore pas mal d’eau sous les ponts du monde…

Les Haïtiens peuvent-ils développer des techniques permettant de faire de l’humour un succès? Sans doute. Mais avant, il faudra que les formateurs s’imprègnent de la vision haïtienne, qu’ils voient ce qui accroche les Haïtiens et ce qui les fait vraiment décrocher. Et la limite, surtout, la limite… Car oui, il y a ici des sujets qui ne se prêtent pas à l’humour, si bon enfant soit-il. Ainsi, je vois mal un humoriste qui se mettrait à se moquer de Dieu dans un spectacle… Pensez au délicieux film «Le sens de l’humour» d'Émile Gaudreault et vous comprendrez que rien n’est acquis d’avance dans ce domaine et alors qu’on croit avoir trouvé un bon gag, il peut souvent tomber à plat quand le terrain n’est pas propice, voire se retourner contre son auteur...

En tout cas, je me contente pour ma part de mes bonnes grosses blagues simplettes, un peu épaisses mais tout à fait compréhensibles et… drôles sans arrière-pensées!

mardi 29 janvier 2013

Un silence rare


Je vous ai parlé à quelques reprises de certains aspects de notre vie quotidienne en ce pays qui n’est jamais de tout repos. Trop peuplé, trop peu structuré, le pays va comme je te pousse et la seule façon d’y vivre confortables, c’est de composer avec cette absence de structures, de «faire avec», comme on dit couramment. Les irritants courants — les rues encombrées, les égouts en plein air, les chantiers improvisés, les manifestations spontanées et bien d’autres — deviennent ainsi un terrain familier et on se surprend à ne plus se surprendre de rien. Ainsi, au cours de la fin de semaine dernière, en cette époque où les groupes musicaux se pratiquent pour le carnaval, on s’attendait à des décibels approchant le seuil de la douleur et franchement, nos attentes n’ont pas été trompées : samedi soir surtout, un DJ dont seuls les Haïtiens ont la recette, semble-t-il, a tenu ses fans en haleine pendant six heures d’affilées, ne mettant un terme à ses hurlements qu’à deux heures du matin, seul moment où nous avons enfin pu penser à dormir. Dimanche, ce fut surtout pendant le jour. Mais là encore, le niveau sonore était délirant. Nous savons que nous n’avons pas le choix, alors nous en prenons notre parti…

Or, la nuit dernière, je me réveille tout à coup. Le temps que j’ouvre timidement les yeux, mon cerveau embrumé se présente au rapport : rien à signaler. Le silence est absolu. Pas un seul bruit ne se fait entendre : pas de moteur, pas de musique, pas de klaxon, pas même de coqs qui ne savent pas l’heure ou de chiens qui signalent leur territoire. Rien. Seuls les grillons et mes acouphènes… Et je me suis aperçu que c’était sans aucun doute ce silence exceptionnel qui m’avait sorti du sommeil… Sinon, quoi d’autre? Mais je ne vous dis pas le pire : l’air que j’ai en tête (j’ai TOUJOURS un air en tête qui peut aller du second mouvement de la 5e de Beethoven jusqu’à Le Frigidaire de Tex Lecor et je ne choisis pas toujours), l'air que j'ai en tête donc, c’est «Petit Papa Noël», (ici, clin d’œil à Karine et à son vicomte), version Tino Rossi… Avouez qu’il est dur de faire pire, surtout à la fin de janvier… Finalement, je réussirai à remplacer cet air par l’excellent Boulevard of Broken Dreams, si langoureusement interprété par Diana Krall (je parle de sa première version, bien entendu). Le silence donc. Un silence auquel Haïti ne nous a pas habitués et qui, pourtant, devrait aller de soi dans ce pays où les gens se couchent tôt et la vie nocturne — les jours de fête mis à part — est inexistante. Mais pour je ne sais quelle raison, ce silence est rare et presque anormal.

Toujours est-il que j’écoutais ce silence, car oui, le silence n’est pas qu’une absence, vous le savez si vous l’expérimentez de temps à autre, mais c’est aussi une présence qui, sans être audible — puisque c’est le silence! — se sent, se capte, se saisit. Je pense qu’on appréhende le silence comme on appréhende la peur : en s’y frottant. Mais encore faut-il que les conditions s’y prêtent — notre habitat nordique est difficile à battre sous ce chapitre — et ici en Haïti, je le répète, c’est un phénomène rare. Écoutant le silence, donc, je me suis trouvé tout à fait éveillé et bien convaincu que le sommeil ne reviendrait pas me visiter cette nuit-là. Mais tout à coup, le frigo est reparti, puis des chiens ont recommencé à se plaindre en leur langage, des coqs ont jugé, à tort, il va sans dire, que l’heure était venue de se faire entendre, quelques chèvres ont bêlé timidement — à moins que ce ne soit les moutons de l’un de nos gardiens — et cette présence sonore a suffi à me retremper dans notre monde nocturne habituel si bien que, à mon étonnement, je me suis rendormi…

Au matin, frais et bien disposé, je me suis levé et me suis dit que je devais vous livrer ces impressions... Comme quoi nous ne sommes pas toujours pris dans les drames sociopolitiques!

vendredi 25 janvier 2013

Des orphelinats pour des non-orphelins


Je vous vois lire ce titre, 80% des enfants dans les orphelinats ne sont pas orphelins, et je vois vos sourcils se hausser d’indignation. Voilà, vous dites-vous, un autre exemple de ces magouilles dont les Haïtiens sont férus et dont le pays s’est fait une spécialité. Mais vous aurez tort. Je vous ai déjà dit qu’il fallait «chausser les mocassins de l’Indien avant de le juger» (F. Leclerc). Ici, pour comprendre le phénomène de l’orphelinat et des orphelins, il faut comprendre un peu comment la famille fonctionne.

D’emblée, je vous le dis : elle ne fonctionne pas différemment de n’importe quelle autre famille occidentale : il y a le papa, il y a la maman et il y a les rejetons, en quantité variable. Le papa et la maman font leur possible pour s’occuper de leurs petits adéquatement, même si ce n’est pas toujours facile. Jusque là, ça va. C’est lorsque cette tâche devient impossible que rien ne va plus. Or, cela se produit plus souvent qu’on pourrait le croire, car en Haïti, les parents ne bénéficient d’aucune aide gouvernementale capable de soulager un tant soit peu la lourde charge financière de pourvoir aux besoins de ces enfants. La nourriture, les frais scolaires, les frais médicaux et le reste coûtent la peau des fesses et la plupart des familles doivent faire des pirouettes incroyables pour arriver à subvenir aux besoins de leurs enfants. Si l’un des membres supports tombe, c’est tout l’édifice familial qui est menacé. Si bien qu’il ne reste souvent PAS d’autre option que celle de se débarrasser de ses enfants. Notez bien que j’ai mis la négation en lettres majuscules parce que l’alternative, une fois simplifiée, revient à : ou bien on place les enfants ailleurs et on augmente leurs chances de survie — et attention, je parle ici de survie, comprenons-nous bien —, ou bien on les regarde dépérir, parfois périr, en famille. Triste alternative s'il en est une, mais pas moins vraie pour autant. Alors? Si vous étiez dans cette situation, vous feriez quoi vous autres?

J’en vois déjà, des parangons de rectitude qui diront, parlant des Haïtiens : «Ils ont rien qu’à ne pas faire tant d’enfants…» Beau raisonnement. L’eugénisme, ça commence comme ça… Trop d’enfants, trop de vieillards qui encombrent le système de santé, trop de maladies héréditaires, trop d’homosexuels, trop d’alcooliques et quoi encore! Je suis l’un des premiers à dire que la croissance démographique à l’échelle planétaire constitue déjà — et encore davantage dans un futur pas loin — le plus gros problème de survie de notre espèce. Mais en même temps, c’est la nature même de l’espèce humaine de se reproduire, n’est-ce pas? Si bien que les enfants, ce n’est pas demain la veille qu’ils cesseront d’apparaître, à moins d’une anomalie universelle qui empêcherait la procréation, un peu comme dans le film "Children of Men" (pas récent, mais que je vous suggère pour sa qualité)… Et les enfants, une fois qu’ils sont là, ben il faut «faire avec», n'est-ce pas, et c'est précisément là que le bât blesse la structure familiale haïtienne. Car il faut un minimum de moyens pour assumer cette charge et parfois, souvent même, ce minimum n'est simplement pas là.

C'est pour ça que je ne juge pas et je ne veux pas juger. Pour moi, tous les moyens sont bons, tant qu’ils offrent à l’enfant une chance de vivre son enfance et de devenir un adulte équilibré. La famille naturelle d’abord, bien sûr, mais aussi la famille élargie, la famille adoptive, la famille d’accueil, la crèche ou l’orphelinat s’il le faut. En autant que l’enfant ne soit pas dans la rue… Vous souvenez-vous, vous les plus vieux, qu'au Québec, on envoyait jadis les enfants au pensionnat, surtout quand ils étaient tumultueux? Et dans certains cas, je pense que les enfants n'y étaient guère mieux que s'ils avaient été dans un orphelinat... Mais c'était pour leur bien...

Eh bien les parents haïtiens aussi placent leurs enfants pour leur bien, en fait, pour qu'ils puissent simplement survivre; non parce qu'ils sont affreusement cruels... Et l'UNICEF aura beau faire de beaux discours, comme la citation ci-dessous, cette triste réalité ne changera pas demain...
«Pour sa part, L'UNICEF prône avant tout, la désinstitutionnalisation des enfants et la réunification familiale, ainsi qu'une approche multi-sectorielle, comprenant le secteur socio-économique, la justice, la santé reproductive et l'éducation, pour lutter contre ce problème.»
Et un petit chausson pour tous les enfants de la terre avec ça!

mercredi 23 janvier 2013

Les misérables


Une fois de plus, je ne vous livre pas ce que j’avais préparé hier et qu’il ne me restait qu’à fignoler aujourd’hui — car oui, je vous fignole mes écrits, histoire de les rendre à peu près lisibles… Car en lisant ce lien ce matin — merci Karine! —, j’ai eu comme un haut le cœur, comme une poussée de bile que j’ai réussi à ravaler de justesse. Mais d’abord, je vous en prie, lisez le texte de ce journaliste. Lisez-le jusqu’au bout. Et dites-moi sérieusement maintenant que vous êtes d’accord avec l’auteur, d’accord avec les excuses qu’il nous sert bien platement, d’accord avec le fatalisme qu’il évoque. Car moi, je ne le suis pas. Pas du tout.

Vivre en Haïti nous met parfois en contact avec des scènes semblables de grande misère, où des vieillards ou des enfants sont abandonnés à leur sort sans que personne n’y fasse rien. J’ai vu des vieux croupir dans leur merde — et non, ce n’est pas une figure de style; j’ai vu des bébés naissants abandonnés sur le pas d’une porte; j’ai vu des gens ramper parce qu’incapables de se tenir sur leurs jambes, bref on voit des choses qu’on assume typiques de cette dure réalité haïtienne, des choses qu’on assume impossibles dans nos pays développés. Or, cette «chose» s’est vraisemblablement produite au Québec et je ne sais si le gars qui la raconte veut qu’on l’excuse ou s’il est simplement trop stupide pour se rendre compte de l’étendue de son crime. Car oui, pour moi, c’est un crime, aucun doute : un crime de non-assistance à une personne en détresse. Car enfin, ne me dites pas qu’avec les froids qui attaquent le Québec présentement qu’il n’y a pas péril à rester dehors sans protection. Ne me dites pas que les Québécois ne savent pas que le froid tue. Ne me dites pas que les Québécois ne savent pas l’inconfort de geler, de sentir le froid se répandre partout, d’abord aux extrémités, puis au cœur même de la machine humaine. Nous connaissons tous et toutes cette sensation désagréable qui menace notre intégrité physique : le froid. Et par simple empathie, on ne peut pas ne pas imaginer ce qu’une personne peu ou pas habillée peut ressentir quand le froid est intense. Par simple empathie. Si le type avait été un Haïtien frais débarqué au pays du frette, j’aurais dit : passe encore. Mais nous sommes en présence de Québécois qui connaissent la dure réalité climatique du pays, l’un ayant besoin de l’aide de l’autre et l’autre qui, sans même dire un mot, la lui refuse. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, il y a quelque chose qui cloche là-dedans. Surtout quand le type invoque la police et les possibles représailles pour justifier son comportement! Là, franchement, faut le faire! Le proverbe le dit bien : «Quand on veut battre son chien, on dit qu’il a la rage» : on peut toujours trouver des justifications à l’odieux, même si elles sont boiteuses. Mais pour moi, ça n’a aucun sens et ça ne fait qu’illustrer amèrement ce qu’on veut dire quand on parle du syndrome du «pas dans ma cour». Bref, je suis choqué, au cas où vous ne l’auriez pas deviné…

Certains, certaines diront que la fille n’a pas d’affaire là, dans un quartier résidentiel, à poireauter sur un coin de rue où, de toute manière, personne ne répond à ses offres. Je dis quant à moi que cela importe peu et qu'avancer un tel argument n’est qu’une autre façon de justifier l’apathie. Le point pour moi c’est : la fille souffre, elle a froid et l’on peut sinon résoudre, à tout le moins soulager son mal. Et pour cette raison seule, on doit le faire, sans égard à son statut social, son apparence ou son histoire.

C’est incidemment ce que nous faisons beaucoup en nos murs. Les gestes médicaux posés sur des patients à un stade avancé de la maladie sont toujours ridiculement vains. Mais ce sont des petits gestes qui soulagent néanmoins et qui redonnent un espoir qui, pour être parfois irréaliste, n’en est pas moins réconfortant. Tout vaut mieux que l’indifférence.

Mais consolons-nous : le monsieur a «eu le cœur gros». Tout espoir n'est pas perdu : c'est un sensible...

samedi 19 janvier 2013

Semaine tranquille


Vais-je vous parler encore de l’aide canadienne en Haïti, si vertement critiquée et dont vous n’avez, somme toute rien à cirer? Vais-je plutôt vous entretenir une fois de plus de l’insécurité chronique au pays? Vais-je bifurquer et mettre mon grain de sel dans les confessions d’un Lance Armstrong qui n’est, en bout de ligne, qu’un grain de sable sur la plage du sport professionnel? Rien de tout cela. Aujourd’hui, je vous parle de rien.

Rien, c’est l’insouciance, c’est les choses qui se déroulent à leur vitesse de croisière, sans accélération ni décélération brusques. Ainsi fut la semaine. Et qui s’en plaindrait? Au pays, tout va comme d’habitude, le carnaval du mois prochain fait les manchettes (Cap Haïtien serait bien moins préparé que ne l’était Les Cayes, dit-on), on parle aussi des élections partielles prévues pour bientôt et, bien entendu, il y a toujours les scandales habituels. Bref, rien pour s’exciter. Je prends tout de même pour une bonne nouvelle ce fait divers rapporté où l’on apprend que des petits voleurs se sont fait lyncher par la population locale pour avoir tenté de faire main basse sur un bureau de change — exactement comme ça s’est passé ici aux Cayes où il y a eu mort d’homme. Mais là, ça n’a pas passé. Je vous donne le texte de l’article, puisqu’il est court :
« Deux individus qui tentaient de cambrioler une maison de transfert d'argent et d'échange des devises jeudi à Delmas 83 [Port-au-Prince] ont été lynchés par les habitants de la zone, a appris Haïti Press Network de la Direction Départementale de l’Ouest de la Police Nationale d’Haïti (DDO-PNH).
L'arme qui était en leur possession, un pistolet de calibre 9mm, serait la propriété de la PNH et a été récupérée par la police du sous commissariat de la zone.
Dans le cadre de l'enquête ouverte autour de ces deux incidents, la Section Départementale de la Police Judiciaire (SDPJ/OUEST) a déjà entendu et retenu l'élément policier au nom duquel cette arme avait été dotée, lequel, faut-il le signaler, a eu la maladresse de venir la réclamer peu après l'incident. »
Maintenant, dites-moi que vous n’avez pas ri en lisant la dernière phrase. Le policier propriétaire de l’arme est allé tout bonnement la réclamer au commissariat qui l’avait saisie! Front de bœuf ou stupidité insolente? Je penche pour la seconde option. Quelquefois, je vous le dis sans rire, la façon de raisonner de gens que l’on connaît et qui ne sont pas bêtes, loin de là, reste un mystère total pour nous. Simplement parce qu’elle est contraire à la logique. À notre logique. Car il y a — je le sais maintenant — une autre logique, une logique haïtienne qui s’appuie sur des bases différentes et à laquelle nous, étrangers, sommes… étrangers.

Et le plus drôle, je vous le donne en mille, c’est que parfois, ça donne des résultats surprenants… (Malheureusement, je n’ai pas d’exemple sous la main, mais vous pouvez me croire sur parole car je ne m’appelle pas Lance, moi…)

Mais le clou de la journée, c’est ce titre, ô combien alarmiste : «Un Canadien poignardé en République Dominicaine». Imaginez maintenant si ce fait divers banal et sans sens s’était passé en Haïti… Imaginez tout le tintouin que la nouvelle aurait fait… Suffisamment pour que Air Transat annule ses forfaits vacances au pays, suffisamment sans doute pour froisser solidement les rapports diplomatiques Haïti-Canada... En République Dominicaine, ce n’est qu’un incident. Regrettable, soit, mais banal. On a bien tenté d’en faire un événement choquant (notez le nom de l'un des auteurs du texte), mais bon, quand y’a rien à dire, y’a rien à dire, n’est-ce pas...

En tout cas, une petite semaine tranquille reste une petite semaine tranquille qu’on apprécie à sa pleine valeur. Car ici, on ne sait jamais : le calme, parfois, précède la tempête…

lundi 14 janvier 2013

La reconstruction (encore!)


Le troisième anniversaire du tremblement de terre du 12 janvier 2010 a donné aux médias un excellent prétexte pour y aller de leurs commentaires concernant la reconstruction d’Haïti. De Port-au-Prince en fait, puisque c’est là qu’aboutissent tous les journalistes et journaleux. Leurs constats, s’appuyant sur un rapide tour de la ville ou l’interview de quelques passants, comme l’a fait la petite Gabrielle, sont forcément partiaux et partiels. Et sévères. Les photos de la Presse nous montrent encore le visage d’une ville toujours en guerre, mais qui n’est pas vraiment différente de ce à quoi elle ressemblait AVANT le séisme, il faut quand même bien le dire… Mais la misère se vend toujours bien, semble-t-il…

Cependant, ce n’est pas la vérité. La vérité, c’est que, compte tenu de la complexité politique du pays, le travail de reconstruction a étonnamment avancé depuis deux ans. Car oui, il y a eu piétinement au début, surtout à cause des débris qui encombraient la ville et qui rendaient le travail impossible. Mais ça s’est placé. Et maintenant, les camps de réfugiés se vident peu à peu, l’aéroport est reconstruit et ressemble à un aéroport international, des gros hôtels ont vu le jour (photo ci-dessus) et on améliore les routes nationales. Hier encore, alors que nous étions sur la route pour la plage, nous avons pu constater qu’un gros travail se faisait pour améliorer les accotements et les rendre plus sécuritaires. Ça n’a rien à voir avec le tremblement de terre, mais c’est une amélioration notable et efficace. Comme on dit par ici, c'est quelque chose. En un mot comme en mille, les journalistes voient ce qu’ils ne connaissent pas, la misère, et la jugent comme s’ils la connaissaient : inacceptable. Mais pour ceux, pour celles dont c’est le petit pain, elle se vit au jour le jour et s'accepte faute d'autre choix. C'est pourquoi les petites améliorations, invisibles pour les étrangers, sont toujours notées et appréciées des habitants.

Cela dit, le travail global reste titanesque, il ne faut pas se le cacher. Et soumis à des contraintes physiques non négligeables, il faut bien le dire aussi. Pensez-y un peu : Port-au-Prince est sise sur le bord de la mer (oui, c’est vraiment un port), appuyé à d’imposantes montagnes. Pas les Alpes ou les Rocheuses, mais pas les monts Notre-Dame non plus… Si bien que les possibilités d’expansion de la ville sont vraiment géographiquement limitées. C’est déjà là un obstacle logistique majeur. Mais le vrai problème, ce sont les trois millions et plus de gens qui y vivent. Trois millions dans une ville conçue au départ pour entre cent et deux cents mille personnes (j'ai lu ça quelque part, mais je ne trouve plus où, désolé) nous donne une idée plus juste du défi à relever pour en faire une capitale moderne. La circulation automobile (à l’heure actuelle, un vrai cauchemar), les égouts, les eaux de ruissellement (qui deviennent de véritables torrents quand il pleut), les ordures publiques…tout concourt à faire de la ville une véritable jungle urbaine. Et pourtant, comparée à ce qu’elle était après le séisme de 2010, la capitale s’est sensiblement améliorée au cours des dernières années, je le redis. Mais pas assez du goût des journalistes ou de celui du ministre Fantino, semble-t-il…

En passant et en changeant un peu le sujet, vous ne trouvez pas drôle la nouvelle de la Presse qui dit que «Ottawa subventionne de plus en plus généreusement les ONG religieuses»? Moi si. Parce que n’en déplaise à M. Fantino, ces ONG foisonnent en Haïti…

Comme quoi rien ne change. Comme toujours, l’anniversaire du séisme est aussi l’occasion pour les médias de remettre Haïti sur la page médiatique, quitte à en dire des bêtises…

Mais en est-on vraiment à quelques bêtises près?

vendredi 11 janvier 2013

Le froid de l'aide sur la glace


Là, ça commence à faire. Pas moins de neuf articles, sur La Presse seulement, qui traitent de l’aide canadienne en Haïti et qui, pour la plupart, s’offusquent des propos du ministre de la coopération internationale. Admettons que le monsieur n’a pas mis de gants blancs. Admettons qu’il n’a pas été politiquement correct. Soit. Mais entre vous et moi, cela change-t-il quoi que ce soit au constat qu’il a fait et que des experts ont fait à sa place? Je vous ai dit, dans mon avant-dernier texte, qu’à la lumière de l’article de fond tiré de Haiti Libre (et qui date déjà de deux ans, ne l’oublions pas), il y avait lieu de se poser des questions. Lorsque le ministre déclare que le Canada «n’est pas une œuvre de charité», je pense qu’il dit vrai. On aura beau crier haro sur le baudet, pour moi, le pays (je parle d’Haïti) est simplement trop habitué aux organismes de charité dont la mission est toujours fortement teintée de pitié. Je vous l’ai déjà dit : les "bleeding hearts" ne manquent pas en Haïti et souvent, leur contribution prend véritablement la forme d'un chèque en blanc: les résultats, c'est secondaire; ce qui compte, c'est le geste. Vous trouvez ça correct, vous autres? Eh bien pas moi. Car vous m’excuserez, mais l’aide internationale me semble plus complexe que cela et il me paraît normal, dans les circonstances, d’exiger des comptes. Lorsqu’un pays est dans l’embarras et qu’il demande à son voisin de lui donner un coup de main pour s’en sortir, il me semble qu’il est normal et tout à fait acceptable que ce soit le prêteur qui définisse les conditions du prêt ou le bailleur de fonds les conditions du projet.

Mis à part le côté pataud de la sortie du ministre donc, je ne vois rien de répréhensible dans sa volonté de mettre les projets sur la glace en attendant de voir où tout ce beau monde s’en va. Mais Haïti est tellement habitué à se faire prendre en pitié qu’il ne voit pas que la volonté de vouloir traiter Haïti comme un partenaire, débiteur soit, mais partenaire tout de même vaut certainement mieux que celle des "bleeding hearts". Ou de celle, très condescendante, des Nations Unies qui ont ouvertement décrié les propos du ministre Fantino et qui, pourtant, maintiennent contre la volonté haïtienne, la présence des casques bleus depuis nombre d’années déjà...

Je vous donne encore cet extrait de l’article de Haiti Libre cité précédemment: «Les Haïtiens […] nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. […] Si les Haïtiens nous considèrent seulement par l’argent que nous apportons, c’est parce que nous nous sommes présentés comme cela.» Que c’est bien dit, les amis... Et tellement vrai! Or, voilà que tout à coup quelqu’un se lève et annonce : «Nous ne sommes pas une œuvre de charité.» Holà! Quels propos scandaleux! Un pourvoyeur d’argent ose nous demander des comptes? Mais qu’est-ce que c’est que ça? Eh bien pour moi, ce n’est que la logique comptable, la même qui s’applique à notre modeste tâche ici à l'hôpital et qui nous impose de balancer nos comptes chaque mois. Et franchement, je pense que c’est tout à fait raisonnable, même si c'est rasant.

Alors je vous en prie, distinguons bien l’opportunisme politique du fond de l’affaire : l’imputabilité d’Haïti. Et là, je pense qu’il y a lieu d’être rationnel, logique, technique car les passions n’ont rien à voir là-dedans.

Cela dit, je suis prêt à vous parier mes bermudas fleuris — mes préférés — que la glace sur laquelle sont déposés les projets de l’ACDI va fondre à une vitesse surprenante malgré les rigueurs de l’hiver nordique... Qu'est-ce que vous pariez?

mardi 8 janvier 2013

Haïti, un pays à éviter?


Haïti proteste. Haïti clame bien haut son innocence. Haïti dénonce le classement paru à la fin de décembre sur le site Yahoo.fr. voyage et qui place Haïti parmi les dix pays à éviter en 2013. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un tollé d’indignation. Tout à fait justifié dans les circonstances, je le dis en toute simplicité. En fait, j’ai vérifié sur plusieurs autres sites du même genre (les pires pays à visiter) et en aucun autre endroit n’ai-je rencontré cette odieuse désignation du pays. Je suis donc d’accord pour dire que certains y sont allés un peu fort en mettant Haïti au même rang que l’Irak, l’Afghanistan ou la Syrie… Alors remettons les pendules à l'heure : Haïti n'est pas un pays à éviter. Pas du tout.

Pour le prouver, le gouvernement s’appuie sur des chiffres qui classent Haïti parmi les pays antillais où la criminalité est la moins élevée. C'est là que je tique. Car, je le redis : ces chiffres ne disent pas tout. La situation au pays n’est ni pire ni meilleure qu’elle l’était auparavant, mais elle n’est pas pour autant paisible et insouciante. Juste pour vous en donner un petit exemple, je tombe ce matin sur ce petit article tiré de Haiti Press Network (HPN), que je cite intégralement pour ne pas que vous ayez à faire l’effort de le rechercher sur le Web.
«De nouvelles fusillades ont éclaté lundi soir dans le quartier de Bel-Air, centre de Port-au-Prince apparemment entre groupes armés qui s'affrontent depuis plusieurs semaines semant la panique au sein de la population, a appris Haiti Press Network. Des tirs nourris à l'arme automatique ont été entendus dans le quartier forçant les membres de la population à s'enfermer dans leurs maisons. "Nous avons abandonné la rue des 6H00 du soir. Il y a des tirs à l'arme lourde partout; les commerces sont fermés. Rien ne fonctionne", a témoigné par téléphone un résident contacté par un journaliste de HPN. Selon des habitants du Bel-Air deux groupes armés s'affrontent depuis plusieurs semaines pour le contrôle de la zone alors que la police et la Minustah n'assurent pas régulièrement la sécurité dans le quartier. "Les patrouilles de la PNH sont rares et celles qui sont parfois présentes se retirent des 5H00 PM. La Minustah es pratiquement absente", a indiqué un père de famille.»
Je ne sais pas ce qu’on dirait si une telle situation se passait au centre de Montréal, de Paris ou de New-York, mais je suis convaincu qu’on ne la trouverait pas drôle — et certainement pas normale ou acceptable. Mais en Haïti, c’est notre «normal». Tout comme le sont les manifestations impromptues, ou même les simples «blocus» (bouchons de circulation) qui paralysent la circulation pendant des heures, menaçant de vous faire manquer l'avion, par exemple... Port-au-Prince, je le dis sans mépris ni colère, n’est pas une capitale où il fait bon flâner le nez au vent. Et disant cela, je voudrais bien pourtant que ce soit un endroit invitant, capable de séduire le voyageur qui le découvre pour la première fois. Mais ce n’est pas le cas et je pense qu’il faut avoir le courage d’appeler un chat un chat, même si l’on voudrait qu’il soit autre chose.

Les chiffres fournis concernent la criminalité, concept large s’il en est un. Or, je prétends que les crimes dont on parle en Haïti ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qu’on pourrait rencontrer en Jamaïque ou au Salvador, et c’est ce qui rend les chiffres peu représentatifs du climat d’insécurité qui prévaut dans le pays. Quand on parle d’insécurité, on ne parle pas de criminalité, mais du fait que l’on peut rapidement se retrouver dans une situation potentiellement très dangereuse sans que rien ne la laisse prévoir. Les manifestations, entre autres, ne sont jamais légères en ce pays, et même le secrétaire d’état à la sécurité publique l'a admis publiquement lorsqu'il a annoncé que le pays avait connu pas moins de 363 manifestations violentes en 2012. Et notez bien le mot : violentes. Je pense qu'il y a là quelque chose de préoccupant, pas vous?

Quoi qu'il en soit, cette réalité sociale n'enlève rien au fait que le pays vaut le détour, sans le moindre doute...

vendredi 4 janvier 2013

L'échec de l'aide internationale


Je n’avais pas vraiment l’intention de vous écrire aujourd’hui — après tout je n’ai pas que ça à faire, quoi qu’en disent les mauvaises langues — mais après avoir lu l’article de La Presse, la question du jour de La Presse et cet excellent article de Haiti Libre, je me suis dis que mon grain de sel s’imposait. Car il y a dans tout cela une vérité à laquelle il convient de s’arrêter.

Je commence avec la question du jour : «Le gouvernement Harper a décidé de geler les fonds de l'ACDI destinés aux nouveaux projets d'aide à Haïti. Êtes-vous d'accord?» Eh bien devinez quoi? Une forte majorité de répondants (62%) sont d’accord! J’avoue que cela m’étonne un peu, connaissant la générosité des Canadiens, particulièrement des Québécois à l'égard du peuple haïtien. Et puis ces fonds ont été amassés pour aider Haïti, n’est-ce pas? Alors on peut s’étonner de la décision du gouvernement, sauf lorsqu’on lit la position on ne peut plus nette du ministre de la Coopération internationale : «Le fait est qu'Haïti est toujours en mauvais état. Et on va à côté, en République dominicaine, et les choses vont beaucoup mieux. Allons-nous continuer à faire la même chose de la même manière en Haïti? Je ne pense pas! Parce que nous n'obtenons pas le progrès auquel les Canadiens sont en droit de s'attendre.» Sans doute est-il vrai que le progrès d’Haïti n’est pas à la hauteur des attentes canadiennes, mais comparer Haïti à la République Dominicaine, c’est comme comparer les États-Unis au Mexique. C’est comme comparer des pommes avec des oranges. Mis à part que ce sont deux fruits, leur parenté s’arrête là. Ainsi en est-il d’Haïti et de la République Dominicaine. Cependant, le ministre précise ailleurs : «Nous ne sommes pas une œuvre de charité.» Là je suis tout à fait d'accord. Un pays aidant reste un pays aidant, dont la relation avec le pays aidé doit en bout de ligne s’assortir d’une certaine profitabilité pour le pays aidant.

Mais c’est l’article de Haiti Libre, cette excellente entrevue avec le représentant du Secrétaire Général de l'Organisation des états américains (OEA) Ricardo Seitenfus qui vaut vraiment le détour. L’article date, c’est vrai. Mais n’a pas vieilli d’un poil. Or, je n’avais pas lu à l’époque de sa publication et c’est maintenant que je le découvre. Un vrai petit bijou. Vraiment, je vous le dis, il s’agit là de la meilleure synthèse qu’il m’ait été donné de lire depuis que nous sommes en Haïti, c’est vous dire. Le monsieur parle juste et bien. Sa lecture de l’état de la situation du pays est tout à fait remarquable. Je vous cite quelques petits extraits, ici et là :
On veut faire d’Haïti un pays capitaliste, une plate-forme d’exportation pour le marché américain, c’est absurde. Haïti doit revenir à ce qu’il est, c’est-à-dire un pays essentiellement agricole encore fondamentalement imprégné de droit coutumier.

L’aide d’urgence est efficace. Mais lorsqu’elle devient structurelle, lorsqu’elle se substitue à l’État dans toutes ses missions, on aboutit à une déresponsabilisation collective.

Pour les ONG transnationales, Haïti s’est transformé en un lieu de passage forcé. Je dirais même pire que cela: de formation professionnelle. L’âge des coopérants qui sont arrivés après le séisme est très bas; ils débarquent en Haïti sans aucune expérience. Et Haïti, je peux vous le dire, ne convient pas aux amateurs.

Le pays offre un champ libre à toutes les expériences humanitaires. Il est inacceptable du point de vue moral de considérer Haïti comme un laboratoire.

Haïti est trop complexe pour des gens qui sont pressés; les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps ni n’a le goût de tenter de comprendre ce que je pourrais appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien saisi, qui nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et ils le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement par l’argent que nous apportons, c’est parce que nous nous sommes présentés comme cela.
Deux ans plus tard, rien ne sonne encore plus juste.

Si bien que, vous l’avez compris maintenant, je pense que geler les fonds de l’ACDI destinés à Haïti n’est peut-être pas une si mauvaise idée dans les circonstances…

mercredi 2 janvier 2013

De fausses idées sur l'insécurité?


Pour tout vous dire, j’avais décidé de vous offrir ce texte en guise de clôture à 2012. Mais je trouvais qu’il n’était peut-être pas de mise de vous parler de choses dures et tristes alors que l’heure était aux réjouissances. Comme ma compagne était tout à fait d’accord avec moi, je me suis abstenu. Mais l’article d’aujourd’hui sur Haiti Libre que mon ami Antonio a suggéré sur son mur Facebook, m’incite à y revenir. Car je crois qu’il faut faire la part des choses.

Qu’on veuille dédramatiser l’insécurité chronique du pays est tout à fait normal. Il semble en effet paradoxal de vouloir développer le tourisme tandis que l’insécurité est décriée partout comme endémique. Mais malgré tous les chiffres qu’on nous avance dans l'article, la situation au pays reste, hélas, catastrophique. Je vous en donne un triste exemple, survenu le 25 décembre ici aux Cayes.

En ce jour de paix et d’amour universel, des bandits ont kidnappé un enfant de 8 ans, ont rançonné les parents pour $150,000 US et voyant que ceux-ci ne pouvaient offrir plus de $25,000, ont torturé l’enfant (bras cassés, langue coupée, yeux crevés) avant de le tuer. Je vous dis ça comme ça, rapide parce que c’est tellement horrible que je veux que vous passiez vite. Mais c’est réellement arrivé. Un enfant de 8 ans. Torturé et mis à mort cruellement. Le jour de Noël. Alors je ne sais pas si ces choses arrivent aussi en Jamaïque ou à Trinidad, mais ici, elles sont assez fréquentes, en fait, de plus en plus fréquentes, notamment en ce qui a trait au kidnapping des jeunes enfants.

Récemment (le 28 décembre dernier), le département d'État américain s’adressait ainsi à ses ressortissants:
"U.S. citizens have been victims of violent crime, including murder and kidnapping, predominantly in the Port-au-Prince area. No one is safe from kidnapping, regardless of occupation, nationality, race, gender, or age. In recent months, travelers arriving in Port-au- Prince on flights from the United States were attacked and robbed shortly after departing the airport. At least two U.S. citizens were shot and killed in robbery and kidnapping incidents in 2012."
Tout cela ne signifie rien de bon, vous l’avez compris. Mais c’est la triste réalité, hélas! Alors qu’on s’efforce de redorer le blason haïtien et de minimiser l’impact de cette réelle insécurité en comparant Haïti aux autres pays antillais, je veux bien, mais ne me dites surtout pas que le phénomène n’est pas préoccupant : il l’est. Car comme le message du département américain le dit : personne n’est à l’abri du kidnapping, ni les étrangers que nous sommes (ce qui était pourtant le cas auparavant), ni même les jeunes enfants.

Si bien que je ne peux en tout état de cause, souscrire à l’opinion de l’article d’Haiti Libre, même si j’en comprends la raison d’être. Mais comme je l’ai déjà dit, il y a malheureusement loin de la coupe aux lèvres et malgré le désir de promouvoir le tourisme, il faudra certainement que l’on puisse contenir, voire réduire cette insécurité chronique avant que les touristes s’y frottent car l’effet en serait désastreux.

Je conclus en vous disant ce que je vous ai toujours dit : Haïti n’est pas un pays facile et les défis sont de taille pour que les gens accèdent à ce que l’on considère une qualité de vie acceptable. Et malgré la meilleure volonté du monde, ce n’est pas demain la veille que cela se fera. Mais chaque petit pas vers l’avant reste tout de même un pas dans la bonne direction et je pense qu’il faut s’encourager.

Mais en restant très prudent, tout de même…

mardi 1 janvier 2013

Voeux pour la nouvelle année


L’heure est aux vœux. Qui se résument habituellement à une série de clichés style santé, prospérité et le paradis à la fin de vos jours, et personne ne cherche plus loin. Au moins, quand j’étais aux études, on me souhaitait «du succès dans mes études», ce qui résonnait un tant soit peu plus juste à mon oreille. Mais mis à part les vœux évidents (la santé aux personnes malades, la longévité aux vieux, l’argent aux pauvres et le succès aux études pour les étudiants), les autres sonnaient — et sonnent toujours — creux. Prenez la prospérité, par exemple. Il me semble que c’est un souhait qu’on peut exprimer au gouvernement d’un pays, mais à une personne? Sois prospère et tais-toi? Vous ne trouvez pas que ça tombe un peu à plat, ce souhait? Et la santé, qu’on se souhaite mutuellement sans discrimination? Vous croyez que c’est mieux? Mais qui se soucie de la santé de l’autre, je vous le demande? Reste l’argent, que certains souhaitent à qui veut l’entendre, mais je pense que c’est un souhait hypocrite car personne n’a envie que son voisin devienne subitement plus riche que soi. Alors? Que souhaiter? De retrouver notre «enfant intérieur»? Ce serait déjà mieux…

Car oui, il y a mieux. Il faut juste y penser un peu. C’est ce que j’ai fait et c’est ce que je partage avec vous en ce jour de circonstance.

Mon premier souhait serait que vous apprivoisiez le temps. Car si le temps n’a pas besoin de nous pour exister, nous les humains avons besoin du temps pour vivre; certes, on ne peut ni le ralentir, ni l’accélérer, mais on peut le mettre à profit avec plus ou moins de succès. Apprivoiser le temps c’est ne plus en être victime, c’est, par extension, se familiariser avec la vie. Et c’est là le fond de mon souhait.

Mon deuxième souhait concerne le pilote automatique. Combien parmi vous marchent sur cette fonction? J’admets que le pilote automatique est bien pratique parfois — on n’a pas à penser —, mais il est également dangereux quand il nous enlève tout sens critique et nous fait marcher les yeux fermés sous prétexte qu’on sait où on va. Débranchez le pilote automatique et voyez où vous allez, c’est ce que je vous souhaite.

Dans le même ordre d’idée, je vous souhaite de vous détacher du «faut ben» (« il faut bien que… »). Combien de fois l’entend-on, cette merveilleuse excuse bonne à toutes les sauces (car elle se conjugue également au passé, au futur et au conditionnel)? On aime dire : «Je n’ai pas le choix, il faut bien que… » Certes, nous avons tous des obligations. Mais pas QUE des obligations. Nous avons aussi des options qu’il faut considérer sans se cacher derrière le «faut ben», des options dont nous sommes entièrement responsables; des petits plaisirs aussi qui ne sont nullement des obligations et qui donnent du prix à la vie. Pourquoi passer à côté?

Je vous souhaite également de regarder avec les yeux grand ouverts et d’écouter des deux oreilles. On ne sait pas tout. On ne sait jamais tout. Il y a toujours quelque notion à apprendre, quelque sensation à éprouver, quelque vérité à découvrir, un monde à s'émerveiller. Soyez alertes, soyez curieux, soyez intéressés. Je vous souhaite de retrouver ou de garder votre curiosité d’enfant.

Enfin, je vous souhaite la paix. Pas celle du monde — faut quand même pas rêver — mais celle du cœur, qui est d’un grand confort et d’un non moins grand réconfort. Je vous souhaite de lâcher votre souffle, de desserrer les dents et d’apprécier ce que vous avez, même si ce n’est pas tout à fait ce que vous désirez.

En résumé — et je puis le dire maintenant —, je vous souhaite une bonne année 2013!