mercredi 31 décembre 2008

Hors du pays IV & V


Jour IV—29 décembre (lundi)

Aimez-vous marcher?

Pour découvrir une ville, il le faut. Y’a qu’en marchant qu’on la sent, qu’on l’entend, qu’on la voit et qu’on la touche. Toutes les capitales du monde sont, par définition, des villes importantes. Mais toutes les capitales du monde ont aussi une histoire qui s’étale dans un quartier plus ou moins historique—comprendre : avec plus ou moins de vestiges de l’histoire de la ville. Or, si Santo Domingo est une ville moderne de quelque 3 millions d’habitants, c’est aussi la première colonie espagnole au Nouveau Monde et sa «zone coloniale» est classée patrimoine mondial par l’UNESCO. Et si vous trouvez que je vous épate avec mes connaissances, tapez «Santo Domingo» sur Wiki et vous allez être aussi savant que moi — sans doute plus.

Donc nous sommes partis à la marche avec pour objectif, un centre commercial. Visiter, c’est bien beau, mais il faut aussi penser à consommer un peu, non? Et un centre commercial se prête plutôt bien à cette activité. Mais notre destination était à une «belle tit-distance», comme disent nos amis haïtiens (et nos ennemis aussi, n’en doutez pas). Les ampoules, les sandales glissantes, les pieds en compote… j’y ai goûté. Mais chemin faisant, on muse le nez en l’air. La circulation est dense — nous sommes loin ici de la vieille ville et de sa zone coloniale — les boulevards sont larges et bordés de palmiers, les rues adjacentes sont tout ce qu’il y a de banal et ressemblent à n’importe quelle rue adjacente. Mais d’y voir les gens ordinaires vaquer à leurs occupations ordinaires nous donne le sentiment d’un ailleurs qui nous est étranger. Ici, dans ces rues et ruelles, nous ne sommes plus touristes : nous redevenons ce que les étrangers ont toujours été dans un pays qui n’est pas le leur : des étrangers. Certes nous comprenons — du moins lorsqu’elle est parlée pas trop vite — cette langue si chantante qu’est l’espagnol, mais cela ne suffit pas à nous faire passer pour des «locaux», beaucoup s’en faut. Et pourtant, physiquement, je dirai que vu la diversité du cheptel dominicain, on pourrait faire partie de la population locale. Car ici, à la différence d’Haïti, il y a de tout : des blonds et des blondes (superbes), des noirs — souvent Haïtiens, mais pas toujours, des bronzés et des pas, des qu’on jurerait des Européens et des qu’on jurerait Américains. Une vrai foire! Faut croire que les Espagnols d’origine n’en sont pas restés là… Et que les Indiens et les Indiennes étaient plutôt potables…

Quant à notre centre commercial, ce n’en était pas un «vrai», mais plutôt un «grande surface» genre Wal-Mart. En mieux. Nous avons trouvé tout ce que nous cherchions, et même plus, comme dirait la pub, mais cependant et comme toujours, nous fûmes raisonnables.

Pour le retour à l’hôtel, nous utiliserons les services d’un taxi, car il y a une limite aux prouesses…

Une bonne bière frette avec ça???

Jour V—30 décembre (mardi)

La frustration du centre commercial que nous n’avons pas vu et qui, paraît-il, se compare aisément aux centres nord-américains qu’on connaît nous décide à retourner dans cette direction—mais en taxi cette fois. La balade revient à tout juste $4.00 US, alors c’est dans nos moyens.

Eh bien le centre commercial est, en effet, une copie conforme d’un centre commercial typique, avec ses rangées de boutiques souvent redondantes—ici, ce sont les chaussures qui dominent—ses escaliers roulants et son tape-à-l’œil censé accrocher le consommateur. En fait, c’est tellement bonnet blanc, blanc bonnet qu’après 20 minutes, on a tout vu et on a juste une envie : sortir. Nous irons donc du côté de la zone coloniale qui, si elle concentre les touristes, a au moins le mérite d’être originale. Il y a de vieilles bâtisses, de vieux monuments, une belle architecture et des gens pas pressés, pour qui prendre une bière ou un café s’avère une activité à temps plein. Et le bavardage, bien sûr. Quand je pense que certains, certaines ont tenté de me convertir au «clavardage», comme on dit maintenant! Nenni! Pas du tout! Je sais me servir d’un clavier QWERTY moyennement bien, mais pour bavarder, rien ne vaut la présence humaine. Et assis à un café, à siroter une boisson revitalisante (bière, entre autres), c’est tout à fait propice. En fait, il m’est difficile de me concentrer sur ma compagne tant je suis distrait par les conversations de nos voisins de table. Non pas, encore une fois que nous comprenions tout, mais la qualité des échanges est d’une telle éloquence qu’on n’a pas besoin de comprendre dans les détails. Et la bière, l’ai-je dit, est bonne!

Aujourd’hui, nous aurons un peu de pluie. Oh! Pas assez pour nous empêcher de marcher, mais c’est quand même moins agréable, il faut bien l’admettre. Alors après un dernier tour de la partie piétonnière de la zone coloniale, nous rentrons et commençons déjà à penser au retour, qui s’amorce demain dès potron minet.

Des vacances? Certes. Pas longues, certes. Mais dépaysantes, reposantes, stimulantes, engraissantes, tonifiantes et en bout de ligne, pas trop chères, ce qui n’enlève rien à l’affaire, bien entendu.

Bonne Année tout le monde!

lundi 29 décembre 2008

Hors du pays III


Jour III—28 décembre (dimanche)

Je vous avais prévenu : dimanche, jour du Seigneur attitré, s’inscrit comme jour de farniente dans une suite qui l’est déjà. Je vous laisse imaginer le reste… Surtout quand la piscine de l’hôtel, avec son eau cristalline, scintille sous le soleil ardent. Ne manquent que le livre (je l’ai) et la chaise longue (fournie) pour que le compte soit bon. La farniente peut donc s’exercer sans contrainte, sans heurt, sans tremblement.

Mais le soleil fait rapidement monter la température corporelle, et la piscine semble le remède tout désigné à ce léger inconfort. Hélas! la température de l’eau, elle, n’a rien à voir avec celle de l’air et il faut du courage pour s’y mettre, comme on dit en espagnol (me voy a meter = je vais me baigner, et non «je vais me mettre», comme les tendancieux iront penser, sans doute). Enfin, le courage étant ma seconde nature, j’y parviens. Après quelques ébats nautiques, on se fait sécher comme lézards au soleil, histoire, comme les lézards, de faire remonter la température corporelle—extérieure, je veux dire, les puristes l’auront compris. Et histoire de ne pas souffrir de déshydratation, quoi de mieux qu’un petit rafraîchissement légèrement alcoolisé? Et lorsque la piña colada vous est servie dans un ananas évidé, le plaisir des yeux renforce d’autant celui de l’ingurgiter!

Toujours est-il que c’est ainsi que s’en est allée la journée. Puis vint le temps de manger et de passer quelques heures devant le petit écran, à écouter un vieux film—The Sound of Music, si vous voulez tout savoir. Et si vous voulez tout savoir, je vous dirai que c’est toujours aussi beau et aussi musicalement enlevant. Julie Andrews est magnifique et les enfants sont top. Franchement, pour un film de 1965, c’est vraiment réussi, y’a pas à dire. Voilà ma critique, et gratos à part ça!

Donc nous avons pris du soleil (mais il en reste en masse, faites-vous en pas!), avons passé le temps «tout dou-, tout dou-, tout doucement», comme dans la chanson (Blossom Dearie, pour ceux que ça intéresse). Comme ça, on s’est dit qu’on serait d’attaque pour notre journée du lendemain!

dimanche 28 décembre 2008

Hors du pays II


Jour II—27 décembre (samedi)

La nuit fut, comme prévu, réparatrice. La République fonctionne avec une heure de plus, ce qui signifie qu’il est déjà tard lorsque nous descendons prendre notre petit déjeuner. Et quel petit déjeuner! En fait, on serait mal venu de le qualifier de petit, car il rassemble, sous forme d’un somptueux buffet, tout ce qui se mange ou à peu près : les œufs sous toutes leurs formes, les viandes, froides ou chaudes et les fruits, tropicaux par nature, si je puis dire. Gorgés de café, repus jusqu’au coude, nous sommes prêts à renouer avec la zone coloniale dont nous avons gardé un souvenir plaisant.

La marche est agréable et la vie dominicaine nous change radicalement de ce que nous connaissons dans notre pays d’adoption. Nous retrouvons notre café d’il y a sept ans, le Condé, qui n’a pas changé pour deux sous même si les prix ont engraissé. Mais la bière est toujours aussi fraîche et les serveurs, toujours aussi avenants et professionnels. On muse, on traîne, on fait ce que font les touristes en cette saison, en ces lieux. La dominante linguistique est l’anglais, mais de temps à autre, on entend quand même parler français, allemand, italien, créole et, bien sûr, espagnol. Les Dominicains fument. Souvent le cigare, et pas des imitations : le puro, le vrai, est un véritable bâton de gendarme dont l’odeur puissante n’est pas du tout déplaisante, surtout dehors. Cependant, il faut vraiment du courage pour s’attaquer à pareil morceau! Quant aux autres, ils se contentent de la banale cigarette, mais quelle présence! Le tabac serait-il moins mauvais pour la santé ici? Ou bien est-ce que tout le monde s’en fout? En tout cas, les non-fumeurs qui aiment militer pour leurs droits en auront plein les bras!

Mais la bouffe est bonne et l’ambiance tout à fait européenne, alors de quoi nous plaindrions-nous? Le lunch, copieux et délicieux, s’avère plus qu’il n’en faut pour combler un creux qui n’avait rien de bien profond. Mais les vacances ne sont-elles pas associées à l’action de manger?

Tout à coup, la pluie nous douche. Enfin pas vraiment car nous sommes à couvert, mais pendant un court moment, l’ondée a tout trempé. Heureusement, nous pourrons retourner à l’hôtel sans expérimenter la marche sous une pluie torrentielle, laquelle n’est jamais si romantique qu’on pourrait le croire…

Le reste de l’après-midi, sur le bord de la piscine, se passe sans qu’on le voit et il est bientôt l’heure de la bière, avant que d’aller manger(!) une délicieuse pizza!

Et c’est ainsi que, le ventre plein, nous terminons cette première journée en sol dominicain, sans autre programme que celui de meubler le temps d’une façon spartiate. Et dire que demain, c’est dimanche…

Hors du pays



Eh bien? Vous pensiez bien que j’avais tout laissé tomber, n’est-ce pas? Avouez que l’idée a crû en votre esprit comme de la graine de pissenlit au printemps… Eh bien vous avez eu tort. Certes, je n’ai pas écrit beaucoup en décembre. C’est mon choix plus que n’importe quoi d’autre. Mais aujourd’hui, en vacances—si l’on peut appeler ces quelques jours de farniente «vacances»—je vous reviens et je vous raconte.

Jour I— 26 décembre (vendredi)

Nous avons quitté Les Cayes par l’avion du midi, et après un court vol sans histoire de tout juste 30 minutes, avons atterri à l’aérodrome de Port-au-Prince, d’où nous avons gagné l’aéroport international à pied. Nous avions pensé que, puisque nous ne changions pas de compagnie aérienne, nous n’aurions pas à changer d’aéroport, mais puisque nous quittons le pays, il faut passer par les envolées internationales. Notre marche d’une vingtaine de minutes nous a fait du bien, malgré le soleil de plomb; au moins, elle nous a dégourdis un peu. On attend quelques heures, et enfin, on s’embarque pour pas longtemps : pas même ¾ d’heure! C’est que la distance à vol d’oiseau entre les deux capitales n’est pas tellement grande, et si on prend du temps par la route, c’est justement à cause de la route elle-même!

Comment, vous n’avez pas encore deviné l’autre capitale? Celle de notre destination de vacances? C’est la voisine, bien sûr, Santo Domingo, capitale et métropole de la République Dominicaine.

Le taxi nous emmène en tout confort à l’hôtel Meliá, un palace qui trône face à la mer. Notre chambre, au 11e étage, ne manque pas de chien ni d’espace. Nous nous y plairons, nous le sentons. Ne reste plus qu’à dérouiller notre espagnol—ce que nous avons commencé à faire avec le volubile chauffeur du taxi—et à s’offrir un bon steak, notre repas traditionnel de «Vive les vacances». Morphée nous appelle et ce n’est pas un appel qui nous rend triste. Une journée de voyage, si courte soit-elle, reste toujours une journée fatigante, ne serait-ce qu’à cause des changements qu’elle entraîne. Mais nous sommes faits forts…

L’impression générale en est une d’une réminiscence plaisante : mais comme le temps a passé! Sept ans déjà, depuis notre dernière visite en terre dominicaine qui, pourtant, est si proche d’Haïti! Si proche et pourtant, si loin dans sa culture, ses mœurs et le niveau de vie de ses habitants. Car si la République n’est pas un pays riche, elle n’a tout de même rien de comparable à ce pays tout estropié qu’est Haïti. Ici, les pauvres sont discrets : on ne les voit pas hanter les rues comme c’est le cas chez le voisin. Ici, on peut prétendre que la pauvreté n’est pas là : pas en Haïti. Cela dit, reconnaissons-le, nous ne sommes pas venus pour régler le cas des pauvres, mais plutôt pour s’offrir quelques jours d’un luxe qui, s’il existe en Haïti, n’est quand même pas à la portée de toutes les bourses, et cela inclut la nôtre, hélas! Mais ici, en République, $100 US font long feu et nous procurent une belle valeur de petits délices, dont je vous reparle demain!

mardi 4 novembre 2008

Le retour au travail



Le retour au travail est toujours difficile. C’est du moins ce que l’on dit. Pour nous et si l’on en juge à mon absence sur ce site, on conclura que ce retour fut sans doute éprouvant. Et pourtant, rien n’est plus faux. Le retour en Haïti ressemble davantage à un retour au bercail, là où l’on se sent bien, là où l’on peut respirer à l’aise.

Cela dit, le pain nous attendait sur la planche, pour ainsi dire… Notre remplaçante nous avait remplacés (eh oui!) avec cœur et efficacité, mais il fallait tout de même faire face à la musique habituelle, entre autres boucler les finances du mois précédent, dues depuis longtemps, et préparer la visite du grand chef. Si bien qu’octobre a passé et s’en est allé je ne sais trop où, sans doute au cimetière du temps… En tout cas, nous voici déjà en novembre, avec le mois d’octobre qu’on n’a pas vu et qu’il faut maintenant boucler et les projets d’automne—ou ce qui en tient lieu ici—à démarrer. Le travail, vous dis-je, y’a que ça…

Fin de la récréation québécoise, donc, et retour au boulot. Et pendant ce temps, comment vont les choses au pays exotique? Eh bien, elles vont tout doucement et personne ne s’en plaint. Les ouragans se font plus rares, et même si la saison n’est pas techniquement finie, on peut croire que c’est chose du passé, du moins pour l’année 2008. Les prix des denrées de base ont repris leur ascension fulgurante, que c’en est maintenant carrément inconvenant. Ça fait mal, comme on dit couramment en créole. On sait que cette flambée des prix risque fort de déboucher sur une autre flambée, celle-là bien réelle, de vieux pneus imbibés de gasoil, mais qu’y pouvons-nous? Et pendant ce temps, le peuple lutte, le peuple souffre, le peuple tient bon. Comment font-ils? Je l’ignore. La résignation dont j’ai parlé antérieurement peut-elle expliquer cette attitude? Oui; sans doute explique-t-elle bien des choses, mais pas tout. Il faut également mentionner le courage de vivre, alors même que la vie n’apporte rien en échange. Mais vivre, n’est-ce pas précisément cela? N’est-ce pas cet abandon, cette foi indécrottable que tout n’a pas à être modifié, ajusté aux exigences humaines? Ici en tout cas, il en faut, de la foi, car sans cela, le pays deviendrait vite un volcan aux épanchements de lave chroniques…

Cela dit, côté stabilité, le pays n’est pas le Bouclier canadien pour autant. C’est d’ailleurs là, pour ceux ou celles qui n’auraient pas encore compris où je voulais en venir, l’objet de mon propos d’aujourd’hui. Ça va mal en Haïti, messieurs dames. Les hausses de prix sont tellement énormes que les gens en rient. Et ça je vous le dis, ce n’est pas trop bon signe… Alors on attend. On ne sait pas trop quoi, mais on attend. Je souhaite vraiment me tromper. Je souhaite que le pays remonte tout doucement, sans avoir à traverser une autre tempête de violence sociale. Il me semble qu’une fois la saison des tempêtes passées, on aspire à un certain calme, pas vous? Or, présentement, c’est tellement calme que ce n’en est presque pas haïtien. Ou bien est-ce l’effet des élections américaines?

dimanche 7 septembre 2008

Gustav, Hanna, Ike… et quoi encore!


Les tempêtes tropicales se suivent et se ressemblent, sans être identiques. Certaines forcissent au point de se changer en ouragan (il faut que le vent souffle à au moins 118 km/h pour qu’on commence à parler d’ouragan), certaines s’étiolent faute de souffle. Ce fut le cas, entre autres de JOSEPHINE. Mais ces tempêtes nous rendent la vie difficile et causent parfois des dommages importants. Et, bien sûr, il y a toujours des malheureux qui en meurent. C’est une fatalité. L’État a beau faire des annonces répétées à la radio—même les téléphones cellulaires y vont de leur mises en garde—l’ignorance fait que certains, certaines se font prendre les culottes baissées, si je puis dire. Ici, en Haïti, ce n’est donc pas tant la force de la tempête que l’ignorance et l’état précaire du pays qui sont la source des pertes de vie et des importants dégâts matériels.

En ce sens, j’avoue que je ne suis pas tellement d’accord pour dire que GUSTAV a fait ceci ou que HANNA a causé cela. Dans ce pays, il faut juste une chiquenaude pour que tout s’écroule. Ainsi, quand JEANNE a passé, en 2004, nous étions au pays et ce n’était qu’une simple tempête tropicale qui avait surtout touché l’est de la République Dominicaine. Jusque là, rien de majeur. Mais Haïti est un pays de montagnes. Et lorsqu’il pleut en montagne, l’eau descend vers la mer. Or, Gonaïves était sur la route de cet écoulement, l’eau s’y est donc accumulée, ce qui a causé les inondations et les pertes de vie qui s’en sont suivies. Ce n’est donc pas l’ouragan, mais les inondations et les coulées de boue qui ont été le vrai problème. D’ailleurs, quand on compare les pertes de vie des différents pays où JEANNE a passé, on s’aperçoit que quelque chose cloche : République Dominicaine : 18; Porto Rico : 7; Haïti : plus de 3,000… Ne cherchez pas l’erreur, y’en n’a pas! Simplement, Haïti est trop fragile.

Ainsi en est-il de HANNA : ce n’était qu’une simple tempête, mais elle nous a donné pas mal de pluie et encore une fois, l’eau s’accumule vite, bloque les routes, emporte les ponts et les maisons et menace les gens. C’est une précision qui m’apparaît importante, car jusqu’à présent, nous n’avons pas eu à subir l’assaut d’un véritable cyclone comme ce fut le cas à la Nouvelle-Orléans. Et il faut se croiser les doigts, prier «Jésus, Jéhovah ou Vichnou», comme le chante l’autre, pour que Haïti continue d’être épargnée, car je vous le dis, le jour où un véritable ouragan de force 4 frappera, ce sera l’hécatombe.

Présentement, la seule route qui mène à Port-au-Prince est toujours coupée : un pont a été emporté et le niveau de l’eau est trop élevé pour permettre le passage des voitures à gué. Au nord, d’après ce que j’ai entendu, c’est désastreux : Gonaïves est encore isolée et les inondations y ont été assez fortes, merci. Or, au moment où j’écris ces lignes, IKE passe au nord et il pleut, ce qui n’arrange rien à l’affaire, vous l’aurez compris…

Mais la saison va finir par finir et la vie va reprendre son cours normal ou à peu près, car qu’est-ce que la norme dans ce pays?

mercredi 27 août 2008

L'après GUSTAV


C’en est presque ridicule. Ça le serait si l’enjeu n’était pas catastrophique. Car qui pourrait dire qu’il ou elle est triste que l’ouragan prévu, planifié, «prévisionné» soit passé sans tambour ni trompette, ou presque? Et pourtant, je l’avoue, ma frustration est là.

Non pas d’avoir échappé aux affres de cette catastrophe naturelle—pour ça, on est toujours reconnaissants—comme d’avoir été berné. Par qui, par quoi, l’histoire ne le dit pas. Et ne le dira pas. Mais après avoir compulsé toute la journée durant rapports sur rapports et analyses sur analyses, j’étais persuadé à 95% que nous allions écoper, dans le vrai sens du terme, car on nous annonçait des trombes d’eau—jusqu’à 20 cm dans les montagnes. Centimètres! Je ne fais pas d’erreur : en termes clairs, c’est 8 pouces de flotte, ça mes amis. Or, on n’a rien eu! Rien! Tout au plus une petite averse qui aura seulement servi à calmer les ardeurs des manifestants (car c’était reparti lundi et ils ont remis ça encore hier, mais bon, il me semblait que le cyclone était plus important, n’est-ce pas? Alors je ne vous en ai pas parlé. Ce sera pour une autre fois…). Quant au vent et comme disent les Chinois : «Que dalle!» Pas même un petit souffle qui eût pourtant contribué à abaisser la température corporelle de ma ménopausée! Rien que le calme plat. Et GUSTAV dans tout ça? Un fantôme.

Ça me rappelle quand j’étais petit garçon (car aujourd’hui, à défaut d’être un grand homme ou même un homme grand, je puis au moins dire que je suis devenu un grand garçon), j’écoutais religieusement «Bobino» à la télé. Avec Guy Sanche. Vous vous souvenez? Or il y avait un fantôme qui s’appelait Gustave. Vous me suivez? Je ne vais pas trop vite? Alors j’associe ce Gustave de mon enfance au GUSTAV dont la NOAA, entre autres, nous a fait tout un plat qui n’était rien d’autre qu’un soufflé!

Non mais, comprenez ma frustration : toute la journée, je me suis efforcé de penser à ce qui devait être renforcé, placardé, rangé, mis à l’abri du déluge annoncé et du vent «destroyer». Car un déplacement d’air de 150 km, pensez-y un peu quand vous roulez à cette vitesse dans votre voiture, c’est quand même assez puissant! Mais nenni : pas même un petit souffle! Frustré vous dis-je, et pas sans raison.

Mais qui est à blâmer, qui est à plaindre? Nous n’avons pas souffert, l’hôpital n’a pas souffert, les patients n’ont pas souffert, personne n’a été pris les culottes baissées, en tout cas pas par ici (pas mal tout de même du côté de Jacmel et de Miragôane). Alors de quoi nous plaindrions-nous, je vous le demande? Sauf que, admettons-le ensemble, les Haïtiens avaient raison avec leur Bondye konnen, car les prévisionnistes, une fois de plus, se le sont fourré dans l’œil (je parle du doigt, bien sûr) : l’ouragan a passé, certes, mais n’a pas fait tout le ramdam qu’on croyait. Il a passé tout en douceur, pour repartir de plus belle vers Cuba, puis vers les USA où il va mourir de sa belle mort, non sans en avoir fait baver plus d’un, plus d’une. Morale de l’histoire, peu importe les savantes prévisions de la NOAA, peu importe les images satellites haute définition, peu importe les mises en garde de l’ambassade du Canada, l’issue reste toujours incertaine, aléatoire : Bondye konnen, comme ils disent si bien. Et maintenant, c’est moi qui, avec ma belle intelligence cartésienne, ai l’air un peu niaiseux face à toutes ces bonnes gens qui n’y connaissent rien, mais qui croient que c’est encore le Bon Dieu qui a le gros bout du bâton.

Leçon d’humilité, dites-vous? C’est la seconde, je vous le rappelle, car DEAN m’a fait le même coup l’année dernière à peu près à la même date… À moins que ce soit ça, le problème : la date…
En tout cas, la prochaine fois, faudra au moins un force-4 pour me décider à fermer la porte de bois…

mardi 26 août 2008

GUSTAV


Comme chaque jour, ce matin, le soleil brille de tous ses feux et le ciel est bleu, avec quelques nuages épars. Rien ne laisse présager que les éléments vont se déchaîner bientôt et nous rendre la vie misérable. Et pourtant, si l’on se fie aux prédictions tout à fait sérieuses de la très sérieuse National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA), l’ouragan GUSTAV frappera nos côtes au cours des prochaines heures. On me dira que ce n’est qu’un petit cyclone—force 1 sur l’échelle Saffir-Simpson qui en compte 5—mais avec des vents soutenus de 150 km et des pointes à 200 km, sans oublier les pluies torrentielles qui l’accompagnent, un petit cyclone reste tout de même potentiellement dommageable, on l’admettra. Surtout dans ce pays…

Mais, reconnaissons-le lucidement, on n’y peut pas grand-chose: comme le répètent les Haïtiens, Bondye konnen. On s’en remet donc à la grâce de Dieu, puisque c’est tout ce qu’on peut faire, à part fermer les fenêtres et ranger ce qui peut partir au vent. Faut dire aussi que pour les gens ordinaires, un avertissement, fût-il sérieux et fondé, ne reste qu’un avertissement. L’année dernière, presque à la même époque, nous avions eu une belle peur avec l’ouragan DEAN, dont la course s’était ultimement incurvée vers le sud, épargnant notre côte et tout le pays. Tout au plus avions-nous senti le vent, mais à part quelques bouts de tôle arrachés, les dommages furent minimes et tout le monde a dit : «Bondye bon». Et tout le monde a cru que les médias avaient été inutilement alarmistes, bien entendu. Alors cette fois, on se dit : «bof!...» De toute façon, je le redis, qu’est-ce que ces gens peuvent faire? On ne peut pas fuir, on ne peut pas se barricader, on ne peut pas placarder ses fenêtres avec de belles feuilles de contreplaqué comme ils font aux USA, alors je vous demande, que faire, à part prier? Et prier quand le ciel est bleu, que le soleil brille et qu’il n’y a pas un souffle de vent, ça semble un peu déplacé ou, en tout cas, prématuré, avouons-le… Alors on attend.

Quant à moi, étant d’un naturel plutôt réaliste, je me dis que si la tempête frappe comme prévu, nous allons y goûter sérieusement, cette fois. Je pense que nous aurons des dommages substantiels et que le pays va se retrouver sens dessus dessous. Peut-être allons-nous perdre notre connexion Internet? L’antenne parabolique, sur le toit de l’édifice, me paraît une cible facile, vous ne croyez pas? En tout cas, n’ap swiv, comme on dit…

Je ne vous en dis pas plus long : puisque nous n’en sommes qu’aux suppositions et aux hypothèses, il faut attendre. Et je vous le répète, à cette heure (9h15), le ciel est toujours bleu, strié ici et là de petits stratus qui ne présentent rien de bien inquiétant.

Et si tout cela n’était qu'un canular?

Dernière heure (16h15)! Eh bien il semble que non, ce n'est pas un canular. On y est presque! La photo est toute récente (mais c'est pas moi qui l'ai prise!)...

jeudi 21 août 2008

La rue qui vit


Ici, tout vit. Je vous l’ai sûrement déjà dit. Peut-être pas en ces mots, mais je pense néanmoins que l’idée a dû passer. Tout vit ou plutôt, plus justement, tout fourmille de vie. Ça va des fourmis (spécialement les foumi-fou, une espèce particulièrement active) aux humains, en passant par les plantes, les chiens et les chats, les chèvres et les poules (et les coqs, bien entendu). Et bien que cette vie puisse s’observer de n’importe quel côté, c’est souvent dans la rue qu’on en goûte une belle tranche. Ici, les rues ne servent pas qu’aux déplacements d’un point de la ville à un autre : les rues grouillent. Les voitures, les brouettes, les motos, les charrettes, les vélos, avec dessus, dedans, derrière ou devant, des gens. Des jeunes, des vieux, des pas beaux, des pas gros, des squelettiques, des énormes, des top-modèles (la plupart des Haïtiennes le sont, mais l’ignorent, ce qui ajoute encore à leur style), des intellectuels et, bien sûr, des mendiants de tout acabit. Tout ce beau monde joue du coude, parle à tout le monde, évite de justesse une moto ou une bécane lancée à vive allure, téléphone, achète un «manger-cuit», hèle une moto-taxi qui fait demi-tour sans regarder ni s’inquiéter du reste, sourit, rit à belles dents éclatantes, pognasse des mains sans discontinuer et n’en finit plus de jaser.

La rue tonitrue : les moteurs des voitures, des camions de tout gabarit, des bus surchargés s’entremêlent en un joyeux concert, ponctué de coups de klaxon aussi variés que les couleurs criardes des véhicules. Car ici, je vous l’ai dit, on ne klaxonne pas seulement dans les cas extrêmes, mais pour mille et une raisons, les plus courantes étant les salutations : un coup sec, doublé ou triplé, qui signifie simplement «Hé salut!». Puis il y a aussi les marques de politesse, par exemple, pour dire à quelqu’un qu’il peut passer quand on est arrêté au beau milieu de la chaussée en grande conversation avec un passant. Aussi la politesse quand on veut doubler commande de donner un petit coup de klaxon, auquel le chauffeur de la voiture doublée répondra en doublé. Puis, lorsqu’on passe à sa hauteur, un autre petit coup pour dire «je suis juste à côté, là», auquel l’autre chauffeur répond «bip! bip!», c’est-à-dire «je sais, je te vois», puis un dernier coup, une fois passé, celui-là long et amical et qui signifie «Merci bien!» dont la voiture doublée accuse réception par un tonitruant «Pas de quoi!». Enfin, il y a le coup de klaxon avertisseur, dont le sens est clair pour à peu près tout le monde. À peu près. Du bruit, dites-vous?

Et la musique? Vous l’oubliez, la musique? Elle est pourtant là, à tue-tête, sortant d’énormes baffles installées sur le bord de la rue, pour attirer l’attention des passants qui risquent la surdité s’ils s’arrêtent, mais bon, tout le monde s’en fout…

Enfin, la rue pue. Pas autant qu’à Naples ces temps-ci (d’après ce qu’on en dit), mais assez pour que la chose se remarque. Les égouts et les tas d’immondices s’y côtoient naturellement, surtout aux abords du marché, et malgré les efforts municipaux faits pour ramasser les détritus, leur accumulation reste inévitable : c’est la loi du nombre. Non pas que Les Cayes soit une grande ville, et sous ce chapitre, il faut avouer que nous ne sommes pas à plaindre si l’on se compare à Port-au-Prince. Mais tout de même, là où il y a de la vie, il y a forcément de la pourriture, n’est-ce pas? Mais cette vie vibre, irradie, secoue, colorie l’espace et s’y enracine. Sans cette vie, Haïti ne serait pas Haïti. Évidemment, la vie croît… jusqu’où? Bondye konnen, comme on dit dans le coin…

lundi 18 août 2008

VACANCES!


Le thème mérite-t-il un texte? A priori non, car elles ne se passeront pas sous cette latitude et donc n’auront que peu d’incidence sur cette vie au sud que nous menons. Et pourtant, l’on peut présumer que ces vacances, les premières depuis un an, seront probablement les bienvenues. Et l’on présumera juste.

À quoi servent les vacances, sinon à faire une pause structurelle, un arrêt pipi sur la longue route de la vie? Faire un «ti-posé» comme disent nos Haïtiens du coin, pour qui les vacances ne signifient souvent pas grand-chose. Certes, elles peuvent être tout aussi significatives que pour nous pour certaines gens de ce pays, mais pour ceux (surtout pour ceux) pour qui le travail n’est rien d’autre que la vie qui se déroule, la notion même de vacances perd tout son sens : on ne prend pas de «vacances» de la vie…

Les vacances sont donc directement associées au travail. À preuve, parlez-en aux retraités : les vacances n’existent plus chez cette classe sociale et bien qu’on pourrait en conclure que les gens qui ont atteint la retraite ont ainsi atteint l’état des vacances chroniques, rien n’est plus faux. La retraite est un autre style de vie, tout simplement. Quant aux vacances, elles sont définitivement pour les travailleurs. Cependant, pour nous qui travaillons sous les tropiques, là où les palmiers ondulent paresseusement sous la brise maritime, ne sont-ce pas les vacances perpétuelles? Eh bien non! Que non! Le travail ici n’est guère différent du travail fait ailleurs et hormis le contexte historico-socio-politico-économico-climato-géographique, c’est la même chose. Chaque jour apporte sa dose de petits problèmes et de petites frustrations, on sue, on s’échine, on tempête, on stresse, tout ça pour que les choses marchent rondement. C’est toute l’histoire de la mouche et du coche, pour ceux et celles qui connaissent La Fontaine. Alors forcément, on en vient la langue longue, ce qu’il ne faut pas confondre avec une grande langue, bien entendu.

Un an a passé depuis ces dernières vacances. Un an, c’est vite passé, tout le monde le sait, mais la vitesse à laquelle le temps passe n’escamote pas la fatigue pour autant. Alors que les sceptiques s’excusent : nous sommes bel et bien fatigués et aspirons à un changement de rythme qui, si court soit-il, sera néanmoins apprécié. Car il ne s’agit pas de repos proprement dit. La fatigue ne se compense pas toujours par le repos, mais bien par un changement d’activités. Ainsi, moi qui passe le plus clair de mon temps assis derrière mon bureau, je me promets bien de passer plus de temps assis derrière le volant d’une voiture! Ça c’est changer d’activité!

Mais je blague. Comment je puis encore le faire alors qu’on est au bout du rouleau m’épate moi-même. Pas vous? C’est que vous n’avez rien compris. En tout cas et pour dire sérieusement, les quelques semaines qui restent avant le jour de notre départ seront chargées, on le sait, et nul doute que nous serons crevés lorsque nous nous envolerons vers d’autres cieux. Mais on devrait survivre, et alors, le «ti-posé» sera suffisant pour nous requinquer, pour recharger nos batteries et nous permettre de fonctionner pendant un autre bout de temps.

En attendant on se dit que le steak va être rôdeusement bon…

mercredi 13 août 2008

L'ophtalmologie


Parler d’ophtalmologie, c’est raconter l’histoire de l’Institut Brenda Strafford. Je le ferai peut-être un jour, mais pas aujourd’hui. D’abord, c’est une histoire riche dont certains détails m’échappent encore. Ensuite, comme toutes les histoires, les détails peuvent lasser. Il faut être bon conteur pour raconter une histoire détaillée sans endormir son auditoire. Je ne suis pas certain d’être de cette trempe… Cependant, l’ophtalmologie tient une telle place dans le développement de notre cher hôpital qu’il me serait difficile de l’escamoter. Car si l’Institut Brenda Strafford pourrait avoir vu le jour sans l’oto-rhino-laryngologie, il n’existerait pas sans l’ophtalmologie.

Tout a commencé quand Sœur Évelyne, alors infirmière à Côtes-de-Fer, s’est vue confrontée à des problèmes oculaires qui dépassaient sa compétence, ce qui lui donna l’idée de créer ce qui allait devenir l’Institut d’Ophtalmologie Brenda Strafford. C’était en 1982. Aujourd’hui, un quart de siècle plus tard, l’Institut s’est agrandi et a élargi sa mission première, mais reste toujours une figure de proue dans le traitement des maladies de l’œil, spécialement les cataractes, cause première de la cécité évitable dans les pays en développement. « Les problèmes de vision ne sont pas les mêmes selon que l'on vive dans un pays très développé ou plus pauvre. Dans les pays plus pauvres, les cataractes représentent 50% des problèmes de cécité », écrit Louise Leduc dans cyberpresse.

Les hautes instances du pays sont bien au fait de cette situation et la lutte pour la cécité est aussi acharnée en Haïti que celle pour le cancer au Canada. En ce sens et vu la nature de notre hôpital, même en étant bien modeste, il faut avouer que l’on fait une part honorable, destinée à s’accroître au fil des ans.

Présentement, nous avons trois ophtalmologues qui pratiquent un nombre croissant d’interventions visant à rectifier l’opacification du cristallin : la cataracte. L’opération est simple, pas trop coûteuse et drôlement efficace : des personnes quasi-aveugles retrouvent ainsi une vision claire et détaillée. Certes, nos ophtalmologues ne font pas qu’opérer des cataractes — il y a des tas d’autres problèmes qui se règlent ici : ptérygion, chalazion, réparation de plaie de cornée, sans oublier le fameux glaucome, pour ne nommer que ceux-là — mais il faut reconnaître que cette opération, relativement simple (mais que je ne saurais faire pour autant), sauve la vue de bien des gens, surtout, bien entendu, les personnes âgées.

La vue n’est certes pas une question de vie ou de mort, mais elle est certainement une question de qualité de vie, car il est difficile d’imaginer une vie qu’on ne peut voir. Les sens, nos capteurs d’information, sont tous importants, mais la vue nous en met toujours plein la vue!

Pas convaincus? Que les sceptiques viennent s’en rendre compte de visu!

mercredi 16 juillet 2008

Éraise


La première fois que j’ai entendu son nom prononcé timidement, j’ai dû la faire répéter. Érèse? Les noms, et plus encore, les prénoms sont un champ libre en Haïti et l’on donne aux enfants des noms que l’on crée en fonction de l’humeur du jour. Sans mentir : combien de Samedis, de Dimanches ou de noms bizarres aux consonances douteuses entendons-nous dans ce pays! Éraise n’est pas si mal sous ce chapitre. Et puis je me suis dit que le prénom avait peut-être été donné en l’honneur de Sainte-Thérèse, avec une confusion dans la liaison (*Sainte-Érèse); or, comme la jeune fille en question n’est pas béatifiée, le «sainte» disparaît et il ne reste que ÉRÈSE. Dès lors, tout s’explique, n’est-ce pas? Toutefois, lorsque j’ai su qu’elle orthographiait son prénom ÉRAISE, ma théorie en a pris un coup. Mais sait-on jamais… j’ai peut-être quand même raison, car l’orthographe des noms dans ce pays n’a rien de standardisé, on s’en doute.

Mais ce n’est pas du nom de cette jeune fille que je veux vous entretenir aujourd’hui, mais plutôt d’elle et de son histoire. Éraise nous est arrivée un jour, bien malheureuse, de loques vêtue, disant que sa maman, qui avait été traitée à notre hôpital, ne se portait pas tellement bien et que par conséquent, c’était à elle, l’aînée (24 ans) que revenait la charge de la famille (deux petites sœurs : Guerdy et Sabrina). Or, elle ne savait pas faire grand-chose, mais pour une raison obscure et qu’il vaut sans doute mieux laisser obscure, l’administration de l’hôpital se sentait en dette vis-à-vis elle. Puis, sa mère est morte, Éraise est devenue orpheline et par le fait même, ses deux petites sœurs aussi. Elle ne savait plus à quel(s) saint(s) se vouer, alors elle est revenue nous voir, drapée de noir et en broyant (et non en braillant: je veux juste dire qu’elle broyait du noir, au cas où ma tournure osée vous aurait surpris); pris de pitié, nous l’avons pris sous l’aile protectrice institutionnelle. En d’autres termes, nous l’avons embauchée comme aide domestique. Dire qu’elle était contente serait mal dire : ce fut une renaissance, une véritable résurrection, sinon de la pauvre mère, à tout le moins de sa fille! Éraise qui avait dû tout vendre pour défrayer les frais d’hospitalisation de sa mère (même le maigre lit maternel y était passé, condamnant Éraise et ses sœurs à dormir à même le sol de terre battue), voyait enfin sa situation financière s’améliorer. Depuis, elle rayonne, elle flotte, elle irradie la joie pure!

Faut dire aussi qu’on la gâte. Comment ne pas le faire? Éraise apprécie tout, depuis les restes de table jusqu’aux vêtements usagés, en passant par les bouteilles d’eau ou de vin vides… En un mot, nos sous-produits deviennent son luxe. Elle est passée de Charybde à des cieux toujours bleus, et son sourire maintenant permanent en dit long sur son contentement.

Dimanche dernier, nous l’avons emmenée à la plage. Tout un événement! Elle s’est baignée sans crainte, a mangé comme Gargantua et a même pris une bière qui lui a fait tourner la tête, mais bon, une fois n’est pas coutume, n’est-ce pas!

Bien sûr, nous ne sommes pas en Haïti pour les Éraise de ce pays : elles sont trop nombreuses. Mais si notre action peut contribuer à changer la vie d’une seule, elle en vaut sûrement la peine, qu’en pensez-vous?

samedi 21 juin 2008

Se faire soigner en Haïti


Je pose la question en tant que blanc, étranger, sorti tout droit d’un pays industrialisé, développé, dont la qualité du système de santé n’est plus à démontrer. Nous gérons un hôpital, soit; la qualité des soins que nous prodiguons est indéniable, soit; mais se compare-t-elle à celle que l’on peut avoir au Canada en général, au Québec en particulier?

Ce n’est pourtant pas pour tester la chose que ma digne compagne a pris la décision d’aller se faire charcuter à Port-au-Prince. Le système de santé de notre pays d’origine est excellent, point de doute sur la chose, mais il a aussi ses failles, dont les interminables délais avant d’obtenir le service requis. Surtout si le service en question n’est pas considéré urgent… Or, comme nous ne passons au Québec que de brefs instants que l’on veut de vacances, il faut bien admettre que l’entreprise visant à subir une chirurgie non urgente devient pour le moins hypothétique. Dès lors, la question se pose : peut-on obtenir une qualité de soins adéquate dans ce pays difficile qu’est Haïti, où les moyens sont limités?

L’opération chirurgicale, puisqu’il s’agit bien de cela, est routinière, même si elle est n’est pas mineure : hystérectomie totale. Le fibrome qui rend l’opération plus que souhaitable, mesure plus de 15 cm de diamètre à la sonographie et mérite donc qu’on s’y attarde. Sans doute moins impressionnant que la photo ci-dessus, mais quand même… (En passant, la photo représente vraiment un fibrome retiré du ventre d'une jeune haïtienne enceinte alors que nous étions à Fond des Blancs...)

Sur les conseils de notre médecin anesthésiste, l’opération se déroulera à l’hôpital Canapé-Vert, bien connu et bien réputé. Chambre privée climatisée et immaculée, soins attentifs, personnel compétent et dévoué, rien ne manque à l’appel. Serait-on ailleurs qu’en Haïti? Non. Car pour peu que les moyens le permettent, Haïti peut offrir la qualité, comme n’importe où ailleurs, je pense.

L’opération se passera bien. Plus longue que prévu, car le fibrome est plus massif et plus teigneux qu’on le croyait, mais la patience et l’habileté du chirurgien en viendront finalement à bout. Reste maintenant à vivre l’après. La convalescence... Or, comme cette opération conduit à une forme de ménopause rapide et radicale, «l’après» risque de nous donner quelques sueurs, tantôt chaudes, tantôt froides, comme toute ménopause qui se respecte. Mais cela, je pense que l’on apprendra à vivre avec. Surtout que les sueurs froides, dans ce pays, seront certainement les bienvenues…

L’essentiel est que le problème (en était-ce seulement un?) soit réglé. Certes la souffrance physique et financière qui l’accompagne ne rend certainement pas le remède attrayant, mais vu l’ampleur du mal, il faut un remède de cheval…

Somme toute, une expérience concluante. Haïti s’est révélée à la hauteur. La convalescence va se faire au rythme de toute convalescence et la vie au sud va reprendre son cours habituel… Fin du chapitre. Mais le livre de la vie au sud en comporte encore plusieurs non écrits, alors restez à l’écoute ou plutôt, en contact cyberspatial!

mardi 10 juin 2008

Le Vaudou



Qu’on se rassure : je ne vais pas faire ici un docte exposé sur la chose; d’abord, j’en serais incapable, ensuite, les doctes exposés, tout informatifs qu’ils puissent être, n’en sont pas moins rasants, il faut le dire; or mon intention n’est certainement de vous ennuyer, mais bien au contraire, de vous distraire un peu et de vous dépeindre, de façon impressionniste, le tableau complexe et ramagé de la vie haïtienne. Or, le vaudou, en tant que culture religieuse, en fait intégralement partie.

Là où le vaudou haïtien se distingue de sa souche africaine, c’est dans son intégration des rituels chrétiens, incluant toute la panoplie des saints et saintes. Les cérémonies n’en deviennent que plus compliqués et difficilement—pour ne pas dire impossiblement—compréhensibles aux Blancs que nous sommes. Mais assez curieusement, elles nous restent accessibles, même si on n’y comprend rien. Une pièce—dans laquelle il faut entrer en marchant à reculons (!) chargée à tout rompre de bimbeloterie kitch où domine l’odeur d’eau de Cologne. Le rituel, pour tous les nouveaux arrivants, est de s’asperger de cette eau, ce qui rend vite l’air irrespirable pour les muqueuses délicates. Dans la pièce, une espèce d’estrade, séparée du reste de la chambre par une balustrade : c’est là que se tient le bokor (le prêtre officiant) et ses invités de marque, dont les Blancs que nous sommes. On bat le tambour, on fume des cigarettes (rien de magique ni d’illicite ici) et on boit du rhum. De temps à autre, une femme se lève, danse en tournoyant au centre de la pièce et retourne s’asseoir. Après une heure de ce manège, on se demande comment on pourra tirer sa révérence sans avoir l’air grossier; après une seconde heure, on s’en fout : de toute façon, on est étranger, de toute façon on n’y comprend rien, de toute façon, ce n’est pas pour nous.

« Mais alors, et les sortilèges? Et les poupées faméliques? », me demanderez-vous. De la frime! En tout cas, rien de ce qu’on a pu voir qui y ressemble de près ou de loin! Les Haïtiens baignent littéralement dans le vaudou, c’est une extension de la pratique religieuse et on s’en sert à toutes les fins, depuis une grossesse désirée jusqu’à une jambe cassée, en passant par l’espoir d’une bonne récolte, d’un bon mari ou d’un travail payant. La visite chez le bokor ressemble en tous points à la visite chez la cartomancienne : on cherche l’assurance que le futur ne sera pas trop dur. Je l’ai dit : les Haïtiens sont, par nature et par éducation, très croyants et là où la religion chrétienne ne suffit pas, le vaudou s’immisce et comble les attentes des plus difficiles. Avec un taux de succès variable, il faut bien le dire, et qui dépend beaucoup du don du bokor. Car ne devient pas bokor qui le veut : c’est un don inné, qui peut certes se développer par la pratique mais qui ne s’acquiert pas par la pratique. Quant aux zombies, bien sûr qu’ils existent! Tous les Haïtiens vous le diront et si vous n’y croyez pas, malheur à vous! Encore récemment, un homme a été lapidé à mort sur la base qu’il n’était qu’un zombie déguisé, et comme ce n’est évidemment pas un crime que de tuer quelqu’un qui est déjà mort, eh bien personne n’est coupable!...

Et alors, êtes-vous mieux situés à présent???...

samedi 7 juin 2008

Les chiens aboient, la caravane passe




De tous les bruits qui ponctuent la nuit, les aboiements cacophoniques sont sûrement les plus pénibles. Car les chiens, souvent calmes, expriment leur peur, leur mécontentement, leur désapprobation, leur insomnie ou que sais-je encore, de façon bien audible, surtout lorsque les sons sont amplifiés entre des murs de béton, comme c’est le cas dans la rue derrière notre noble établissement.

Les chiens ne sont pas comme les coqs : ce n’est pas le dérèglement de leur horloge interne qui les fait aboyer à qui mieux mieux; cependant, l’effet d’entraînement reste le même : il suffit que l’un commence pour que les autres, sous l’effet de la contagion sonore, lui emboîtent joyeusement le pas de façon asynchrone créant ainsi une œuvre acoustique grandiose en amplitude, mais dont la valeur harmonique laisse grandement à désirer. En d’autres termes, le concert est proprement infernal. Et dure. Car lorsque l’un, à bout de souffle, faiblit, l’autre reprend le flambeau sonore, et c’est reparti! En outre, je soupçonne que les chiens reconnaissent les aboiements de leurs consanguins; et comme tout le monde, dans l’univers des chiens, est fatalement parent avec le voisin, aussi bien dire que tout le monde se reconnaît mutuellement et aboie qui de plaisir, qui de rage à cette reconnaissance. Et tout ça pendant la nuit…

Au début—je parle du début de l’intégration au sud—ces aboiements réveillent, tiennent éveillés, font rager tant que même lorsqu’ils finissent par cesser, le sommeil revient difficilement vu le haut niveau de stress engendré. Mais peu à peu, on s’habitue. Les aboiements marquent la nuit comme le sifflet d’un train ou le klaxon d’un bus : ils font partie de ces bruits qu’on en vient à considérer comme «normaux»—bien que la norme n’ait pas grand-chose à voir là-dedans—et dont l’absence inquiète vaguement. Ainsi, pendant la récente période houleuse que nous avons vécue en avril dernier, les chiens s’étaient tus. Ils savaient sans doute qu’il était préférable de ne pas attirer inutilement l’attention d’un maniaque de la gâchette pour qui un chien ne représente guère plus qu’un caillou, et cela, le chien le sait.

Aboiements désagréables, donc, mais rassurants en un sens : les affaires intercanines peuvent parfois connaître des soubresauts qui ne nous concernent nullement, fort heureusement d’ailleurs, et ne serait-ce de la cacophonie, on pourrait aisément vivre avec. D’où mon titre d’ailleurs : quand les chiens aboient, c’est que le danger n’est pas là et la caravane peut passer sans problème. Vieux proverbe arabe dont la sagesse perdure…

Finalement et parlant toujours de chien, y’en a un jeune qui se tient autour et qui nous a pris d’affection—une affection bien motivée, il faut le dire, puisqu’on a commencé à le nourrir… Les Haïtiens aiment bien les chiens, mais de loin, car ici, on ne fait pas ami avec les bêtes. L’idée même d’un animal de compagnie est totalement incongrue dans ce pays, et seuls les Blancs peuvent montrer des marques d’affection pour une bête qui n’est même pas bonne à manger, alors quel intérêt?

Manger, être mangé, n’est-ce pas là l’essence même de notre monde?

mardi 3 juin 2008

Le cube de glace à minuit

Les familiers de ma prose vont dire que je leur sers du réchauffé. Cependant, il en est qui n’ont pas connaissance de cette anecdote qui s'est produite l'année dernière et dont l’authenticité garantie ajoute en saveur et en texture juteuse.

C'était au début de l'été, le temps était chaud et nous avions, à cette époque et rapport à la chaleur, l'habitude de servir notre boisson gazeuse (Sprite, Teem ou Seven-Up) dans un grand verre avec de la glace - des glaçons comme disent les Français. Comme le format courant en Haïti est de 500 ml, il n'est pas rare que le verre ne soit pas fini lorsque le sommeil s'empare de nous.

La nuit, comme toujours, est calme et tropicale : on ne peut donc pas s'étonner si l'on se réveille parfois en sueur, avec le goût de boire. C'est ce qui m'arrive ce soir-là, aux environs de minuit. Bien sûr, un bon verre d'eau froide serait l'idéal, mais il faudrait que je me lève; cependant, je me souviens qu'il reste toujours de l'eau faiblement carbonatée dans le verre, et je me dis que cela fera tout aussi bien l'affaire. Comme je porte le verre à mes lèvres et commence à avaler le sirupeux breuvage, je sens un petit cube de glace sous ma dent, que je croque hardiment, sans me poser plus de questions. Mais est-ce la texture? Est-ce un éclair de logique qui germe dans les brumes de mon premier sommeil? Toujours est-il que je me rendors avec un vague sentiment de doute quant à la nature du cube de glace. Mais en quelques secondes, le doute se dissout et le sommeil me reprend là où je l'avais laissé. Fin du premier chapitre.

Le jour se lève et nous aussi et, au fur et à mesure que se dissipent les vapeurs du sommeil, la lucidité me fait voir les choses dans leur nudité : comment le verre contenant de la glace déjà presque toute fondue une heure après son immersion (21h) peut-il conserver, trois heures plus tard, un cube de glace d'environ un centimètre cube? La chose est-elle simplement possible? Mon esprit cartésien s'y oppose... Qu'à cela ne tienne, il faut refaire l'expérience. Ce qui sera fait le lendemain dans des circonstances très similaires, tant en ce qui concerne l'heure que la température de la pièce ou le nombre de cubes de glace dans le verre ainsi que leur densité. L'expérience n'est certes pas absolument scientifique dans sa rigueur, mais elle suffit amplement à me convaincre que ce que j'ai croqué à minuit ne peut, en aucune façon, être un restant de cube de glace...

Qu'est-ce que cela pourrait bien être?...

J'ai pensé à bien des choses, mais peu rencontraient les critères de fermeté et de croquant. Le bois est trop dur, le ciment ne flotte pas et ainsi de suite... Même la glace n’a pas la même texture!... Quand on épuise toutes les hypothèses, il ne reste que la vérité, si difficile qu'elle soit à avaler (et pourtant, je l'ai fait!). Se pourrait-il, dès lors, que j'aie joyeusement croqué une chose d'un autre règne, nantie de six pattes et d'un exosquelette, volant très maladroitement de droite à gauche, attirée par la lumière de ma lampe de chevet? Cela se pourrait-il? Je vous laisse y penser et conclure. Quant à moi, je préfère rester avec mes doutes, si ténus soient-ils...

Toujours est-il que depuis ce temps, si je me réveille avec une petite soif, je me lève et vais boire de l'eau fraîche, directement du frigo…

jeudi 29 mai 2008

La nouvelle génératrice



Sujet terne, vous allez me dire. Terre-à-terre, matérialiste, fade et insignifiant. En quoi vous êtes dans l’erreur. Le sujet, en soi, est certainement matériel : la nouvelle génératrice n’est rien d’autre qu’un gros moteur à combustion interne—6 cylindres en ligne, pour ceux que ça intéresse, couplé à un générateur et capable de nous fournir 120 kW/h et qui coûte la bagatelle de $25,000 US. Elle consomme une part respectable de carburant, fait un bruit d’enfer et n’a rien de bien esthétique, il faut bien le reconnaître. Et pourtant, dans ce pays, la génératrice est reine : pas une seule organisation ne peut s’en passer, et même les particuliers, pour peu que leurs moyens financiers le permettent, n’hésiteront pas à s’en procurer une. C’est que l’électricité, que l’on considère comme partie du décor moderne dans nos sociétés, est ici distribuée bien parcimonieusement, et de façon plutôt instable. Or le courant, comme partout ailleurs, est source d’énergie pour bien des appareils, notamment dans le secteur médical. Comment dès lors peut-on opérer un hôpital sans électricité? Comment opérer un malade sans électricité? Il faut du courant.

Normalement, l’électricité fait partie de ces services dits publics fournis par l’État moyennant paiement de la part de l’usager. Mais ici, tout le monde pirate son installation électrique, la production d’électricité coûte une fortune, de sorte que la compagnie nationale d’électricité, l’EDH (pour Électricité D’Haïti), reste déficitaire malgré l’aide qu’elle reçoit et les efforts mis pour stabiliser la production d’électricité. Il faut donc viser sa propre autonomie. D’où la génératrice. « Pourquoi pas des panneaux solaires couplés à des batteries? » me diront les partisans de l’énergie douce. Pour l’avoir expérimenté, je répondrai que la faiblesse du système solaire est justement sa faiblesse, en d’autres mots, son manque de force pour produire le courant dont nous avons besoin. Bien sûr, on peut toujours multiplier les cellules photovoltaïques et les batteries et on arrivera sans doute à une production acceptable; cependant, le coût du système en deviendrait hautement prohibitif par rapport à une génératrice.

Donc la génératrice fournit le courant quand l’EDH ne le fait pas. Simple, n’est-ce pas?

Simple, mais hautement représentatif de la situation qui prévaut dans le pays où rien n’est acquis, où tout s’obtient à l’arraché. Comment dès lors ne pas comprendre toute la difficulté pour les petites gens de vivre en ce pays? La misère n’est pas seulement économique, elle est aussi sociale : ici, il faut se battre pour tout, pour manger ou pour un peu d’électricité qui se traduira par une petite lumière et une radio.

Quant à nous, notre nouvelle génératrice nous procure tout le courant nécessaire au bon fonctionnement de l’hôpital et de ses dépendances, sans souci de ce que l’Électricité nationale peut fournir. Mais les factures astronomiques de carburant nous rappellent que cette commodité a un prix, et pas négligeable…

Y’a-t-il vraiment quelque chose de facile dans ce pays?

lundi 26 mai 2008

La vie chère



Ma douce compagne, dont le côté terre-à-terre tranche franchement avec le mien, plus éthéré, me faisait naguère la remarque que je n’avais pas suffisamment parlé des difficultés majeures des gens du peuple à joindre les deux bouts. Je croyais que si, mais en relisant en diagonale (car qui aurait envie d’une lecture méthodique) mes textes précédents, j’ai dû admettre que j’avais effleuré la question, certes, mais n’avais sans doute pas accordé au sujet toute la place qui lui revient. Car la vie au sud comporte, du moins dans ce pays, une bonne dose de pauvreté qui nous interpelle au quotidien. Ce sont les mendiants ou les handicapés près de l’épicerie ou, pire encore, les non-mendiants qui sont plus mal en point que leurs condisciples mais dont la fierté ou la bonne éducation empêchent de quémander; ce sont les patients qui viennent à l’hôpital et qui comptent leurs sous pour arriver à payer les frais exigés; ce sont des malades qui refusent les soins requis parce qu’ils n’auront pas l’argent pour payer le transport public jusqu’à leur village... Le malheur est partout. Certes, on s’y habitue. Jusqu’à un certain point. C’est un mécanisme de survie, sinon on ne peut rester dans ce pays. Car le malheur se voit, mais ne fait pas pour autant l’objet de complaintes répétées : le malheur ici, fait partie intégrante de la vie. On s’y résigne, comme je l’ai déjà mentionné antérieurement.

Mais il n’en reste pas moins une réalité qui, lorsqu’on s’y arrête un peu, fait mal à voir et encore plus, mal à vivre. Comment, en effet, peut-on vivre, quand on a une famille à supporter et que tout coûte les yeux de la tête? Ce ne sont pas seulement les denrées de base qui sont chères, mais aussi tout le reste; or, dans ce pays, il faut aussi payer pour tout le reste : l’école et les soins de santé, entre autres, qu’on tient pour acquis dans notre pays d’origine, représentent ici des dépenses de taille, au point où les gens s’abstiennent souvent de se faire soigner pour raison de manque d’argent. Ainsi ce matin, notre petite bonne avait la mine triste. Quand je lui ai demandé ce qu’elle avait, elle m’a répondu que son mal de dents la faisait de plus en plus souffrir, qu’elle voudrait bien aller chez le dentiste, mais qu’elle n’avait pas l’argent pour ce faire. Je l’ai dépannée, bien entendu, mais combien d’autres sont dans cette situation? Ici, à l’hôpital, il est de pratique quotidienne de devoir exonérer des malades qui n’ont pas les moyens de défrayer les coûts pourtant bas des interventions. Et les gens pauvres, les vrais, sont trop fiers pour demander la charité. Ils s’en vont, miséreux, le dos voûté et le regard triste, malades et condamnés à le rester par manque d’argent… Des fois, il faut vraiment interpréter un regard, analyser un soupir et aller à l’essentiel; et alors, le plus délicatement et le plus discrètement possible, on dispense ces pauvres gens de payer.

On dit que l’argent mène le monde. Cela est vrai aussi en Haïti, où les démunis souffrent encore plus qu’ailleurs de son absence et de ce qu’il permet d’acheter. Où est la solution? Y a-t-il seulement une solution? Peter Singer, philosophe américain bien connu, suggérait aux Américains de se départir du tiers de leur salaire au profit des pauvres. D’après ses calculs, si cela était fait, il n’y aurait plus de pauvres… C’est sûrement comme ça qu’ils font, en Utopie…

Dites-moi, y a-t-il des palmiers, en Utopie???

jeudi 15 mai 2008

Enfin de retour!...


Long time no see, comme disent les autres, ceux dont la langue est différente… J’ai été occupé à fouetter d’autres chats qui m’ont fait négliger ce devoir que je me suis donné d’écrire quelques lignes de temps à autre. Bien sûr, le rythme du début s’épuise et à mon âge, on a vite le souffle court, alors faut me laisser récupérer! Mais les nombreux commentaires (devrais-je dire reproches?) reçus m’invitent à me remettre à la tâche et à vous pondre un petit quelque chose, ne serait-ce que pour vous arrêter de crier.

Nous sommes toujours là, au sud, et nous sommes toujours à tenter de gouverner un bateau dont la dérive est esquintée, ce qui ne rend pas la gouverne aisée, avouons-le. Tout de même, il flotte : fluctuat, nec mergitur. Reste à espérer qu’il continuera de voguer doucement sur la mer du temps, le petit navire… Je vous en reparle ultérieurement.

Avec mai, les manifestations d’avril sont choses du passé. Un passé pas loin, certes, mais passé tout de même. Cependant, rien n’est réglé pour autant et c’est à se demander à quoi le brouhaha du mois dernier aura servi. Ou à qui. Car il faut bien que, quelque part, quelqu’un en ait tiré parti… Mais on ignore qui. Ce qui tend à confirmer d’autant la thèse des barons de la drogue, lésés dans leur pratique commerciale illicite et qui voulaient donner une leçon… Le saura-t-on jamais? J’en doute. Pour l’heure, les gens sont toujours victimes d’une flambée des prix qui fait mal, même à notre vénérable institution. Hier encore, nous avons acheté du carburant pour la génératrice : $3,984 US. Vous me direz que la quantité fait toute la différence, et c’est vrai, mais il n’empêche pas moins que le prix à la pompe a monté scandaleusement au cours des dernières semaines. Sans qu’il y ait de manifestation pour autant, parce que, bon, le carburant, ce n’est pas comme la nourriture et bien que ce soit essentiel, ça ne l’est pas au même titre que le riz, par exemple.

Tout ça pour dire que les mystères d’Haïti restent entiers. Qu’est-ce qui fait que le pays entre subitement en éruption alors que rien ne le laissait présager? Qu’est-ce qui fait que le calme revient alors que rien n’a vraiment changé? Pays étranger, pays étrange… Mais l’on doit tout de même apprécier l’après-tempête et le répit qu’il nous donne.

Et c’est ainsi que la chaleur sociale a fait place à la chaleur climatique : le soleil commence à taper dur, dans ce pays qui n’en est pas avare… On cherche l’ombre ou la fraîcheur bien relative, pour ne pas dire illusoire, d’un ventilateur. Quant à la climatisation, elle tempère une pièce, certes, mais au détriment de la qualité de l’air qu’on y respire. Évidemment, à choisir entre deux maux, on choisit le moindre, et la chaleur excessive n’est pas toujours compatible avec le travail minutieux, parlez-en aux chirurgiens… Donc, on climatise, mais c’est un palliatif : le climat nordique seul en est le remède. Mais qui voudrait de ce remède amer?

samedi 3 mai 2008

Le sabbat




Y’a-t-il des jours où il ne se passe rien, où on n’a rien à dire? Oui et non. Oui à la première question, non à la seconde. Car pour trouver quelque chose à dire, y’a qu’à s’arrêter et le déclic se fait.

Ainsi, en ce moment, c’est l’office des adventistes, dont l’église ou ce qui en tient lieu, est juste à côté de notre maison. Vous ne les connaissez pas ceux-là. Ils font partie de l’une (parmi tant d’autres) de ces églises chrétiennes protestantes qui contestent l’un ou l’autre dogme du catholicisme et qui, pour demeurer fidèles à leurs principes, ont dû rompre avec la tradition catholique. Comme je le dis, la rigidité catholique a évidemment donné naissance à plusieurs modèles parallèles, pas mauvais en soi—en autant que l’on soit féru de religion, s’entend—mais pas nécessairement meilleurs ni pires. Les adventistes, par exemple, croient à la seconde venue de Jésus (ils attendent toujours bien patiemment) et considèrent le samedi comme le septième jour de la semaine et donc celui qu’il convient de célébrer religieusement: c'est le sabbat. Pour nous, cela signifie des prestations vocales épouvantables de fausseté, le tout amplifié à haut régime avec un taux de distorsion à faire frémir. Heureusement, ça commence vers 8h30 le matin et ça ne dure que quatre heures, si bien qu’on peut parfois manger dans la paix revenue. Quelquefois, pour des raisons qu’on ne connaît pas—peut-être un sermon plus long—, l’office se poursuit plus avant, et alors, c’est notre heure de sieste qui en prend un coup. Alors on se résigne...

Mais ce n’est pas le pire. Le pire, nous l’avons vécu l’année dernière, en juillet, alors que cette bande de joyeux lurons a entrepris une «croisade» pour récolter des fonds pour la construction de l’église. Pendant près d’un mois, nous nous sommes fait casser les oreilles par des prêcheurs qui, ayant bien appris leur leçon de ces preachers américains qui déferlent à la télévision, nous faisaient une animation du diable et c’est bien le cas de le dire. Il n’y avait rien à faire : on ne pouvait même pas écouter un film, même à tue-tête, tellement leur vacarme était assourdissant. À court de solution, nous avons finalement cherché le salut du seul côté où nous pouvions le trouver : la fuite. Fort heureusement, la maison de Gelée, à tout juste 10 minutes en voiture, nous a permis de relaxer un peu après le travail. La chose a duré comme ça près d’un mois, c’est vous dire…

Mais il faut comprendre tout l’intérêt de ces manifestations religieuses. D’abord, les gens aiment ça. Dinante, notre cuisinière, y assiste religieusement—c’est le cas de le dire—et pourtant, n’a pas d’allégeance adventiste, mais elle aime ça, tout simplement. Ensuite, la religion, «l’opium du peuple», comme disait l’autre (Marx? Malraux?...) engourdit bien, engendre rapidement le sentiment de douce quiétude et de fausse sécurité qui, pour un peuple condamné à lutter sans cesse, marque un répit toujours bienvenu. Enfin, la fréquentation religieuse ne coûte rien, ou enfin pas grand-chose et si c’est tout le loisir qu’on peut s’offrir, pourquoi pas? Tout cela fait que nos voisins, les adventistes, ont toujours une clientèle assidue de fidèles. On peut dire que leur clients sont fidèles, tiens…

Et nous, contraints d’en subir les effets néfastes, que faisons-nous? Rien, nous tolérons. Car dans ce pays, tout est question de tolérance…

jeudi 1 mai 2008

Premier mai



Aujourd’hui, c’est congé. La fête du Travail, la vraie, l’internationale, on peut difficilement passer à côté, pas vrai? Alors l’hôpital ferme boutique en l’honneur de cette journée et, pour nous, bien que nous ayons passablement à faire—fin d’avril oblige—il nous sied tout à fait de célébrer le travail justement en s’abstenant d’en faire.

Il faut dire que nous sommes, depuis peu, de retour à la vie normale, ou à ce qui en tient lieu ici. Bien sûr, il y a encore de l’agitation dans l’air et lundi dernier encore, on nous a fait un peu peur avec des tentatives—maîtrisées avant qu’elles réussissent—de remettre ça; mais dans l’ensemble le calme se maintient. La chaleur augmente de jour en jour, semble-t-il, et avec elle viendra la pluie—bientôt, tout le monde l’espère. Car la pluie, non seulement fait pousser les fruits et les légumes, mais également, par sa violence parfois, change le mal de place, si je puis dire. En outre, si les manifestations se sont éteintes, les kidnappings eux, reprennent… Comme quoi il n’y a rien de parfait sous le chaud soleil haïtien… Avant-hier encore, on parlait d’un chargé de mission français, enlevé brutalement à Pétionville en plein jour. On a su qu’il était noir et peut-être cela a-t-il joué en sa défaveur, mais noir ou non, c’est un Français et ça, c’est une nouveauté, puisque habituellement, les ravisseurs ne s’en prennent pas aux étrangers. Est-ce la nouvelle tendance? Comment le savoir? Les modes ici passent vite…

Mais pour nous, aux Cayes, la vie est redevenue tranquille. Même la visite est partie… Mais bon, toutes les bonnes choses ont une fin—les mauvaises aussi, incidemment—et la vie continue.

Donc, si l’épisode violent que nous avons connu au début du mois dernier est vraiment derrière (ce que personne n’ose affirmer) nous allons avoir un mois de mai bien différent. Le travail, puisqu’on le célèbre aujourd’hui, y sera bien représenté, surtout avec la visite prévue du grand patron et le départ prévu de notre chère Sœur Évelyne, ce qui veut dire pour nous les bouchées doubles. Mais il semble que j’aie une réputation (surfaite bien sûr) de grande gueule, alors les bouchées doubles, tu parles…

Il n’empêche que l’efficacité au travail réduit d’autant le temps de travail, donc augmente proportionnellement le temps de non-travail (et je ne veux pas dire «loisir», une création issue de notre société moderne). En d’autres termes, la paresse conduit à l’efficacité, laquelle débouche sur le temps libre, lequel permet la paresse. Joli, non? À propos, L’Éloge de la Paresse, de Jacques Leclerq, vous connaissez? Un court ouvrage (titre oblige), mais fort intéressant et que je ne saurais trop recommander à tous ceux, toutes celles qui oublient que le travail, c’est bien et c’est bien nécessaire, mais bon, faut quand même pas exagérer…

Je vous laisse réfléchir sur cette belle phrase de Marx :

«Le travail lui-même est nuisible et funeste non seulement dans les conditions présentes, mais en général, dans la mesure où son but est le simple accroissement de la richesse.» (Manuscrits de 1844, Karl Marx, éd. Flammarion, 1996, 1844, p. 62)

dimanche 27 avril 2008

À quoi ressemble le paradis?

La question peut sembler ardue à quiconque n’a jamais mis les pieds sur une plage tropicale, mais pour les autres, c’est comme qui dirait évident. Pourtant, des plages, nous en avons arpentées et jusqu’à ce jour, n’avions jamais cru pouvoir en associer ne serait-ce qu’une à cette notion de paradis à laquelle nous nous accrochons tous et toutes—juste au cas où ce serait vrai.

Cependant, le paradis à la fin de nos jours m’apparaît un peu tard et si l’occasion se présente d’en avoir un avant-goût prometteur, il faudrait être un véritable ascète pour ne pas y succomber. Or, c’est un peu ce qui s’est passé ce dernier dimanche—le premier depuis la fin de mon rhume. Partis pour passer un gentil week-end à l’Île à Vache, nous fûmes entraînés, un peu à notre corps défendant, vers l’excursion à "l’îlet des amoureux", lequel, lorsqu’on est trois, perd un peu de ses promesses (pervers, je vous vois venir). Donc, l’îlet en question, comme le montre la photo, n’est rien du tout qu’une protubérance sablonneuse qui doit disparaître à chaque fois que s’enfle la mer. Mais en ce dimanche azuré, la mer est calme et l’îlet est là.

Qu’y faire? Encore un fois, écartons les idées biscornues de ceux (et j’insiste : ceux) qui ne pensent qu’à la chose et regardons un peu les choix qui s’offrent à nous : lire, manger, sommeiller, se baigner… Ai-je tout dit? Je crois bien avoir fait le tour… Et parlant de tour, celui de l’île d’un train flâneur prend tout juste 90 secondes, c’est vous dire… Vraiment, on se sent sur la planète native du Petit Prince ou, pire encore, sur celle de l’allumeur de réverbères.

Et quelle planète! Le monticule sablonneux complètement nu où rien ne pousse—et où rien ne peut pousser— que seuls les pélicans fréquentent sur une base régulière n’a rien de bien spectaculaire à offrir! En fait, c’est le rien fait sable, cerné par des eaux vertes. Sans parasol, on s’y dessèche; on y cuit, plus doucement lorsque badigeonnés, certes, mais on finit à point néanmoins. Donc, c’est monotone, plat, inerte, informe, insipide, sans relief et sans âme, et pourtant, pourtant, c’est le pied!

Comment expliquer la chose… Est-ce le dépouillement total? Est-ce l’incessant bruit des vagues qui se brisent sur tout le périmètre de l’île? Est-ce la brise maritime qui tempère les ardeurs de Galarneau? Sont-ce les eaux limpides, chaudes et peu profondes? Les étoiles de mer? La chaleur du sable? La bouteille de rosé bien frais (gardée sur un lit de glace, merci à nos hôteliers)? Le copieux pique-nique? Ou simplement le plaisir indicible d’être là et pas ailleurs? En tout cas, le temps a bien passé et lorsque, cuits, nous avons vu la barque revenir, nous avons compris que nous avions effleuré du bout des doigts un petit morceau de paradis—rosé inclus, bien entendu! Car je vois mal le paradis sans un rosé bien frais, et vous?

L’enfer, c’est l’après cuisson, mais ça, je ne vous le raconte pas…

mardi 22 avril 2008

Malade!...



Les gens qui pensent tropiques associent souvent cette région géographique aux redoutables maladies tropicales dont les noms exotiques évoquent l’esprit du mal : malaria, fièvre dengue, typhoïde, voire choléra ou fièvre jaune. C’est vrai que les tropiques offrent la combinaison idéale de chaleur et d’humidité pour que prolifèrent toutes les bestioles responsables de ces redoutables maladies. Et pourtant…

Pourtant, je l’ai dit à quiconque voulait l’entendre—et même à tous ceux qui n’écoutent jamais—, la maladie de loin la plus courante par ici, c’est le fameux rhume, celui qu’on attrape l’air de rien et qui nous fait suer dans tous les sens du terme. Le rhume, qu’on appelle souvent «grippe» pour faire plus sérieux, est banal, je n’en disconviens nullement. Mais comme il attaque les cordes vocales, fait moucher comme s’il fallait faire vivre la compagnie Kleenex, altère le goût des choses et nous bouche les oreilles—sans compter la fièvre qui s’en mêle, eh bien disons qu’il nous emmerde bien, et le mot n’est pas fort. Tout le monde sait que l’infection est due au rhinovirus, ainsi nommé parce que le virus attaque en rhinocéros : à l’aveugle, sans discrimination de race ou de couleur, de sexe ou d’âge mental (je blague, il va sans dire...). Le virus fonce, se propage aussitôt qu’on en parle et encorne joyeusement le premier venu. On dit que le contact des mains d’une personne infectée suffit à transmettre le virus : comment éviter ce contact, dans ce pays où la poignée de main est aussi automatique qu’un sourire?

Malade, vous dis-je. Je ne pouvais plus parler, je toussais à me décrocher un poumon, je me mouchais sans relâche, je crachais, râlais, déglutissais, éternuais sans discontinuer. Et toujours, sans me plaindre! Car mon stoïcisme n’a d’égal que mon exaspération du rhume. Je sais bien qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre que le virus s’épuise, qu’il meure ou qu’on en meure. Mais il me semblait néanmoins qu’un petit sirop me soulagerait et j’en ai parlé à notre chef oto-rhino-laryngologiste. Pas brillant comme idée… Car ce médecin chevronné ne s’est pas privé de se moquer de moi sans vergogne! Mais où va donc la médecine moderne sans la compassion pour un pauvre malade? Peut-être n’étais-je pas si pauvre, ni si malade, finalement…

Mais c’est passé, maintenant. Je ne suis plus malade. La santé a repris ses droits. Le vin est à nouveau bon et l’appétit m’est revenu. M’est aussi revenu le goût de discuter ferme avec mes copains haïtiens, pour qui ce sport vaut le foot, c’est bien clair, car tout le monde y va de son point de vue plus ou moins éclairé, même le vieux Sonson qui n’y comprend pas grand-chose et qui revient sans cesse avec sa blague usée comme son chapeau : «Allez en prison! J’appelle la police!». Et tout le monde rit de bon cœur, car il faut bien encourager le vieil homme, n’est-ce pas? Surtout que lui, à 78 ans bien sonnés («M’te fèt lan 30», se plaît-il à répéter), n’est pas malade, mais alors pas du tout!

Allez! Un petit proverbe pour finir : «Maladi veni sou-w a cheval, men li kite-w a pye» Cependant, même à pied, elle finit quand même par s’estomper dans le soleil couchant comme le héros du vieux western…

vendredi 18 avril 2008

Le temps des mangues



La saison des mangues bat son plein. Ce fruit succulent, tout à fait tropical et donc, tout à fait haïtien, est très prisé de la population qui fait parfois des pieds et des mains pour en croquer. Or, il s’avère que nous avons plusieurs manguiers—pye mango en créole—dans la cour…

Alors vous voyez d’ici le tableau : une cour d’établissement public est publique, non? Quel meilleur endroit pour trouver des mangues à bon compte! Si bien que chaque jour, nous avons droit à la procession de gens de tous âges et des deux sexes confondus qui arpentent notre cour pour ramasser les mangues tombées. Car les mangues mûres, comme tous les fruits qui se respectent, quittent leur branche mère et, obéissant à la loi de Newton, arrivent jusqu’au sol. Bien sûr, dans leur chute libre, ces fruits lourds passent à travers le feuillage, bousculent quelquefois une autre mangue qui, presque sur son départ, en profite pour décrocher, si bien que toute cette activité ne se fait pas sans bruit. Or, ces bruits de feuilles froissées sont quelque peu suspects, surtout la nuit, et peuvent faire penser à des intrus animés de mauvaises intentions. Et quand, pour rassurer votre conjointe énervée, vous vous levez au beau milieu de la nuit pour vérifier que tout est paisible et que vous voyez effectivement une silhouette suspecte dans la cour, eh bien la notion de sécurité abordée précédemment vous revient tout à coup à la mémoire! Évidemment, tout s’explique : les intrus, ce ne sont que les gardiens de nuit venus ramasser les mangues qui tombent. Ouf! Ce n’était que ça...

Donc, la cueillette informelle se fait par tous ces gens qui se promènent les yeux rivés au sol. Mais il y a les autres, des ados pour la plupart, qui préfèrent la méthode plus directe : pourquoi en effet attendre que tombe la mangue convoitée quand on peut lui forcer la main d’une pierre bien placée? Alors ces jeunes, souvent assez adroits, il faut bien le dire, lancent des pierres sur les mangues haut placées—les plus mûres par définition, puisqu’elles reçoivent un max de soleil—pour les faire tomber. Le système marche assez bien, je dois le dire, mais il a un inconvénient : comme je l’ai dit plus haut, la loi de Newton s’appliquant, tout ce qui monte finit toujours par redescendre et la pierre lancée suivant une parabole presque verticale va immanquablement retomber à quelque part. C’est ce «quelque part» qui m’inquiète et qui me met parfois les nerfs en boule. Car les pierres retombent tantôt sur la maison, sur les voitures garées dans la cour ou, pire encore, sur les gens (sans blague). Mais allez donc faire comprendre cela aux tireurs de roches, quand les mangues sont à la clé…

Finalement, las de ces perturbations dans notre petite vie tranquille, il ne reste qu’une solution, la radicale : envoyer l’un de nos employés dans l’arbre (le meilleur grimpeur) et tandis qu’il secoue les branches chargées à tout rompre, faire ramasser le produit de ses efforts. Comme ça, on a la paix pour quelque temps, le temps que d’autres mangues, d’une autre variété, arrivent à maturité et que ça recommence. Pas toujours drôle, la vie sous les tropiques… Cependant, on finit par en voir la fin et la saison des mangues est bientôt remplacée par celle, moins drôle, des ouragans… Qui aurait envie de se plaindre?

mardi 15 avril 2008

Accalmie



Je vous l’avais bien dit, à vous les sceptiques qui vous gavez de télévision à sensation : vous pensiez que le pays était au bord de la crise anarchique, que la révolution allait éclater et que nous allions tous périr, exécutés pour motif de traîtrise à la cause. Mais voilà : comme il n’y a pas vraiment de cause, le feu, pourtant bien chaud, brûle rapidement toute sa paille et la fumée se dissipe sous le vent de l’espoir.

L’espoir n’est pas devenu noir. Pas cette fois. Les promesses présidentielles, providentielles, pourrait-on presque dire, ont eu raison du goût de bile que la faim avait laissé dans ces estomacs errants. La grogne s’est tue, du moins pour un temps, et le peuple se reprend d’espérer que les choses iront mieux demain. Mais la lucidité de certains fait mal à entendre : «En quelques jours, raconte ce mécanicien, le pays a reculé de plusieurs années.» La sauvage destruction des propriétés, le saccage des commerces, les voitures incendiées et le pillage font honte aux gens de ce pays. Pas une seule fois n’ai-je entendu quelqu’un me dire que la violence était nécessaire. Qu’elle avait porté fruit. Bien que sympathisant à la cause d’un peuple qui a faim, j’ai été surpris de ne pas trouver d’écho à ma sympathie, de recevoir des hochements de tête pleins d’amertume et de fatalisme. «Rien ne changera jamais ici», me disait encore quelqu’un. J’avoue que ça ressemble étrangement à du désespoir…

Mais enfin, l’accalmie donne à tout le monde une chance de reprendre son souffle. On sort maintenant, et la vie citadine ressemble à peu près à ce qu’elle était il y a quinze jours. Aujourd’hui, pour la première fois, les enfants sont retournés à l’école. Les banques, toujours prudentes, ont timidement ouvert leurs portes hier et j’en connais qui ont poussé des soupirs de soulagement. Les commerces marchent à nouveau et les gens respirent. Bref, la vie reprend, normale ou à peu près, car on ne sait jamais : il suffit de si peu pour que ce semblant de stabilité s’écroule comme le viaduc de la Concorde. Mais puisqu’on ne peut avoir mieux, aussi bien se contenter de ce radeau de la Méduse, puisqu’il suffit à nous maintenir à flot.

Stabilité, donc, mais éphémère; capable de durer deux jours ou deux ans avant que le chaos reprenne ses droits. Tout est cyclique ici, depuis la saison des ouragans jusqu’aux émeutes, et si la première revient avec une régularité de pendule (mais une intensité variable, heureusement), on se prend à souhaiter que les secondes se fassent plus espacées… genre comète Halley, par exemple (prochain passage prévu pour 2061, soit dit en passant)…

Tout ça pour vous dire que je tourne, avec cette page, le chapitre des effets néfastes et pernicieux d’un peuple émotif et vous reviendrai sans doute avec des propos plus légers, moins amers, plus ensoleillés, moins chauds, plus gras, moins gris, bref, plus agréables. Car qui a envie d’entendre parler de la misère des autres? Dommage que de ne pas en parler ne la fasse pas disparaître…!