jeudi 30 décembre 2010

Bonne et Heureuse Année!

L'année n'est pas encore tout à fait terminée, mais bon, on n'est pas à un jour près, n'est-ce pas? Surtout pas après l'année qu'on vient de passer... Je ne vous en ferai pas le sommaire parce que vous le connaissez. La suite interrompue de malheurs ou de catastrophes a bien rempli le temps et parfois même, les médias. Et parlant de médias, je dois tout de même vous citer ce passage tout à fait savoureux de Chantal Guy, qui a passé Noël à Jacmel :
«Toute la planète le sait, Haïti va mal. Très mal. Mais ce n'est pas nouveau. Séisme, choléra, ouragans ont cruellement révélé les failles déjà très creuses du pays qui est de plus plongé dans l'impasse politique. Mais personne, à part les Haïtiens, ne sait ce que cela représente vraiment au quotidien. Cette harassante survie de tous les jours alors que le moral est miné. Car le légendaire moral des Haïtiens est profondément touché. Tout le monde ici est blessé. Ça se sent, ça se voit, malgré les sourires. Les traumatismes, les deuils, les pertes et les peurs sont dans les esprits et les cœurs alors qu'il faut continuer dans un pays qui n'avance pas.»
Année difficile pour tout le monde, donc, et qui, bien malheureusement, ne se terminera pas le 31 décembre à minuit. Bien malheureusement. En fait, je ne vous apprendrai rien en vous disant que 2011 risque de commencer fort mal si, comme tout le monde le soupçonne, les résultats des élections de novembre dernier ne sont pas à la satisfaction du peuple. Et le choléra, bien sûr. L'épidémie est loin d'être contrôlée, et les projections ne sont pas vraiment optimistes... Tout de même, le temps fait son œuvre. Et il est permis d'espérer que 2011 sera une meilleure année que 2010. Avons-nous vu le pire? Personne ne peut le dire. En Haïti, il semble que la frontière du pire recule tout le temps. Et ça n'a rien à voir avec le réchauffement planétaire ou le marché monétaire international. Simplement, c'est comme ça. La suite de catastrophes naturelles ou humaines (car les dernières élections sont vraiment une catastrophe qui n'a rien de naturel) n'est pas exclusive à Haïti et certaines se passent régulièrement ailleurs, dans d'autres coins de la planète. Pas à la queue-leu-leu comme ça, cependant, et c'est peut-être là la différence. Pourtant et comme le dit Chantal Guy, il faut continuer. Parce que le temps avance, il faut avancer. C'est ce que tout le monde fait, sans vraiment se plaindre, et pas tant par stoïcisme comme par absence de choix. Difficile de se prétendre stoïque quand on n'a pas le choix de vivre autrement, hein?  Bon, j'en vois déjà qui lèvent la main avec la question évidente : «Oui bon, mais vous deux, vous l'avez ce choix! Vous n'êtes pas forcés de vivre cette vie tourmentée et insécure! Pourquoi persistez-vous?» Bonne question, lecteurs et lectrices perspicaces. Malheureusement, je n'ai pas de réponse à vous donner. Je n'en sais rien. On vit ici parce que c'est ici qu'on vit. Réponse de Normand, je sais, je sais (je ne parle pas de mon frère, là!)... Ou l'image du serpent qui se mange la queue, si vous préférez. On vit ici présentement et pour la suite, on verra. On vit ici au présent seulement. Car on sait que ce n'est pas un état permanent et le seul fait de savoir que l'on peut partir suffit à nous faire rester. Donc on continue. Un jour à la fois, car c'est la seule façon d'avancer ici. On peut toujours faire des plans, mais ils sont toujours sujets à changement sans préavis, genre un tremblement de terre, par exemple...  Mais tout ça, vous le savez déjà, alors...

Inutile de s'étendre sur cette année néfaste, donc. Inutile de ressasser le nombre de morts, victimes du tremblement de terre ou, plus récemment, du choléra. On fait avec. Tout le monde fait avec. Mais en dépit de cela, l'espoir fleurit. On se demande comment, quand tout va si mal dans le pays; mais en Haïti, mieux que partout ailleurs, l'espoir fait vivre. On vit d'espoir et d'eau pas trop fraîche, je vous l'ai déjà servie celle-là, mais elle n'en reste pas moins vraie.

Ceci se veut donc un message d'espoir. L'espoir que les choses se tassent--les plaques tectoniques aussi bien que la politique--et que la vie quotidienne reprenne son rythme habituel, insouciant et rieur.

En attendant et puisque c'est de saison, Chantal et moi vous en souhaitons une excellente, une luxuriante et une paisible!

vendredi 24 décembre 2010

Joyeux Noël!

Eh bien nous y voilà!

La veille de Noël! Quand j'étais petit, c'était tellement plus important que le jour de Noël même, sans doute à cause de l'effervescence des derniers préparatifs : la bouffe «de Noël» dont regorgeaient le frigo et les placards et que maman avait, de peine et de misère, soustrait à notre voracité enfantine, mes frères et moi; et, bien sûr, les cadeaux, les fameux cadeaux qu'on savait dissimulés quelque part et qu'on dénichait parfois, au grand dam de maman. Puis arrivait le soir du 24 proprement dit, où il fallait se coucher en attendant l'heure... Tu parles si on dormait! Finalement, n'en tenant plus, «l'heure» arrivait, mais pas celle de la distribution des cadeaux encore, car il fallait d'abord passer par la traditionnelle messe de minuit qui, comme son nom l'indique, débutait vraiment à minuit, puisque c'est à minuit que sonnait le 25 décembre. Or, cette grand-messe était longue : pas moins d'une heure avant que résonnent les derniers chants de Noël indiquant le réel Ite Missa Est. Puis le froid de la nuit, la neige qui craque sous nos pas (à cette époque, on avait toujours de la neige à Noël), les gens qui s'échangent des vœux sur le parvis de l'église, la musique, tout nous disait que ce n'était pas une nuit normale. De retour à la maison, la première chose à faire avant toute autre, retirer la cravate. Ouf! On respire à nouveau! Puis ce sont les cadeaux qui, une fois déballés perdent toujours considérablement de leur attrait. Et un petit chou à la crème avec ça? Mais la nuit de Noël ne s'arrêtait pas là : elle se poursuivait dans ma seconde famille, celle beaucoup plus vaste des Desrosiers, dont plusieurs n'étaient mes aînés que de quelques années seulement. Et quels joyeux lurons, ces Desrosiers! Personne ne se soûlait à se rouler par terre et pourtant, tout le monde avait un plaisir fou. Ce que j'ai aimé ces Noëls d'antan! Oui, j'en suis nostalgique car c'était vraiment de beaux Noëls. Aujourd'hui, les temps ont changé, chacun y va de son petit Noël et pour nous, c'est sans tambours ni trompettes que se passera la nuit du 24 au 25 décembre 2010. Et nous ne nous en plaindrons pas. Le seul fait de ne pas avoir à subir la violence dans la rue vaut son pesant d'or, croyez-moi...

Noël calme, donc; Noël paisible et méditatif. L'ambiance festive de la ville ne nous fera pas sauter. De joie, je veux dire... Nous n'avons pas de programme exubérant - juste une petite soirée à écouter un vieux film, sans doute, peut-être en trinquant le mousseux que nous réservons depuis longtemps pour une occasion spéciale. Et pourquoi pas Noël? Demain peut-être, nous irons à la plage, nous lirons, nous écouterons la télé et la radio, bref, rien pour changer notre train-train habituel, mais encore une fois, pouvoir profiter de quelques jours de paix apporte son plein de satisfaction. Pas besoin de plus. Sauf de la bonne compagnie, bien sûr...

Alors voilà. Ceux qui sont sous la neige auront un Noël blanc qui, même si ça fait cliché, reste toujours féerique, reconnaissons-le. Ça et le sapin, tu parles!... Et pourtant, pourtant, la neige blanche, le sapin enguirlandé, les couleurs et les lumières, même la musak font partie de cette tradition de Noël et si ces ingrédients ne sont pas là, ben il manque quelque chose, hein? Même sous les latitudes nordiques, rien de pire qu'une pluie verglaçante pour rompre le charme du Noël blanc...

En tout cas que votre Noël soit blanc ou vert, sous la tempête hivernale ou sous la brise tropicale, sous les sapins ou sous les cocotiers, près du poêle à bois ou près du feu de grève, ma compagne et moi-même vous en souhaitons un beau; un paisible; un plaisant; un léger; un cordial; un chaleureux; un chaud dans l'âme; un satisfaisant; un généreux; un profond; un reposant; un ressourçant; bref, un bon Noël. Et si vous êtes repus (ce que nous souhaitons), en bonne compagnie, à la chaleur, que vos cadeaux vous comblent et que votre ventre est plein, avant que les vapeurs du vin embrument trop votre esprit, ayez une petite pensée pour ceux, pour celles dont le ventre n'est pas plein, ce soir pas plus que les autres; qui n'ont pas de cadeau sous un sapin qui n'existe pas et qui espèrent seulement réussir à survivre un jour de plus.

Juste une petite pensée, je vous en prie. Merci d'avance.

mardi 21 décembre 2010

Solstice d'hiver


L'événement est astronomique. Dans le vrai sens du terme. J'aime. Ça nous change des petits problèmes à saveur de soupe populaire. Savoir que nous avons atteint, dans le parcours sidéral qui caractérise le mouvement de notre petite planète autour de son étoile, le jour où le soleil à son zénith est à son plus bas (46,56° contre 93,44° au solstice d'été, sous notre latitude haïtienne), eh bien ça me rassure sur la pérennité des choses. Le jour le plus court de l'année, donc, mais comme je vous l'ai dit le 21 juin dernier, ce n'est pas sous cette latitude qu'on peut en apprécier vraiment la différence. Tout de même, le solstice a donné naissance à des célébrations ancestrales, dont la religion s'est vite emparée pour les travestir et les faire siennes. Dire que Jésus est né un 25 décembre m'apparaît aussi fantaisiste que dire que le Père Noël entre dans les maisons par la cheminée... Mais bon. Je passe. Ça permet de justifier une fête, alors pourquoi pas... Incidemment, si vous regardez ce que Wiki en dit (anglais), vous verrez que le solstice d'hiver est occasion de fête présente et passée pas mal répandue sur la planète. Et presque toutes associées aux jours qui recommencent à rallonger. C'est donc une fête de la lumière, du renouveau, de la résurrection et de la force positive sur celle négative que représente la nuit.

Mais ici, tout ça s'estompe dans l'indifférence. Comme je l'ai mentionné en juin dernier sur le même sujet, difficile d'avoir conscience de la pérennité astronomique quand le passage d'une journée à l'autre s'effectue à peu près toujours au même rythme, selon une balance à peu près équilibrée entre la durée du jour et celle de la nuit. Ici, assez curieusement, c'est souvent l'heure qui régit les activités. Ainsi, un déplacement vers la capitale mérite qu'on quitte dès potron minet, soit vers les 4h, et peu importe s'il fait encore nuit, car c'est tout de même le matin. C'est sans doute aussi pour cette raison que, dès midi, on se salue à coups de «bonsoirs», car le soir approche. Autres mœurs.

Tout ça pour vous dire que c'est aujourd'hui que nous atteignons ce point précis de notre cycle astronomique, et je pensais qu'il valait la peine que je vous le souligne.

Et Noël dans tout ça? Eh bien, c'est plutôt le calme plat ici : pas de lumières, pas de sapins décorés, pas même de musak de circonstance. On trouve bien quelques décorations ici et là, mais rien qui approche l'orgie de lumières du temps des Fêtes au nord. Et franchement, c'est bien comme ça. La tradition, c'est bien joli, mais quand je vois encore combien les gens des pays industrialisés dépensent pendant cette période, la plupart du temps pour des choses inutiles, eh bien je me dis que ce n'est peut-être pas tout à fait correct. Bien sûr, vous allez me dire que c'est l'activité économique qui fait marcher un pays et je serai d'accord. Mais tout de même et sans vouloir faire mon petit marxiste, avouons que l'argent prend quelquefois un peu trop de place dans nos vies modernes, surtout quand il sert à se payer des tas de trucs dont on pourrait aisément se passer. D'où sans doute ce mouvement de «simplicité volontaire» qui, s'il reste discret, ne disparaît pas pour autant, et pour cause : dépenser n'est pas vivre et ne rend pas nécessairement heureux. Et si vous n'êtes pas d'accord, eh bien tant pis pour vous.

Alors voilà. Ma pause se termine ici. Je voulais vous donner un petit quelque chose qui ne soit pas teinté de noir, sans goût de cendres ou d'odeur de pneu brûlé. Je voulais vous dire qu'à compter de demain, les jours recommencent à s'allonger et qu'en bout de ligne et quoi qu'on en pense quelquefois, la lumière revient triompher de la grande noirceur. Vous croyez que je m'accroche à un espoir vain? Un espoir noir, comme je l'ai déjà mentionné? Non. Je reste réaliste. Nous ne sommes pas au bout de nos peines et ce qui nous attend est plutôt sombre. Mais n'oubliez pas : après la pluie le beau temps. Après la noirceur, la lumière. Et l'astronomie nous le prouve bien.

lundi 20 décembre 2010

Sursis


Un sursis est toujours le bienvenu. Demandez à n'importe quel condamné à mort en attente de son exécution et il vous confirmera la chose. Or, alors même qu'on se préparait à une autre onde de violence, celle-là plus raide que la première, nous promettait-on, un communiqué officiel nous disait que le dévoilement final des résultats était remis à une date ultérieure, non précisée, afin, disait-on, «de permettre à des experts de vérifier la validité [du] scrutin». Qu'en sortira-t-il? Nul ne le sait et les paris sont ouverts. Certains affirment que ce n'est qu'une manigance de plus pour retarder l'inévitable, à savoir, la défaite du candidat Martelly. D'autres soutiennent que l'analyse ne va rien donner, puisque les données sont faussées à la source (bulletins de vote). D'autres y voient une autre forme, à peine masquée, d'ingérence américaine dans les affaires haïtiennes. D'autres enfin, naïvement optimistes, souhaitent que la vérification donne une majorité indiscutable à leur favori, Martelly, bien sûr. Quant à moi, j'ai bien l'impression que tout comme la montagne de la fable, il n'en sortira pas grand-chose d'autre que du vent. Un vent pestilentiel, si vous voulez mon avis, car le choléra progresse, les amis. Il progresse et ça va vite. Des fois, on se demande si ce n'est pas la maladie elle-même qui, par la peur viscérale qu'elle engendre, ne va pas régler le problème des manifestations politiques en dépeuplant les rangs des manifestants... Ce serait drôle, vous ne pensez pas?

Car je l'avoue, la politique, comme toujours, me laisse de marbre. Je reste convaincu qu'un politicien, si bien intentionné qu'il soit, est d'abord et avant tout le jouet de la mécanique qui le sous-tend et qui lui permet d'être politicien. Or, cette mécanique obéit à des lois qui n'ont pas tant à voir avec la politique qu'avec la finance. Lire l'argent. D'où justement l'intérêt pour plusieurs de faire de la politique : l'argent n'est jamais bien loin. Mais la probité, l'honnêteté, la transparence, la vision, le dévouement, l'altruisme, bref toutes ces qualités qu'on espère retrouver chez un leader politique, eh bien comme elles ne sont pas vraiment nécessaires, elles brillent souvent par leur absence. Ainsi, je dirai que la qualité essentielle d'un bon politicien, c'est de pouvoir mentir de façon indétectable. Bon. Je suis cynique, je l'admets. Mais vous avez compris.

Pourtant et revenant à la situation ici, le pays ne peut pas rester sans tête. Les sarcastiques me diront que, tête ou pas, ça ne change pas grand-chose à l'affaire, et ils auront tort. Car justement pour la raison que j'ai mentionnée ci-dessus, le pays a besoin d'une tête, ne serait-ce que pour lui lancer des tomates de temps à autre. Il s'agit d'un rôle crucial et le bon leader sait cela. Il sait que sa position en est une de cible, de récepteur des ondes publiques. Et il tient le coup quand même. Un président pour Haïti donc, et le meilleur possible, c'est ce qu'on doit souhaiter pour 2011. Mais si, comme on le laisse entendre, les Américains s'en mêlent, le résultat s'en trouvera forcément altéré, et pas nécessairement dans le bon sens. Disant cela, je ne veux pas dire du mal des Américains : nous comptons chez ce peuple d'excellents amis. Mais bon. Ils sont ce qu'ils sont, et leur ingérence internationale ne date pas d'hier et ne concerne pas qu'Haïti, bien entendu. Je suis sûr qu'ils s'en trouve parmi vous, amis lecteurs et amies lectrices, qui sont autrement plus férus en la matière que votre humble scribe. La politique, je le redis pour les inattentifs, ce n'est pas ma tasse de thé, comme on le calque si gentiment de l'anglais.

Donc, si on ne fait pas de politique, on fait quoi? Eh bien on espère. Ne vous ai-je pas dit que l'espoir faisait vivre? Alors que certains, certaines vivent d'amour et d'eau fraîche (je serais d'accord si l'on remplaçait l'eau fraîche par du beaujolais), ici on vit d'espoir. Pas grand-chose d'autre. Et d'un jour à l'autre, les mois passent et les ans s'accumulent...

Et avec tout ça ou malgré tout ça (c'est selon), Noël approche, un Noël qui, si la tendance se maintient, pourra sans doute se vivre dans la paix, si temporaire qu'elle puisse être. Et qui osera me dire que la paix est passée de mode?

vendredi 17 décembre 2010

Petite semaine


En bout de ligne, c'est dans le calme que la semaine s'achève. Voilà que les préoccupations électorales ont laissé la place à celle beaucoup plus inquiétante de la propagation du choléra. Car oui, elle se propage, cette chère épidémie. Silencieusement, sournoisement même, elle envahit peu à peu la ville et empoisonne la vie des gens qui n'ont certainement pas besoin de cette maladie par-dessus tout le reste.

Mais heureusement, la semaine s'est déroulée à peu près normalement malgré une inquiétude palpable chez les commerçants. Et non sans raison : la photo ci-dessus représente une petite épicerie où nous avions l'habitude de passer. Propre, bien tenue, climatisée et relativement bien approvisionnée, c'était, au dire de plusieurs, l'une des meilleures en ville. C'était. On parle maintenant à l'imparfait. Des vandales, sous le couvert de la manifestation politique, ont tout saccagé et l'ont proprement incendiée, si bien que la perte est totale et, bien malheureusement, irrémédiable, car comment pourrait-on y remédier, je vous le demande? Les assurances ici, quand on peut en avoir, sont minimales et je doute fort qu'elles couvrent la perte de cet honnête commerçant dont la seule faute, au dire des manifestants, fut d'avoir exposé son choix politique, différent de celui de la majorité, ouvertement. Et la démocratie, dans tout ça? Eh bien je pense qu'elle vient d'en prendre une belle, la démocratie... Mais bon, ce sont des choses qui arrivent, n'est-ce pas? Dans le feu de l'action, bien des choses brûlent... Et remarquez bien que ce n'est pas qu'ici que ça se passe : si vous vous souvenez, les performances de certaines équipes sportives -- le Canadien de Montréal, entre autres, et certaines équipes de soccer -- ont conduit à bien des abus de la part d'une foule en délire. Détruire pour détruire n'est jamais bien difficile, en autant qu'on dispose de quelques instruments de destruction, qui peuvent être n'importe quoi, d'ailleurs. Construire, en revanche, est autre chose. D'où incidemment la raison pour laquelle la reconstruction du pays prend tellement de temps : ce n'est pas évident. Or, quand on voit des jeunes -- des jeunes, oui -- s'en prendre à un commerce et le réduire à néant comme ça, juste pour le jeu, eh bien ça fait mal. Et là, je ne parle pas que de moi, vous l'avez compris : tous les gens sensés partagent ce sentiment.  Mais bon. Quand c'est fait, c'est fait, et on souhaite seulement que les dégâts s'arrêtent là.

C'est qu'il n'est pas toujours facile de prévoir comment les choses vont tourner. Les élections ici sont chose sérieuse, même si la qualité du processus peut faire sourciller et même si on en ignore les enjeux fondamentaux. Les élections sont chose sérieuse parce qu'on croit au pouvoir du peuple de nommer en place le dirigeant choisi. Et si le processus est douteux, eh bien ça ne fait rien : il n'y a qu'à crier son choix dans la rue. Pourquoi d'ailleurs le vote devrait-il se faire en secret? Les secrets, ici, en sont souvent de polichinelle et tout le monde finit par tout savoir de l'autre sans qu'on y voit un quelconque inconvénient. La notion de vie privée ici n'est pas du tout la même, car tout se passe souvent dehors au vu et au su de l'entourage immédiat. J'ai ainsi assisté à de belles scènes, dont cette fois mémorable où le mari s'était fait prendre à découcher par sa femme. Le savon qu'il s'est fait passé sur la place publique, mes amis, je ne vous dis pas! Pour nous, spectateurs, c'était du beau vaudeville; pour le gars, ben disons que c'était moins drôle... Tout est dit dehors, tout se dit à qui veut l'entendre, et cela inclut le salaire, les maladies, les affaires de couchette, les bons et les mauvais coups et, bien sûr, pour qui l'on a voté. D'où la vengeance des manifestants sur ce pauvre commerçant, d'ailleurs. N'avait qu'à pas faire état de ses opinions politiques, tiens... Et vlan!

Tout ça pour vous dire que malgré le stress, malgré l'épée de Damoclès qui reste suspendue au-dessus de nos têtes, on ne se sent pas trop mal. Peut-être que finalement, on finira par avoir un Noël dans l'esprit de la fête, c'est-à-dire dans la paix et (non dans l'orgie de cadeaux qui trop souvent s'y trouve associée). Je vous reviendrai d'ailleurs sur le sujet (Noël), ne serait-ce que pour vous transmettre nos bons vœux.

Pour le moment, nous allons attendre de voir comment les choses vont tourner la semaine prochaine. Alors et comme toujours, n'ap swiv...

lundi 13 décembre 2010

Interlude


Je n'avais pas prévu écrire aujourd'hui. D'abord, parce que j'ai tout de même un peu de travail à faire, ensuite et surtout parce que je voulais profiter du calme de la journée pour vaquer à d'autres occupations. Mais bon. Vous me connaissez, maintenant... Je ne peux pas vous laisser comme ça, haletant d'impatience d'en savoir plus, frustrés de voir que les médias ne font que radoter le même refrain de l'indignation internationale. Pour tout vous dire, l'indignation, nous, on s'en tape. Non pas qu'elle ne soit pas fondée : elle l'est. Mais ce n'est pas l'indignation qui fera calmer la violence. Car le calme d'aujourd'hui pourrait bien se terminer pas plus tard que cette nuit, d'après ce que j'ai entendu... Imaginez : on nous a envoyé des renforts! Pas besoin d'être devin pour voir ce qui s'en vient, hein? Surtout qu'à mon sens, il y a, ici aux Cayes, un ou des enjeux qui n'ont rien à voir avec la candidature de M. Martelly et qui tournent autour de la prison et de son contenu. Je ne serais pas étonné s'il s'y trouvait emprisonné un baron de la drogue ou un puissant malfrat disposant de moyens financiers importants et prêt à payer le gros prix pour sa libération. Bien sûr, ce n'est qu'une idée personnelle et je peux me gourer tout à fait, mais dites-moi alors comment expliquer cet acharnement à vouloir libérer les prisonniers? En tout cas, tout ça n'augure rien de bon, je vous le dis tout net. Quant au cul-de-sac politique, inutile d'en parler, sinon pour dire que plus le temps passe, plus le mur semble infranchissable. On n'en sort pas : les élections ont été corrompues à l'os depuis leur conception, et la liste des irrégularités est tellement longue qu'elle en devient drôle. Voici ce que j'ai lu récemment sur la question : «Le Département d’État américain a fait part de sa préoccupation vis-à-vis de résultats ne reflétant pas les sondages avant le scrutin qui donnaient Jude Célestin proche de l'élimination.» Or, il est second, au classement! Alors dites-moi : qu'est-ce que vous diriez, vous autres? Il est donc bien clair que dans cette manipulation pas même dissimulée, la volonté du peuple ne s'y retrouve pas. D'où le mécontentement, d'où les manifestations. On peut dire que ça se tient, n'est-ce pas? Mais encore une fois, comment peut-on s'en sortir? Comment peut-on sauver et la chèvre et le chou? Je pense que ce n'est pas possible. Les candidats sont à couteaux tirés. On ne peut plaire à l'un sans frustrer les autres. Une impasse, je vous dis. Un cul-de-sac. Un mur. Or, tout le monde sait ce qui se passe lorsqu'on percute un mur à haute vitesse...

Sommes-nous en danger? Un peu. Non, je ne minimise pas : je dis les choses telles que je les perçois. Je ne pense pas que nous soyons ciblés par ces épanchements de violence, mais oui, il y a danger, car on peut faire partie des inévitables dommages collatéraux : quand ça tire, il y a forcément de la casse. Alors on essaie de se faire petits, de se faire discrets et de laisser les excités se battre entre eux. Le combat du peuple haïtien ne nous concerne pas. Il est par et pour les Haïtiens. Bien sûr, on voudrait bien qu'ils obtiennent satisfaction, qu'ils puissent nommer à la tête de leur pays un chef en qui ils ont confiance, mais nous n'avons pas à leur donner de conseils sur la bonne façon de s'y prendre pour obtenir ce résultat. Je ris quand je vois tous ces «experts» qui affirment savoir, la plupart du temps à travers leur chapeau, comment résoudre cette crise. On excelle toujours à régler les affaires des autres. La vérité est beaucoup plus simple : les Haïtiens ne sont tout simplement ni Canadiens, ni Américains, ni Français, ni Chinois. Ils sont Haïtiens et de ce fait, ni meilleurs ni pires que n'importe qu'elle autre nationalité. On n'a pas à les juger, surtout pas en faisant des généralisations qui les déshumanisent. Quand j'entends des pseudo-experts dire : «Les Haïtiens sont comme ci, les Haïtiens sont comme ça», avec cette connotation faite de mépris et de condescendance, ça m'agace. Chez les Haïtiens comme partout ailleurs, il y a des bonnes gens, il y a des idiots, il y a des brillants et il y a des mauvais éléments. Comme le disait mon ami Gilles : «Ça prend toute sorte de monde pour faire un monde.»

Tout ça pour vous dire que, une fois de plus, nous sommes sur le qui-vive. Quand la violence éclatera à nouveau nous allons nous terrer tant bien que mal et attendre que ça passe. Car ça va passer. C'est juste qu'on ne sait ni quand ni comment. Pour ceux et celles qui lisent l'anglais, je vous recommande cet excellent article qui fait pas mal la synthèse de ce qui se passe et de ce qui s'est passé.

vendredi 10 décembre 2010

Un jour à la fois


Vous allez me trouver un peu déprimant, sans doute, mais que voulez-vous? La réalité d'ici n'est pas rose, alors il me serait difficile de vous la dépeindre comme telle. Car rien n'a changé : la violence court les rues, c'est le cas de le dire, et quand ce n'est pas dans une zone, c'est dans l'autre, si bien que les maigres forces de l'ordre (Minustah et police nationale) en ont plein les bras et même davantage. Surtout que l'un des objectifs des manifestants, c'est de prendre d'assaut le commissariat, de s'emparer des armes et de libérer les prisonniers. Comment une telle stratégie sert-elle la candidature de M. Martelly? En rien, bien entendu. Tout comme de mettre le feu aux immeubles gouvernementaux : on dit que la Douane, le ministère des Finances et la Direction générale des Impôts ont été rasés et ce saccage choque. Personne n'approuve. Mais ce qu'on voit dans la rue, ce sont des jeunes, voire des très jeunes qui ne savent sans doute même pas pourquoi ils sont là. Ce qui ne les empêche pas d'être là... Et de faire du désordre, de lancer des pierres grosses comme le poing et de de se prendre pour Rambo. Pathétique, je vous le dis tout net.

Hier après-midi, nous avons quand même eu chaud. Les manifestants descendaient la rue en vue de s'attaquer au commissariat, justement, et disons que leur marche n'avait rien de pacifique... Ils se sont heurtés aux soldats onusiens qui les ont dispersés au moyen de gaz lacrymogènes. Sauf que dans cette débandade, certains ont choisi de sauter la clôture qui nous sépare de la rue et ont commencé à vouloir faire un plat ici. Et pas moyen de les faire ressortir par la porte, puisque l'ouvrir, c'était l'ouvrir à la horde de manifestants! Cependant et grâce au dévouement de l'un de nos gardiens de sécurité qui a houspillé ces jeunes de belle façon, leur disant qu'un hôpital, c'était sacré et qu'il n'avaient pas le droit de s'en prendre à la propriété de l'hôpital, ils ont filé en sautant la clôture de derrière. N'empêche que lorsque ces voyous se sont dirigés vers notre maison, nous n'avons pas tellement apprécié. Oui, nous sommes à ce point vulnérables. En fait et pour tout vous dire, seul notre statut d'hôpital nous protège et avouons que c'est une protection bien maigre...

La nuit fut calme. Mais pas paisible. L'adrénaline et le sommeil s'accordent mal, je ne vous apprends rien, et tandis que ma compagne ronflait du sommeil du juste, moi je restais à l'affût du moindre son qui aurait pu signifier un truc pas normal. Évidemment et comme vous vous en doutez, j'en ai entendu plus que mon quota... Toutes de fausses alertes, bien entendu, sinon je ne serais sans doute pas en train de vous écrire ce matin. Mais reste que ça vous perturbe un sommeil, je n'ai pas besoin de vous le dire...

Finalement le matin est arrivé, les cloches de la cathédrale se sont fait entendre à leur heure habituelle (5 h) et j'ai su que la nuit était finie.

Présentement, c'est calme. Des coups de feu se font toujours entendre, mais sporadiquement et plus loin. Cependant et bien que tout le monde souhaite que ce soit un signe annonciateur du retour à la normale, nous savons que ce n'est qu'une accalmie, que la violence n'est pas encore terminée, car le tunnel dans lequel nous sommes est long et noir : pas la moindre lueur n'est visible au loin. Comme tout le monde, donc, nous attendons.

Et le choléra, croyez-vous qu'il attend, le choléra? Eh bien non. Il continue de se propager, sauf que les personnes atteintes meurent faute de soins et leurs cadavres contaminés sont, à ce qu'on m'a dit, simplement traînés jusqu'au cimetière...

Je vous avais prévenu que vous alliez me trouver un peu déprimant...

mercredi 8 décembre 2010

Le parfum du pneu qui brûle


Fumez-vous du pneu? Non, il n'y a pas de faute de frappe : je ne veux pas dire humez-vous, mais bien fumez-vous. Car humer l'odeur du pneu qui brûle est difficilement évitable, même avec un rhume; et ça sent pas la rose... Mais la sensation qu'on a présentement, c'est plutôt celle de la fumée qui s'immisce dans les poumons à chaque respiration et qui augmente d'autant le sentiment d'oppression qui est présentement notre lot. Et pendant que je vous écris ces lignes, les coups de feu claquent, presque sans discontinuer et l'on sait que cela n'augure rien de bon. Aux dernières nouvelles, les manifestants -- les violents qui ont des armes -- ont projet de prendre d'assaut la base de la MINUSTAH. Ça promet. Je ne sais pas pour vous, mais pour nous, c'est «prends ton trou et restes-y». Rien à faire d’autre que se terrer, dans ces temps-là…

Y'a-t-il du danger pour nous? Réponse franche : oui. Car le danger est là, omniprésent, pour tout le monde et jusqu'à preuve du contraire et même si ma tendre compagne prétend souvent le contraire, nous sommes «du monde». Certes, notre maison est assez en retrait de la rue et l'hôpital n'est pas, par définition, une cible potentielle de destruction, comme l'ont été certains édifices gouvernementaux. Donc et en principe, nous sommes dans une sécurité relative. Relative. Tout est là, dans ce petit mot. Car si quelques échaudés décident de venir faire du grabuge dans l'enceinte, il n'y a rien à faire pour les en empêcher! Appeler la police? Elle est complètement débordée, la police. Tout comme le sont les forces onusiennes, d'ailleurs. Bref et comme on dit ici, nou pou kont nou : nous sommes livrés à nous-mêmes.

Tout ça pourquoi? Pour cause d’injustice flagrante. Quand vous jouez avec des dés truqués et que vous dites : «J'ai gagné», disons qu'il risque de s'en trouver pour contester votre victoire... Or, c’est précisément ce qui s’est passé. On a dit, sur tous les tons dans toutes les gammes, que les élections avaient été corrompues. Parmi les histoires entendues, celle de camions (pluriel) transportant des bulletins de vote déjà complétés pour remplacer les originaux! Or la différence entre Martelly (le populaire/défait) et Célestin (le mal-aimé/sélectionné pour le second tour) est minime — pas même 7,000 voix — si bien que les manifestants ont certainement quelque motif raisonnable pour exprimer leur mécontentement. Mais de là à mettre le pays à feu et à sang, il me semble que c'est peut-être un peu exagéré... Haïti, pays de la démesure...

Inutile de vous dire que notre petit hôpital est fermé. Congé forcé pour tout le monde. Personne ne s’en réjouit, pourtant. Cependant et comme je le dis à qui veut l'entendre, nous ne faisons pas de politique et les soins de santé sont pour tout le monde, agresseurs aussi bien qu'agressés. Une vraie petite Suisse, tiens...

Heureusement, nous avons fait provision de l'essentiel (nourriture et carburant), et de ce côté donc, nous sommes tranquilles pour les prochains jours. C'est déjà ça. Comme le disait fréquemment l'un de mes bons amis : "Count your little blessings". Ce pourrait être pire. Mais ce pourrait être pas mal mieux, avouons-le.

Donc, nous tenons le coup et attendons que les choses se tassent et rentrent peu à peu dans l'ordre. Ça va venir. Mais pas tout de suite. Pas aujourd'hui, pas la nuit prochaine, pas demain, en fait, probablement pas avant la semaine prochaine, si bondye vle...

Alors voilà, vous en savez autant que nous. Quoi? Vous dites que c'est peu? Bienvenue dans le club!

samedi 4 décembre 2010

Des élections cholériques


Vous vous doutez bien que j'attendais. Comme tout le monde. Quand on sait combien il s'en faut de peu pour que le pays s'excite dangereusement, on comprend que les élections présidentielles peuvent aisément dégénérer. Ç'a bien failli, d'ailleurs... Mais la semaine s'est passée dans un calme relatif, les esprits chauds ont eu le temps de se rafraîchir un peu et les activités ont repris leur cours à peu près normal. Je dis «à peu près», car la tension est dans l'air; on sent que cette charge ionique pourrait facilement exploser à la moindre étincelle. Qui pourra fort bien se produire dès le début de la semaine prochaine, lorsqu'on annoncera officiellement les résultats de cette élection dont on a tout dit et dont je ne vous parlerai donc pas. Si vous avez suivi un tant soit peu la couverture médiatique, vous savez tout : vous savez la frustration des candidats, vous savez les irrégularités, vous savez la farce monumentale qui a caractérisé l'exercice. Comme je vous l'ai signalé, le principe démocratique s'exprime mal quand les dés sont pipés. Et ils le sont, forcément...

Ce qui fait que tout le monde attend. Ici, plus que jamais, ça passe ou ça casse. Des fois, ça passe en cassant, alors c'est vous dire... Mais il faut attendre et l'attente, c'est l'accalmie, c'est la vie qui continue et déjà, à la radio, le discours cholérique a remplacé l'autre. Car l'occasion est trop belle de jeter le blâme sur la Minustah pour qu'on s'en prive, n'est-ce pas? Là encore, si vous avez suivi un tant soit peu les médias, vous savez que la psychose du choléra a atteint une autre dimension avec le lynchage de ces pauvres malheureux dans le sud-ouest du pays. Et je pourrais vous en dire long sur l'absurdité et la solidité des superstitions locales, mais ce sera pour une autre fois. Pour l'instant, dans notre coin de pays, la situation reste acceptable (environ 295 cas dans le département du sud et 25 décès), mais pour combien de temps encore? Les délégués de diverses associations sont venues me rencontrer à plusieurs reprises cette semaine pour voir s'il n'était pas possible d'installer un CTU (Cholera Treatment Unit) sur notre terrain, un très bon emplacement, selon eux. Malheureusement, les patrons en ont décidé autrement. Je dis «malheureusement», car je comprends la nécessité d'établir ces unités de traitement où l'on peut vraiment contrôler la maladie, mais pour dire franchement, je suis un peu comme tout le monde : content de les voir s'installer ailleurs. Reste qu'ailleurs commence à être sérieusement problématique pour ces organisations, car personne ne veut entendre parler de choléra! Le syndrome du «pas dans ma cour» prend ici une dimension nationale, et je vois le moment où l'État devra s'en mêler... L'État... Quand il y en aura un, bien entendu...

Ce qui me ramène aux élections. Non pas pour vous dire qui est le meilleur -- j'en serais incapable --, mais plutôt pour vous dire combien ce cirque fascine. Et fait peur.

Les élections ont fait couler pas mal d'encre et de salive, mais pas trop de sang... du moins jusqu'à maintenant. Mais ça ne saurait tarder. Toute la semaine, on a entendu des coups de feu et les résultats ne sont même pas sortis. C'est vous dire l'état d'effervescence du peuple... En fait, il ne s'agit pas du peuple, mais plutôt de ces agitateurs professionnels (pour ainsi dire) qui, un peu selon le modèle des lobbyistes, font feu de tout bois et s'indignent de tout et de rien, juste pour contrer le système. Sauf qu'ici, cette opposition ne se contente pas de se faire entendre : elle fait aussi entendre le son de ses armes à feu, ce qui introduit une nouvelle dimension dans la protestation, vous l'admettrez. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, quelqu'un qui n'a pas la même opinion que moi, je trouve que c'est une belle invitation à débattre. Mais si on me met un pistolet sous le nez, eh bien je perds le goût de débattre, disons...

Tout ça pour vous dire qu'avec l'annonce officielle des résultats en début de semaine prochaine, ça va sûrement chauffer. On s'y attend, on s'y prépare psychologiquement (car physiquement, on ne peut pas y faire grand-chose) et on souhaite que ça va s'estomper comme la dernière tempête tropicale, mais rien n'est moins sûr...

Choléra + manifestations politiques = ???

mardi 23 novembre 2010

Rose Haïti


La misère d'Haïti, c'est un refrain connu. Petit pays, petit peuple, petite vie... on sait tout cela. C'est le côté face, celui qu'on voit aisément, qu'on propage dans les médias, qui se "vend" bien et qui émeut "les cœurs qui saignent", comme le disent les anglos ("bleeding hearts"). À la fin, y'en a marre. Aujourd'hui, je vous parle du côté pile d'Haïti, le côté insouciant, rieur, spontané et racoleur de ce peuple qui n'a besoin de personne pour vivre sa vie. Je vous dis ça parce que ce dimanche dernier, nous sommes allés à Gelée, ce petit patelin tout près des Cayes où la Fondation possède une maison--deux, en fait, mais ce n'est pas de cela dont je veux vous entretenir aujourd'hui, alors je passe. Gelée donc, dont le nom évoque le froid et non les tropiques... Alors ne me demandez surtout pas le pourquoi du nom, je n'en sais vraiment rien et j'avoue avoir été aussi surpris que vous d'entendre ce nom ici, aux Cayes, mais en Haïti, tous les noms existent, il suffit de les créer et ta-dam! Gelée donc. Mais bonne chance pour en trouver (de la gelée, je veux dire)!

Donc nous sommes à la maison. La vue porte sur la mer au loin et au premier plan, sur des enfants qui jouent sur l'herbe. Trois enfants, de 7-8 ans environ, à moitié nus et promenant au bout d'une ficelle une espèce de boîte montée sur roues, un peu comme sur la photo. L'un tire, la voiturette roule et les autres rient. Est-ce un jeu? Sûrement puisque ce n'est pas un travail. Mais c'est un jeu pur, sans finalité autre que celle de divertir. Et ces enfants, pieds nus dans l'herbe (clin d'œil ici à Félix Leclerc, vous l'aurez deviné), jouent au plus beau jeu du monde, celui de l'insouciance. Ici, rien à gagner, rien à prouver, aucune stratégie, aucune finesse, rien que de l'innocence. Le choléra? S'en foutent. Les élections? Encore plus. Ils sont là, émerveillés de ce rien autour duquel leur petite vie gravite. N'ont même pas conscience que je les observe... Et de toute façon, n'en ont rien à cirer. Car je ne peux comprendre. Je regarde, je les écoute et je ne comprends rien. Il me semble que leur jouet est tellement simpliste qu'il ne mérite pas plus de 30 secondes d'attention. Et pourtant, ils tournent autour, tirent la ficelle à tour de rôle et s'émerveillent visiblement de la mécanique ou des lois physiques qui sous-tendent la patente. Du beau, les amis, du pur. Du vrai. Vous voulez savoir où est la vérité? Dans la concentration de ces enfants. Qui n'ont rien, je le rappelle au cas où vous l'auriez oublié; qui dorment la plupart du temps à même le sol, recroquevillés en chien de fusil; qui mangent une fois par jour et pas du boeuf braisé, soyez-en sûrs; et qui n'ont rien à faire de leur journées. Vraiment rien. Et qui s'inventent ces façons merveilleuses de passer le temps. Eh bien ça, les amis, c'est aussi Haïti et ça réchauffe bien davantage que le soleil de novembre (qui reste encore bien puissant, croyez-moi).

Je dis cela et vous avez compris que je ne parle pas que des enfants d'Haïti. Les enfants, en général, sont insouciants, naïfs, spontanés et aiment jouer. Mais je pense qu'il faut remettre les pendules à l'heure. J'ai d'ailleurs déjà mentionné la chose (Tout le monde est malheureux) : les conditions de vie en Haïti sont dures, ne nous leurrons pas, mais la façon de vivre haïtienne est simple et bon enfant. "Depi nou sou de pye nou bon" qu'on peut traduire par "en autant qu'on soit sur nos deux jambes, ça va" résume assez bien cette attitude zen qui sait se satisfaire de peu. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'aspire pas à plus! Mais on sait apprécier ce qu'on a.

Tout ça pour vous dire que les problèmes d'Haïti, y'a pas que ça. Il y a dans ce pays quelque chose qui dépasse le stade des problèmes, qui les transcende, si je puis dire... Il y a de la chaleur, et je ne parle pas seulement du climat, vous l'avez deviné; il y a de la candeur, de l'insouciance et oui, j'ose le dire, du plaisir à vivre. Et à laisser vivre des enfants qui jouent avec une boîte de plastique montée sur quatre roues de fortune et qu'on tire en courant...

samedi 20 novembre 2010

Minustah et choléra


J'étais parti pour vous parler de choléra, mais voyant cet article de la presse, je bifurque. On s'élève haut et fort contre la MINUSTAH, qu'on rend responsable de tous les maux du pays dont, évidemment, le choléra. Un peu comme l'âne de la fable, d'ailleurs; si vous vous souvenez, j'ai abordé le sujet en 2008, alors qu'on voulait évincer la MINUSTAH qu'on disait alors responsable de la vie chère. Or, je l'ai dit, c'est un fait observable que la force onusienne ne fait pas grand-chose dans le pays, à part se pavaner dans leurs véhicules clairement identifiés. MAIS, ils représentent l'ORDRE dans un pays instable. Leur mission, vue sous cet angle, me semble plus facilement justifiable : MINUSTAH = Mission des Nations-Unies pour la stabilisation d'Haïti. Or, ces gens armés maintiennent l'ordre et plusieurs savent bien que sans eux, le pays risquerait de sombrer dans la violence chronique. Mais l'ordre, en Haïti, n'est pas aimé. Or, comme les élections sont dans 8 jours, la présence onusienne dérange, on l'aura compris...

Cela dit, il faut admettre qu'en temps normal, il est permis de s'interroger sur la valeur de leur présence. On les voit, de temps à autre, faire un peu de shopping, se prélasser dans leur camion 6 x 6 ou pire, sur les plages qu'ils envahissent sans vergogne, poussant même l'arrogance jusqu'à y installer leur propre génératrice de façon à couvrir le bruit des vagues, sans doute... Car n'y a-t-il rien de plus irritant que le bruit des vagues, je vous le demande? Alors que le moteur d'une génératrice de 10 kW, c'est tellement plus familier et rassurant... On dit aussi qu'ils contribuent à faire monter les prix des denrées. Je ne le crois pas, mais il est bien clair que les commerçants en profitent pour ajuster leurs prix à la hausse quand débarquent les uniformes... Et dites-moi que vous ne feriez pas pareil! Surtout que ces militaires sont visiblement financièrement à l'aise...

Des mal-aimés donc, et pas sans raisons. Pourtant en seconde analyse, leur présence n'est peut-être pas aussi futile que cela. Le pays est souvent sens dessus dessous, et ils peuvent contribuer à rétablir un semblant d'ordre, je le répète. Ou plutôt, à éviter le trop grand désordre, nuance. Et puis, il faut bien le dire, ils constituent un paratonnerre de choix, attirant la foudre populaire, laquelle éclate souvent dans un ciel sans nuages, par ici... Pendant qu'on tire à boulets rouges (presque littéralement) sur ces braves soldats pacifiques (belle antithèse, avouez!), le reste de la population est épargné ou en tout cas, moins affecté. Si bien que, faisant la part des choses, je pense que leur présence est somme toute utile.

Quant au choléra dont on les rend responsables, je le redis : la chose est certainement possible, mais pas prouvée. Et les photos d'un camion vidangeant sa merde ne veulent rien dire : la pratique est courante et n'a rien à voir avec le choléra.

Pourquoi donc manifester contre la MINUSTAH? Pourquoi bloquer les routes et empêcher les convois d'aide médicale d'arriver à destination? Je n'en sais rien! Et je défie n'importe quel "expert" de me donner une explication qui tienne la route... Car pour moi, une telle inconscience ne s'explique pas. Je sais ce que certains diront : "Les Haïtiens sont comme ça." Mais même si c'était vrai, ce n'est pas une réponse. Les Haïtiens ne sont pas différents de n'importe quel autre humain et la pyramide de Maslow s'applique tout aussi bien à eux qu'à n'importe quel peuple. Or, que trouve-t-on tout au bas de la pyramide? Les besoins physiologiques. Quand on est malade, ces besoins ne sont pas comblés et tous les autres besoins deviennent secondaires du seul fait qu'on n'a pas la santé. C'est là un fait observable et je suis sûr que vous l'avez tous et toutes observé à un moment ou à un autre. Déjà, qu'on poursuive la campagne électorale alors même que le danger d'une explosion de choléra est de plus en plus menaçant est une aberration difficile à comprendre. Certes, on peut avancer que la situation ne sera guère mieux dans les mois à venir, alors inutile d'attendre. J'accepte ce raisonnement. Mais il n'en fragilise pas moins la raison d'être des élections qui, rappelons-le, se veulent un exercice démocratique. Dans le présent contexte, des élections démocratiques me paraissent bien utopiques... Qui que ce soit qu'on élise, et qu'importe le nombre d'observateurs certifiés ONU, il sera permis de douter de la valeur du processus; de là à douter de la valeur du nouveau président (ou de la nouvelle présidente, possiblement), il n'y a qu'un pas, que les mécontents vont allégrement franchir, on s'en doute bien...

Tout ça pour vous dire que ça ne va pas tellement bien au pays des "mango fransik". Ce qui n'empêchera pas les mangues de pousser tout à leur aise, bien entendu...

Comme quoi tout est relatif. Évidemment, la préoccupation cholérique reste entière et fondée, tout comme l'est la préoccupation colérique, qui n'est pas vraiment apparentée à la première mais qui reste tout aussi chiante, si vous voyez ce que je veux dire...

samedi 13 novembre 2010

Les malheurs d'Haïti


Je n'ai pas vraiment envie de vous parler de choléra. D'abord, c'est dégueulasse comme maladie; ensuite, le seul fait d'en parler est suffisant pour que se répande la peur, une peur viscérale, intestinale si je puis dire, d'attraper ce sale microbe. Microbe emmerdant, pourrait-on dire... Mais le fait est qu'il s'agit là d'une maladie hautement contagieuse et à l'évolution fulgurante, diarrhéique, si vous me passez le terme...

Bon. Où en sommes-nous? On ne sait pas trop. On sait qu'il y a quelques cas à l'hôpital Général des Cayes, mais on ne sait pas comment ça se passe. Secret d'État? Non, non. Juste l'absence de renseignements fiables et à jour. Alors on attend et on surveille. La semaine dernière, le jeudi du cyclone pour être précis, j'ai reçu une délégation de Médecins sans Frontières (je vous en ai touché un mot dans mon dernier texte) qui venaient précisément pour voir où en était la situation aux Cayes et nous aider autant que possible à faire face à une éventuelle poussée de la maladie. Mais la présence de TOMAS à nos portes a fait bifurquer les préoccupations, pour ainsi dire. Quand tout est prioritaire, il faut prioriser les priorités; c'est ce qu'on a fait. TOMAS est maintenant chose du passé et on peut maintenant prendre le temps de voir ce qui se passe côté choléra. Évidemment et comme il fallait s'y attendre, ça ne va pas trop bien. Je dis "comme il fallait s'y attendre" car il fallait vraiment s'y attendre : le pays est très peuplé et les gens voyagent beaucoup. Ici, par exemple, il n'est pas rare de voir se pointer des patients qui viennent de l'autre bout du pays, simplement parce qu'ils ont entendu parler de notre hôpital. Or, les gens peuvent être porteurs sans avoir de symptômes ou lorsqu'ils incubent la maladie (1-5 jours), ce qui permet une propagation optimale. Ajoutons à cela la tradition courante (et si chaleureuse) de donner la main à tout un chacun et l'on comprendra que contenir la maladie devient un défi de taille... Par ailleurs, les conditions de vie actuelles à Port-au-Prince ne peuvent que favoriser la propagation de la bactérie et je vous parie une tonne de beurre contre une Thunderbird que nous allons bientôt nous retrouver face à une épidémie nationale hors contrôle. Tout ça pour vous dire que c'est plutôt emmerdant. Car si le choléra se soigne sans trop de problèmes, il n'en reste pas moins une maladie grave, souvent mortelle, osons le dire, et donc guère réjouissante dans ses perspectives.

Parlant hier avec le médecin responsable de l'implantation de mesures d'urgences au regard de cette maladie, celui-ci me disait, sans émotion ni désir de se faire valoir, que ce n'était qu'une question de temps avant que l'on parle d'épidémie dans notre coin de pays, et ce, pour la simple raison que je vous ai donnée ci-dessus : les gens voyagent. Mais ils (Terre des Hommes et Médecins sans Frontières) sont presque prêts. Ils ont monté un "camp choléra", indispensable pour isoler les malades d'une part et les traiter adéquatement d'autre part. Alors et comme je dis souvent : "N'ap swiv". Reste que plusieurs s'émeuvent de ce que les épreuves semblent fondre sur Haïti comme du mozarella sur un croque-monsieur : en s'étendant et en faisant couche. C'est peut-être un peu vrai. Juste pour dire : hier matin encore, il y a eu un autre tremblement de terre, de magnitude 4,4, entre ici et Port-au-Prince. Non, ça n'a pas fait les manchettes, mais tout de même, ce n'est rien de bien rassurant... Et pendant que j'écris ces lignes, une tempête tropicale est en formation au sud du pays... (Soupir)

Et pendant ce temps, que font les Haïtiens? Ils sont en pleine campagne électorale! L'aviez-vous déjà oublié? Et ça non plus, ça n'arrangera en rien les choses... Mais pour nous, le travail se poursuit, comme en témoigne la photo ci-dessus. Faut ce qu'il faut, hein?

Et puis comme disent les anglophones avec leur inimitable accent : "C'est la vie!"

samedi 6 novembre 2010

TOMAS est passé


Mon silence en aura peut-être inquiété quelques-uns, quelques-unes. Désolé. Comme on dit ici: "Se pa fòt mwen." La tempête tropicale TOMAS, dont je vous ai parlé la dernière fois, a suivi la trajectoire annoncée et a, de ce fait, heurté le pays dans sa partie sud-ouest, principalement. C'était pendant la nuit de jeudi à vendredi dernier. Le vent était assez impressionnant. Pas beaucoup de pluie, cependant, et c'est ce qui a réduit sensiblement l'ampleur des dégâts. Tout de même, j'avais pris certaines précautions, dont le retrait de notre antenne Internet qui, vu sa taille et sa forme (une soucoupe de 6 pieds) me paraissait très susceptible de s'envoler au vent, devenant de ce fait une véritable soucoupe volante, objet volant clairement identifié, certes, mais inapproprié dans cette fonction. Donc, je l'ai sagement rangée pour la durée de la tempête. Cette mesure préventive s'est révélée inutilement préventive--le vent était puissant, oui, mais n'aurait pas suffi à déranger l'antenne, je le sais aujourd'hui. Si bien que nous avons perdu la connexion depuis jeudi. Voilà pour la petite histoire et la raison de mon silence. Mais aujourd'hui, je refais surface et tout rentre dans l'ordre.

Cela dit et comme je le disais à ces Suisses de Médecins sans Frontières, à la différence du tremblement de terre qui surprend tout le monde par son instantanéité, l'ouragan annoncé nous laisse le temps de se préparer. Et quelquefois, on veut tellement bien faire qu'on fait mal, le mieux étant l'ennemi du bien, comme tout le monde le sait. Il y a des remèdes qui sont pires que le mal, surtout lorsqu'il s'agit de prévenir un mal dont on ne connaît pas encore la gravité... Bref, nous avons fait plusieurs préparatifs qui se sont avérés inutiles, mais bon, comme le disent nos voisins anglophones : "Better safe than sorry." Et avec un peu de chance, TOMAS sera le dernier en ligne de la suite de ces tempêtes qui nous font toujours un peu peur... Historiquement, Les Cayes a déjà été détruite par un ouragan, alors croire que la chose ne peut se reproduire ressemblerait à croire que la foudre ne peut frapper deux fois au même endroit, en plus naïf... Mais en tout cas, ce ne fut pas cette fois et tout le monde s'en congratule mutuellement, incluant l'ambassade du Canada (dont je suis l'humble "warden" pour la zone) qui s'inquiète toujours de la santé de ses ressortissants, dans ces temps-là.

Une tempête qui aura fait plus de peur que de mal donc, mais qui n'en aura pas moins permis d'alimenter l'appétit insatiable des médias pour les catastrophes. Je ne vous donne pas de références : vous avez l'embarras du choix. Cependant et contre tout espoir journalistique, la tempête ne fut nullement synonyme de catastrophe, je le redis, et aujourd'hui samedi, le soleil luit dans un ciel que seuls de petits nuages bien inoffensifs parsèment ici et là. Un vrai beau ciel haïtien (photo ci-dessus)... Alors assoiffés de drames et de désastres, vous devrez rester sur votre appétit ou vous rabattre sur autre chose, comme l'éruption du volcan Merapi, tiens.

En tout cas et quant à nous, nous sommes bien et bien contents de l'être!

samedi 30 octobre 2010

Choléra et autres (bis)


Mon dernier texte s'intitulait également "Choléra et autres". "Autres" dans ce contexte s'appliquait au risque toujours présent, nous dit-on, d'un éventuel séisme. Mais j'avais mis le terme au pluriel, sachant trop bien combien les situations évoluent rapidement en ce coin du monde. Or, ce matin, vérifiant les dernières informations issues de la NOAA, nous voilà face à une image qui n'a rien de bien rassurant (ci-dessus). La tempête tropicale "Tomas", bien que distante des côtes haïtiennes, s'y dirige de son train de sénateur -- environ 24 km/h --, et n'en passera pas très loin, en fait assez près pour qu'on en sente les effets pernicieux, j'en suis persuadé. Surtout qu'il y a fort à parier que cette tempête continuera de s'enfler, méritant de ce fait le titre d'ouragan, un joli nom pour une manifestation climatique excessive... (Voilà, c'est déjà fait: il s'agit maintenant officiellement d'un ouragan.)

Un mal de plus donc. Un autre. J'ai bien tenté d'en alerter mes troupes ce matin, mais rien n'y a fait. M'ont regardé poliment et m'ont répondu : "Ah oui?" d'un ton qui en disait long sur leur conviction. Faut dire que la radio locale n'a pas encore alarmé le public, alors mes informations n'ont rien de bien impressionnant. Comme l'ouragan n'est pas prévu dans le coin avant mardi, le scepticisme a encore sa raison d'être. Peut-être bifurquera-t-il vers le nord? Ou s'évaporera-t-il dans la stratosphère? Ou s’essoufflera-t-il faute de carburant? En fait, tout est bon pour croire qu'il ne nous affectera pas. Mais personnellement j'en doute. Je pense que celui-ci va nous faire suer, pour ne pas dire plus en plus vulgaire...

Mais je vous le demande, que faire? Placarder? On le fait, en partie au moins. Et pour le reste? Ben on attend. Habituellement, ces phénomènes météorologiques se caractérisent par des pluies diluviennes et des vents à écorner les bœufs, et bien que les dommages puissent être lourds et coûteux, on fait avec et la vie continue... Difficile d'être pro-actifs, même en disposant d'avance d'une information fiable... La tempête passe, les chiens aboient et tout rentre dans l'ordre ou dans ce qui en tient lieu ici. Car, circulant en ville ce matin, on peut se demander quel ordre subliminal prévaut ici. Mais bon, la folie motorisée n'est pas nouvelle et par conséquent, on s'y ajuste, à la condition d'avoir un klaxon, bien entendu; l'ouragan, en revanche, ben c'est l'ouragan. Qui vivra verra.

Et finalement, pour conclure avec cette affaire de choléra, je vous réfère à cet article paru hier sur Cyberpresse et qui reprend, presque mot pour mot, celui dont je vous parlais hier. Rien pour améliorer le sort de ces sympathiques militaires si mal aimés...

Et l'Halloween? Eh bien si vous vous souvenez de mon texte de l'an dernier sur le sujet, vous savez ce que j'en pense...

vendredi 29 octobre 2010

Choléra et autres...


Le choléra. Tout le monde en parle, alors il faut bien que j'y aille de mon grain de sel moi aussi, n'est-ce pas? Surtout dans le contexte de l'hystérie collective qui court maintenant les rues et qui risque de faire plus de tort que la maladie, si on ne la freine pas à temps. Je pense que c'est incidemment la raison pour laquelle on a subtilement modifié le discours alarmiste des derniers jours pour un nettement plus optimiste : l'épidémie est contenue, tout baigne. Ben oui. Moi aussi je vais vous dire la vérité : je suis le fils du pape et de la mairesse de Ste-Cunégonde-en-Cloques. Voilà, je ne voulais pas l'avouer, mais maintenant, vous savez tout. JE BLAGUE! Tout comme les médias qui disent que l'épidémie est endiguée! La vérité est tellement plus simple : on n'en sait rien!!! Et comme si ce n'était pas assez, voilà maintenant qu'on cherche à en attribuer la cause... aux soldats onusiens! Je vous recommande cet article, paru hier (oui, c'est en anglais, désolé pour les unilingues). Doit-on croire cette histoire un peu tirée par les cheveux, mais tout de même possible? Ou si l'on doit n'y voir que la propension tout à fait haïtienne à vouloir rendre la MINUSTAH responsable de tous les maux du pays? En tout cas, si jamais c'était vrai, je pense que la présence de ces militaires venus d'ailleurs serait certainement compromise, à tout le moins pour les Népalais!

Plus alarmant (mais certainement moins alarmiste) est ce rapport tout à fait scientifique qui affirme que la "faille l'Enriquillo-Plantain Garden «reste un grave danger sismique pour Haïti, en particulier pour la région de Port-au-Prince», met en garde l'étude, publiée par le journal Nature Geoscience." Là où ça devient intéressant, c'est que l'étude avance que le tremblement de terre de janvier dernier pourrait NE PAS être dû aux soubresauts de cette faille, mais plutôt d'une faille secondaire. Or, bien que n'étant pas géologue, j'avoue un intérêt bien réel pour cette science, sans doute en grosse partie à cause de l'échelle temporelle qu'elle sous-tend. Tout peut arriver en un instant (le tremblement de terre, par exemple), mais tout prend son temps pour arriver. La tension peut s'accumuler pendant des milliers d'années avant de se relâcher d'un seul coup. Donc, oui, la situation reste préoccupante, justement parce qu'on ne sait pas. En outre, qu'on me permette de rappeler ici que l'an dernier, après une pluie particulièrement forte, l'étang de Miragôane, qui longeait la route depuis toujours, s'est soudainement gonflé au point d'inonder complètement la route sous plus d'un mètre d'eau. Ce sont des choses qui arrivent et tout le monde s'attendait à ce que les eaux se résorbent et que la route redevienne accessible. Eh bien non. L'inondation est devenue permanente, forçant la construction d'un autre tronçon de route à même la montagne. Or, je l'avoue, je n'ai rien lu de concluant capable d'expliquer la hausse du niveau de l'étang. Se pourrait-il que ce phénomène ait été avant-coureur du séisme de janvier dernier? Pourquoi pas? C'est dans la même zone, en tout cas... Mais si c'est le cas, si le phénomène était vraiment d'origine géologique et que personne n'a allumé, alors c'est un peu embarrassant, vous ne trouvez pas?

Cependant et en dépit de tout ce qui précède, les jours se suivent et le travail se poursuit. Comme il y a toujours de nombreux petits problèmes à régler, on n'a pas vraiment le temps de se préoccuper de la situation géologique, cholérique ou politique du pays et advienne que pourra, on marche. Comme disent nos amis haïtiens (et nos ennemis également, je présume) : "depi nou sou de pye, nou bon". Comme quoi quand on a peu, il suffit de peu pour accéder au contentement. Un thème que je chéris particulièrement, soit dit en passant, mais je me garde bien d'aborder avec vous, par crainte de vous ennuyer ou pire, de vous perdre... Or, que serais-je sans mes lecteurs critiques et mes lectrices clémentes, je vous le demande?

En tout cas, avec tout ça, octobre s'estompe déjà dans les brumes de novembre qu'on distingue de mieux en mieux à l'horizon temporel.

vendredi 22 octobre 2010

Anpil lapli!


Anpil lapli! Aujourd'hui et depuis tôt ce matin, il pleut à n'en plus pouvoir, avec pour résultat des rues et des maisons inondées. Notre petit hôpital n'échappe pas au déluge, mais mis à part certaines parties dont la toiture est craquelée, nous sommes relativement au sec. Relativement. Ce qui n'est pas le cas de l'Hôpital Général où, me dit-on, l'eau a envahi toutes les salles et pas rien qu'un peu. Et on ne parle pas de petites maisons où les gens habitent, souvent construites en zones inondables et donc, particulièrement inondées un jour comme aujourd'hui. L'eau fera sûrement des victimes aujourd'hui... Et pas à cause de son insalubrité, comme le relate cet article de l'Agence France Presse. Évidemment, pas de surprises de ce côté... Les pluies torrentielles sont rarement synonymes d'eau pure et claire et lorsqu'elles gonflent les rivières, elles en altèrent les eaux habituelles. Rien à voir avec le séisme de janvier dernier, ni avec la distribution d'eau potable à Port-au-Prince, ce que le titre de l'article semble vouloir nous faire croire. Simplement, il pleut, comme c'est habituellement le cas en cette période de l'année, et la pluie détrempe tout. Tout de même, on a vu pire...

Mais il faut bien admettre que la pluie change la donne. Ainsi, les routes étant envahies, la circulation n'en devient que plus difficile. Heureusement, on trouve moins de passants, moins de motos, mais il faut quand même faire attention pour ne pas noyer les passants sous la vague produite par le passage de la voiture... Certains n'apprécient guère... Mais qu'y faire? La pluie fait partie des impondérables de la vie haïtienne et la saison s'y prête, alors que dire de plus? Et puis ça ne dure pas. Heureusement d'ailleurs, car sinon faudrait sérieusement songer à se construire une arche...

Mais je reviens à l'article cité plus haut, car aux dernières nouvelles, il semble que l'incident ait maintenant pris des allures épidémiques avec des tas de gens malades, voire morts. On dit à la radio d'éviter de consommer des fruits de mer et du poisson, mais ça me paraît plutôt invraisemblable... L'eau, c'est la vie, comme on le dit au Sahara, mais souvent, une vie qui s'accorde mal avec la nôtre, qui la parasite et qui l'étouffe... En tout cas, n'ap swiv...

***

Nous sommes le lendemain d'hier. Aujourd'hui, le soleil a repris sa place habituelle dans un ciel épuré (mais pas pur pour autant). Des nouvelles plus fraîches sont apparues concernant ce qui précède; et non, ce ne sont pas les poissons ni les fruits de mer qui sont en cause, mais bien l'eau elle-même qui est contaminée, comme je le soupçonnais hier. On parle de choléra, mais on attend confirmation officielle avant d'en faire tout un plat. Le choléra n'est pas une maladie bien compliquée, mais rapidement mortelle des suites de la déshydratation qui la caractérise. Et puis, c'est facilement contagieux, alors épidémie, oui, on peut parler de ça. Remarquez qu'il fallait tout de même s'y attendre... Certains en profiteront pour dire que c'est bien là la preuve que le peuple haïtien est né pour un petit pain, mais je crois plutôt aux enchaînements qui font que «un malheur n'arrive jamais seul». Un séisme de la taille de celui qui a frappé le pays n'est pas sans conséquences, tout le monde le comprendra. Le choléra, en autant qu'on parle de choléra, n'en est qu'une parmi tant d'autres...

Reste qu'on n'avait pas besoin de ça en prime...

mardi 19 octobre 2010

Au voleur!


Non, ce n'est pas la campagne électorale qui mérite mon attention aujourd'hui, mais plutôt un petit événement, banal en soi, mais qui m'a personnellement piqué au vif : on a volé mon vélo!

En fait, pas MON vélo, mais plutôt celui de notre cher docteur Pasteur, qui me l'avait gentiment prêté il y a de ça plus de trois ans... Trois ans que je le laisse dehors, sans crainte ni soucis et pourtant, il aura fallu une seule occasion pour qu'il disparaisse sans laisser de traces. Bien sûr, vous me direz que ce n'est qu'une bicyclette qu'on peut remplacer aisément et que, par conséquent, le mal n'est pas bien grave. Oui, mais vous oubliez le principe : ce n'est pas le vol qui fait mal, mais bien le fait que le vol se soit passé à la maison. Dans notre bulle privée, pour ainsi dire. Et ça, en trois ans, c'est une première. Souvent, par négligence ou distraction, nous avons oublié des choses dehors; jamais rien n'a disparu. Le vélo était l'un de ces objets qui, une fois à la maison, en font virtuellement partie. Et pourtant, pourtant, quelqu'un a osé s'approcher et s'emparer de la bécane sans vergogne, en sachant très bien que c'était mal. Choqué, dites-vous? Le mot n'est pas fort. Évidemment, personne n'a vu ni entendu quoi que ce soit... Que faire? Rien, bien entendu. Passer l'éponge et faire mieux la prochaine fois. C'est ce que tout le monde me conseille. J'ai pourtant fait un petit geste : j'ai offert une récompense pour (1) le retour du vélo et (2) pour l'identification du ou des voleurs. On verra ce qu'on verra. C'est très probablement un coup d'épée dans l'eau, mais quand on est frustré, même un coup d'épée dans l'eau soulage. En fait, je me sens déjà mieux...

Ceci m'amène à parler de méfaits en général. Faut que je vous dise que, en dépit de cet incident frustrant, les mauvais coups sont plutôt rares dans le coin. Certes, les bananes disparaissent avant qu'on ait le temps de les cueillir et jadis, on s'est fait voler une poubelle (fût en métal de 45 gallons, donc très utile pour faire des réchauds à charbon de bois), mais pour le reste, "knock on wood", comme disent les Américains, tout va bien. On prend les précautions qu'il faut, mais on n'est pas pour autant obsédés par la sécurité des lieux. Mais je pense que, d'une façon générale, les gens ici sont honnêtes. Je dirais, sans l'ombre d'une preuve pour appuyer mes dires, que Les Cayes est une ville tranquille et fondamentalement honnête. Il s'agit d'une impression, bien sûr, mais une impression qui s'est avérée depuis que nous habitons ici. En fait, considérant l'importance de la ville, on peut s'étonner du faible taux de criminalité dans la zone; s'étonner et s'en réjouir...

Tout ça pour vous dire que même en dépit de l'affront moral et de la perte matérielle, on accepte. Et puis, confessons nos torts : si le vélo avait été rangé à l'intérieur, ou même simplement cadenassé, le délit n'aurait jamais eu lieu et je ne serais pas en train de me plaindre. La confiance, c'est bien beau, mais quand elle devient de la naïveté, on ne peut que s'en mordre les pouces. Quand on tente le diable, il ne faut pas s'étonner qu'il succombe à la tentation...

Un mal donc, mais pas un mal fatal; plutôt une leçon dont nous pouvons et allons tirer profit.

vendredi 15 octobre 2010

Sa'k pase okay?


Sa'k pase okay? Autrement dit : "Comment ça se passe aux Cayes?" J'espère que vous n'avez pas lu à l'anglaise OK au lieu de "aux Cayes" comme la ville se dit en créole. La confusion est facile, je le reconnais, et bien des gens, anglophones surtout, s'y font prendre. Ne faudrait-il pas voir un lien entre le okay américain et le okay créole? Selon les étymologies de OK, il pourrait fort bien avoir anguille sous roche de ce côté, voire du côté du français, puisque OK pourrait venir de "Au quai", en parlant d'un bateau qui a fini d'accoster et qui ne court donc plus de danger.

Mais si intéressant que soit le sujet, ce n'est pas d'étymologie dont je veux vous parler aujourd'hui, mais bien de ce qui se passe aux Cayes.

Eh bien, pour tout vous dire : rien. Et voilà, vous savez tout, fin du chapitre…

Mais non, je ne vous laisserai pas en queue de poisson comme ça, ce ne serait pas chic, tout de même! Alors voilà : de façon générale, tout s'est bien passé pendant nos vacances et nous aurions de ce fait tort de nous plaindre. Rien de plus déprimant que revenir de vacances avec une pile de problèmes non réglés... Ce ne fut pas le cas. Si bien que nous avons repris le travail, sans rechigner, requinqués par cet épisode en nos quartiers du nord.

Parmi les petites choses, ce mémo, reçu récemment, et que je partage avec vous :
À : Mr Dicrteur Richa
Objet: Demande D'aide
 
Sollicitant votre bonne compréhension dans la société. Je tiens à vous faire savoir qu'il m'est impossible de payer le loyer de ma maison.

La justice m'a déjà avisé qu'on va me déguerpir:
J'estime de vous adresser avec empressement pour éviter cette honte.

Recevez mes salutations patriotiques les plus sincères.
Oui, j'admets, il y a de quoi sourire. Et pourtant, le problème reste bien réel, même si son expression dans la langue de Molière achoppe un peu sur les bords. Mais il faut comprendre que les Haïtiens n'ont souvent du français qu'une connaissance approximative car le créole couvre tous les besoins de communication verbale. Seulement comme écrire le créole reste une habileté peu maîtrisée, plusieurs se tournent vers le français pour exprimer par écrit le fond de leur pensée. Ce n'est pas toujours évident, même si la pensée est bien conçue et quoi qu'en dise Boileau... Évidemment, on parle ici des gens ordinaires, peu ou pas scolarisés; comme partout ailleurs, l'éducation fait toute la différence, et je puis vous garantir que les gens qui ont eu la chance d’étudier ont du français une connaissance approfondie et nuancée. Cependant, français ou créole, la réalité de gens qui se font évincer de leur propriété n'en reste pas moins douloureuse et, bien malheureusement, souvent insolvable pour nous. Et si vous voulez tout savoir, non, je n'ai pas répondu à cette demande...

Mais j’en reviens à mes moutons : que se passe-t-il aux Cayes? Eh bien pas grand-chose de neuf. Les Brésiliens sont venus la semaine passée, ont vu pas loin de 200 personnes et ont fait, comme d’habitude, un travail hautement appréciable et de ce fait, sincèrement apprécié. Et non, ça n’a rien à voir avec le tremblement de terre. Les cas orthopédiques sont des cas orthopédiques "standards" (accidents, malformations, et autres) et leur nombre nous donne une idée de la nouvelle réalité.

Il a plu, pas mal par bout, mais sans ouragan; alors qu’est-ce qu’un peu d’eau, je vous le demande?

En ville, c’est calme, les gens vaquent à leurs diverses occupations, l’approvisionnement s’est grandement amélioré et tout le monde est "pa pi mal, gras a Dye". Évidemment, la saison cyclonique n’est pas encore vraiment terminée et le ciel peut encore nous tomber sur la tête, mais chaque jour qui passe nous éloigne de cette épée de Damoclès, alors on peut espérer s’en tirer une fois encore.

Et finalement, hier, 14 octobre, c’était la journée internationale de la vision que, en tant qu’institution spécialisée en ophtalmologie, nous avons dûment célébrée. Banderoles, musique, tarifs spéciaux et petite fête pour les employés, tout y était! Une belle fête et un événement que même la presse locale a couvert!

Voilà, vous savez à peu près tout. Je vous reviendrai incessamment, car la campagne électorale débute officiellement aujourd'hui et il y aura certainement matière à commentaires!

lundi 20 septembre 2010

Épineuse question



C'est drôle de voir que les problèmes et les interrogations de ce monde ont peu à voir avec ceux que l'on rencontre dans notre pays d'adoption. Le bois de chauffage, les tuyaux qui risquent de geler dès l'automne, l'état des routes gravelées, et celui que je vous présente aujourd'hui : jusqu'à quand doit-on continuer de nourrir les colibris? En principe et selon notre propre expérience (du temps où nous habitions ces contrées sauvages), le début de septembre constitue la date butoir après laquelle il n'est pas bon de poursuivre le service à la mangeoire, resto facile pour ces oiseaux qui n'en sont pas plus stupides pour autant : pourquoi s'esquinter à chercher de la nourriture quand les humains vous la servent si fidèlement, je vous le demande? Donc, les colibris, bien nourris et gâtés d'avoir si peu à faire pour recevoir une généreuse pitance, tendent à coller. Or ils doivent décoller. On dit que les nourrir trop tardivement risque de compromettre leur long voyage au sud. Car ils hivernent sous des latitudes plus clémentes, ces oiseaux au maigre cerveau. Minuscules, mais pas fous, tiens... Savent ce que l'hiver canadien signifie en termes de misère noire... Bref, ils filent et s'ils quittent trop tard, l'issue du voyage n'en devient que plus risquée : le froid guette.

Interrogation existentielle s'il en est une donc, et dont l'issue reste vague et fuyante : les oiseaux survivront-ils? Question épineuse, réponse douteuse. Et pourtant, pourtant, les oiseaux n'ont-ils pas un solide instinct qui n'a rien à voir avec la température? Ne savent-ils pas quand sonne l'heure du grand départ vers le sud? Ne sont-ils pas d'une fiabilité barométrique en ce qui concerne le temps à venir? Pourquoi s'en ferait-on? Pourquoi ne leur ferait-on pas confiance? En tout cas, pour nous qui sommes maintenant de simples visiteurs éphémères sous ces latitudes nordiques, c'est le choix que nous faisons : leur faire confiance. On verra bien. Pour l'instant, qu'ils bouffent à satiété, nous offrant ce faisant le plaisir de leur compagnie exotique. Peut-être partirons-nous en même temps?
***

Voilà. Quelques jours ont passé. Le temps a nettement fraîchi : il a fait tout juste 3° C la nuit dernière, mon thermomètre en a gardé mémoire. Pas de colibris aujourd'hui. Faut croire qu'ils s'en sont allés. Comme ça, sans dire au revoir, sans nous faire de révérence ou encore moins exprimer leur gratitude pour ce délicieux nectar maison que nous leur avons servi fidèlement depuis notre arrivée. Sans doute sont-ils en route, bien gavés pour ce voyage qui leur prendra pas mal de temps mais qui devrait leur permettre d'éviter le froid et les désagréments qui l'accompagne. Car oui, je vous le dis tout net : le froid, c'est pas drôle. La chaleur peut être pénible, je le reconnais volontiers, mais le froid frigorifie. Nous fige. Nous paralyse. Le froid n'est pas conciliable avec le chant, d'où sans doute la raison pour laquelle les oiseaux le fuient.

Bien sûr, pour nous, habitants de ce pays que le poète appelle simplement l'hiver, le froid n'est rien. Maisons chaudes, voitures surchauffées, vêtements douillets... Où, dites-moi, peut-on sentir le froid dans ce pays moderne? Nos ancêtres, certes. Mais les gens d'aujourd'hui ont su résoudre ce problème, ou à tout le moins le minimiser à sa plus simple expression, de sorte que l'on ne trouve plus de ces gens qui, pour survivre, fuient obligatoirement la froidure. Certains, certaines le font toujours par goût et par choix, mais non plus par obligation. Et nous? Nous non plus. Retourner au sud, c'est retourner chez nous avec sa réalité tropicale et les problèmes qui l'accompagnent. Des problèmes sans doute plus épineux que celui de savoir jusqu'à quand il convient de nourrir les colibris, mais que nous saurons aborder avec doigté et méthode, sans certitude de les résoudre, mais avec la confiance réénergisée que seules des vacances ailleurs donnent.

Mais j'y pense : et si les oiseaux migrateurs avaient tout compris? L'été au nord, l'hiver au sud, pas mal comme plan de vie, vous ne trouvez pas vous autres?

vendredi 3 septembre 2010

Home Sweet Home


Tout le monde connaît l’expression, même si ses origines se perdent dans la nuit des temps. Tout le monde, à un moment ou à un autre, en a apprécié l’authenticité : la maison, c’est le havre de paix qu’on retrouve après les turbulences du voyage. Pour nous, cependant, ce havre est bipolaire.

Une autre expression américaine dit : "Home is where the heart is"; la maison devient ainsi une affaire de cœur, un réconfort de l’âme. Sur cette base, la maison que nous habitons au sud et dont vous avez vu l’image devrait correspondre à notre "Home Sweet Home"; elle y correspond jusqu’à un certain point, mais notre havre nordique est aussi affaire de cœur et de ce fait, y entrer, même après une absence de plusieurs mois, c’est renouer avec notre passé, c’est retrouver non seulement nos pénates mais aussi et surtout nos mânes, ces dieux attachés à l’histoire familiale. Cette modeste cabane en forêt devient donc, elle aussi, notre "Home Sweet Home", même si nous ne l’habitons que sporadiquement. Bâtie de nos propres mains, elle s’est attachée à nous par ses diverses parties, au fil des difficultés de construction rencontrées. Certes, ce n’est qu’une maisonnette, mais une partie de notre âme l’habite, même lorsque nous sommes ailleurs. Une partie de notre âme et quelques souris, mais bon, ce qui est confortable pour nous l’est aussi pour ces petites bêtes, aussi drôle et incongru que ça soit.

Pour certains, et transposé en mots d’enfants, "Home is where the heart is" devient "Home is where the house is", ce qui, bien que cocasse, est également vrai. Si bien que notre cœur oublie le nid du sud lorsque nous sommes au nord et vice versa. Un peu comme si l’on changeait de costume. Mais les deux ont leur valeur : le nord, pour son calme et sa grande nature à peine altérée; le sud, pour son exotisme et ses gens. Quant au travail, partout, il est contrainte et pression, que l’on soit au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest. Si bien qu’être en vacances au nord est aussi ressourçant que de l’être au sud, l’idée étant d’introduire un temps d’arrêt dans la suite des jours que compose le travail régulier.

Donc, nous sommes en vacances, nous folâtrons et musons à gauche et à droite, profitons de ce que la société nord-américaine met à la disposition de ses gens et refaisons le plein de fraîcheur et d’odeurs nordiques. Bientôt — trop tôt, comme toujours quand il s’agit de vacances — l’heure du retour sonnera et nous reprendrons avec un petit pincement au cœur mais non sans plaisir anticipé la route qui mène au sud, là où nous attend notre autre "Home Sweet Home".

Serait-ce le meilleur de deux mondes?

jeudi 26 août 2010

Voyagement


Je vous reviens sur une note plus personnelle. Je vous ai naguère narré un rallye routier qui faisait partie des aléas du voyage, de celui qu’on fait de temps à autre et qui nous fait sortir du pays où l’on demeure pour aboutir au pays qui nous a vus naître – ou ailleurs. Hier, c’était une autre de ces (trop) rares occurrences, à la fois souhaitée et redoutée, redoutée à cause de la saison et, précisément, des impondérables.

Hier, le temps était au beau fixe, alors on ne s’en faisait pas trop de ce côté. C’est déjà ça de pris. Ne restaient que les toujours possibles pannes mécaniques (source de notre course de la dernière fois), les accidents naturels ou humains et les autres variables, inconnues par nature. Mais rien de tout cela ne s’est produit et nous sommes arrivés à l’heure à l’aéroport. Comme toujours, c’est l’assaut des porteurs qui veulent nos valises contre paiement. Comme toujours et avec mon meilleur sourire (qui vaut ce qu’il vaut, mais bon), je réponds qu’on n’a pas de valises dignes de ce nom, ce qui est vrai. Puis il y a la file. Dehors. Sous le soleil haïtien qui, en cette saison, tape raide. Or, l’une des autres pratiques des porteurs c’est de faire passer les gens par devant la file, «traitement VIP», comme m’a dit l’un d’eux. Ben laissez-moi vous dire que les VIP sont légions dans ce pays! Alors faisant fi de la ligne, nous voilà à cheval sur le cordon qui sépare les gens. «Vous ne pouvez pas rester là», me dit un brave agent de sécurité. «Se pa fòt mwen», lui réponds-je fort pertinemment dans sa langue, et de lui expliquer que si tout le monde passe sur le dos de tout le monde, eh bien nous aussi allons faire de même. Il n’en faut pas plus pour qu’on devienne amis. Puis tout le monde s’en mêle, tout le monde s’emmêle et sous ce soleil de plomb (et croyez-moi, le cliché dit bien ce qu’il dit), ça discute ferme, comme si tout le monde s’engueulait, alors que tout le monde participe à une belle foire verbale.

On finit par entrer (merci pour la climatisation) et à faire ce qu’il faut pour qu’on puisse s’embarquer. Et commence l’attente. Car vous le savez, vous qui avez voyagé en avion : ce qui use, ce n’est pas le vol ou les petites tracasseries douanières ou autres; ce qui use, c’est l’attente. Or, elle fut longue. Quand finalement nous avons embarqué, c’était dans un avion d’une autre compagnie, ajoutant encore à la confusion qui rend tout le monde insécure. Pourtant, c’était le bon avion. Reste à trouver le bon siège. Pour nous, observateurs avertis, ce n’est pas trop un problème; pour la vieille Haïtienne qui me suit, c’en est visiblement un. Mais, homme du monde, je le lui indique (juste devant le nôtre) et pousse même la civilité jusqu’à ranger son sac dans le compartiment en haut. (Ceux qui pensent que je ne réserve mes grâces qu’aux belles jeunes filles seront surpris, je sais, mais voilà la vérité.) Sitôt assis, ma voisine, une jeune fille haïtienne pas mal du tout, se met à tousser. Derrière, un gamin pousse sur son siège (et sur le mien par le fait même); un peu plus loin, ça braille à qui mieux mieux. Charmant voyage qui se dessine... Et l’avion qui ne décolle pas, pour des raisons de paperasse non conforme, d’après ce qu’on finit par nous dire, n’allège en rien la situation. Finalement, après deux heures d’attente au sol, on finit par s’envoler.

Un vol sans histoire. Assez curieusement, tout le monde s’est calmé, sauf ma voisine qui tousse de cette toux sèche, que l’air recyclé de la cabine n’améliore nullement, vous l’aurez compris. Mais somme toute, un vol pas si mal. Et quand on nous distribue les cartes de déclaration douanière, pourquoi devrais-je m’étonner que la vieille, celle que j’avais gentiment assistée, se tourne vers moi et me donne sa carte pour que je la remplisse? Ne suis-je pas le chevalier de ces dames? Ainsi, j’apprendrai, passeport à l’appui, que la dame a 79 ans bien sonnés et est citoyenne canadienne!

Les voyages forment la jeunesse, dit-on. J’en suis. Mais ils aiguisent aussi la patience, ouvrent les horizons et vous unissent à d’autres humains, dans cette boîte de conserve volante qu’est l’avion. Surtout un DC-10, tiens…

Mais comme tout le monde le sait, qui veut la fin prend les moyens...