vendredi 7 mai 2010

Les grands départs



Vous allez me dire que les départs sont toujours une source de stress et vous aurez raison. Mais il est des fois qui sont pires que d'autres. Comme ce jour du 5 mai 2010, date choisie pour un départ vers notre pays d'origine après près d'un an sans mettre le nez dehors. Comme le vol est prévu pour 16h30, on se dit qu'on a le temps «en masse» et qu'il ne sert à rien de se précipiter à l'aéroport, alors qu’il y a tant encore de petits détails à régler avant de quitter notre cher petit hôpital. Tout de même et connaissant les aléas de tout voyage haïtien, nous voulons nous donner une marge de manœuvre adéquate et donc, fixons le départ de la maison à 9h, ce qui après les 4 heures de route qu'il faut compter normalement pour se rendre à l'aéroport, nous procure cette marge de manœuvre. Départ pile à l'heure. Tout va bien. Un peu de pluie en route, mais rien pour nous ralentir et donc, nous sommes largement dans les temps. Quand soudain, Onès notre chauffeur attitré, me signale, le plus calmement du monde, qu'il n'a plus de freins. Vous allez me dire que ce ne sont pas les freins qui font avancer la voiture et qu'on aurait tort de s'en plaindre, mais bon, les freins restent quand même un accessoire utile, convenons-en. Heureusement, chanceux dans notre malchance, nous sommes juste à côté de notre mécanicien habituel, lequel habite à Aquin, pour situer ceux et celles qui connaissent le patelin. Boss Blanc comme tout le monde l'appelle, a tôt fait de diagnostiquer le problème qui vient, semble-t-il, du maître-cylindre. En termes concrets, ça veut dire une panne du genre irréparable dans l'immédiat et imbricolable, si vous me passez le terme (et s'il vous offusque, vous savez le pli que ça me fait...). Que faire? Onès suggère que Roger, notre second chauffeur, vienne nous rejoindre avec l'autre voiture et que nous fassions l'échange, de façon à poursuivre notre route à Port-au-Prince. L'idée ne me sied guère : un rapide calcul laisse un doute substantiel s'installer dans mon esprit cartésien. «Ne peut-on trouver quelqu'un qui acceptera de nous louer sa voiture?» demandé-je à Boss Blanc. Il s'enquiert et trouve. Une petite demi-heure d'attente sous la pluie et le gars arrive.«Il te reste à t'entendre avec lui sur un prix...» me dit Boss Blanc en riant. «Je n'ai pas de problème avec ça» lui réponds-je. Onès, qui se souvient de l'épisode des chaises, s'en donne à cœur joie. Je parle avec le chauffeur.. «Ba-m 2 goud», me dit-il. Comment? Deux gourdes, deux cents dollars américains, quoi! Je prends mon air bien peiné et lui déclare que c'est malheureusement impossible mais qu'il nous faut absolument poursuivre notre voyage dans les plus brefs délais si l'on ne veut pas manquer notre avion, lequel ne nous attendra pas, nous ne le savons que trop bien.

Bien entendu, nous finirons par nous entendre... Sauf que, alors que nous avions assumé que ce serait notre chauffeur qui conduirait, c'est le monsieur lui-même qui prendra la relève. Et quelle relève! Sous un soleil cuisant (pas de climatiseur dans la voiture), puis sous un déluge tel que la visibilité en est devenue inexistante, nous avons fait la route en quatrième vitesse -- en cinquième en fait -- sans mot dire et en retenant notre souffle. Et la traversée de Port-au-Prince, je vous dis pas... vous dites que je conduis vite? Fallait voir le gars aller! Vous croyez que je klaxonne à tort et à cris? Lui, c'était à fond le klaxon! Vous me trouvez osé quand je me faufile entre deux voitures? Lui passe allégrement entre deux camions qui menacent de réduire sa voiture et son contenu en pâte compressée, et avec le sourire en plus! Mais quel chauffeur, mes amis!

Tout ça pour vous dire que nous arriverons à temps, mais juste. En fait, eussions-nous attendu l'autre chauffeur, nous eussions raté l'avion assurément.

Vol sans histoire, comme il faut qu'un vol se passe. Car un vol avec histoire se termine souvent mal pour les acteurs, alors aussi bien qu'il se passe sans histoire, vous ne croyez pas vous autres? Puis c'est le monde moderne, sa mauvaise température, ses gens pressés et stressés et sa surabondance de produits de consommation. Mais c'est aussi le monde dans lequel des gens qu'on aime vivent et palpitent, des gens qu'on aime bien voir et revoir et qui nous le rendent bien.

Et maintenant que nous voici temporairement installés dans nos quartiers nordiques, nous allons en profiter pour respirer un air bien frais et, souhaitons-le, revigorant. Car nous avons bien besoin d'un plein de vigueur...

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