vendredi 30 avril 2010

Chalè!


En tant que lectrices et lecteurs attentifs, vous savez que la vie au sud dont je vous entretiens depuis déjà quelques années se situe sous des latitudes que l'on peut à juste titre qualifier de tropicales : Les Cayes, Haïti, se trouve en effet au niveau du 18e parallèle, soit plus au sud que cette ligne imaginaire qu'est le tropique du Cancer (23° N). C'est donc dire qu'il y fait plus chaud que sous les latitudes tempérées nordiques dont nous sommes natifs. Vraiment plus chaud. Cette particularité géographique rend, de novembre à avril, la vie extrêmement agréable et facile : pas d'hiver, mais une température diurne douce, propice aux activités de farniente, tandis que les nuits sont assez fraîches pour que l'on puisse dormir sans ventilateur. Mais quand arrive mai, les choses changent et tout à coup, presque sans transition, on sent la chaleur, la vraie (chalè en créole) : non seulement la température est-elle plus élevée, mais le soleil tape vraiment plus raide. En fait, le 21 juin (à un jour près), quand se produit le solstice estival, le soleil est directement au-dessus de nos têtes, presque parfaitement à la verticale et on a beau chercher son ombre, on ne la voit pas, puisqu'elle est directement sous nos pieds! En un mot comme en mille, de mai à octobre, il fait vraiment chaud! (Je vous ai incidemment mentionné la chose en juillet dernier.)

Évidemment, si l'on trouve la chaleur pénible à supporter, on se dit que cela est en grande partie dû à notre culture nordique. Eh bien les amis, détrompez-vous : les Haïtiens se plaignent de la chaleur encore plus que nous! Mais pourquoi s'en surprendre? Après tout, ne réagissent-ils pas aux excès de température comme les nordiques le font l'hiver, quand le mercure oscille dans les moins 20° C? Si bien que ces jours-ci, on entend les gens se plaindre qu’ils n’ont pas dormi à cause de la chaleur et il faut surveiller nos ventilateurs portables pour éviter que les patients hospitalisés et ayant reçu leur congé ne les subtilisent subrepticement. Cependant, comme le courant nous est coupé au cours de la nuit (vers les 3 h, invariablement), le ventilateur a une utilité disons limitée. C’est donc dire qu’il faut en prendre son parti et souffrir un peu, jusqu’à ce qu’un semblant de brise aurorale (qu'on me passe le terme et avouez qu'il est joli) vienne nous apporter un petit répit, qu’accompagnent, bien malheureusement, les cantiques de nos chers voisins les adventistes. Quoi? Je ne vous ai pas dit que dès 5 h, tous les matins, je dis bien tous les matins, ces fervents chrétiens nous en mettent plein les oreilles? Je sais, je sais : ils vont sûrement s’arrêter un jour, puisque selon ce qu’ai cru comprendre, leur croisade doit durer 40 jours. Me semble que 40 jours, ce n’est pas si long… En tout cas, passons l’outre, comme dirait l’autre…

Mais je reviens à la chaleur, puisque tout le monde s’en plaint! Mais ça va passer. Pas la chaleur, qui ne fait que commencer, mais le ti-plenye, une autre activité haïtienne très populaire, qui n’est pas sans rappeler son pendant québécois… Vous me suivez? Car ici, au contraire du Québec, on se plaint, mais ensuite, on passe à autre chose…

mercredi 28 avril 2010

Histoire de chaises


Le lundi de Pâques, je vous ai brièvement mentionné que je venais de marchander une douzaine de chaises. J'y reviens aujourd'hui, car la petite conversation que je vous rapporte à peu près verbatim constitue une belle tranche de notre vie quotidienne en Haïti.

Faut que je vous dise que ma réputation ici n'est plus à faire : on dit que je marchande plus serré que bien des Haïtiens. Je ne sais pas si c'est vrai, mais j'avoue y prendre un certain plaisir, surtout quand mon interlocuteur se prête au jeu. Car c'en est bien un, même si le résultat se traduit en argent sonnant.

Nous voici donc, le chauffeur et moi, le long du boulevard qui sert d'introduction aux Cayes et dont les abords fourmillent de marchands de tous genres. On cherche des chaises qui pourront être utilisées pour les visiteurs de l'hôpital, donc assez solides pour supporter un usage abusif, disons-le sans mentir. Nous avions déjà remarqué ces chaises, dont le cadre en métal et le plastique rigide nous inspiraient confiance. Sœur Félicité, notre responsable des achats, avait même parlé avec le marchand qui lui avait fait un prix pour le lot de 12. Mais c'était nettement trop cher. Me voici donc avec Onès (mon chauffeur et ami), pour voir si on peut obtenir un meilleur prix que celui demandé initialement. Comme je suis à inspecter les chaises, le marchand se pointe. Je lui tends la main et le salue.

  -Bonjour patron! Kijan ou ye?
  -Bonjour Blanc! Pa pi mal!  (Je vous donne la version française, bien sûr) Alors? Tu veux acheter des chaises?
  -Oui, mais je veux tout le lot. Alors faut que tu me fasses un bon prix. C'est combien l'unité?
  -150 dollars (on parle bien sûr de dollars haïtiens, une pure convention qui équivaut à 5 gourdes, donc près de 20 $).
  -Bon, très bien. Mais si je prends les douze, tu me fais le lot à combien?
  -1,800 dollars.
  -Ah monchè! C'est une blague que tu fais là, oui? Ce n'est pas un prix ça! Si tu vends tout ton lot d'un seul coup, c'est à ton avantage, alors il faut me faire un bon prix!
  -Dis-moi combien tu veux donner.
  -Je t'offre 1,000 dollars pour le lot. (C'est ce que la sœur lui avait offert, mais il avait refusé carrément)
  -Ah! non. C'est pas possible. Ce sont de bonnes chaises. C'est pas cher...
  -Oui mais regarde ici : cette chaise est rouillée et il faudra la repeindre, et celle-là, il lui manque une vis pour tenir le siège en place. Tout ça, ce sont des frais pour nous. Je ne peux pas payer pour tes chaises et payer ensuite pour les réparer! (Je vois Onès qui rit sous cape...)
  -Bon je te fais un prix d'ami: 1,500 dollars pour les douze.
  -Ah! Monchè! Ou tiye-m! («Mon cher, tu me tues!» On dit souvent ça au marchand dont on veut le produit, même si le prix n'est pas si excessif)
  (Le gros homme bourru rit. On est sur la bonne voie.)
  -Bon, je te fais mon meilleur prix à 1,400 dollars, et c'est mon dernier prix.
  -C'est trop cher! Écoute parce que je suis bon prince, je t'offre 1,200 dollars et on fait l'affaire.
  -Bon. Allez, donne-moi 1,300 et c'est fini.
(Je soupire bien ostensiblement)
  -Bon. D'accord. 1,300 dollars. Mais c'est toi qui fais la bonne affaire!

Sourire béat du marchand. Poignée de main  pour sceller la négociation. Il sait en effet qu'il fait une bonne affaire. Je lui remets 1,400 dollars, il s'éloigne pour aller chercher la monnaie, ce qui prendra un gros cinq minutes. Onès, qui s'est tenu à l'écart de la négociation, se tape littéralement sur les cuisses. «Toi, me dit-il, tu es plus Haïtien que les Haïtiens.» Ce que je prends pour un compliment. Le fait est que de 1,800 à 1,300, je pense avoir fait une assez bonne affaire. Le marchand retourne, me rend le billet de 500 gourdes qu'il me doit (et que tout le monde désigne comme un billet de 100 dollars), nouvelles poignées de main bien pompées et nous voilà partis. Et avouez qu'elles sont belles, nos chaises!

Maintenant dites-moi, vous qui êtes intelligents : pourquoi n'est-ce pas la même chose quand vient l'heure de négocier le renouvellement de notre contrat de travail?

lundi 26 avril 2010

Pa jete fatra nan lari-a!


Aujourd'hui, que je vous raconte un fait divers. Très divers pour vous, mais presque le drame pour nous ici. En tout cas, la nouvelle faisait l'objet d'une tribune à la radio ce matin et tout le monde en parlait ou presque. La nouvelle? Le maire de la ville aurait, semble-t-il, fait feu sur un quidam qui jetait des déchets dans la rue, le blessant grièvement. Vous voyez le tableau? Le maire... tire avec un revolver... sur un citoyen non armé... le blesse au bassin (il semble que la vie du gars ne soit pas en danger, mais c'est un fameux coup de chance). Tout ça parce qu'il jetait des détritus! Bien sûr, vous me direz que le geste est répréhensible, mais de là à prendre une balle, il me semble que la punition est un peu disproportionnée par rapport à la faute! Et venant du maire de la ville, eh ben, je ne sais pas ce que vous en dites, mais pour moi, son règne politique vient d'en prendre un sérieux coup!...

Il n'empêche que le fait mérite qu'on s'y attarde. Je connais personnellement le maire. Je l'ai rencontré à quelques reprises et il m'a toujours fait l'impression d'un homme charmant (quel politicien ne l'est pas, je vous le demande), intelligent (ça, c'est plus rare) et modéré. En fait, dans une ville aussi bouillonnante que Les Cayes, un maire excentrique ne tiendrait pas deux semaines et on aurait tôt fait de l'envoyer paître, si ce n'est les pissenlits par la racine. C'est probablement la modération et le sens politique du maire actuel qui l'auront fait durer jusqu'à aujourd'hui. Mais alors, comment un homme du monde, modéré et attentionné, peut-il en venir à ce comportement extrême? Je ne sais pas. Maintenant le pauvre homme (car qu'on me permette de le plaindre) n'en mène pas large et des voix s'élèvent qui réclament rien de moins que la prison. C'est ce qui s'appelle tomber des nues (et non de Charybde en Scylla, si vous vous souvenez). Le poste de maire n'est rien pour «casser la baraque», mais c'est quand même le premier magistrat de la ville et le poste constitue un fleuron glorieux qui ceint le front de celui qui l'occupe (encore un peu et je vais vous servir tout le «Ô Canada»). Or, l'acte commis n'est pas vraiment digne d'un magistrat de ce niveau, vous l'admettrez sans que j'ai besoin de vous tordre le bras, j'en suis convaincu. D'où ma question, à laquelle je n'ai pas de réponse : pourquoi?

Oui, bon. Le type qui jetait des fatras n'a pas obéi à l'injonction du fonctionnaire. D'accord. Mais quand même! Je sais que la ville des Cayes s'efforce de garder les lieux propres et les camions passent régulièrement pour faire la cueillette des ordures, lesquelles s'entassent un peu partout, mais surtout aux abords du marché. Les poubelles publiques manquent et les systèmes de gestion des déchets sont, bien sûr, inexistants. Qu'on veuille éviter que les détritus envahissent la ville comme c'est le cas dans certaines zones de Port-au-Prince est certes louable; mais qu'on châtie les contrevenants en les gratifiant d'une balle dans la peau me paraît quelque peu excessif! Alors je ne sais pas. Je ne sais pas s'il n'y a pas anguille sous roche et si le geste ne dissimule pas quelque affaire louche, quelque règlement de compte dont les déchets ne sont que le catalyseur. En plus, il semble que la réaction magistrale ne s'est pas produite suite à l'acte lui-même, mais comme punition cumulative de ce geste éhonté répété malicieusement. Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous autres? En tout cas, ici, je peux vous dire que tout le monde en rit, mais tout le monde crie au scandale aussi. Les opposants du maire veulent sa tête, rien de moins, et il faut bien moins que cela par ici pour que s'échauffent les esprits... Alors Dieu seul sait comment ça va tourner. Car le pire, c'est que même si le cher homme devrait, dans l'ordre des choses, aboutir à la prison sans délai, comme il est premier magistrat, il a sa "free pass", ce qui promet d'attiser considérablement l'ire publique, vous vous en doutez bien...

En tout cas une bien drôle d'histoire que je vous invite à suivre, pour peu qu'elle ait une suite...

mercredi 21 avril 2010

Pas grand nouveau


Bon, j'ai pris une petite pause hier, mais n'en concluez surtout pas que c'est le signe de l'abandon à venir. Je pense que je vais vous l'annoncer, quand l'idée me prendra de tout laisser tomber.

Simplement et malgré tout ce que les sceptiques croient, il y a quand même du travail à faire ici. Ajoutons à cette grande vérité le fait que l'inspiration, parfois, se fait paresseuse et vous saurez tout.

Rien de nouveau concernant ce que je vous ai narré avant-hier. Les rues sont toujours calmes et même si on a eu droit aujourd'hui à une petite marche de protestation, tout s'est fait dans l'ordre et le respect des commerces et des gens. Pas de pneus en feu, pas de coups de feu, pas de vitres brisées, bref, pas de violence. Évidemment, cette marche pacifique ne donnant pas grand-chose, il est permis de supposer que la prochaine étape sera la montée en bonne et due forme aux barricades. Ainsi vont les choses... Mais comme je le dis souvent, ici, c'est un jour à la fois. Inutile de planifier : Bondye sèl konnen. Alors on fait comme tout le monde et on attend.

Inutile de nier que les enjeux politiques sont omniprésents, cependant. Tout le monde en parle, tout le monde raconte n'importe quoi, comme ces sénateurs dont on aurait acheté le vote visant à maintenir le président Préval en poste pour les prochains 18 mois, et ce, pour la modique somme de $150,000 US. Rien que ça. Acheter l'intégrité des gens, ça se fait partout et il en est qui sont à vendre pour pas cher. Mais tout de même, $150,000, c'est une jolie somme et pour ma part, je doute qu'elle soit l'expression de la vérité. C'est comme ces sommes faramineuses qui ont soi-disant été payées pour faire libérer la victime d'un kidnapping. On parle souvent de millions de dollars, comme si toutes ces bonnes gens avaient ça dans leur bas de laine. Ben voyons. N'empêche qu'il s'agit là d'une preuve de plus --en avions-nous besoin-- que l'argent mène le monde. En tout cas, je doute que des votes achetés permettent de maintenir le statu quo. La cote de Préval n'est pas forte... Mais on n'y peut pas grand-chose, n'est-ce pas...

Changement de propos, une de nos employées est venue nous raconter qu'elle est victime de harcèlement sexuel. Et ça, au contraire des pots-de-vin mirobolants, j'y crois. Même si la dame est plutôt réservée et bien à sa place. Je croyais que c'était au travail. Auquel cas j'aurais pu faire quelque chose, genre congédier l'élément fautif. Mais non, c'est à la maison. Mais c'est au point où la pauvre fille doit maintenant se chercher un autre logis, tellement le type lui rend la vie infernale. Certes, ces choses arrivent aussi dans nos sociétés bien organisées. Mais avec une différence, cependant : au Québec, aux États-Unis ou en France, on peut toujours porter plainte et s'attendre à une action en justice à efficacité variable, mais au moins on peut faire quelque chose pour tenter de s'en sortir. Ici? Rien à faire. Faut se sauver ou périr. Le harcèlement ne fait pas partie de ces crimes qui méritent l'attention d'une justice débordée et empêtrée dans une bureaucratie paralysante. Alors on endure tant et tout ce qu'on peut et à la fin, on déménage. Ce qui est incidemment le seul conseil que nous avons pu donner à cette malheureuse. Pourtant, je ne peux pas dire que la société haïtienne soit machiste et dédaigneuse de ses femmes. Au contraire. Les femmes sont généralement respectées et appréciés, et pas seulement pour leurs formes souvent sculpturales, mais surtout pour leur intelligence et leur efficacité. D'ailleurs, je puis vous le dire à vous qui êtes bien cléments envers moi : j'aime dix fois mieux marchander avec un homme qu'avec une femme, non pas à cause d'une nature chevaleresque qui m'inciterait à concéder galamment la victoire à la dame, mais bien parce qu'elles sont impitoyables. Et avec le sourire, bien entendu... Mais la règle se justifie souvent par ses exceptions, n'est-ce pas? Et le machisme a cours aussi bien dans ce pays que partout où nous sommes passés. Mais malheureusement ici, rien ne l'entrave, rien ne le limite. Et c'est un peu ça, le problème. Mais ce n'est pas que ça, vous l'avez deviné et vous avez mille fois raison. Cela dit, ce n'est pas aujourd'hui que nous allons régler les problèmes de ce pays, ni demain d'ailleurs. Mais il ne faut pas en faire un cas d'insomnie, n'est-ce pas?

lundi 19 avril 2010

Bombe à retardement ou baril de poudre?


Je vous ai déjà dit que ce n'était pas tellement mon fort de commenter l'actualité, surtout quand elle provient de la plume d'un journaliste. Je vous ai dit aussi que, bien malheureusement, les journalistes étrangers étaient, à mon sens, très mal placés pour juger la réalité haïtienne et vous la présenter dans toute sa complexité. Cependant, j'admets aujourd'hui que l'article de Vincent Marissal frappe en plein dans le mille. Tout comme celui du Guardian d'ailleurs (in English, "oeuf corse" comme dirait Bérurier). Lisez l'article de Marissal, je vous en prie. Ça y est? Vous l'avez lu? Eh bien relisez-le. Car il est d'une rare perspicacité, notre ami Marissal. Il a vraiment compris pourquoi, quand je vous disais que le pire était à venir, le pire était vraiment ce qu'il est : plus mauvais que le mauvais, plus dommageable que la Catastrophe elle-même. Le pire, ce n'est pas quand tout s'écroule : ça, c'est le drame. Et curieusement, le drame tisse des liens entre ceux et celles qui le vivent. Le drame appelle à la solidarité. Et puis la poussière finit par retomber. Et quand la poussière retombe, c'est là que le chat sort du sac. En fait les chats. Et de gouttière. Les gros matous, bien charpentés, aux griffes acérés et aux dents bien pointues. C'est à ce moment qu'on les voit, la nuit surtout, et ils s'organisent, se pourlèchent les babines à l'idée du festin que leur promet la surabondance providentielle que la catastrophe a engendrée. Une vraie manne. Pourquoi ne pas prélever une gentille part du gâteau? Évidemment, les gardiens de la manne s'y opposeront, mais les matous sont bien armés, bien informés, intelligents et sans peur. Ces matous ne sont pas encore prêts, mais ça s'en vient. Et plutôt bien.

Allégorie facile, j'en conviens, mais pas moins vraie pour cela. Hier encore, pendant la nuit, des coups de feu ont retenti. Pas un ou deux, mais près d'une douzaine, provenant d'armes différentes. Genre un échange. Genre pas trop trop rassurant... Je me renseigne tant bien que mal. On m'apprend que ce sont sans doute ("sans doute", notez-le bien) les militaires de l'ONU qui font du tir dissuasif pour éviter que les matous--pardon les voyous--s'organisent et mettent en place tout ce qu'il faut pour embêter les gens ordinaires. Si c'est le cas, on pourra dire que la technique aura porté fruit, car ce matin la ville est calme. Faut dire aussi qu'il a plu abondamment, ce qui a le don de refroidir les ardeurs des plus exaltés des manifestants. La pluie refroidit même nos adventistes, c'est vous dire! Mais cette dissuasion par la force pourra-t-elle se poursuivre indéfiniment? Donnera-t-elle à chaque fois des résultats satisfaisants? Je pense qu'il faudrait être bien naïf pour le croire... Ce qui signifie, en termes clairs pour les esprits vifs que vous êtes, que nous sommes assis sur une bombe à retardement, comme le dit si bien notre ami Marissal. Un baril de poudre serait peut-être plus juste. Car la bombe à retardement est habituellement contrôlée par une minuterie que quelqu'un, quelque part, contrôle. Tandis que le baril de poudre ne nécessite qu'une simple étincelle pour s'envoyer en l'air... Or, ici, c'est précisément la situation : la tension est palpable et l'on sait que personne, ni le gouvernement haïtien, ni Bill Clinton, ni les pontifes de l'Aide internationale ne peuvent y faire quoi que ce soit. La tension est là, comme un arc bandé, comme une batterie surchargée, comme un vase plein à rebord : une seule goutte suffit à le faire déborder; mais lorsqu'il déborde, ce n'est pas que d'une seule goutte...

Donc, je suis content du texte de Vincent Marissal, content aussi de l'article du Guardian (signé Peter Beaumont), quoique beaucoup plus politisé. Content de voir que certains sentent que la reconstruction d'Haïti, ce n'est pas de la tarte aux fraises fraîches... Mais. Va-t-on se formaliser de cela? Va-t-on monter aux barricades pour défendre les droits des opprimés et des sans-défense, comme notre amie Monica qui dénonce à grand renfort de courriels l'expulsion des gens des camps de fortune, expulsion souvent arbitraire, toujours douloureuse, rarement respectueuse des droits humains? Va-t-on faire comme tout le monde et condamner Préval? Ou Clinton? Cherchera-t-on un bouc émissaire pour porter le chapeau de l'odieux et de l'impuissance? Non. Pas pour moi, merci. Je sais trop bien ce que c'est que de faire le bouc émissaire et j'avoue ne pas avoir la vocation de Malaussène, moi... Alors on attend. Consciemment, lucidement, on attend. En souhaitant que les signes avant-coureurs seront suffisamment visibles pour que l'on puisse agir en conséquence.

Et tout doucement, les pluies commencent. Et la boue. Mais ça, au moins, c'est dans la nature des choses.

mercredi 14 avril 2010

Bancs du sud


Rarement fais-je la leçon à mes collègues haïtiens. L'expérience m'a appris que le respect des mœurs locales vaut mieux que les principes d'efficacité et que mieux vaut un travail fait d'une drôle de façon mais qui fait l'affaire que celui fait selon les règles de l'art mais qui laisse tout le monde indifférent. Je n'aime pas généraliser, vous le savez maintenant, mais il faut bien dire que les Haïtiens sont indépendants de nature et résistants au changement. Ils font les choses à leur manière et laissent souvent le Blanc faire à sa façon. Habituellement, je m'efforce de prendre le rythme haïtien, celui où le temps n'est pas important et où ce qui n'est pas fait aujourd'hui le sera peut-être demain ou après-demain. Mais hier, j'ai fait mon "Blanc". D'où les photos que je vous présente.

La semaine dernière, fâché de ne plus avoir de banc pour m’asseoir en compagnie de quelques employés le matin, selon un rituel que nous aimons tous, j'ai déclaré qu'il nous en fallait d'autres. Cependant, comme le menuisier qui avait fait les derniers avait mis pas moins de trois jours pour faire trois bancs, j'ai déclaré à la cantonade que j'allais en fabriquer moi-même vite fait. Certains ont ri. Pas par moquerie, je le précise, mais au contraire parce qu'ils me connaissent. J'avais en effet affirmé que je ferais six bancs en trois heures, d'où les rires de mes confrères haïtiens. Comme je l'ai dit, je faisais mon "Blanc".

Or, hier, j'ai mis ma résolution en action. Je sors la scie circulaire, l'équerre de charpente, mon crayon et le ruban à mesurer et me voilà à pied d'œuvre. On commence par scier les planches, puis on prépare les pieds, puis on assemble, tout cela à peu près à la même vitesse que je prends à l'écrire et que vous prenez à le lire. Vous dire que j'ai sué serait peu dire : j'étais trempé comme si j'avais pris une douche avec mes vêtements! Mais en tout juste un peu plus de deux heures, les six bancs de la photo étaient assemblés et fonctionnels. Qui plus est, solides et assez jolis, reconnaissons-le en toute modestie. Vous dire la quantité de Oh! et de Ah! que les bancs ont récoltée...! Tout le monde s'est exclamé et tout le monde a bien ri. En somme nous avons eu bien du plaisir et le résultat est là.

Ceux qui m'accompagnaient ont-ils appris quelque chose? Je n'oserais le dire. Mais leur intérêt dans ma technique et ma façon de concevoir le travail n'en fut pas moins bien réel. L'un des défis, entre autres, consistait à savoir comment je m'y prendrais pour fixer la planche transversale de support au milieu de la planche servant de banc proprement dit. "Il suffit de mesurer", leur ai-je dit d'un docte ton. Et de le faire. Le centre de la planche de support et du banc coïncident, c'est donc que le support est réparti de façon égale sous le banc. Puis on a qu'à fixer les pieds et le tour est joué!

Et comme on le voit, c'est Sonson qui en est bien content, lui qui a bien besoin d'asseoir ses 80 ans!

lundi 12 avril 2010

Se fueron


Ils s'en sont allés. C'est ce que mon titre veut dire, et non, ce n'est pas du portugais, mais plutôt de l'espagnol avec lequel je suis plus familier. Un groupe bien intéressant, ces Brésiliens, comme tous ceux qui sont passés avant d'ailleurs, et qui ont fait de la bonne besogne : vingt-cinq opérations chirurgicales (certaines assez élaborées), quatre-vingt-quinze consultations externes et trente-cinq cas vus en physiothérapie, tout ça en un malheureux petit quatre jours et demi. De la bonne besogne, vous dis-je. Tout le monde les a appréciés, inutile de vous le dire, mais je vous le dis quand même. Et samedi, afin de souligner leur départ, nous les avons accompagnés à la plage de Port-Salut, qu'ils ont fort appréciée, vous vous en doutez bien. Et comme petit déjeuner, qu'est-ce que vous dites d'une assiette de langouste grillée? Et une bonne petite Heineken bien froide avec ça? Non, nous ne sommes pas alcoolos, mais comme ils devaient quitter bien tôt, ce fut un lunch tôt. Pas moins plaisant pour autant, je vous l'assure (photo)! Le prochain groupe doit venir la première semaine de mai, si tout se passe comme prévu, et franchement c'est un bon arrangement que de voir ces spécialistes nous revenir sur une base mensuelle. À propos, vous vous souvenez que je vous avais parlé de ce journaliste professionnel qui avait fait un montage vidéo de ce qui se passait ici aux Cayes avec les Brésiliens? Eh bien je n'ai pas vu le reportage au complet, mais le petit vidéo sur youtube est quand même assez intéressant. On m'y reconnaîtra sans problème (en anglais, toutefois). C'est vrai qu'il y a tant à faire pour reconstruire ce que le séisme a détruit...

Et pendant ce temps, que font nos Haïtiens? Ils fomentent une manifestation!!! Nous avons entendu la chose hier par le biais d'un message provenant de nos amis brésiliens! (C'est beau Internet, quand même...) Mais ce matin, tout est calme. Est-ce la calme avant l'orage, on ne saurait dire. Il semble que les forces de l'ONU ait patrouillé la ville et confisqué les vieux pneus avant qu'on y mette le feu, selon la méthode populaire... Mais sera-ce suffisant pour faire avorter cette volonté de destruction qui anime certains esprits? Je ne sais pas. Non, ne me demandez pas de vous expliquer. Car cela est contre toute logique. Trois mois après le tremblement de terre qui a mis le pays à genoux, on a peine à reprendre notre souffle, le pays est toujours en fragile convalescence et seuls les efforts conjugués des Haïtiens et de la communauté internationale contribuent bien difficilement à un retour à la normale ou ce qui en tient lieu. Or que voit-on? De la basse politicaillerie qui cherche à accaparer un pouvoir illusoire... (Opinion personnelle qui n'engage que son auteur.) Et pendant ce temps, le peuple pâtit. Comment ne pas être amer? Comment ne pas s'attrister de voir que, loin de s'en sortir, le pays s'enfonce encore un peu plus dans la misère et l'iniquité? Certains voient l'après-séisme comme une opportunité de s'enrichir ou d'assurer leur pouvoir ou les deux. Vous me dites que c'est humain? Peut-être, mais j'aime penser que l'humain vaut mieux que ça, alors je vous en prie, laissez-moi mes illusions si c'en sont. En tout cas, pour l'instant c'est calme, je le redis, les commerces sont ouverts comme d'habitude, de même que les écoles et les établissements publics. Car c'est bien là le drame : au nom d'une manifestation de violence dont personne ne connaît la vraie raison, tout ferme et toutes les activités cessent. Car qui a envie de prendre une balle perdue? Alors on reste bien tranquille derrière sa barricade illusoire ou réelle en souhaitant que tout ce ramdam cesse le plus rapidement possible. Et pendant ce temps, les jeunes, qui n'ont rien de mieux à faire, déambulent dans les rues en scandant des slogans dont ils ne comprennent même pas le sens et jouent aux durs. Et parfois le sont. Sans raison autre que pour le divertissement, pour le pouvoir que la rue leur donne, pouvoir éphémère s'il en est mais ô combien grisant. Décidément, ras le bol de ce jeu stupide où personne ne gagne jamais rien...

Et dire que dans quelques mois débute la saison des cyclones qu'on nous promet intense, cette année... Comme si on en avait besoin...

jeudi 8 avril 2010

Louisnise (suite)


Je vous avais promis la suite, eh bien la voici.

Cependant, ce n'est pas une suite bien longue et ni vraiment haletante. Louloune (la maman) est arrivée hier soir, a couché au dortoir de notre hôpital (oui oui, nous avons un endroit pour les gens qui ne sont pas malades mais qui sont ou bien en rapport avec des gens hospitalisés ou bien sur le point de subir une chirurgie. Un simple matelas, un endroit en sécurité et personne n'en demande davantage) et ce matin, s'est présentée à l'hôpital. Les médecins brésiliens ont vu Louisnise et lui ont fait une place en salle d'opérations, si bien que tout à l'heure, elle était avec sa mère assise sur un lit (la mère, pas le bébé) alors que tout le monde s'activait autour. Le cas n'était pas bien compliqué pour les chirurgiens : amputation, tout simplement. Quant à son moignon de main, elle pourra s'en accommoder. Dans un an, m'a-t-on dit, elle pourra recevoir sa première prothèse et apprendre à marcher tant bien que mal. J'imagine la chose. Déjà, quand on a ses deux pieds et qu'on apprend à faire avec, ce n'est vraiment pas évident et Dieu sait que les premiers pas finissent très souvent par une chute non amortie et où la tête, ce membre si lourd, prend le maximum de choc. Je ne vous dis pas cela parce que j'en ai souvenance, mais plutôt pour l'avoir observé à quelques reprises... Alors essayez de penser à l'épreuve que cet enfant devra vaincre pour arriver dans un premier temps à contrôler son équilibre, puis à se déplacer tout en maintenant cet équilibre. Tout un contrat! Et ici, je sais de quoi je parle, car je me souviens très bien cette fois de mes premiers pas sur les mains. Même apprentissage, même conclusion. On tombe plus souvent qu'à son tour et c'est vraiment frustrant. Mais on finit par y arriver. Certes, sur les mains, vous me direz que ce n'est pas aussi naturel que sur les deux pieds, la tête étant près du sol et moins apte à évaluer la position du reste du corps. Tout de même, je vous l'assure, on finit par y arriver. Évidemment, on ne peut pas faire sur les mains tout ce qu'on fait sur les pieds, comme descendre un escalier entre autres, et pour ma part, c'est là où j'ai compris ma limite... Bon. Passons. Tout ça pour vous dire que la petite Louisnise a du pain sur la planche. Mais au moins, elle pourra avancer dans la vie.

La mère est-elle contente? Ben, pas tellement. Je lui ai parlé brièvement, et la pauvre femme ne sait pas trop bien si cette opération, parfaitement réussie au reste, valait vraiment le déplacement. Avant, elle avait un enfant difforme, maintenant elle se retrouve avec un enfant amputé. Elle est passée de Charybde en Scylla, pour ainsi dire... Sans doute s'attendait-elle à un miracle... Mais bon. Encore une fois rappelons-le : on ne fait pas de miracles ici, seulement du mieux qu'on peut. Et quelquefois, ce n'est pas suffisant. Faut-il s'auto-flageller et déchirer ses vêtements pour autant? Sûrement pas. Il faut juste connaître ses limites et les accepter. J'ai déjà dit qu'il fallait non seulement faire la différence entre ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas changer, mais aussi savoir si ce qu'on peut changer vaut la peine d'être changé. Or, dans ce cas, cela me semble évident. Mieux vaut un pied artificiel qu'une boule de bowling, je pense qu'on sera d'accord là-dessus. Et je ne vous parle pas des complications médicales! Tout de même, la pauvre Louloune aura bien besoin qu'on la rassure et qu'on la réconforte. Elle est seule, Louisnise est son premier enfant et elle est plutôt démunie : aucune source de revenus et un bébé handicapé. Vous faites quoi avec ça, vous?

Mais, Bondye konnen, comme on dit... De toute façon, que peut-on dire d'autre?

mercredi 7 avril 2010

Louisnise


J'ai pris congé hier, mais ce n'était pas par paresse ou procrastination. Simplement, j'avais une réunion à 15 h, et bon, faut ce qu'il faut n'est-ce pas... Je n'aime pas tellement les réunions. Et vous? Certains, plus rarement certaines, surtout dans le domaine de l'administration, adorent; en jouissent; s'en pourlèchent. Se disent occupés, tellement ils sont pris par les réunions, toujours importantes, jamais productives. Pour moi, rien ne vaut une rencontre dehors, dans le parking de l'hôpital, appuyé sur une voiture. On règle en 10 minutes plus de problèmes que dans une réunion de deux heures avec ordre du jour bien ficelé...

Toujours est-il que, sortant de ladite réunion passé l'heure de la bière, je vous ai remis à une prochaine fois. Aujourd'hui peut-être? God knows, comme disent les Polonais qui vivent à New York... Je sais quand je commence, mais je ne sais jamais quand je vais pouvoir mettre un point final à un texte qui, selon mes standards, doit faire à peu près une page normale : je pense que vous méritez ce minimum. N'est-ce pas que je suis bon!

Mais j'erre. Je veux vous parler un peu du bébé sur la photo. Elle s'appelle Louisnise. Si vous regardez attentivement, vous allez voir que sa petite main droite est déformée. Mais je sais que vous vous demandez bien ce qu'elle a au pied gauche, hein? Non, non, ce n'est pas une boule de bowling... Il s'agit bel et bien d'une malformation, et de taille, si j'ose dire. Il semble que la cause en soit une obstruction lymphatique. D'après ce que j'ai cru comprendre, ce sont des morceaux filamenteux du sac amniotique de la mère qui s'enroulent autour du pied ou de la main au cours de la grossesse (Amniotic Band Syndrome, pour ceux et celles que ça intéresse). Il y a de bonnes chances que l'on doive amputer le pied du bébé, mais bon, nos amis brésiliens vont voir ce qu'ils peuvent faire. Est-ce souffrant? D'après ce qu'on peut en lire, non, puisqu'il s'agit d'une malformation congénitale. Et le bébé, à deux mois, n'en est pas encore vraiment handicapé, vous l'aurez compris. Mais admettons que ce n'est pas évident pour le chausser... Alors si on peut faire un tant soit peu pour améliorer les conditions de vie de cet enfant, vous ne pensez pas que ça en vaut la peine vous autres? Ici, on pense que oui, même si ce n'est pas une victime du séisme...

J'en profite aussi pour vous dire comment des cas comme celui-là nous arrivent. Il y a deux semaines, je recevais un message d'une pédiatre américaine du Minnesota qui disait avoir vu l'enfant lors de son passage au pays et qui me demandait si on pouvait s'en occuper. À quoi je lui ai répondu que les Brésiliens seraient ici au cours de la semaine du 5 avril et qu'à ce moment, je me portais garant de leur bonne volonté de faire ce qu'il fallait. Elle me répondit merci beaucoup, mais un chirurgien américain va s'en occuper. Fin de l'histoire, jusqu'à ce matin où une autre Américaine, que nous connaissons celle-là, me dit que rien ne va plus avec le bébé et que la mère cherche toujours de quel côté se diriger. Messages, conversations avec les Brésiliens, échanges téléphoniques, bref, la mère et le bébé sont présentement en route pour Les Cayes qu'ils atteindront ce soir, si Dye vle. Nous allons les hospitaliser, et demain matin, si les choses se passent comme prévu, les Brésiliens vont prendre soin du bébé. Comme quoi on ne fait pas de miracles ici, mais quand on se parle et quand chacun, chacune y met du sien, des petites choses arrivent qui nous font du bien là où elles passent.

Souhaitez-vous connaître la suite de cette passionnante tranche de vie? Eh bien d'accord. Je vous agréerai et vous dirai comment ça s'est passé.

lundi 5 avril 2010

Si la photo est bonne


Les Brésiliens sont à l'œuvre! Je vous dis que ça chôme pas par ici! On se demandait comment les gens feraient pour savoir... Question oiseuse, s'il en est. Les gens savaient déjà. Le téléphone arabe (le  "bouche à bouche" si vous préférez) fonctionne à merveille par ici... Toujours est-il que les éclopés, qu'on croyait rentrés au bercail pour de  bon, nous sont revenus à la pelle et on subit l'épreuve de la patience, même si pour eux, ce n'est pas vraiment une épreuve, je vous l'ai dit déjà. Mais ce ne n'est pas de la patience, cette vertu cardinale si mal distribuée chez les humains, ni des Brésiliens dont je veux vous parler brièvement aujourd'hui, mais plutôt de la charmante jeune fille sur les photos ci-jointes. Cette jeune fille s'appelle Vanessa, a 9 ans bien sonnés (m'a-t-elle assuré), et vient tout juste de se faire donner son congé de l'hôpital, dont elle arpentait les alentours en béquilles depuis déjà un bon ti-temps.


Nous sommes devenus amis plutôt aisément, mon charme naturel aidant. Faut dire aussi que je photographiais à droite et à gauche, ce qui ne manquait pas de l'intéresser ouvertement. Alors je lui ai offert de la prendre en photo, ce qu'elle a accepté sans tergiverser. Photo en béquilles. Par la suite, elle m'a demandé si je pouvais lui faire cadeau de l'appareil, puisque la photo était dedans (logique, non?). Je lui ai dit que j'extirperais la photo et la lui donnerais plutôt, ce qui fit tout à fait son bonheur. Mais comme vous vous en doutez bien, j'ai oublié. Encore et encore. Chaque fois que je la voyais dans le corridor, je lui disais "demain", mais je voyais son regard se charger de cette tristesse d'enfant déçu, floué par les promesses des ces adultes qui oublient tout et se prennent tellement au sérieux. J'en ai eu honte, je le reconnais. Et me suis astreint à télécharger les photos depuis l'appareil vers l'ordinateur et lui ai imprimé une photo, sa photo, que je lui ai remise jeudi dernier. La joie, je ne vous dis pas. Elle était avec sa mère, sa tante, sa voisine et qui encore, et toutes ces dames s'exclamaient devant la photo, riaient à belles dents, se passaient leurs commentaires et me remerciaient sans relâche. C'en était un peu embarrassant, je vous jure. Mais la petite, elle, exultait. Elle serrait cette photo sur son cœur comme si c'eût été un trésor infiniment précieux. J'en étais mal de l'avoir fait tant attendre, de l'avoir négligée, de ne pas avoir traité la promesse que je lui avais faite comme une priorité. Mais elle n'en avait rien à cirer, de mon remords : la photo la comblait et cela seul comptait.

Or, ce matin, Brésiliens aidant, elle a reçu son congé, comme je l'ai dit plus haut. Et a redemandé une autre photo, ce que ma compagne photographe s'est empressée de faire. Mais cette fois, pas question de remettre à plus tard : vite, je transfère les photos, en choisit une qui est pas mal et lui en imprime 9 exemplaires! Elle était vraiment contente, la petite Vanessa. Seul problème maintenant : tous les enfants hospitalisés veulent une photo, un ours en peluche et quoi encore! Et quand on sait combien ces enfants ont peu, il est bien difficile de résister... Et pourquoi le ferait-on? Pour économiser l'encre des cartouches de l'imprimante?...

Tout ça pour vous dire que malgré les journées frustrantes que nous passons parfois (souvent même), il suffit d'une joie d'enfant pour tout remettre en place et nous faire sentir que la vie en Haïti reste d'abord et avant tout une question de rapports humains simples et chaleureux.

Et je ne vous parle pas du gros gars un peu bourru à qui je viens de marchander une douzaine de chaises...

Dites, vous ne trouvez pas que ça fait un beau lundi de Pâques, vous autres?

dimanche 4 avril 2010

Pâques


Pâques. Qu'en est-il? Qu'en reste-t-il, maintenant que la religion chrétienne a perdu assez de plumes pour n'être plus ni séduisante ni rassurante? La fête de la résurrection a-t-elle encore un sens? Peut-être pour certains, engoncés dans leur certitude existentielle qui veut que la mort n'ait d'autre finalité que celle de la résurrection. Jésus a ressuscité, a donc montré la voie. Et le chocolat, alors? Je blague, mais voyez le contraste : d'un côté, le plus grand dogme de la foi chrétienne; de l'autre les lapins en chocolat. Voyez-vous le rapport, vous autres? Moi pas. J'ai regardé sur Wiki, mais en vain. Bien sûr, il faut bien que quelque chose se vende, se consomme, fasse l'affaire des commerçants et des consommateurs. Mais pourquoi le chocolat?

La résurrection comme thème est indubitablement l'un des piliers de la foi chrétienne. Mais en termes concrets, sans doute l'un des plus difficilement accrocheurs, car cette résurrection n'est censée se produire qu'à la fin des Temps, et on sait pas quand, alors mettons que ça prend une bonne dose de foi bétonnée pour pouvoir appuyer une vie sur ce pilier. Il est par ailleurs assez curieux de voir qu'ici, en Haïti, le thème de la résurrection a été désacralisé et de divin, est passé du côté des diableries : les seuls ressuscités ici sont les zombies, dont on dit, le plus sérieusement du monde, qu'ils "ressuscitent", c'est-à-dire sortent de leur caveau, et s'en retournent foutre le bordel chez les gens ordinaires! Évidemment, ces joyeux drilles ne sont pas les bienvenus et on a le droit de les lapider sans plus de formalités, puisque hé! ils sont déjà morts! Le plus drôle (ou le plus triste, c'est selon), c'est que certains cas sont avérés: comas dont on s'éveille, erreurs médicales et autres... en autant que la personne reprenne conscience avec encore assez d'énergie pour repousser le couvercle du caveau, elle sort et s'en va voir ailleurs si elle s'y trouve... Vous parlez d'une affaire...

Toujours est-il que Pâques reste une fête chrétienne importante et respectée, mais comme elle tombe toujours un dimanche, eh bien disons qu'elle a certainement moins d'impact social que celles qui s'associent à des jours fériés et chômés, procurant ainsi un petit congé au travailleur ordinaire. Pas de grande cérémonie pascale pour nous, donc, mais plutôt un petit dimanche bien ordinaire qui nous aura permis de vaquer à des occupations par définition dominicales, comme lire, écrire, niaiser sur le Web, zapper, bref vous voyez le topo. Nous avons également eu le plaisir de rencontrer quelques-uns des Brésiliens et comme toujours, avons spontanément sympathisé. Ils veulent bien travailler, mais en ce jour de Pâques et malgré tout ce que je viens de dire plus haut, c'est comme pas évident. Leur courte semaine commencera donc demain.

Alors et puisque la tradition le veut, Joyeuses Pâques à tous et à la bonne vôtre!

samedi 3 avril 2010

Vendredi Saint (hier)


Vendredi Saint. Oui, je sais, c'était hier. Mais c'est aujourd'hui que je vous en parle. Et pourquoi pas? Je voulais que ce vendredi traditionnellement spécial le soit pour nous aussi. Le congé, c'était déjà ça. Alors j'ai décidé d'ajouter le congé d'écriture. Pour le reste, petite journée tranquille. Rien pour s'exciter. Non, nous n'avons pas jeûné, n'avons même pas fait maigre, puisque le vendredi est, au contraire et dans notre courte tradition à nous, jour de malbouffe. Volontaire, oui. Et pourquoi pas? Un peu de radicaux libres ne font certes pas menu-santé, mais avec de la moutarde de Dijon, ça passe très bien là où ça passe... Quant à la poutine, je n'ai pas besoin de vous dire le succès qu'elle remporte, et même, à ce qu'on dit, au-delà des frontières du Québec, maintenant... Tout ça pour vous dire qu'on n'a pas fait grand-chose, à part écouter des films...

Et justement, l'occasion le voulant, nous avons écouté pour la première fois la Passion du Christ, ce film tant controversé de Mel Gibson. Oui, je sais, vous allez me dire qu'on est en retard dans nos nouveautés cinématographiques--le film est sorti le Mercredi des cendres 2004, soit six ans plus tôt--mais on n'avait pas eu l'occasion de le visionner. On aurait pu, mais bon, va-t-on voir un film sur la passion du Christ en d'autres circonstances que celles que le film veut nous rappeler? Que non! Donc, on a écouté le film. Évidemment, écouter est une image, parce que étant tourné en araméen, hébreu et latin, disons qu'on ne comprend pas grand-chose à ce que disent les protagonistes. Mais les images valent mille mots, tout le monde le sait, et à 24 images à la seconde, fois 126 minutes, ça donne le joli total de 181,440 images, ce qui ferait un très long discours, arrangez cela comme vous le voulez! De toute façon, ce ne sont pas les mots qui importent dans ce film, vous l'aurez deviné ou constaté, selon que vous l'avez vu ou non, mais les images. Dures, les images. Comme film violent, difficile de faire plus... Je ne veux pas dire mieux, car je ne sais pas si plus serait pire ou meilleur. Oui, Jésus s'est fait taloché joliment avant qu'on le plante sur la croix, nous le savons tous et toutes, mais je ne suis pas convaincu que le spectacle haut en couleurs (beaucoup de rouge, de mauve et violet) de cet épisode vaut le détour. Moi, si j'étais Jésus, je dirais: "Franchement, les copains, ce n'est pas ça le message que je voulais vous transmettre." Je vois mal Jésus faire un show de sa passion... Surtout que le film a coûté $30 millions, sortis de la poche de Gibson lui-même, mais a rapporté la coquette somme de $611,899,420, ce qui représente tout de même un profit respectable pour le sieur Gibson. On me dira que ce n'était pas l'objectif du film, mais pour ma part, je n'en suis pas si sûr. Le cinéma est une industrie, ne l'oublions pas... En tout cas, c'est certainement un film bien ficelé, mais nous, on va pas le réécouter, c'est clair.

Et ici? Ben ici, ce fut Vendredi Saint, avec ses cérémonies traditionnelles (la célébration de la Passion dure un bon trois heures et les églises sont bondées, on s'en doute) et la tranquillité de circonstance. Rien pour s'énerver ni pour nous énerver.

Aujourd'hui samedi, c'est journée normale, les activités normales reprennent et tout rentre dans l'ordre. Bonne nouvelle pour nous et nos patients, cependant: une équipe de Brésiliens vient tout juste d'arriver pour la semaine. Je vous en reparle...

jeudi 1 avril 2010

Poisson d'avril!


Eh bien! Je vous ai surpris, hein? Vous pensiez bien que je vous avais laissé tomber sans mot dire, n'est-ce pas? Allez avouez! Une petite semaine de solitude, et voilà que vous passez à autre chose et me laissez choir comme une vieille chaussette. Eh bien moi pas. Je ne vous laisse pas tomber. Et la petite semaine de pause était prévue, annoncée depuis longtemps et de surcroît, méritée, croyez-moi sur parole. C'est que pour la première fois depuis ce fameux tremblement de terre, nous avons eu de la visite qui nous est chère. Sophie, puisqu'il faut la nommer, la sœur de Chantal et la mienne par adoption, s'est pointée, courageusement il faut le dire, car la cohue à Port-au-Prince, vous n'imaginez pas, les copains...

Car il faut vous dire que, ne pouvant prendre le vol interne qui relie Port-au-Prince aux Cayes trois fois par semaine, il a fallu l'aller prendre à l'aéroport de Port-au-Prince. Or, une partie dudit aéroport a été suffisamment ébranlée lors du séisme pour qu'elle soit inutilisable; on a donc déplacé les arrivées dans un hangar, spacieux certes, mais ô combien bordélique. Toujours est-il que, après deux bonnes heures d'attente, elle a fini par récupérer sa valise et nous avons pris la route du retour. À propos, vous ai-je parlé du terrain de camping qu'est devenu Port-au-Prince? Non? Eh bien j'y reviens un de ces quatre, c'est promis.

Aux Cayes, on respire, le temps est bon et la visite nous change de notre train-train habituel, mais pas trop. La plage, la route, la ville, tout est bon pour une visite curieuse et confortable dans notre pays d'adoption. Chez Sophie, pas de peur, pas d'appréhension, pas de préjugés, rien que le plaisir de découvrir un monde qu'elle apprivoise en y goûtant. Finalement et comme toujours, la semaine aura passé sans qu'on la voit, mais cette fois, dans le confort de la bonne compagnie. Vous demandez si ça fait du bien? Plus que vous pensez, je vous en passe un papier!

Avec tout ça que nos petites affaires quotidiennes se poursuivent. Les problèmes se suivent et se ressemblent, nous horripilent ou nous indiffèrent, plus selon notre humeur qu'en fonction de leur gravité. Et là, comme nous nous retrouvons gonflés à bloc, eh bien vous pensez bien que les problèmes, on les balaie d'un simple revers de la main.

Surtout que, l'avez-vous oublié, aujourd'hui, c'est Jeudi Saint, et donc, dernier jour de cette semaine écourtée puisqu'elle était sainte. Demain vendredi est férié et chômé, pour la raison que vous connaissez tous. Bien sûr, avec la fin du mois hier et, pour nous, la fin de l'année financière, il nous faudra quand même mettre la main à la pâte financière, du moins un peu, mais ce sera sans la pression habituelle, et donc, ce sera presque un congé... Et puis, qu'avons-nous à faire d'un congé après la douce semaine qu'on vient de passer en si belle compagnie?

Allez! Bon Vendredi Saint et Joyeuses Pâques si je ne vous reviens pas avant!