lundi 20 septembre 2010

Épineuse question



C'est drôle de voir que les problèmes et les interrogations de ce monde ont peu à voir avec ceux que l'on rencontre dans notre pays d'adoption. Le bois de chauffage, les tuyaux qui risquent de geler dès l'automne, l'état des routes gravelées, et celui que je vous présente aujourd'hui : jusqu'à quand doit-on continuer de nourrir les colibris? En principe et selon notre propre expérience (du temps où nous habitions ces contrées sauvages), le début de septembre constitue la date butoir après laquelle il n'est pas bon de poursuivre le service à la mangeoire, resto facile pour ces oiseaux qui n'en sont pas plus stupides pour autant : pourquoi s'esquinter à chercher de la nourriture quand les humains vous la servent si fidèlement, je vous le demande? Donc, les colibris, bien nourris et gâtés d'avoir si peu à faire pour recevoir une généreuse pitance, tendent à coller. Or ils doivent décoller. On dit que les nourrir trop tardivement risque de compromettre leur long voyage au sud. Car ils hivernent sous des latitudes plus clémentes, ces oiseaux au maigre cerveau. Minuscules, mais pas fous, tiens... Savent ce que l'hiver canadien signifie en termes de misère noire... Bref, ils filent et s'ils quittent trop tard, l'issue du voyage n'en devient que plus risquée : le froid guette.

Interrogation existentielle s'il en est une donc, et dont l'issue reste vague et fuyante : les oiseaux survivront-ils? Question épineuse, réponse douteuse. Et pourtant, pourtant, les oiseaux n'ont-ils pas un solide instinct qui n'a rien à voir avec la température? Ne savent-ils pas quand sonne l'heure du grand départ vers le sud? Ne sont-ils pas d'une fiabilité barométrique en ce qui concerne le temps à venir? Pourquoi s'en ferait-on? Pourquoi ne leur ferait-on pas confiance? En tout cas, pour nous qui sommes maintenant de simples visiteurs éphémères sous ces latitudes nordiques, c'est le choix que nous faisons : leur faire confiance. On verra bien. Pour l'instant, qu'ils bouffent à satiété, nous offrant ce faisant le plaisir de leur compagnie exotique. Peut-être partirons-nous en même temps?
***

Voilà. Quelques jours ont passé. Le temps a nettement fraîchi : il a fait tout juste 3° C la nuit dernière, mon thermomètre en a gardé mémoire. Pas de colibris aujourd'hui. Faut croire qu'ils s'en sont allés. Comme ça, sans dire au revoir, sans nous faire de révérence ou encore moins exprimer leur gratitude pour ce délicieux nectar maison que nous leur avons servi fidèlement depuis notre arrivée. Sans doute sont-ils en route, bien gavés pour ce voyage qui leur prendra pas mal de temps mais qui devrait leur permettre d'éviter le froid et les désagréments qui l'accompagne. Car oui, je vous le dis tout net : le froid, c'est pas drôle. La chaleur peut être pénible, je le reconnais volontiers, mais le froid frigorifie. Nous fige. Nous paralyse. Le froid n'est pas conciliable avec le chant, d'où sans doute la raison pour laquelle les oiseaux le fuient.

Bien sûr, pour nous, habitants de ce pays que le poète appelle simplement l'hiver, le froid n'est rien. Maisons chaudes, voitures surchauffées, vêtements douillets... Où, dites-moi, peut-on sentir le froid dans ce pays moderne? Nos ancêtres, certes. Mais les gens d'aujourd'hui ont su résoudre ce problème, ou à tout le moins le minimiser à sa plus simple expression, de sorte que l'on ne trouve plus de ces gens qui, pour survivre, fuient obligatoirement la froidure. Certains, certaines le font toujours par goût et par choix, mais non plus par obligation. Et nous? Nous non plus. Retourner au sud, c'est retourner chez nous avec sa réalité tropicale et les problèmes qui l'accompagnent. Des problèmes sans doute plus épineux que celui de savoir jusqu'à quand il convient de nourrir les colibris, mais que nous saurons aborder avec doigté et méthode, sans certitude de les résoudre, mais avec la confiance réénergisée que seules des vacances ailleurs donnent.

Mais j'y pense : et si les oiseaux migrateurs avaient tout compris? L'été au nord, l'hiver au sud, pas mal comme plan de vie, vous ne trouvez pas vous autres?

vendredi 3 septembre 2010

Home Sweet Home


Tout le monde connaît l’expression, même si ses origines se perdent dans la nuit des temps. Tout le monde, à un moment ou à un autre, en a apprécié l’authenticité : la maison, c’est le havre de paix qu’on retrouve après les turbulences du voyage. Pour nous, cependant, ce havre est bipolaire.

Une autre expression américaine dit : "Home is where the heart is"; la maison devient ainsi une affaire de cœur, un réconfort de l’âme. Sur cette base, la maison que nous habitons au sud et dont vous avez vu l’image devrait correspondre à notre "Home Sweet Home"; elle y correspond jusqu’à un certain point, mais notre havre nordique est aussi affaire de cœur et de ce fait, y entrer, même après une absence de plusieurs mois, c’est renouer avec notre passé, c’est retrouver non seulement nos pénates mais aussi et surtout nos mânes, ces dieux attachés à l’histoire familiale. Cette modeste cabane en forêt devient donc, elle aussi, notre "Home Sweet Home", même si nous ne l’habitons que sporadiquement. Bâtie de nos propres mains, elle s’est attachée à nous par ses diverses parties, au fil des difficultés de construction rencontrées. Certes, ce n’est qu’une maisonnette, mais une partie de notre âme l’habite, même lorsque nous sommes ailleurs. Une partie de notre âme et quelques souris, mais bon, ce qui est confortable pour nous l’est aussi pour ces petites bêtes, aussi drôle et incongru que ça soit.

Pour certains, et transposé en mots d’enfants, "Home is where the heart is" devient "Home is where the house is", ce qui, bien que cocasse, est également vrai. Si bien que notre cœur oublie le nid du sud lorsque nous sommes au nord et vice versa. Un peu comme si l’on changeait de costume. Mais les deux ont leur valeur : le nord, pour son calme et sa grande nature à peine altérée; le sud, pour son exotisme et ses gens. Quant au travail, partout, il est contrainte et pression, que l’on soit au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest. Si bien qu’être en vacances au nord est aussi ressourçant que de l’être au sud, l’idée étant d’introduire un temps d’arrêt dans la suite des jours que compose le travail régulier.

Donc, nous sommes en vacances, nous folâtrons et musons à gauche et à droite, profitons de ce que la société nord-américaine met à la disposition de ses gens et refaisons le plein de fraîcheur et d’odeurs nordiques. Bientôt — trop tôt, comme toujours quand il s’agit de vacances — l’heure du retour sonnera et nous reprendrons avec un petit pincement au cœur mais non sans plaisir anticipé la route qui mène au sud, là où nous attend notre autre "Home Sweet Home".

Serait-ce le meilleur de deux mondes?