mardi 29 avril 2014

Triste départ


Vous le savez, je n’aime pas les généralisations, du type de celles qui, à partir d’une observation isolée, bâtissent de puissantes déductions qui deviennent vite des certitudes et de là, les inévitables étiquettes. Je fais ici référence aux stéréotypes sociaux ou racistes basés des impressions fugaces, style : les musulmans sont tous des terroristes ou les juifs sont tous des voleurs, bref vous me voyez venir.

Vous me voyez venir, mais je vais quand même vous surprendre, car bien que je n’aime pas les généralisations, je vais tout de même vous en servir une et solide : les Haïtiens (et j’inclus les Haïtiennes car je parle ici du peuple) sont vraiment de grands sensibles, des humains au cœur généreux et à l’attachement sincère. Des gens qui vous aiment inconditionnellement, qui vous le font sentir et qui vous expriment leur désarroi lorsque vous les abandonnez. Et c’est exactement ce qui s’est passé lorsque nous avons salué ces bonnes gens hier, à l’orée de ce départ qui marque tout de même la fin d’un important chapitre de notre vie. Pleurs et grincements de dents étaient au rendez-vous, certains carrément fâchés de nous voir aller, d’autres simplement inconsolables, brisés par l’émotion, comme si ce départ n’était en bout de ligne qu’une inacceptable trahison. Saint-Exupéry disait qu’on est responsable pour toujours de ce qu’on a apprivoisé et pour nos employés, rien n’est plus vrai : les rapports humains créés sont indélébiles et irréductibles et même si la raison comprend, le cœur a aussi ses raisons et il prévaut. Ce que nous avons quitté hier, ce ne sont pas nos employés, mais nos frères et nos sœurs, nos fils et nos filles. Et oui, ça fait mal. Ça déchire. Et on se durcit, et on s'abstient de pleurer, et on minimise l'événement, mais en fait, on a, nous aussi, l’impression de trahir ces gens qui nous ont si bien supportés, même lorsque nous étions insupportables... Alors oui, c'est triste, il faut bien le dire.

« On vous attend toujours et vous resterez toujours dans nos cœurs », m’écrit Billy. Voilà qui résume assez bien, je pense, le sentiment général de ceux et celles que nous laissons derrière, incertains de l’avenir malgré les promesses que nous leur avons faites. Car oui, nous avons promis de revenir, et nous avons bien l’intention de le faire. Mais au fond, qui sait ce que le destin nous réserve? «Un tien vaut mieux que deux tu l’auras», dit le proverbe. Le présent vaut toujours mieux que l’avenir et tout le monde sait que les meilleurs plans ne dépassent souvent pas ce stade, malgré la meilleure volonté du monde d’en faire des réalités. Souhaitons seulement que le nôtre se concrétisera…

Mais pour l’instant, ce départ vers le nord est teinté d’une grande tristesse. Pas en rapport avec ce qui s’en vient pour nous, bien au contraire, mais directement en lien avec ce que nous laissons derrière, ces gens simples au cœur sincère qui, comme je l’ai mentionné récemment, nous ont accueillis à bras ouverts, sans méfiance et sans arrière-pensée, nous ont soutenus au cours de ces sept dernières années et nous ont fait sentir que nous étions membres à part entière de leur famille élargie, que nous étions leur moun pa yo.

Un honneur pour nous? Certes. Mais surtout, un geste d’amour qui nous porte et fait de nous de meilleures personnes. En nous ouvrant ses bras, Haïti nous a ouverts et nous a grandis, a élargi nos horizons et développé notre conscience du monde; ce que nous y avons apporté me paraît bien maigre en échange…


dimanche 20 avril 2014

Pâques


Pâques. Encore une fois. La septième en ce pays… Et l’on dira que le temps ne passe pas vite… Mais cette année, on ne la sent pas, la fête de Pâques. On reste encabanés, comme s’il faisait mauvais dehors alors que, comme toujours, le soleil brille et le ciel est bleu. Serions-nous saturés de ce climat que l’on qualifie si aisément de paradisiaque? Car entendons-nous : comment penser que le paradis pourrait être situé sous des latitudes nordiques, avec ce cocktail de pluie / neige fondante / brouillard qui vous est si familier, gens du nord?… Vous imaginez le paradis comme ça, vous? Je parie que non. Eh bien tout ça pour vous dire que le beau climat, nous l’apprécions encore et toujours mais avec moins l’urgence d’en profiter abusivement, de s’y vautrer et de s’en soûler. C'est d'ailleurs pour cette raison que souvent, il n’est pas rare pour nous de rentrer au Québec en mai et d’y voir des gens paradoxalement nettement plus bronzés que nous! Le besoin de soleil en cette période est tel, pour les gens du nord, qu’on y voue presque un culte, une adoration. En fait, c’est un peu une forme de résurrection, de renaissance que le printemps au Québec ou dans n’importe quel pays qui connaît l’hiver : la nature se secoue de sa torpeur, fait quelques réchauffements et passe à l’action! Et ça repart en grand, car il faut faire vite : l’hiver s’en revient!

C’est sans doute pour cela que j’ai la nostalgie de mes jeunes Pâques : c’était vraiment la grande fête de la résurrection de la vie, étouffée depuis des mois dans son cercueil de neige. Oui, il y avait les cloches, la messe (après tout, c’était dimanche) et le lapin en chocolat; mais surtout, il y avait l’eau qui ruisselait le long des rues, les oiseaux qui gazouillaient, les mouches qui bourdonnaient, le gazon jaune encore mouillé sur lequel on ne manquait jamais de s’asseoir tellement on voulait que ce soit l'été, sans oublier bien entendu les filles, si jolies dans leur petites robes printanières. Pâques, c’était ça. Rien de plus, mais cela suffisait largement.

Ici, comme je vous l’ai narré il y a deux ans, la tradition est à la fois religieuse et culinaire et ne nous concerne pas vraiment ni d’une façon ni de l’autre. Mais pour le peuple haïtien, il n’en faut pas plus pour semer l’effervescence et célébrer la fête comme il se doit : dans la prière et à manger — du poisson si possible! Et pour ce qui est de la valeur symbolique de la résurrection, eh bien on repassera... Incidemment, si vous avez lu Stéphane Laporte ce matin, vous avez pu apprécier son ironie légère et légèrement irrévérencieuse, mais ô combien amusante, justement sur ce thème de la vie éternelle telle que la religion nous l’a présenté sans nous l’expliquer, car si l’on croit, à quoi servent les explications, je vous le demande? Mais entre nous, avouons que oui, le thème de la résurrection des morts se prête assez bien aux moqueries d’un brillant esprit…

Tout de même et ayant eu la curiosité de répondre à la question du jour de La Presse (Que représente d'abord pour vous la journée de Pâques? (a) une fête religieuse (b) une fête familiale (c) une journée comme les autres), je trouve significatif que pour plus du tiers des répondants, le jour de Pâques est simplement un jour comme un autre. Et j’avoue que pour nous également, même avec la meilleure volonté du monde, il nous est difficile d’en faire un dimanche différent des autres…

Jésus est-il vraiment ressuscité en ce jour spécial? Comme on nous l’apprenait dans le Petit Catéchisme : « Personne ne le sait sur la terre ». Mais rien n’empêche d’y croire… en mangeant son lapin au chocolat…!

Joyeuses Pâques!

dimanche 13 avril 2014

Quand le peuple parle


Je m’étais bien dit que je n’aborderais pas la question du résultat des élections au Québec, lequel n'a absolument aucune incidence sur notre vie au sud. Mais ce que j’en lis m’éclaire autant que me questionne et puisque je suis moi-même Québécois «de souche», je me dis pourquoi ne pas y aller de mon grain de sel? Après tout, je ne suis pas plus bête qu’un autre... Ou le suis-je?

En effet, plusieurs n’ont pas manqué de faire cette analyse du pourquoi de la chose. Car bien que les sondages aient annoncé la défaite du PQ, personne n’avait vu venir le grand balayage. Qu’on a expliqué de diverses façons, toutes plus ou moins valables, toutes plus ou moins rigoureuses. Mais pour moi qui m’avance tout doucement dans la soixantaine, qui ai connu les premiers balbutiements du RIN pour en aboutir à ce Parti québécois destiné à nous affranchir du joug anglo-saxon — ce que je croyais bien naïvement à l’époque —, le revirement populaire (= du peuple) en dit long.

Pourtant, le ras-le-bol collectif n’était pas facilement prévisible. Et pour moi qui écoute tout et tout le monde (je ne suis pas politisé, rappelez-vous), entendre mes amis s’exprimer logiquement sur la nécessité pour le PQ de permettre au peuple d’avoir un pays me semblait — et me semble toujours — plein de bon sens. Or, à quelques exceptions près, tous mes amis sont péquistes. Tous sont articulés et intelligents, des plus jeunes aux plus vieux. Tous brûlent de cette flamme nationaliste jadis si chère aux jeunes. Mais aujourd’hui, ce n’est plus la flamme, c’est la flemme. Car si mes amis s’expriment sans ambiguïté sur l’état du gouvernement, ils ne représentent pas la majorité des Québécois, il faut bien le reconnaître. Et c’est précisément là que la chose devient intéressante pour moi : en dépit de la forte couleur nationaliste qui teinte l’ensemble de mes amis ou connaissances, le parti que personne, semble-t-il, ne voulait est celui qui s’est fait élire et avec une majorité respectable. En d’autres termes, l’ensemble de mes amis n’est pas représentatif de l’ensemble des électeurs et des électrices du Québec. Et pourquoi le serait-il? Je pense avoir lu que près de 6 millions de Québécois étaient éligibles à voter. Or, on sait que 71,5% de cette masse s’est rendue aux urnes, en ce fameux lundi, ce qui veut dire environ 4 millions de personnes! Par rapport à mes 200 quelque amis Facebook, cela fait beaucoup de monde et c’est ce qui fausse les données dès le départ, car ces gens, on ne les entend pas sur Facebook ou dans le courrier des lecteurs de la Presse… Ils sont là, cependant, et ils ont le droit de voter, ce qu’ils font sans se faire prier. Au fond, c’est peut-être vraiment ça, la démocratie. Le peuple décide. Un peuple plus ou moins informé, plus ou moins intéressé, plus ou moins éduqué, un peuple varié, bigarré, hétérogène qui, en faisant un choix individuel pas forcément analysé en profondeur n’en façonne pas moins un choix collectif qui reflète son état de santé social. J’aime assez.

Évidemment, mes amis intellectuels s’étonnent de ces horizons bouchés, de ces esprits obtus qui n’ont pas compris les enjeux profonds de cette élection. Sans doute ont-ils raison. Mais le peuple parle quand même et lorsqu’il le fait de sa timide façon, il faut l’écouter, pas lui lancer au visage son ignorance crasse et sa stupidité déroutante. Comme l’a fort bien dit un lecteur du Courrier des lecteurs (hier samedi), « Les péquistes ont l’air du vendeur qui m’a déjà offert deux fois une garantie prolongée pour mon nouvel ordinateur. Je n’ai pas peur de sa garantie, mais je n’ai pas envie qu’il m’en parle une troisième fois. » Je ne sais pas pour vous, mais je trouve l’image assez éloquente.

Ne reste qu’à la neige de fondre au plus vite…

dimanche 6 avril 2014

Le respect de la différence


C’est en écoutant l’autre soir ce film déjà ancien (1992) de Sidney Lumet — pas son meilleur, je vous le dis tout de suite, mais bon, ce n’est pas de cinéma que je veux parler ici — que m’est venue l’idée de ce texte. Car un peu à l’image de Witness (vraiment meilleur dans le genre), le film se passe dans la communauté juive hassidique de New York et les scènes de vie de ces gens marginaux sont bien rendues et sans doute assez fidèles à leurs us et coutumes. D’où, incidemment, l’intérêt de ce genre de film. Or, tout comme dans Witness, le film de Lumet (A Stranger Among Us, si vous voulez le titre) met en situation un étranger (en fait, une étrangère dans le film) qui, par les impératifs du boulot, se retrouve à l’intérieur de cette communauté serrée, cumulant gaffes et impropriétés culturelles pour en faire sortir la différence d’avec le monde courant — normal, diront certains. Car oui, ces gens sont différents. Pensent différemment, s’habillent différemment, mangent différemment, parlent différemment, bref vivent différemment. Et pourtant, ils sont bien loin de leur milieu d’origine. Que demandent-ils à leur pays d’accueil? De se faire respecter, tout simplement. Ils ne sont pas là pour changer le pays, pour faire la révolution ou la conversion des âmes errantes, mais simplement pour vivre leur vie, selon les règles auxquelles ils et elles adhèrent. Le respect. Un respect que, au Québec, certaine charte que je ne nommerai pas entend baliser (lire : restreindre), par crainte que la piscine ne soit plus accessible à toutes les vieilles dames nanties… Vous m’excuserez, mais je trouve la chose aberrante et honteuse.

Oui, cela me fait honte, car pour nous qui vivons en Haïti depuis quinze ans, c’est nous la «minorité ethnique». Blancs dans un pays noir, difficile de passer pour autre chose! Et pourtant, je vous le dis sans détours : en pas moins de quinze ans, jamais nous n’avons senti de xénophobie, encore moins de racisme à notre égard. Dans un pays à culture esclavagiste où les «maîtres» étaient blancs, on pourrait pourtant s’attendre au minimum à un certain froid de la part des Haïtiens, au pire à une haine farouche, mais c’est tout le contraire : on nous respecte et on respecte nos différences. Et je ne parle pas que de ma compagne et de moi : les blancs sont nombreux en Haïti et je mets ma main au feu que personne ne s’y sent victime de racisme ou de mépris social ou culturel : les gens nous acceptent parce que nous sommes des humains, point. Bien sûr, nous faisons de notre mieux pour nous intégrer au pays, mais nous restons toujours blancs, étrangers, nantis dans ce pays noir, homogène et si pauvre. Bref, un pays qui aurait toutes les raisons de ressentir la présence des blancs avec leurs grands airs, leur indélicatesse, leur condescendance ou leur pitié; mais non. En Haïti, le sourire est contagieux et il faut bien dire que le peuple nous en apprend un brin sur ce que doit être l’accueil d’étrangers, même ceux qui viennent pour leurs propres fins personnelles, ce qui est en fait le cas de tous les expatriés. Car sous des dehors parfois bien hypocrites, ceux et celles qui viennent s’installer dans ce pays le font parce que cela leur convient — pas par grandeur d’âme, ne vous y méprenez pas, et j’inclus ici même ceux et celles qui se disent missionnaires. Certains, comme nous, œuvrent (modestement) dans l’humanitaire; d’autres se font grassement payer à titre de consultants ou similaires; d’autres enfin, ouvrent boutiques et s’y font hôteliers ou restaurateurs... Mais tous sont également acceptés pour ce qu’ils sont : des étrangers.

Or, pendant ce temps au Québec, on alimente la xénophobie en voulant faire un débat de société autour du danger de laisser les autres être les autres et exprimer leur différence… Pas étonnant que dans cette foulée rétrograde ait germé le slogan «s’occuper des vraies affaires»…

À quand le retour au «vivre et laisser vivre»?

dimanche 30 mars 2014

Fait divers...



… et non fait d’hiver, puisqu’il est officiellement terminé. Quoi? Sarcastique, moi? Ben voyons!.. Allez pelleter un peu, ça vous remettra…!

Mon fait divers n’est rien d’autre, en somme, qu’une frustration comme il s’en vit à la tonne dans ce pays où rien ne marche, mais où tout finit toujours par marcher, comme se plaisait à répéter l’un de mes bons amis américains (version anglaise : nothing ever works, but everything ultimately works out), frustration issue d’un banal problème de plomberie… Je vous raconte.

D’abord, il faut que vous sachiez que, règle générale, l’alimentation en eau dans ce pays se fait par gravité : on installe un château d’eau sur le toit de l’immeuble (photo ci-dessus), on le remplit et on dispose alors d’une provision d’eau qui se transporte dans une tuyauterie standard, mais sans pression autre que celle de la gravité. Or, pour nous, habitués au luxe d’une pression à la douche, ce système laisse un peu à désirer et j’ai donc insisté pour que nous ayons un système avec pompe et réservoir qui nous procure une pression standard. Jusque là, tout va bien. Cependant, la semaine dernière, des travaux de plomberie nous ont obligés à changer quelques petites sections de tuyaux qui, mal collés, fuyaient dans un goutte à goutte aussi inutile qu’énervant. Je décidai donc d’y remédier, moi-même et en personne, illustrant en cela le proverbe qui dit que «l'on n’est jamais mieux servi que par soi-même.» J’achète donc une demi-barre de tuyau de PVC (polyvinyle chloride, si vous voulez tout savoir), la colle et les quelques raccords nécessaires à l’opération et me mets à l’œuvre. En pas même une demi-heure, le travail est complété et il ne reste qu’à remettre l’eau. Mais à ma grande surprise et contrairement à mon expérience passée, le tuyau n’a pas collé et avec la pression (environ 40 lb/po. car.), jaillit un geyser qui forme rapidement un lac sur le plancher de céramique. Heureusement, notre chère Éraise est là, et armée de sa moppe et de son sourire inaltérable, elle éponge la mare.

Qu’à cela ne tienne, nous allons reprendre le tout. Hélas! Encore une fois, ça ne tient pas. La colle peut-elle être expirée? Voyons cela. Changement de pot de colle, reprise des travaux et vlan! Nouveau geyser… Bon. C’est sans doute la marque de cette colle, alors je fais acheter une autre marque et remets ça... pour un nouvel échec! Et chaque fois, c’est l’inondation que nous épongeons, Éraise et moi, sans tant nous plaindre, mais bon, le jour avance et nous n’avons pas d’eau alors il faut trouver ce qui cloche… Et si ce n’est pas la colle, serait-ce le tuyau? Examen de ce dernier : effectivement, ce n’est PAS du PVC!!! Or, comme tout le monde le sait, colle et tuyau doivent être de même nature pour que s’opère la fusion des matériaux. PVC avec PVC, CPVC avec CPVC, ABS avec ABS… bref vous m’avez compris. On change le tuyau, on refait l’assemblage et cette fois, tout baigne et pas parce qu’on a les pieds dans la flotte!

L’histoire est banale, lue comme ça, mais je vous jure qu’elle a bien failli me faire perdre patience, moi qui pourtant en ai des trésors, vous le savez bien. «Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage.» Je sais, je sais, mais ça commençait à me scier, à la fin…

Tout ça pour vous dire qu’en Haïti, rien n’est jamais acquis d’avance, rien n’est jamais évident. Car je vous le demande : comment soupçonner qu’un tuyau blanc, vendu comme tuyau de polyvinyle chloride et en ayant toutes les apparences n’en soit pas? Et vous? L’eussiez-vous deviné? Eh bien voilà. Vous savez tout maintenant.

dimanche 23 mars 2014

La peur du connu


« Chat échaudé craint l’eau froide. » Vous connaissez sûrement ce proverbe, sinon pour le citer spontanément, à tout le moins pour l’avoir lu ou entendu. Son sens est assez limpide et s’appuie, comme la plupart des proverbes, sur un fait observable : le chat étant un animal prudent et circonspect, s’il se fait échauder, il évitera l’eau tout simplement, sans prendre le temps de vérifier si elle est chaude ou froide. Morale de l’affaire : une mauvaise expérience engendre la crainte, même non fondée, de voir l’expérience se répéter. C'est ce que j'appelle la peur du connu (par opposition à la peur de l'inconnu, vous l'avez compris). Or, ici, en Haïti, l’eau qui a échaudé tout le monde, c’est le tremblement de terre de 2010. Si bien que maintenant, le moindre frisson tellurique engendre une peur panique de voir l’événement dévastateur se reproduire, même si les chances de cette réédition sont bien faibles, à tout le moins en termes d'occurrences géologiques.

Tout ça pour vous dire que oui, vendredi soir dernier, nous avons senti une légère secousse dont tout le monde a immédiatement identifié la source : la terre qui frémit. L'événement s'est passé à quelque 50 km des Cayes (là où nous habitons) et n'a été qu'à peine ressenti par ici, mais davantage près de l'épicentre car en regardant la puissance de l’onde de choc initial, on s’aperçoit que ce n’est quand même pas rien : 4,5 sur l’échelle de Richter, assez pour que le frisson s’étende aux humains…

On peut avoir tendance à minimiser la chose, à considérer la crainte haïtienne comme puérile et non fondée. Mais moi je vous le dis : eussiez-vous vécu pareil drame il y a à peine quatre ans, vous seriez sans doute les premiers à quitter le confort douillet de votre maison à toit de béton et à vous précipiter au dehors lorsque se font sentir les vibrations alarmantes. Car oui, il y a péril en la demeure et l’alarme, même si elle est fausse, est prise ici au sérieux. On ne sait jamais, n’est-ce pas?

Le fait est qu’avec les bouleversements climatiques — et par extension, géologiques — dont nous sommes les impuissants témoins, on peut s’attendre à tout. Qui sait, après tout, ce que l’avenir nous réserve? Et si les climatologues le savaient, croyez-vous qu’ils nous le feraient savoir? Tout au plus quelques chefs d’États seraient-ils avertis, et pour le reste du monde, basta! On fera mieux la prochaine fois. Incidemment, il s’agit là du scénario du film 2012 de Emmerick, qu’on ne peut que trouver logique. Puisqu’il est évident qu’il est impossible de sauver le monde, alors on trie. Le reste, c’est un sauve-qui-peut, pris au sens littéral. Vous allez me dire qu’un petit séisme de quelques secondes à peine ne donne guère le temps de ressentir la panique et d’agir en conséquence, mais je vous rappellerai que c’est précisément ce qui a rendu le tremblement de terre de 2010 si dévastateur : la rapidité du désastre. Alors oui, chat échaudé a toutes les raisons de craindre l’eau froide…

Il n’empêche que ce sont des choses qui arrivent (je parle toujours des séismes, au cas où vous n’auriez pas suivi). Pas souvent, d’accord, mais qui arrivent quand même et lorsqu’elles se produisent, eh bien ce n’est pas drôle, je ne vous le fais pas dire.

Alors gens du nord, bien que vous vous plaigniez de cet hiver qui s’étire et vous fait douter du printemps — qui sait? Peut-être est-ce le début d’une nouvelle ère glaciaire? — dites-vous bien qu’ailleurs, d’autres malheurs, réels ou potentiels, frappent et sèment la pagaille — comme tous ces bons Haïtiens qui se sont précipités au dehors en sentant la secousse familière et évocatrice du grand mal. Ce n’était qu’un faible toussotement, soit, mais qui n’en fait pas moins songer au drame passé et qui laisse penser que celui-ci peut se reproduire.

Après tout, qu’est-ce qu’on en sait?

lundi 17 mars 2014

La beauté à tout prix?


Le monde s’agite toujours et encore. La disparition mystérieuse du Boeing MH 370, les bouleversements climatiques, la guerre, les élections au Québec… sont autant de sujets sur lesquels quelqu’un qui aime dire son avis peut le faire aisément. Pourtant, c’est en lisant cet article que j’ai senti l’appel du clavier, le besoin de partager avec vous ma lecture de ce fait divers qui laisse au mieux songeur, au pire, choqué.

Quant à moi, je ne suis pas choqué de cette réalité, mais elle me laisse songeur, oui, car elle nous renvoie une image sociale qui n’est pas exclusive à Haïti et qui, dans tous les cas, n’est guère reluisante. En d’autres termes, la quête de la beauté, c’est pas du joli…

Je ne vous ferai pas l’apologie philosophique du beau : vous savez ce que c’est sans qu’il soit besoin d’en décortiquer les pièces, d’en faire l’autopsie ou l’examen microscopique. Une belle fleur est belle, point. Ainsi en est-il d’une belle fille. Kant parlait d’une «universalité subjective» comme critère d’évaluation et ma foi, voilà une idée que j’ai retenue de mes cours de philo du cégep… Or, tout n’est pas beau également et tout comme certaines fleurs sont plus belles que d’autres, certaines personnes se démarquent et nous émerveillent par leur beauté. La plupart du temps, sans qu’on sache vraiment pourquoi, d’ailleurs. Mais on sait identifier la beauté et elle n’est jamais en rapport avec la couleur de la peau! Pour moi, quand je vois une belle fille, sur la rue ou à la télévision, je sais que j’ai devant moi une belle fille sans que je puisse identifier les critères de cette impression — enfin, si peu!... Impression que je partage d’ailleurs sur-le-champ avec ma compagne qui, la plupart du temps, sera d’accord avec moi. De belles noires sont aussi belles que de belles asiatiques ou de belles européennes! Dès lors, je comprends mal pourquoi la beauté féminine doit passer par ces modes qui dictent aux femmes avec quoi se laver, comment se brosser les cheveux, comment s’habiller, quoi manger, où s’épiler (!) et bien sûr, comment se maquiller. Eh bien tout ça pour moi, c’est du maquillage, justement. On veut maquiller la vérité et rendre les femmes (surtout, mais la tendance atteint maintenant les hommes, on le constate de plus en plus) plus désirables en les transformant en objets. Dites, ça ne vous agace pas vous autres? Moi oui. Car une personne n’est jamais une addition de morceaux, mais bien un tout, plus ou moins harmonisé, plus ou moins intégré, mais jamais fragmenté au goût du jour. C’est ce que disait le philosophe quand il disait que l’ensemble des parties ne forme pas nécessairement un tout. L’ensemble de morceaux du beau n’est pas le beau. Une belle personne irradie, illumine son environnement et rend les gens contents. Car une belle personne n’est jamais une image, fût-elle magnifique et tridimensionnelle : la beauté humaine exprime la vie.

Mais je devine vos soupirs. «On sait tout ça», me dites-vous. D’accord. Mais entendons-nous que plusieurs femmes / filles pensent encore que ce sont les gros seins qui les rendront séduisantes ou pire encore, la peau pâle… et qui sont prêtes à souffrir pour cette image fausse. Je trouve ça bien triste…

L’humanité accédera-t-elle un jour à un brin de maturité? Je laisse la question ouverte…

dimanche 2 mars 2014

La flemme et le Mardi Gras


Des fois, j’ai simplement pas envie. Des fois, j’ai cette espèce d’apathie paralysante qui m’enlève le goût de faire quoi que ce soit sauf lire ou regarder la télé. Panne littéraire? Non, pas du tout. Vous le savez maintenant : pour moi tous les sujets sont bons, même ceux qui, a priori, ne semblent pas vraiment aptes à rebondir. Angoisse de la page blanche, alors? Ici encore, c’est non. Je me souviens d’ailleurs de l’époque où la page blanche était une vraie feuille de papier sur lequel courait mon stylo ou, un peu plus tard, une feuille que je glissais dans la «machine à écrire», avant d’en marteler les touches comme si la victoire en dépendait… J’ai appris en autodidacte à taper selon une méthode (lasalle, si je me souviens bien) et ma foi, pour taper, je tapais! Car malgré les semonces de mes enseignants, ma paresse chronique s’accordait mal avec l’idée d’un brouillon, lequel signifiait seulement un double travail pour moi. Alors je glissais une feuille de papier vierge dans la vieille Underwood (photo ci-dessous) récupérée à l’imprimerie où travaillait mon père, et là, devant la page blanche, je laissais les phrases se mettre bout à bout, s’enchaîner sans contrainte et former le corps du squelette de ma pensée frivole. Bien sûr, il me fallait tout de même réfléchir un peu à ce que je voulais dire, mais une fois l’idée germée, le terreau de la feuille blanche suffisait à lui donner corps et vigueur et la page se remplissait sans que j’aie besoin de forcer. Si bien que pour l’angoisse, on repassera.

Mais la flemme, les amis, la flemme…

Tout de même, puisque j’ai pris déjà une demi-page pour vous dire que j’avais la flemme et puisque j’aime bien maintenir ce rendez-vous dominical avec vous, je vais tout de même vous donner un bref aperçu de la situation actuelle, en ce début du mois de mars 2014. Au nord du nord, là où la majorité de mes lecteurs assidus habitent et où nous lorgnons de temps à autre, c’est visiblement toujours l’hiver à n’en plus pouvoir, ce qui ne présente rien d’enviable pour des gens vivant sous le soleil, je sais que vous serez d’accord là-dessus. En plus, pour nous, c’est le congé du Mardi Gras — une fête que tout le monde connaît, mais qui, au nord, ne s’accompagne pas d’un congé férié et chômé alors que c’est le cas ici. En fait, nous bénéficions présentement d’un long week-end de cinq jours, ce qui est tout de même appréciable, avouons-le.

Et puis, ce qui n’enlève rien à la chose, cette année, le carnaval (puisque qui dit Mardi Gras dit carnaval), dans sa version nationale et officielle, se tient à Gonaïves, ville du nord assez loin de nous, si bien qu’ici aux Cayes, les célébrations restent bien modestes à tous égards, donc, avec moins de musique (ou ce qui en tient lieu) tonitruante et capable de réveiller les morts, alors pour les vivants cherchant le sommeil, je vous laisse imaginer… En résumé, la fête est là, mais elle nous laisse souffler.

Le congé ne s’en prend que mieux. Et c’est sans doute pour cette raison qu’en ce dimanche ensoleillé, nous avons choisi de sauter notre traditionnel petit tour à la plage, quitte à le remettre à demain, à mardi ou à mercredi si le cœur nous en dit. Car aujourd’hui, vous l’ai-je dit, j’ai la flemme…

Si bien que, si ce produit de ma fainéantise dominicale vous semble pauvre et fade, je vous dirai que j’ai déjà abordé le thème du Mardi Gras de même que celui du Mercredi des Cendres au cours des années passées, alors faut pas vous gêner…

Car moi, je crois bien que je vais retourner à la télé, tiens…

samedi 22 février 2014

Une de plus


Eh bien nous y voici. Une de plus. Je parle des années, au cas où vous n’auriez pas saisi le référent subtil derrière le pronom. Et comme vous le savez maintenant, je ne peux pas décemment laisser passer l’occasion de souligner la chose publiquement en ces pages qui me sont chères, alors me voici, sans sujet autre que mon petit nombril qui vieillit encore un peu aujourd’hui et que le poids des ans fait se plisser encore un peu plus. Mais si peu…

Une autre année a passé, la septième dans ce pays où nous avons élu domicile, et comme toujours, on ne sait pas où elle s’en est allée. En fumée, je sais, c’est ce que vous allez me dire, mais il me semble que ça fait un peu cliché, vous ne trouvez pas? En tout cas, et pour les cyniques et les sceptiques, je vous le dis tout net : non, je ne me sens pas plus vieux. Et encore moins pluvieux!... (Je sais, je sais, je vous l'ai déjà servie, celle-là, mais que voulez-vous, je la trouve bonne, moi...)

Par contre, un qui devient nettement plus vieux (et qui est déjà pluvieux), c’est notre cher patron dont la visite tri-annuelle, écourtée cette fois-ci pour des raisons logistiques, s’est terminée hier. Mais à 85 ans bien sonnés, il faut avouer que c’est un peu normal. Pas d’écourter sa visite, mais de devenir vieux. En dépit de ce fait observable et observé, le cher homme voyage encore tout seul, fait hardiment Calgary—Houston—Miami—Port-au-Prince—Miami—Montego Bay (Jamaïque) avant de retourner à Calgary. À 85 ans, c’est tout de même appréciable et j’avoue bien candidement que je n’aspire même pas à de telles prouesses à cet âge vénérable car, entre vous et moi, qu’ossa donne? Mais c’est sa tradition, son habitude, son plan de travail et rien ne sert d’en discuter le fond avec lui, car rien ne lui fera changer d’idée sauf, comme il le dit lui-même, la mort, bien entendu.

Cela dit, il est tout de même réconfortant de voir que la vieillesse se passe bien différemment en ce siècle qu’elle se passait jadis et que les vieux font maintenant autre chose de se déplacer péniblement «du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit», comme l’a si bien dit Brel… Mais la pendule de la chanson ne s’arrête pas pour autant, vie active ou vie léthargique peu importe. Car quand elle s'arrête, c'est qu'on est mort. On n’y peut rien, alors basta.

Journée tranquille, donc, journée de vieux, diront certains, et ce ne sera pas faux. Il fait beau dehors, mais ici, vous le savez bien, il fait toujours beau ou presque. Le beau temps n’est donc pas un motif suffisant pour prendre le large et s’exciter les plumes, comme le faisait le poussin de tout à l’heure, que j'essayais d'attraper pour le remettre à sa mère. Si bien que la journée se passe tout doucement et je n’en attends pas plus. Le repas du soir, sans tomber dans la recherche excessive, tranchera tout de même de notre quotidien habituel et cela me suffit. En plus, nous avons, une fois de plus, voulu tenter la chance en nous offrant une bouteille de chateauneuf-du-pape. Peut-être celui-là sera-t-il buvable? On verra…

Bref, vous voyez le tableau. Bucolique vient à l’esprit. Et c’est ainsi qu’on se rend compte que plus les années passent, moins il semble nécessaire de se forcer à faire «quelque chose» de spécial, moins on a envie de grimper l’Everest pour se prouver qu’on est encore jeune, moins les performances deviennent source de fierté — plutôt une bien inutile source de fatigue et de puérile vanité. Vanitas vanitatum omnia vanitas, dit la bible : «vanités des vanités, tout est vanité.». Tout est futile et rien n’a vraiment d’importance, alors dites-moi : pourquoi ne profiterais-je pas de la journée pour ne rien faire?

Mais cela dit, j’aime quand même bien que ce soit mon anniversaire, alors à la bonne vôtre!

dimanche 16 février 2014

Une amélioration digne de mention


C’est quand j’ai lu l’article du Nouvelliste, suggéré par mon ami le Dr Pierre de Fond des Blancs, que je me suis décidé à y mettre mon grain de sel. Qui, comme toujours, pose un bémol là où la note est trop haute, un peu criante. Car même si, comme on l'affirme dans l'article, «aller en province n’est plus ce voyage d’enfer, dans lequel les gens et les marchandises sont entassés comme des sardines dans une cannette», les conditions ne sont pas aussi roses que l’article les dépeint. En fait, un commentaire à l’article dit : «Un certain contrôle serait raisonnable. Boutèy kleren chofè yo anba kousen an epi y-ap kondwi...» Eh oui, le chauffeur conduit avec une bouteille de clairin (alcool bon marché très populaire au pays [1]). Avouez que ce n’est pas tellement rassurant, surtout compte tenu des conditions routières en Haïti…

Les bus sont neufs, climatisés et confortables, c’est vrai, mais pour combien de temps? Récemment encore, notre ami Jim nous disait qu’à l’occasion de son dernier voyage, la toilette du bus était bouchée et les eaux (et leur contenu) débordaient joyeusement sur le plancher sans que cela n’arrête pour autant les gens de continuer à l’utiliser! (Incidemment, je me dis la même chose à chaque fois que nous sommes dans l’avion : les toilettes représentent un centre d’intérêt majeur auquel personne ne semble pouvoir résister, ne me demandez pas pourquoi…) Bref, une amélioration notable du transport en commun interurbain, comme on le dit, mais une amélioration seulement. Et qu’arrivera-t-il lorsque les bus ne seront plus neufs? L’entretien mécanique sera-t-il adéquat? Les sièges seront-ils toujours en bon état? Et les toilettes? Et la climatisation? Si je me fie à ce que l’on voit couramment, je reste sceptique… Mais c’est déjà beaucoup mieux que les bus traditionnels (photo ci-dessus, gracieuseté de Wikipedia) dont le principal mérite est leur esthétique très réussie, véritable symbole de l’esprit festif des Haïtiens, mais qui, sur la route, sont de véritables kamikazes totalement insouciants de leur vie ou de celle des autres. J’en témoigne.

Haïti est terre de paradoxes, je vous l’ai dit cent fois. En voici un : le pays est très peuplé — 350 habitants au kilomètre carré, ce n'est quand même pas rien — et pourtant, les routes, celles capables de porter ce nom, sont rares et de qualité très variable. Or, pas de routes, pas de contacts, d’échanges avec la capitale ou entre les villes : on reste chez soi et on s’accommode de ce qu’on y trouve. Les routes sont le système circulatoire d’un pays : elles doivent permettre aux gens d’aller et venir à leur guise. Mais Haïti est un pays de pistes incertaines — d’où incidemment la présence dominante de véhicules à quatre roues motrices : la garde au sol et la traction accrue sont ici presque une nécessité…—  et les routes, eh bien on y travaille. Pas vite, mais bon. Ainsi, d’ici peu, Jérémie, importante ville du pays, sera reliée par une route «normale» que les bus modernes pourront emprunter, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Mais cela n’enlève rien au fait que l’apparition de ces bus, tout comme celle naguère des téléphones cellulaires, marque un signe, un signe que les choses sont vraiment en train de changer pour le mieux. Je pense qu’en tout état de cause, il y a lieu de s’en réjouir.

(1) Voici ce que dit Wikipédia au sujet du clairin : «Le Clairin est une eau-de-vie produite à partir de la canne à sucre. Comparable au rhum, le Clairin n'est produit qu'en Haïti. Le Clairin est produit au fil du même processus de distillation que le rhum bien qu'il ne soit pas raffiné afin de séparer les divers alcools produits après la fermentation.»

samedi 8 février 2014

Une histoire d'yeux


Je vous raconte si souvent des inepties dans ces pages que vous devez vous demander parfois si c’est vraiment vrai qu’on s’occupe d’un hôpital spécialisé qui accomplit une tâche tout à fait remarquable dans les domaines de l’ophtalmologie (surtout) et de l’oto-rhino-laryngologie. Et pourtant, c’est bien la vérité et, incidemment, la raison d’être de notre vie au sud. Les malades affluent — nous voyons plus de 200 patients par jour — et les cas sont souvent difficiles, voire insolvables. Si bien que lorsque se pointe à l’horizon la visite d’une équipe ophtalmique américaine, nous en profitons pour mettre les bouchées doubles, si l’on peut dire, car ces étrangers, même s’ils sortent tout droit du froid et de la neige du Midwest, ne sont pas ici pour lézarder au soleil, mais pour travailler. Et les cas lourds, loin de les rendre nerveux, leur font se frotter les mains d’anticipation.

En outre et comme si leur enthousiasme ne suffisait pas, ils arrivent chargés de matériel et de produits qu’ils nous donnent gracieusement et porteurs de connaissances qu’ils ne demandent qu’à partager avec nos employés. Bref, un arrangement dont nous sommes les grands gagnants. Et les patients, bien sûr. Les patients qui, dans certains cas, se sont résignés à vivre avec leur misérable condition oculaire simplement parce que personne, dans le pays, ne peut réduire leur mal ou régler leur problème.

Ainsi en était-il de Garrisson, ce petit garçon dont notre amie Kyra s’est faite la marrraine et la protectrice. À l’âge de deux ans, atteint d’un rétinoblastome (cancer de l’œil), Garrisson a subi le traitement radical le plus souvent pratiqué en ce cas : l’énucléation, c’est-à-dire l’ablation de l’œil, tout simplement. Remède de cheval, me direz-vous, mais qui résout habituellement le problème, comme ce fut le cas avec ce petit garçon. Mais on a refermé la plaie sans lui mettre de prothèse et sans soucis pour le futur et Garrisson, guéri, n’en souffrait pas moins d’une déformation majeure du visage, la cavité orbitale s’étant contractée avec le temps.

Pour l’oculo-plasticien, ce n’était rien d’autre qu’un «beau cas». Cet habile chirurgien lui a greffé un morceau de fesse dans l’orbite et mis une prothèse temporaire qui pourra par la suite être remplacée par une autre plus adéquate. Mais déjà, le visage du garçon ressemble maintenant à un visage de jeune garçon de dix ans avec tout au plus, un bout de fesse dans l’œil… Non, sérieusement. La différence est majeure, bien que pas trop visible sur les photos ci-jointes. C’est qu’il faudra quand même un peu de temps avant que tout rentre dans l’ordre. Mais je vous le dis les amis : c’est un travail tout à fait remarquable que le chirurgien a fait là et si vous ne me croyez pas, eh bien c’est tant pis pour vous. Car le fait est là : certains patients, dont Garrisson, ont vu leur vie transformée littéralement cette semaine. L’équipe était vannée, mais contente. Qui ne le serait pas?

Garrisson avant
Garrisson tout juste après la chirurgie

 Et c’est ainsi que la première semaine de février s’en est allée : avec l’équipe médicale américaine, sans tambours ni trompettes, mais avec le sentiment que la raison d’être de notre petit hôpital s’est trouvée, une fois de plus, admirablement justifiée, comme s’il en était encore besoin, après trente ans de bons services…

Il me semble que la bière est encore meilleure dans ces temps-là, vous ne trouvez pas?

dimanche 2 février 2014

Impromptu


Je sais, je sais : je vous ai fait faux bond la semaine dernière. Bon. Inutile d’en faire tout un plat car j’avais une fort bonne raison : de la visite, de la belle, aussi inattendue qu’appréciable et avec laquelle nous avons passé une semaine à jouer les touristes. En effet, la grande sœur de ma compagne, Lorraine, s’est annoncée comme ça, en disant : «coucou, c’est moi!» Une surprise, dites-vous? Oui, et une splendide à part ça.

Si bien que nous avons passé le temps à folâtrer aux environs — pas le temps d’aller bien loin dans un laps de temps si limité — pour son plus grand plaisir et le nôtre. Réflexion de Lorraine : «Mais vous êtes les seuls blancs ici!» C’est vrai, mais comme nous n’avons jamais porté attention à ce fait, nous ne l’avions pas noté; cependant, il explique sans doute pourquoi la visite de nos proches nous comble de joie : parler notre langue sans s’efforcer de minimiser notre accent québécois, raconter des choses qui concernent la vie au nord et que les gens d’ici ne peuvent comprendre — la neige entre autres —, présenter notre vie et les gens qui la composent et surtout, surtout, montrer pour vrai que nous ne sommes pas à plaindre, que nous ne souffrons pas le martyre et que nos conditions de vie n’ont rien à envier à celles du nord, toutes proportions gardées, tout cela nous fait grand plaisir.

Ce n’est pas que la vie ici soit spectaculaire et qu’elle mérite le déplacement. Ici, c’est comme n’importe où ailleurs et j’aurais le goût de vous citer Pierre Calvé et de vous dire qu’ici, «à part le soleil, c’est partout pareil», car le quotidien comporte ses règles et sa mécanique qui, partout au monde, tournent autour du rythme circadien, c’est-à-dire 24 pauvres petites heures dont près du tiers à dormir, ce qui en laisse bien peu pour le reste…

Mais je papote. Je mets des mots là où des interjections suffiraient. Cependant et vous connaissant, je doute que vous apprécieriez une suite ininterrompue de Oh! Ah! Wow! et similaires. Car vous voulez du texte, vous les lettrés. Et un texte qui se tienne, bien sûr, même si ce n’est pas Proust ou Flaubert ou Laferrière, tiens… D’où mes efforts pour vous exprimer combien cette visite, légère, familière et familiale nous a fait du bien.

Autrement, tout va. Le pays, la ville, notre hôpital, le temps qu’il fait, les gens de la rue... tout baigne. Il y a bien quelques petits remous ici et là, mais rien pour en faire un plat, alors je passe allégrement sans m’en plaindre. Car si les drames sont le pain-beurre des journalistes, pour nous, ils ne sont rien d’autres que des situations pénibles qu’on souhaite voir s’éclipser le plus rapidement possible. C’est pourquoi je n’aime pas vous parler de drames, québécois, haïtiens ou autres, mais cela ne veut pas dire qu’on ne sympathise pas avec ceux, celles qui en font les frais. Genre l’Isle-Verte… Et sans vouloir aborder ce triste sujet, je me permets tout de même de partager ce dessin magnifique signé Ygreck et dont l’évocation poétique me paraît des plus touchantes et que mon cousin Pierre commente en ces termes : «Moi ce que j'y perçois c'est une forme d'hommage aux disparus dans une belle vision artistique où le chaud et le froid s'affrontent.» Voilà qui est fort bien dit.


Et pendant ce temps, la vie, au nord comme au sud, continue et entre vous et moi, ce n’est pas le Super Bowl de ce soir qui y changera quoi que ce soit…

lundi 20 janvier 2014

Esclavage en Haïti?


Cela fait quelques fois que je tombe sur ces cris haut poussés contre le traitement infligé à ces esclaves modernes que sont les «restavek». «Reste avec». L’expression dit bien ce qu’elle sous-tend : on parle ici de jeunes qui ne sont pas les enfants des adultes chez qui ils restent et qui, eh bien, «restent avec» eux, simplement parce que les parents biologiques n'ont pas les moyens financiers de subvenir aux besoins de leurs enfants. Les parents «placent» leur enfant dans une famille qui, en principe, donnera à l'enfant une chance de s'en sortir en échange de l'accomplissement de travaux domestiques. Jusque là, rien d’affolant ou même de tendancieux. Mais voilà que les médias, ces colporteurs de l’information, s’en mêlent et s’emmêlent, confondent restaveks et esclaves et s’indignent de cette inadmissible pratique, statistiques en tête. Un bémol s’impose. Qui fera baisser la note d’un demi-ton et la rendra moins criarde. Car comme je vous l’ai déjà dit, il me paraît bien risqué de juger l’indien sans avoir chaussé ses mocassins, de juger la vie haïtienne dans une perspective qu’on veut objective mais qui me paraît fortement biaisée. Je m’explique.

Haïti n’est pas un pays comme tant d’autres. Disant cela, j’entends déjà les plus pointilleux parmi vous me dire : «Qui es-tu pour affirmer une telle chose? As-tu vu tous les autres pays du monde?» Et vous aurez raison. Non, je n’ai pas vu tous les autres pays du monde — à peine une vingtaine, je dirais — et Haïti mis à part, n’ai vécu dans des milieux culturellement différents qu’à deux autres reprises : en Algérie et à Fort George, au pays des Cris, ces autochtones si loin de la culture canadienne ou québécoise. Donc non, aucune prétention d’expert ici. Cependant, lorsque je vous dis qu’Haïti est différente (car oui, Haïti est un pays féminin, comme la France ou l’Allemagne), j’avance que les façons de faire ici ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. Dès lors, il me paraît difficile de juger. Les restaveks font partie d’une classe bien connue mais mal définie, aux contours flous et moralement variables; mais de là à les mettre dans le même panier que les esclaves, je pense qu’il y a une marge.

Certes, ces enfants ne sont pas tous traités de la même façon, on s’en doute. Quelle famille traite ses enfants de la même manière que le voisin? Certains restaveks bénéficient vraiment d’une qualité de vie supérieure à celle qu’ils auraient eu s’ils étaient restés avec leurs parents biologiques alors que d’autres souffrent d’abus de toutes sortes, avec toutes les variables possibles entre les deux. Dire que les restaveks sont des esclaves est donc aussi faux que de prétendre qu’ils ont tous la belle vie. D’où mon bémol. Et puis, n’oublions pas une distinction que je qualifierai de majeure : les restaveks sont tous des enfants ou des adolescents qui n’ont pas encore atteint l’âge de l’autonomie sociale. Lorsqu’ils vieillissent, ces jeunes s’insèrent tant bien que mal dans le monde qui les entoure et ont les mêmes droits que n’importe quel autre citoyen ou citoyenne. Tandis qu’un esclave reste un esclave, même à l’âge adulte…

Remarquez que je ne dis pas qu’il s’agit là d’une situation enviable pour ces enfants. Mais acceptable, oui. Dans le difficile contexte d’Haïti, des accommodements sont nécessaires et ce n’est pas l’État qui les fixe ni les gère : ici, les gens sont habitués à ne compter que sur eux-mêmes et sur leurs maigres ressources et pour ce qui les dépasse, ils invoqueront le Ciel bien plus souvent que l’État… Car LE problème d’Haïti, ne le perdons pas de vue, c’est sa grande misère. Et c’est de cette grande misère que découlent souvent des situations aberrantes, incompréhensibles, voire choquantes, spécialement pour nous, les nantis. Mais on dit que «Nécessité est mère de l’invention» et c’est sans doute ce qui rend les Haïtiens et les Haïtiennes champions du système D.

En tout cas et pour ma part, je ne peux m’offusquer de l’existence des restaveks pour la simple raison que c’est un système qui marche depuis l’indépendance du pays et l’affranchissement de l’esclavage — le vrai — et qui a engendré des gens ordinaires, pas des révoltés, des psychopathes ou des suicidaires. Ce n’est pas le système idéal, personne ne dira le contraire, mais c’est un système qui ne mérite pas d’être associé à l’esclavagisme. Je pense qu’il y a ici une nuance qu’il faut établir et respecter.

Dire que Haïti est le second pays au monde (la presse + 17-01-14) quant à la quantité d’esclaves est dès lors, simplement faux. Et Haïti ne mérite pas ça.

dimanche 12 janvier 2014

Un moyen comme un autre


Quand j’ai lu cet article, je n’ai pu m’empêcher de sourire. Car oui, c’est beau l’amour. C’est naïf et pur, c’est merveilleux et intemporel. L’amour est aveugle — bien plus que la justice si vous voulez mon avis, laquelle a tendance à distinguer entre les puissants et les paumés. Mais pas l’amour. L’amour ne voit rien et s’imagine tout. Même qu’un jeune Cubain bien baraqué puisse être en amour avec une aînée — tiens, appelons-la comme ça, la digne dame. J’ai souri, donc, car le scénario n'est pas nouveau et se reproduit assez souvent par ici. Avec les mêmes résultats, est-il besoin de le préciser…

Faut-il en vouloir au Cubain, au Tunisien ou à l’Haïtien qui se prête au jeu de l’amour sans y croire pour s’assurer une place au pays de l’abondance et de la facilité (ici, le Canada)? Non, bien sûr. «Qui veut la fin prend les moyens», dit le proverbe. Épouser en justes noces un Canadien ou une Canadienne demeure un sacré bon moyen d’ouvrir des portes qui, autrement, restent solidement, pour ne pas dire hermétiquement, fermées. Alors pourquoi pas? Sauf que, disons-le sans mentir, l’amour n’a rien à voir là-dedans et c'est bien malheureux pour ceux, celles qui se font berner.

On peut dès lors se poser la question : comment ces personnes, âgées mais pas gagas pour autant, peuvent-elles tomber si aisément dans le panneau? Comment peuvent-elles ne pas voir qu’elles se font exploiter outrageusement? On ne sait pas. Mais la stratégie marche dans de nombreux cas et je pourrais vous en citer au moins trois locaux qui ont abouti de la même façon que celui de la dame au Cubain.

L’un, entre autres, mettait en vedette un Canadien retraité et une jeune Haïtienne. Belle fille sexy, intelligente et articulée, volontaire et déterminée. Le type — appelons-le Gérard — en était complètement imbibé et malgré mes bons conseils, s’est rapidement marié à ce qu’il croyait être la perle rare. Beau et gros mariage célébré à Port-au-Prince sans regarder à la dépense. Gérard, vieux veuf, renaissait. C’est après que le chat est sorti du sac... Je ne vous dirai pas ce que Gérard a traversé ni combien l’aventure lui a coûté, en argent et en santé, mais il a finalement admis qu’il s’était radicalement trompé et qu’il n’y avait pas grand-chose à faire pour rectifier le tir, sauf écoper. Il a vraiment fait tout son possible, mais à un point donné, il a fallu qu’il se rende à l’évidence : le mariage n’était qu’un bateau naufragé qu’il valait mieux fuir avant d’y périr. La dame n’ayant encore aucun papier officiel lui permettant de débarquer au Canada, Gérard s’en est retourné sur le bout des pieds et je pense qu’on ne le reverra pas de sitôt en Haïti… À sa défense, je dirai que la dame était fort séduisante et drôlement habile dans ses manipulations… Mais le résultat pour Gérard n’en fut pas moins le même : un sale coup au cœur et un portefeuille considérablement allégé. Pas vraiment le temps de lui dire «je te l'avais bien dit», car il a douloureusement compris...

Vu de l’extérieur, on se dit que ces choses-là n’arrivent qu’aux naïfs et aux poissons. L’hameçon est si gros qu’on ne peut pas ne pas le voir, n’est-ce pas? Mais gardons-nous bien de juger. Car l’amour est aveugle, je vous le redis au cas où vous l’auriez oublié. Et je veux aussi vous répéter que dans un pays comme Haïti — ou Cuba —, le ticket de sortie du pays n’est pas facile à décrocher et tous les moyens sont bons, j’entends moralement bons pour arriver à cette fin. Notez qu’il ne s’agit pas ici d’une arnaque organisée et hiérarchisée, mais simplement d’individus qui veulent «s’en sortir». Alors je vous en prie, réservez vos jugements péremptoires et priez pour que cela ne vous arrive jamais...


dimanche 5 janvier 2014

...Et pour commencer la nouvelle!


Nous voilà en 2014. L’année commence, mais ce n’est pas vraiment un commencement puisqu’elle ne fait que prolonger la précédente. Changer d’année, ce n’est pas comme changer de chaîne de télé ou changer de bouquin : l’histoire n’est pas neuve et elle se poursuit toujours… même la mort ne l’arrête pas, c’est dire…

Mais pas de pensées macabres en ce début d’année. La nouvelle année nous tourne résolument vers le futur, tout flou qu’il soit. Je pense qu’on aime tous faire des pronostics, jouer aux devinettes, posséder une connaissance du futur que les autres n’auraient pas. Mais en vérité, personne ne sait. Et je pense qu’il faut respecter cette ignorance du futur et composer avec l’insécurité qui l’accompagne. Je pourrais, entre autres, vous citer l’exemple de cette jeune et jolie dame qui se faisait une joie d’organiser son mariage et qui a plutôt dû vivre les affres des funérailles de son jeune frère, mort dans un accident. D’une tristesse, je vous jure… Car oui, les accidents arrivent et par définition, sont fortuits, c’est-à-dire imprévus, voire imprévisibles. Ils s’insèrent dans les plans les plus serrés pour les modifier, parfois radicalement. C’est ce qui rend le futur incertain et, en même temps, fascinant : on ne sait pas ce qui s’en vient vraiment. En fait, je devrais plutôt dire : on ne sait vraiment pas ce qui s’en vient, même si le programme nous est connu.

Ainsi, aujourd’hui, il ne fait pas beau. Non, non, ne riez pas, je suis sérieux : c’est nuageux et il vente. Rien à voir avec le mauvais temps du nord, bien sûr, car ici, il fait tout de même 28°C et nous n’avons rien à craindre de la neige et du froid. Tout de même, dans ce pays caractérisé par sa constance climatique, le fait mérite d’être noté : il ne fait pas beau. Et demain?... C’est vous dire combien le futur est flou…

Mais il est de ces choses qu’on sait qu’elles vont arriver : ainsi, demain, on sait que c’est le retour au travail pour tout le monde et je suis à peu près sûr — disons à 90% — que tout le monde sera content de ce retour au travail : nos employés aiment le travail (ou ce qui en tient lieu). Car le travail ici est d’abord affaire de rapports humains et les Haïtiens et les Haïtiennes sont naturellement chaleureux dans ces rapports. En fait, c’est ce qui me fait dire que tout le monde sera content de revenir au travail demain. Et voilà pour une prévision du futur que j'estime probable.

Une année qui commence donc, laissant dans la brume du passé celle qui vient de finir et dont elle porte tout de même le poids. Mais celle-ci est neuve, solide et pleine de promesses alors oui, il est permis d’espérer.

Si bien qu’en ce début d’année, eh bien on espère. Pas qu’il fera beau demain, mais plutôt que les choses iront bien, pour nous, pour les autres, pour le pays et pour le monde. Est-ce vraiment utopique?

Alors encore une fois, bonne année à tous et à toutes!