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dimanche 10 février 2013
Pollution sonore
Avez-vous vu le film "The Birds" («Les oiseaux») de Hitchcock? C’est un vieux film (1963), c’est vrai, mais un film dérangeant tout de même, car que se passerait-il si tout à coup, ces oiseaux que nous sommes habitués de voir perchés ici et là bien tranquilles se mettaient à nous attaquer? Eh bien avec les oiseaux que nous avons présentement dans le coin, c’est un peu l’impression que j’ai. Comprenons-nous bien : ce n’est pas que ces oiseaux soient de quelque façon agressifs, mais ils sont tellement nombreux d’une part et tellement bruyants d’autre part qu’il est impossible d’ignorer leur présence, voire de ne pas y sentir comme une menace — ou une forme d'invasion plutôt. Or, lorsqu’on est l’ami des bêtes, on l’est forcément des oiseaux, n’est-ce pas, dont les couleurs, le chant mélodieux et la grâce en vol sont une source d’émerveillement universel. Mais ceux dont je vous parle aujourd’hui, les «mel fran» (quiscalus niger), ont tout, semble-t-il, pour se faire détester. D’abord, ils sont noirs, comme tout bon quiscale (qu'on appelait anciennement mainate) qui se respecte. Bon vous me direz qu’ils présentent parfois, sous un certain angle, des reflets iridescents du plus bel effet, mais vus comme ça, ils sont noirs, il n’y a aucun doute, si bien que pour les couleurs, faudra repasser. Mais il y a pire. Car le «chant» de ces oiseaux ne se résume qu’en des vocalises assez élaborées mais très peu harmoniques et d’un niveau sonore qui, en décibels purs, frise le seuil de la douleur et qui surtout, ne s’interrompt jamais. C’est énervant, je vous dis pas… Et pas moyen de les faire fuir pour de bon, car ces oiseaux nichent naturellement au sommet des palmiers royaux, dont notre cour est généreusement garnie. Aussi bien dire que chez nous, c’est chez eux… Certes, on peut toujours les déloger momentanément en lançant quelques cailloux à l’aide d’un lance-pierre (slingshot), mais c’est un coup d’épée dans l’eau car ils reviennent aussitôt, se plaignant en leur langage d’avoir été si injustement molestés. Et je me mets alors à penser au film de Hitchcock…
Heureusement, leur présence, bien que chronique, n’est pas toujours aussi irritante : seulement lorsqu’ils nichent, ce qui est présentement le cas, comme ce l’est chaque année à la même époque (janvier-février). Sans doute la nidification les rend-ils particulièrement loquaces… J’imagine qu’ils doivent avoir plein de choses à se dire sur le sujet, tout comme le font toutes les futures mamans, d’ailleurs…Mais ces conversations aviaires sont particulièrement éprouvantes pour ceux qui n’y comprennent rien, ce qui est précisément notre cas. Tout de même, j’imagine assez aisément leur teneur :
— Hé voisin! Viens voir comme mon nid est bien situé!
— Pas le temps! Je viens tout juste de pondre un joli coco!
— Pareil ici! As-tu trouvé quelques vers à te mettre sous la dent?
— Oui et maintenant j’ai soif!
Et ça continue comme ça, et ça n’arrête que lorsque le soleil descend…
Je sais ce que vous allez me dire : que les Adventistes, dont je me suis plaint à quelques reprises, sont sûrement pires et que, de toute façon, il y a définitivement pire que des oiseaux qui jacassent.
Et pourtant, les amis, et pourtant…
samedi 7 juillet 2012
Un bruit la nuit
Les plus perspicaces d’entre vous auront noté que mon blogue a subi un facelift, une rhytidectomie, si vous préférez. Sans raison. Les autres, ceux qui ne le fréquentent que sporadiquement, auront oublié à quoi il ressemblait avant, sur fond de chaudes couleurs tropicales, mais cela ne m’offusque en rien car pour moi, l’opération cosmétique n’enlève ni n’ajoute quoi que ce soit au fond qui reste le même. Mais j’avoue que je me suis laissé avoir par le bel emballage proposé par blogspot. Et je me suis dit : «Pourquoi pas?» Alors, voilà, vous savez tout.
Le sujet de ce jour ne fait pas très sérieux, j’en conviens, mais il illustre néanmoins les particularités de ce pays que nous apprenons encore à connaître. Cette fois, il s’agit de la chose-qui-frappe-à-la-porte-avec-un-objet-de-métal. Faut d’abord que je vous dise que les portes extérieures de notre maison sont en fer et lorsqu’un agent de sécurité a besoin de me parler, il frappe à la porte soit avec une clé, soit avec un petit caillou, produisant de ce fait un son métallique aisément audible, même avec la télé à tue-tête, comme on aime l’écouter. Or, je venais tout juste de me rendormir après une pénible séance de «pitourne» (pour les non-familiers avec ce québécisme, il s’agit d’un synonyme d’insomnie, mais tellement plus imagé…) lorsque je me fais réveiller d’un coup de coude de ma très chère compagne. «Réveille-toi, me dit-elle (c’était déjà fait, tu parles!), quelqu’un frappe à la porte.» Je jette un coup d’œil rapide au réveil numérique : il est 3 h 22, pas vraiment l’heure des visites de courtoisie. Je me dresse sur mon séant. Et j’attends de voir si l’on frappera à nouveau. «Tac tac tac tac tac tac tac». Le son est bien celui d’un objet métallique ou minéral solide qu’on frappe contre un montant de fer. Cependant, ça ne semble pas provenir de la porte, mais plutôt de la fenêtre juste au-dessus du lit. N’écoutant que ma bravoure légendaire, je me lève et tente d’identifier l’intrus… Rien à la fenêtre. Rien à la porte non plus. Mais il faut se rendre à l’évidence : il ne s’agit manifestement pas d’une présence humaine munie d’un objet métallique, car le son se fait entendre une fois de plus, un peu plus loin cette fois et il n'y a visiblement personne à la porte ou même dans les environs.
Mais quel peut être l’origine de ce bruit? Serait-ce l’animal que, selon Cyrano, «Aristophane appelle hippocampéléphantocamélos»? Ou peut-être un quelconque ptérosaure égaré dans les couloirs du temps? Un lézard? Une mygale? Une mangouste? Un vulgaire oiseau de nuit? Je me perds en conjectures… Mais le claquement est très caractéristique, très régulier (6-8 coups en deux secondes) et, lorsqu’il se produit dans notre fenêtre, très sonore. Si bien qu’au moment où je vous écris ces lignes, le mystère reste complet, la seule certitude étant que la bête est nocturne. Cela dit, à défaut de ne pas savoir ce que c'est, nous savons à tout le moins ce que ce n’est pas : un agent de sécurité qui vient frapper à la porte…
Mais j'avoue que cela m'intrigue. Bien sûr, vous me direz qu'il me suffit de poster dehors, près de la fenêtre, tapi dans l'ombre et le mystère s’éclaircira de lui-même, mais la nuit, habituellement, je dors et l'affût n'a jamais été ma tasse de thé. Non, vraiment, je préfère attendre et laisser le hasard me faire découvrir l'objet de ce questionnement qui, au reste, ne m'empêche nullement de dormir sur mes deux oreilles (pas simultanément bien entendu) en autant que ma douce et charmante compagne ne me darde pas de coups de coude dans les côtes...
En conclusion, on peut dire que si tout bruit n'est pas forcément une menace, toute menace n'est pas forcément bruyante...
mercredi 20 juin 2012
Le sauvetage du poussin
Faut que je vous raconte cette histoire. Parce qu’elle est légère, qu’elle finit bien et qu’elle a fait de moi un héros aux yeux de ma chère compagne, ce qui n'arrive pas tous les jours, quand même...
La scène se passe hier mardi, entre 5 et 6 heures du soir. Selon notre habitude, nous sommes devant la télé à cette heure et habituellement, le niveau sonore de l’appareil enterre tous les autres sons. Mais en allant à la cuisine nous chercher un verre de vin, ma compagne m’apprend qu’un poussin piaille sans relâche, comme s’il avait perdu sa mère. «Il a l'air en détresse», m’apprend-elle, chagrinée du fait. Je m’approche et ne peux que constater qu’elle a tout à fait raison : le poussin piaille son isolement et sa mère n’est pas visible dans le coin, d’où sa détresse bien réelle et totale. Les poules ne pensent pas, du moins je ne le crois pas, mais l’instinct suffit à faire comprendre au poussin que sa survie, déjà pas évidente sous la protection de sa mère, est passablement menacée, voire critique : les chats, les chiens, les mangoustes voire les oiseaux de proie n’en feront qu’une bouchée aussitôt qu’ils l’auront repéré, ce qui ne saurait tarder au boucan qu’il fait. Car il en braille un coup le petit, à gésier déployé, pourrait-on dire. Que faire?
Je sors. M’approche de la bête… et découvre sa mère, la poule, juste de l’autre côté de la clôture, infranchissable obstacle pour le poussin. Tout s’explique, ou presque. La mère et le reste de sa marmaille ont passé la barrière, laissant celui-là derrière (les poules ne savent pas compter). Or, sans la mère pour le guider, il ne peut rejoindre les siens qu’il sent pourtant juste à côté. Et la mère de son côté, ne peut abandonner le reste de sa troupe pour sauver l'esseulé. Vous voyez le tableau. Je le vois aussi. N’écoutant que ma compassion naturelle, je feinte à droite, à gauche et finis par attraper le poussin, sous le regard courroucé de la mère qui ne se prive pas de m’en caqueter tout un chapitre. Sûrement croit-elle que, comme tout bon prédateur qui se respecte, je vais engloutir son poussin sans même déglutir. Or, je le lance doucement à travers les barreaux de la clôture pratiquement sur le dos de sa mère. Fin des piaillements, fin des caquètements, la famille est à nouveau réunie, tout le monde est content et le preux chevalier peut ranger sa rapière et retirer son armure. En tout cas, c’est l’accueil que m’a fait ma dulcinée lorsque je suis rentré de cette périlleuse mission. Émue, elle m’a tendu mon verre de vin et m’a félicité pour ce geste magnanime, que Schweitzer lui-même n’aurait certainement pas désavoué. Car ne minimisons pas les choses, les amis : à n’en point douter, le poussin me doit la vie. Je l’ai sauvé. Pas au péril de la mienne, je l'admets, mais bon, l’effet en reste le même pour le poussin, vous en conviendrez.
Ce qui me ramène à ce dont je vous parlais hier, à savoir le rapport entre un investissement énergétique et son résultat. Or, dans ce cas, je puis vous dire que l’opération fut des plus rentables, car un investissement d’environ 0,3% a produit un résultat de 99,7%, je dirais. Imaginez : pour le poussin, gain majeur, puisqu’il a été sauvé d’une mort quasi-certaine; pour la poule, gain majeur aussi puisqu’elle retrouve son poussin et que les choses reviennent dans l’ordre. Pour ma compagne, c’est le happy ending idéal où la mère et son rejeton tombent dans les bras l’un de l’autre (ici dans les plumes); enfin pour moi, c’est la fin du piaillement qui commençait à m’agacer vraiment, là… Somme toute, une bataille qu’il valait la peine de livrer, car tout le monde en sort gagnant!
Là-dessus vous m’excuserez, mais je dois aller polir mon armure…
mardi 1 mai 2012
L'ours à gants blancs
Le sujet n’est pas très sérieux, j’en conviens aisément. Mais il est cocasse et symbolique, du moins de la façon dont je l’interprète. Et puis, à la fin, y'en a marre de tous ces drames qui n'en sont pas et qui nous empoisonnent l'existence. Une pause s'impose. Et c'est en lisant cet entrefilet paru récemment sur La Presse, que j'ai enfin souri.
En effet, si vous êtes comme moi préoccupés par les changements climatiques qui menacent les écosystèmes les plus fragiles, vous savez déjà que l’une des grosses espèces animales les plus menacées, c’est l’ours polaire, grand roi de la banquise arctique et symbole du froid et de la neige. Or, l’un des effets les plus aisément observables du réchauffement de la planète, c’est bien le rapetissement de la banquise arctique et, par le fait même, le rétrécissement du milieu de vie de l’ours polaire. D’où l’on peut aisément déduire que, si la tendance se maintient, ce noble animal s’éteindra inexorablement d’ici peu. Mais à lire l’article ci-haut mentionné, on découvre avec surprise que cet animal aux traits si bien adaptés au milieu polaire, n’a pas hésité, au cours des millénaires passés, à aller brouter dans le champ du voisin pour assurer sa survie! Évidemment, brouter est mal dire, puisqu’il s’agit ici d’un féroce carnassier, bien équipé pour éventrer tout ce qui vit et s’en délecter proprement. Mais vous m’avez compris. L’ours polaire a migré vers le sud lorsque, dans le passé, son habitat s’est réduit à une peau de chagrin et bien lui en a pris, puisque ce faisant, il a assuré sa survie jusqu’à notre ère! Mais le plus drôle, c’est qu’il s’est hardiment accouplé avec des ourses brunes! Alors dites-moi, vous ne trouvez pas que c’est une belle leçon de vie, vous autres? L’ours polaire, pas regardant sur la couleur du poil! Eh bien! Qui l’eût cru? Et les femelles, contentes de voir arriver la belle bête au blanc pelage, s’en réjouissaient d’autant plus que la bête était costaude, hein!
Première morale de cette histoire : blanc et noir vont très bien ensemble!
Deuxième morale de cette histoire : les femelles préfèrent les costauds!
Troisième morale de cette histoire : la survie d’une espèce ne s’encombre pas de racisme!
En fait et si ce n’était pas un phénomène scientifiquement démontré, ce pourrait être une excellente fable que n’aurait sûrement pas désavouée monsieur de La Fontaine…
Comme ceci, par exemple (sans comparaison avec le grand fabuliste, cependant) :
Un ours tout blanc et fort en gueule,
Cherchait partout, par monts, par vaux,
Une compagne qui serait seule,
Et qui pourrait lui faire un veau.
Mais le mâtin malgré sa taille
Restait toujours sur le carreau
Car les femelles, faute de mangeaille
Décédaient toutes sans dire mot.
Vint à passer une ourse brune,
En chair, bien ronde, toute en chaleur
«Holà! Beau blanc t’es dans la lune?
Ne sens-tu pas que c’est mon heure?
Oyant ces mots, le mâle polaire
Ressent l’appel et s'y soumet;
Il saute la brune sans tant s'en faire
La fait reluire comme un goret.
De cette union naquit l'ourson
Dont tous les autres s’émerveillèrent
Ni blanc, ni brun, joli grison,
Il fit la joie de la clairière.
Bon mois de mai à tous et à toutes!
mercredi 23 novembre 2011
L'ami des bêtes
Vous le savez sans doute, si vous êtes un tant soit peu assidus de ces chroniques, je suis l’ami des bêtes. Surtout lorsqu’elles sont inoffensives et sans défense, comme cet âne que nous avons recueilli et que nous hébergeons toujours. Ou comme cette mygale emprisonnée dans notre chambre à coucher et qui ne demandait qu’à quitter ces lieux inhospitaliers. Mais la bête qui nous accroche le plus reste sans conteste le chien, qu’on décrit parfois comme «le meilleur ami de l’homme». Eh bien, je puis vous dire : pas ici en Haïti. Les chiens sont au mieux, traités avec indifférence, au pis, craints et chassés à coups de bâton ou lapidés.
Mais depuis que nous sommes ici, j’ai prêché par l’exemple, prenant le temps d’établir quelques liens amicaux avec les deux chiens qui ont maintenant élu domicile à notre hôpital. La chienne d’abord, puis le chiot qui a presque atteint sa majorité mais qui reste chiot dans son âme canine et dont la seule raison de vivre semble de jouer, de courir, de dormir et de manger. Mais tout le monde s’est pris d’affection pour ce bon toutou et personne ne le maltraite puisqu’il n’y a pas raison de le faire. Or, ce chien a la fâcheuse habitude de se coucher sous l'une ou l'autre des voitures pour faire l’une de ses quatorze siestes quotidiennes. C’est ainsi qu’est arrivé ce qui devait arriver : la voiture sous laquelle il dormait nonchalamment s’est déplacée et lui a passé sur le corps. Bon vous me direz que c’est un jeune chien, qu’il a les os encore tout caoutchoutés et que, par conséquent, il n’a pas dû en souffrir trop. Mais c’est lourd une voiture. Si bien que même si ses os sont intacts, le pauvre animal s’est fait esquinté la patte et depuis, ronge son frein (pas celui de la voiture — voyez comme il n’est pas rancunier) en attendant que le mal s’estompe.
Mais aujourd’hui, je me suis décidé à faire venir le vétérinaire qui lui a fait quelques piqûres, pour faire bonne mesure. On verra ce que ça donnera. Et puis j’ai pensé qu’il valait mieux emmener le chien à la maison, histoire de lui permettre de mieux récupérer. La tête des gens! Le Blanc qui porte dans ses bras un jeune chien de 60 livres et le chien qui se laisse faire! Tout un portrait! Les sourires entendus et polis en disaient long sur ma douce folie... Mais la leçon porte ses fruits, justement parce qu’elle fait la preuve que le chien n’est pas mauvais, même blessé. C’est tout un exemple!
Il va sans dire que les Haïtiens ne sont pas délibérément méchants avec les chiens, mais ne font rien pour s'attirer leurs faveurs. Pourquoi en effet se soucier des bêtes lorsque les humains n’ont souvent pas accès au strict minimum vital? Simple question de priorité, on sera d’accord là-dessus. Alors l’ami des bêtes, oui, mais sans pousser, sans exagérer.
Il n’empêche que ces bons rapports avec le chien m'invitent à parler de ce principe cher à Schweitzer et dont l’hôpital du même nom à Deschapelles a fait sa devise : "Ehrfurcht vor dem Leben" ou "Révérence pour la vie" (en anglais). Pour un hôpital, avouez que ça sonne bien, même si en bout de ligne, c’est un principe plutôt évident : on voit mal un hôpital qui ne se soucierait pas de l’état de santé de ses malades... Quoique, en certains endroits… mais passons. Schweitzer, quant à lui, a poussé plus loin cette idée de révérence, de respect profond et l’a appliquée sans réserve à tout ce qui était animé de vie, incluant les animaux, bien entendu. Bel exemple à imiter, s’il en est un. Mais pour mes proches haïtiens, ce n’est pas tant le principe qui vaut comme les résultats qu’il donne. Donner de l’amour, même à un chien, et voir que même le chien le rend spontanément en étonne plusieurs. Et quand je demande : «Mais vous, que préférez-vous? Un sourire ou un coup de pied?» Rires jaunes…
samedi 18 juin 2011
La bourrique égarée

La première fois qu'on l'a vue, elle était au beau milieu de la rue et n'avait pas trop l'air de savoir ce qu'elle y faisait. Les voitures passaient en klaxonnant et en la frôlant de près. Elle ne bougeait pratiquement pas, sans doute de peur d'aggraver une situation qui n'était déjà pas bien enviable. On a conclu qu'elle s'était sans doute échappée et que son maître viendrait immanquablement la récupérer dans un petit moment. Mais quelques jours plus tard, la voilà qui arpente toujours la rue, en face de l'entrée de notre hôpital, mais cette fois, elle boite et semble vraiment perdue. Je signale au gardien qu'il faut la faire entrer, d'une part pour ne pas qu'elle provoque d'accident et d'autre part pour qu'elle puisse s'alimenter à même notre abondant pâturage. Visiblement, la bête s'y plaît. Elle en brait de plaisir. Même que ce doit être la Saint Michel, car notre bourrique change visiblement de poil, qu'elle perd en grosses touffes hirsutes. On se demande d'ailleurs pourquoi la bête devrait changer de poil, puisque les saisons ici sont pratiquement toujours les mêmes. Mais passons. L'essentiel est que l'âne va mieux. Sauf qu'il claudique toujours et ça n'a pas l'air de lui faire grand bien. Qu'à cela ne tienne : nous ferons venir l'agronome/vétérinaire qui s'occupera fort bien de l'animal, lequel n'y trouve rien à redire. Voilà donc notre âne sur pied et refait, comme on dit en créole en parlant d'une personne en convalescence. Les gars l'ont pris de sympathie et s'occupent de lui : on lui donne régulièrement à boire et on le déplace fréquemment pour qu'il ait d'autres espaces à brouter, ce qui ne manque pas sur le terrain.
Tout cela s'est passé il y a presque deux mois. Je croyais bien qu'un jour, quelqu'un se présenterait pour revendiquer la propriété de la bête, mais non. L'âne est à nous, maintenant, de droit et de fait semble-t-il. Si bien qu'un de nos employés m'a dit que d'ici quelques semaines, on pourrait le vendre avec profit. Le vendre? Jamais! L'animal est inoffensif, ses besoins sont simples et faciles à combler et sa présence est apaisante. En outre, je sais que sa vie ailleurs serait certainement moins facile qu'ici : ici, c'est la carotte, mais ailleurs, c'est le bâton...
On dit «bête comme un âne», vous le savez. Eh bien moi je vous assure que notre bourrique, elle n'est pas si bête que ça. À preuve : elle me reconnaît! J'entends déjà vos sarcasmes : «T'es pas difficile à reconnaître!» «L'âne te trouve sans doute un air de famille...» «Qui se ressemble se rassemble», et autres quolibets aussi insignifiants que faciles qui me coulent sur le dos comme l'eau sur le canard proverbial. Car le fait demeure : la bourrique apprécie ma compagnie, s'approche quand je l'approche et vient se faire gratter le museau et les oreilles. Non, je ne lui ai pas appris à faire le beau (c'est un mâle, sur ça, aucun doute n'est permis) et n'ai pas l'intention de le faire, car il y tout de même des limites. Mais cette reconnaissance de la bête me va droit au cœur, comme si elle savait qu'elle me devait son statut désormais enviable. Comme quoi un beau geste ne passe pas toujours inaperçu...
Reste que jouer à l'ami des bêtes fait une grosse différence dans la perception de mes confrères haïtiens, pour qui une bête est une chose animée, sans plus. Voir qu'on peut établir une relation avec une bête et que la bête semble apprécier est une notion nouvelle, peu connue et peu fréquentée. Les chiens en sont un bon exemple. Je vous ai dit que notre chienne, celle qui nous a adoptés (et non le contraire), avait eu une première portée de 6 chiots vivants. Je pensais qu'on aurait de la difficulté à s'en défaire et qu'il faudrait sans doute se résoudre à les occire sans souffrance, mais j'avais tort : ils sont partis comme de petits pains chauds! Reste à espérer que ce petits pains chauds ne vont pas se transformer en hot dogs, mais là, ce n'est plus de notre ressort de toute façon. Reste donc la mère et un jeune mâle qui, d'ici peu, ne se fera sans doute pas prier pour s'essayer avec cette gentille femelle. La nature, c'est la nature...
Mais je reviens à ma bourrique. Elle broute, elle proute et entre les deux, brait un peu, sans doute pour s'aérer le gorgoton, car l'herbe, j'imagine que ça colle un peu, non? Et tout ça dans l'insouciance la plus pure, comme si rien d'autre n'était vraiment important.
Des fois, je me dis que ça serait bien, pour un petit moment, d'être un âne, tiens...
mercredi 26 janvier 2011
La mygale
Ne croyez surtout pas que le titre de ce texte dissimule une allégorie politique quelconque. La politique, ce n'est pas ma tasse de thé, je le redis pour ceux ou celles qui auraient déjà oublié, et franchement, quand elle n'est pas associée à la violence (pas ma tasse de thé, la politique), ses hauts et ses bas me coulent sur le dos comme l'eau sur le canard proverbial. Donc pas d'allégorie politique. En fait, pas d'allégorie du tout! Car je vous parle bel et bien de cette charmante petite bête qu'on appelle ici "krab arènye" (crabe-araignée) ou, plus joli "krab anbara" (crabe-embarras). Eh bien on en avait une dans notre chambre, hier soir...
On peut dire que nous sommes familiarisés avec cette arachnide. À Fond des Blancs, ce coin de pays montagneux où nous avons tout de même passé deux bonnes années, les mygales (ou tarentules, comme on le calque sur l'anglais) n'étaient pas rares et souvent de belle taille. La photo ci-dessus vient d'ailleurs de cette époque et je puis vous dire que celle-là, dans la salle de bain, nous a causé quelque fascination, pour ne pas dire pire. Celle d'hier dans notre chambre était plus modeste : son corps ne devait pas faire plus 3 cm de diamètre. Mais elle était là, bien en vie et bien alerte sur ses huit pattes robustes. Mais que je vous raconte.
Nous étions couchés donc et contents de nous abandonner au sommeil réparateur, tout spécialement après un après-midi à la plage. "Comment la plage? Mais vous ne travaillez donc pas, le mardi?" Eh bien justement, c'était en rapport avec le travail, une extension de notre tâche, si je puis dire, qui nous impose de nous occuper de nos volontaires avec cordialité et empathie. Je sais, je sais, il s'agit là d'une tâche bien ingrate, mais bon, vous nous connaissez : on sait se résigner! Donc, pour clôturer la semaine de bons services de nos trois audioprothésistes étrangers et compatriotes de surcroît, quoi de mieux qu'un petit séjour à la plage? Oui, je sais, il faut une bonne dose d'abnégation pour faire ce métier, mais que voulez-vous, nous l'avons! Mais je digresse...
Séjour à la plage donc, bains de mer et de soleil, repas copieux, toutes les conditions se trouvaient réunies pour le sommeil rapide et réparateur. Les bruits nocturnes nous sont maintenant familiers et contribuent à l'appel de Morphée. Sauf quand, parmi cette suite ininterrompue de petits bruits, s'en glisse un qui tranche. Qui détonne. Qui inquiète. Hier, c'était une espèce de grattement qui m'a immédiatement fait penser à un cancrelat (coquerelle). Vite, la lampe de poche, laquelle est beaucoup plus efficace que le plafonnier pour situer l'origine d'un bruit, tout le monde sait cela. Rien. J'éteins. Tout est à nouveau calme. Je commence à peine à me rendormir quand le bruit discordant se fait entendre à nouveau. Nouvel éclair de la lampe de poche, nouveau balayage de la zone d'où semble venir le bruit. Et là, mes amis, ô surprise, la bête est là, ses huit pattes bien étalées, prête à l'action! J'avertis ma compagne : panique générale! Tout le monde sur le pont! Branle-bas de combat! "Tue-la" me dit-elle de ce ton qui n'admet point la réplique. Mais moi, ami des bêtes et des imbéciles, je me dis qu'il y a sûrement un autre moyen que d'ôter la vie à cette pauvre petite créature qui n'a rien fait d'autre que de se retrouver au mauvais moment au mauvais endroit... Et d'ailleurs, posons-nous la question : comment s'est-elle retrouvée là?
Eh bien il semble que ce soit nos récents travaux en la demeure qui en soient la cause. Au-dessus de nos fenêtres, avaient été pratiquées des ouvertures permanentes, garnies de claustras, ces blocs de béton ajourés qui servent d'éléments décoratifs. Or, ces ouvertures ne faisaient qu'accumuler la poussière et les petites bêtes qui y élisaient volontiers domicile. J'ai donc décidé hier de faire boucher ces ouvertures inutiles (puisque nous avons des fenêtres). Le travail consistant d'abord à boucher le côté extérieur, j'en déduis que les petits animaux qui nichaient dans cet endroit fort approprié à la chasse nocturne sont restés bloqués... à l'intérieur! Dont la mygale! Il suffit donc de la remette dans son milieu naturel--dehors--et le tour est joué! C'est finalement à l'aide d'un contenant de plastique (genre Tupperware) que j'ai pu capturer la vilaine et la reconduire dehors, sans malice ni méchanceté. Je suis sûr qu'elle m'en sait gré. Et c'est ainsi que, finalement apaisés, nous avons pu nous rendormir et passer une excellente nuit, merci!
Vous dire la tête que mes gars ont fait ce matin quand je leur ai dit que je n'avais pas voulu tuer la chose...
samedi 7 juin 2008
Les chiens aboient, la caravane passe
Les chiens ne sont pas comme les coqs : ce n’est pas le dérèglement de leur horloge interne qui les fait aboyer à qui mieux mieux; cependant, l’effet d’entraînement reste le même : il suffit que l’un commence pour que les autres, sous l’effet de la contagion sonore, lui emboîtent joyeusement le pas de façon asynchrone créant ainsi une œuvre acoustique grandiose en amplitude, mais dont la valeur harmonique laisse grandement à désirer. En d’autres termes, le concert est proprement infernal. Et dure. Car lorsque l’un, à bout de souffle, faiblit, l’autre reprend le flambeau sonore, et c’est reparti! En outre, je soupçonne que les chiens reconnaissent les aboiements de leurs consanguins; et comme tout le monde, dans l’univers des chiens, est fatalement parent avec le voisin, aussi bien dire que tout le monde se reconnaît mutuellement et aboie qui de plaisir, qui de rage à cette reconnaissance. Et tout ça pendant la nuit…
Au début—je parle du début de l’intégration au sud—ces aboiements réveillent, tiennent éveillés, font rager tant que même lorsqu’ils finissent par cesser, le sommeil revient difficilement vu le haut niveau de stress engendré. Mais peu à peu, on s’habitue. Les aboiements marquent la nuit comme le sifflet d’un train ou le klaxon d’un bus : ils font partie de ces bruits qu’on en vient à considérer comme «normaux»—bien que la norme n’ait pas grand-chose à voir là-dedans—et dont l’absence inquiète vaguement. Ainsi, pendant la récente période houleuse que nous avons vécue en avril dernier, les chiens s’étaient tus. Ils savaient sans doute qu’il était préférable de ne pas attirer inutilement l’attention d’un maniaque de la gâchette pour qui un chien ne représente guère plus qu’un caillou, et cela, le chien le sait.
Aboiements désagréables, donc, mais rassurants en un sens : les affaires intercanines peuvent parfois connaître des soubresauts qui ne nous concernent nullement, fort heureusement d’ailleurs, et ne serait-ce de la cacophonie, on pourrait aisément vivre avec. D’où mon titre d’ailleurs : quand les chiens aboient, c’est que le danger n’est pas là et la caravane peut passer sans problème. Vieux proverbe arabe dont la sagesse perdure…
Finalement et parlant toujours de chien, y’en a un jeune qui se tient autour et qui nous a pris d’affection—une affection bien motivée, il faut le dire, puisqu’on a commencé à le nourrir… Les Haïtiens aiment bien les chiens, mais de loin, car ici, on ne fait pas ami avec les bêtes. L’idée même d’un animal de compagnie est totalement incongrue dans ce pays, et seuls les Blancs peuvent montrer des marques d’affection pour une bête qui n’est même pas bonne à manger, alors quel intérêt?
Manger, être mangé, n’est-ce pas là l’essence même de notre monde?
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