samedi 7 juin 2008

Les chiens aboient, la caravane passe




De tous les bruits qui ponctuent la nuit, les aboiements cacophoniques sont sûrement les plus pénibles. Car les chiens, souvent calmes, expriment leur peur, leur mécontentement, leur désapprobation, leur insomnie ou que sais-je encore, de façon bien audible, surtout lorsque les sons sont amplifiés entre des murs de béton, comme c’est le cas dans la rue derrière notre noble établissement.

Les chiens ne sont pas comme les coqs : ce n’est pas le dérèglement de leur horloge interne qui les fait aboyer à qui mieux mieux; cependant, l’effet d’entraînement reste le même : il suffit que l’un commence pour que les autres, sous l’effet de la contagion sonore, lui emboîtent joyeusement le pas de façon asynchrone créant ainsi une œuvre acoustique grandiose en amplitude, mais dont la valeur harmonique laisse grandement à désirer. En d’autres termes, le concert est proprement infernal. Et dure. Car lorsque l’un, à bout de souffle, faiblit, l’autre reprend le flambeau sonore, et c’est reparti! En outre, je soupçonne que les chiens reconnaissent les aboiements de leurs consanguins; et comme tout le monde, dans l’univers des chiens, est fatalement parent avec le voisin, aussi bien dire que tout le monde se reconnaît mutuellement et aboie qui de plaisir, qui de rage à cette reconnaissance. Et tout ça pendant la nuit…

Au début—je parle du début de l’intégration au sud—ces aboiements réveillent, tiennent éveillés, font rager tant que même lorsqu’ils finissent par cesser, le sommeil revient difficilement vu le haut niveau de stress engendré. Mais peu à peu, on s’habitue. Les aboiements marquent la nuit comme le sifflet d’un train ou le klaxon d’un bus : ils font partie de ces bruits qu’on en vient à considérer comme «normaux»—bien que la norme n’ait pas grand-chose à voir là-dedans—et dont l’absence inquiète vaguement. Ainsi, pendant la récente période houleuse que nous avons vécue en avril dernier, les chiens s’étaient tus. Ils savaient sans doute qu’il était préférable de ne pas attirer inutilement l’attention d’un maniaque de la gâchette pour qui un chien ne représente guère plus qu’un caillou, et cela, le chien le sait.

Aboiements désagréables, donc, mais rassurants en un sens : les affaires intercanines peuvent parfois connaître des soubresauts qui ne nous concernent nullement, fort heureusement d’ailleurs, et ne serait-ce de la cacophonie, on pourrait aisément vivre avec. D’où mon titre d’ailleurs : quand les chiens aboient, c’est que le danger n’est pas là et la caravane peut passer sans problème. Vieux proverbe arabe dont la sagesse perdure…

Finalement et parlant toujours de chien, y’en a un jeune qui se tient autour et qui nous a pris d’affection—une affection bien motivée, il faut le dire, puisqu’on a commencé à le nourrir… Les Haïtiens aiment bien les chiens, mais de loin, car ici, on ne fait pas ami avec les bêtes. L’idée même d’un animal de compagnie est totalement incongrue dans ce pays, et seuls les Blancs peuvent montrer des marques d’affection pour une bête qui n’est même pas bonne à manger, alors quel intérêt?

Manger, être mangé, n’est-ce pas là l’essence même de notre monde?

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