jeudi 31 mars 2011

Question d'argent


Vous qui suivez mes élucubrations savez maintenant ce que nous faisons dans ce coin de pays. Connaissez les méandres du travail que nous tentons d'effectuer jour après jour (et qui inclut les doubles poignées de porte). Mais il est un aspect de ce travail que vous ne connaissez pas et dont j'ai envie de vous parler aujourd'hui : les petits prêts aux employés.

Certes, il n'entre pas dans nos attributions administratives de servir d'agent prêteur. Mais la situation du crédit étant ce qu'elle est dans le pays, le peu que l'on peut faire représente une énorme différence. Ainsi et sans vouloir vous assommer avec des chiffres (qui aime les chiffres, je vous le demande?), au cours de l'année financière qui se termine aujourd'hui, nous avons prêté pas moins de $52,000 US à nos employés, remboursé intégralement au cours de cette même année, de sorte que nous pouvons clore l'exercice sans complications inutiles (les comptables parmi vous me comprennent). Il s'agit d'ailleurs de l'une des règles arbitraires que j'utilise : tout prêt consenti doit être remboursé intégralement avant la fin de l'année financière en cours. Une autre règle touche le montant total du prêt : en principe, il ne peut être supérieur à trois mois de salaire. En principe, bien entendu. Car je puis faire quelques exceptions, tant que l'on reste dans le raisonnable. On établit par la suite une modalité de remboursement qui convient à l'employé, lequel remboursement sera déduit du salaire mensuel et le tour est joué. Cette façon de faire fonctionne bien, ne coûte pas un sou à l'organisation et est extrêmement appréciée des employés. Moins des patrons, cependant, qui y voient une inutile complication administrative et un risque financier (léger, mais bon). Mais je leur ai expliqué la valeur de cet avantage social pour les employés et ils ont fini par acquiescer. Pourquoi est-ce si appréciable? Pourquoi les gens ne vont-ils pas tout simplement à la banque, comme tout bon consommateur qui se respecte?

C'est que la situation économique du pays n'est pas du tout la même. En Haïti, obtenir un prêt d'une institution financière n'est pas chose facile. Quand je raconte à mes amis haïtiens comment les choses se passent au Canada et combien il est facile d'y obtenir un prêt important, ils n'en reviennent simplement pas. Prenons le cas de mon neveu et de la maison neuve dont il vient tout juste de terminer la construction, aidé en cela de son père. Même si l'on tient compte des économies que l'auto-construction permet de faire, le coût de la maison et celui du terrain sur lequel elle est sise sont largement hors de portée de la bourse de mon neveu, si économe soit-il (ce dont je doute, entre vous et moi). Mais, comme c'est le cas à peu près pour tout le monde, les institutions financières sont d'accord pour avancer les fonds, en autant que le crédit du client soit acceptable. En plus, avec une maison neuve située de surcroît dans un quartier neuf, en pleine expansion, le prêteur n'a pour ainsi dire aucun risque. Alors il prête de bon gré. Quant au neveu, avec un intérêt qui n'atteint même pas les 4%, il peut effectuer ses paiements mensuels sans trop se serrer la ceinture. Bref, tout le monde est content et la société s'enrichit. Même chose pour un char neuf, soit dit en passant...

Or ici, c'est tout à fait le contraire. Les gens n'ont que des emplois mal rémunérés et tout coûte les yeux de la tête (sauf les mangues qui nous tombent dessus en cette saison). Construire, ne serait-ce qu'une bicoque grande comme votre placard à balais, coûte plusieurs milliers de dollars et les banques ne sont pas chaudes à l'idée d'avancer cet argent, car les garanties sont inexistantes. Alors au mieux, elles accepteront de prêter une petite somme à des taux frisant, voire dépassant les 30%... C'est précisément ce qui rend la formule des petits prêts aux employés si attrayante : l'absence d'intérêts. En général, les prêts servent à payer les frais scolaires des enfants, les réparations majeures de la maison (cf photo ci-dessus), le coût de la location annuelle du logis (payable en entier à la location) et les imprévus, genre maladie soudaine ou mortalité -- les funérailles sont toujours extrêmement coûteuses. Donc les petits prêts sont un soulagement rapide à une douleur lancinante et pénible (un peu semblable à celle qui me scie la jambe depuis plus d'un mois, tiens) et permettent à ceux qui en bénéficient de hausser un tant soit peu leur qualité de vie. S'ils en sont reconnaissants? You bet, comme disent les réfugiés pakistanais en territoire américain.

Certes, je le redis, ce n'est pas grand-chose. Mais c'est un petit quelque chose quand même qui aide à faire une petite différence. Alors avis à mes détracteurs : c'est déjà ça, non?

mercredi 30 mars 2011

Sont-ils tous malades?


Lisant l'article de mon ami Foglia hier (je l'appelle 'mon ami' même s'il ne me connaît pas, mais j'avoue que souvent, il me plaît assez dans sa façon de dire les choses), lisant cet article donc, je me suis pris à penser qu'il y avait là une belle différence qu'il convenait de souligner. Foglia, qui muse en Irak, a visité un gros hôpital et s'est étonné de le voir pratiquement désert. "Sont pas malades?" s'interroge-t-il. Pour finalement comprendre que oui, ils sont malades comme tout le monde, mais comme tout le monde, souffrent de maladies bénignes qui ne nécessitent pas les soins spécialisés qu'on retrouve dans un hôpital moderne. Les cliniques abondent et suffisent à traiter les cas bénins. Et la différence, les amis, c'est précisément là qu'elle se trouve : ici, les gens viennent à notre hôpital --  spécialisé, ne l'oubliez pas -- directement, sans même passer par le filtre des généralistes, du  médecin de famille ou même de la clinique de santé qui serait l'équivalent des CLSC chez nous. Non. On vient directement à l'hôpital, on attend des heures pour voir le médecin spécialiste qui, en moins de 3 secondes, diagnostiquera un banal rhume et renverra la personne souffrante chez elle avec comme ordonnance de simples ibuprofènes et peut-être un petit sirop pour faire bonne mesure.  Pas vraiment digne d'un spécialiste, me direz-vous et vous aurez parfaitement raison. Mais c'est ce que les patients veulent : voir le médecin. Celui qui fait autorité, qui a l'habit et qui, par conséquent, doit sûrement être moine, car ici, l'habit fait le moine, tout le monde sait cela. Sauf que si vous connaissez le proverbe, vous savez que la sagesse populaire qui le sous-tend est précisément de nous mettre en garde contre les porteurs d'habits qui peuvent, intentionnellement ou accidentellement, berner les plus sceptiques. Eh bien ici, en Haïti, on n'est pas facilement sceptique lorsqu'on se trouve devant un uniforme et ceux qui s'en vêtent le font dans le but précis d'exploiter la crédulité publique. Les charlatans ici sont légions, font de fort bonnes affaires et en plus, sont pratiquement sûrs de l'impunité. D'où l'importance de valider la qualité de nos professionnels. Or, ici, l'Institut Brenda Strafford possède une réputation de qualité. Qualité des soins, qualité des médicaments, qualité des lunettes, qualité de l'environnement, bref, les gens ont confiance qu'ils seront ici traités respectueusement et sans se faire exploiter. C'est incidemment ce qui nous fait accueillir des patients qui viennent d'aussi loin que Port-de-Paix ou du Môle-Saint-Nicolas, situés tout au nord du pays et bien plus près de Cap Haïtien. La réputation vaut le déplacement. Et sans doute aussi l'appellation justifiée de "patient", puisque de ces villes, il faut pas moins de trois jours de tap-tap pour arriver jusqu'ici...!

Notre réputation est aussi ce qui explique pourquoi les gens qui souffrent d'un banal rhume (ou d'une bénigne irritation oculaire due à la poussière) viennent jusqu'ici pour voir le médecin spécialiste. Et c'est ce qui explique pourquoi, au lieu de ne voir que les cas qui mériteraient vraiment l'attention des spécialistes, nous passons régulièrement le cap des 200 patients par jour -- plus de 300 certaines fois. Mais les gens sont contents, alors...

Cela dit, j'avoue que ce n'est pas très efficace. Un simple triage effectué par une infirmière moyennement compétente (les nôtres le sont toutes) permettrait de distinguer les cas simples de ceux requérant l'intervention du médecin. Mais le taux de satisfaction des patients chuterait radicalement, croyez m'en sur parole. La confiance ici est tout, je le répète. Et les gens sont prêts à payer les $2,50 US de frais de consultation pour voir le médecin qui résoudra leur petit problème ou, au minimum, y apportera un palliatif. Ils croient au médecin; sa parole fait autorité. Une infirmière, si compétente soit-elle, ne fait simplement pas le poids. Et en plus, la plupart des gens sont sexistes! Le docteur doit être mâle. Une femme ne peut qu'être infirmière. Et je ne blague pas! Heureusement cette drôle d'étiquette tend à disparaître, mais elle influence encore trop souvent le jugement des patients. Cela est tellement vrai que nous avions jadis un infirmier. Un seul. Qui, vous l'avez deviné, se faisait souvent passer pour le docteur, car il avait l'habit!...

Tout ça pour vous dire qu'en termes d'efficacité, l'Irak me paraît bien avancé par rapport à ce qu'on trouve ici. Vous allez me dire que ce n'est rien de surprenant, car l'Irak est tout de même plus riche qu'Haïti. Et donc, plus évolué. Oui oui, je dis bien donc. Ergo, si vous préférez. Plus riche = plus évolué. L'argent n'est pas tout, mais il permet tout de même de développer des structures qui coûtent... de l'argent! La pauvreté d'Haïti n'est pas juste une façon de parler : elle est une réalité qui freine le développement social, l'évolution de cette société, si vous préférez. Pauvre, on subit son sort; riche, on s'en sort.

Si bien que, comme le dit cette profonde maxime : "Mieux vaut être riche et en santé que pauvre et malade."

lundi 28 mars 2011

Cherchez l'erreur...


Voyant la photo ci-dessus, vous vous êtes demandé c'était quoi l'attrape; vous êtes restés perplexes; puis vous avez souri, ou bien carrément ri. Et pourtant, ce n'est pas une blague. Moi, j'en ai presque pleuré. Des fois, c'est tellement décourageant, vous ne pouvez pas savoir. On demande une chose simple qu'on croit évidente et on obtient un résultat qui défie l'entendement humain. Même celui des enfants, tiens. Car bien que n'ayant pas testé la chose, je soupçonne que si l'on posait la question à un enfant en lui demandant ce qui cloche dans la photo ci-dessus, il vous le dirait sans hésiter. Et pourtant, pourtant, l'homme l'a fait, et pas avec l'idée de faire une bonne blague, et c'est précisément ce qui rend la chose si triste... Car dites-moi : comment peut-on prétendre améliorer les choses quand on met deux poignées sur une même porte?

Vous vous demandez comment cela peut être possible? Tout simplement, la porte avait une poignée normale et un pêne dormant au-dessus, comme c'est souvent le cas lorsqu'on veut plus de sécurité. Mais comme nous n'avions pas vraiment besoin de plus de sécurité et comme le verrouillage de la porte nécessitait absolument une clé, nous avons opté pour changer la poignée par une qui peut se verrouiller sans clé (avec bouton à l'intérieur). Mais notre génie de la maintenance a simplement retiré le pêne dormant et l'a remplacé par la poignée qui peut se verrouiller sans clé. Et voilà! Simple comme bonjour, et extrêmement efficace car maintenant, il faut deux mains pour ouvrir la porte : une pour chaque poignée! Non mais dites-moi : est-ce moi qui manque de patience ou bien si on n'est vraiment dans le monde d'Alice au pays des merveilles? À moins que ce ne soit l'une des ces scènes tordues typiques de "Caméra cachée" ou des émissions du genre, bref, là où on utilise le ridicule sciemment pour faire rire les spectateurs... Mais ici, non. C'est la logique du jour. Ou sa non-logique, un peu comme dans La Cantatrice chauve, de Ionesco, où la dame (Mme Smith) répond à son époux qui lui demande pourquoi il ne va pas répondre à la porte quand on sonne :  «L’expérience nous apprend que lorsqu’on entend sonner à la porte, c’est qu’il n’y a jamais personne.» Mais nous sommes dans le théâtre de l'absurde et des situations comme ça y trouvent leur place. Ici, c'est la même chose, sauf que ce n'est pas du théâtre... Des fois, je vous dis, la patience est ici mise à rude épreuve... Et pour dire vrai, même la patience la plus admirable trouvera ici sa ligne de fracture. Et la rage de dents qui s'ensuit n'est jamais agréable pour personne... Dans le cas de cet employé, j'ai trouvé la chose tellement bouffonne que je ne l'ai même pas réprimandé. À quoi bon? S'il l'a fait, c'est qu'il trouvait la chose acceptable, pas vrai? Alors pourquoi devrais-je me battre avec lui pour lui inculquer des notions dont il n'a, a priori, rien à branler? J'ai décidé de laisser les deux poignées en place, afin qu'un maximum de gens les voient et qu'elles s'en étonnent. Eh bien je puis vous dire, après maintenant trois jours, que les gens haussent un peu les sourcils, j'en ai même vu esquisser un bref sourire, mais pour la vaste majorité, il n'y a là rien à redire. C'est comme ça? Eh bien c'est comme ça.

Je vous ai déjà dit à quel point les Haïtiens en général (et vous savez que je n'aime pas parler des «Haïtiens en général») sont tolérants et accommodants. Vous mettez une boîte de carton vide au milieu d'un corridor. Je vous parie ma plus belle chemise haïtienne (celle que j'ai pariée l'autre jour, mais que vous n'avez pas gagnée) que cent personnes passeront dans le corridor, feront le tour de la boîte sans la déranger et sans s'étonner de sa présence en ces lieux. Pas par nonchalance, pas par apathie, pas par méfiance ni par peur de se mêler de ce qui ne les regarde pas; pas par moquerie; non. Simplement par tolérance. C'est précisément pour cette raison que je vous avais dit, parlant des séquelles du séisme, que le peuple n'allait sûrement pas attendre la reconstruction du pays pour continuer d'y vivre... Le temps m'a donné raison trois fois plutôt qu'une... Et parlant de séisme, je vous disais aussi qu'au Japon, on n'allait sûrement pas passer des mois à se poser la question de savoir comment aborder la reconstruction. Eh bien sont déjà à pied d’œuvre, nos amis nippons... Mais Haïti n'est pas le Japon, et si ce dernier pays est plus efficace, ça ne veut pas dire que ses habitants y soient plus heureux, songez-y bien...

Allez, je ne vous en dis pas plus long. Il faut encore que j'aille fermer la porte à double tour -- un tour pour chaque poignée...

mercredi 23 mars 2011

Le peuple a voté

C'est fait!

Les élections nationales haïtiennes, envers et contre tout, se sont déroulées dans un calme relatif et dans le respect approximatif des règles du jeu. On ne voulait pas d'entourloupettes, il n'y en a pas eu. On voulait que les gens votent librement, ils ont pu le faire à peu près. Finalement et de l'avis des observateurs, ce fut un exercice valable de démocratie dont le peuple haïtien a toutes les raisons d'être fier. En fait et pour citer un bref article paru sur Haiti Press Network : «La journée électorale du 20 mars s’est relativement bien déroulée dans les dix départements du pays. Le bilan établi par la PNH fait état de 2 morts, 50 blessés, une vingtaine d’arrestations.»  De bonnes élections, donc et faites dans l'ordre et la mesure et non, je n'ironise pas du tout.

Pas de fusillades pendant la nuit, donc, et pas de violentes manifestations en ce début de semaine, comme des tas de gens le craignaient. Activités normales. Sauf que tout le monde s'attendait tellement à du désordre que les écoles sont restées fermées et que l'affluence à notre petit hôpital était des plus modeste, ce lundi dernier, chose rare pour un lundi où nous voyons défiler régulièrement plus de 300 personnes. Les élections ont aussi cet effet-là : engendrer la crainte...

Ne reste plus maintenant qu'à attendre les résultats, des résultats représentatifs de ce que l'électorat haïtien a voulu exprimer. Attention! Surface extrêmement glissante! Danger de dérapage très élevé! Car comme je l'ai dit dans mon dernier texte, l'alternative, réduite à sa plus simple expression, ressemble à peu près à ceci : ou bien Martelly, ou bien la révolution. Or, même si le chanteur est élu, faudra-t-il en conclure que les partisans de Mme Manigat ne vont pas crier au scandale? Qu'ils accepteront stoïquement que leur candidate, première au premier tour, soit évincée comme ça, au profit du chanteur populaire? P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non... En tout cas, c'est à suivre... Car comme le dirait le si populaire commentateur de jadis "si la tendance se maintient", M. Martelly gagnera la course et sans trop d'efforts...

Évidemment, sans tension politique, le pays reste bien calme. Aujourd'hui mercredi, les activités sont revenues à la normale et les nuits ne sont pas plus agitées qu'avant : quelques coups de feu ici et là, sans qu'on sache trop pourquoi mais qui ne suffisent pas à nous alarmer. Du normal, quoi. C'est appréciable. Et apprécié!

En tout cas et pour quelques jours au moins, je n'aurai plus à vous parler politique. Et je ne m'en plaindrai pas, car vous savez maintenant que, aux choses politiques, je préfère les choses poétiques, comme ce fabuleux clair de pleine lune que nous avons eu au cours du week-end dernier. Je ne sais pas pour vous, mais par ici, c'était féerique et le mot n'est pas exagéré, croyez-moi. Semblerait -- et là, on s'éloigne de la poésie -- que cette lune était vraiment spéciale car au plus près de la terre sur un cycle qui revient aux 18 ans; alors si vous l'avez manquée, ben faudra un peu de patience, les amis...

Les coqs ont bien pu chanter toute la nuit, tiens...

jeudi 17 mars 2011

Le dénouement approche


Avez-vous hâte aux élections?

Certains ici, sans aucun doute, mais pas nous. Pas à lire ce que je viens de lire et qui nous annonce du grabuge aussitôt les élections passées, c'est-à-dire dès lundi prochain. Sans doute vaudrait-il mieux ne pas en faire de cas avant que la chose se passe réellement, mais je veux quand même vous avertir, au cas où...

Ce que l'on sent présentement, c'est la tension. Tension politique, bien sûr, mais tension sociale aussi. Et si vous regardez le profil des deux candidats, vous allez comprendre : l'un est une femme, l'autre un homme; l'un est jeune, l'autre est plutôt âgé; l'un est une intellectuelle formée à la Sorbonne (rien de moins), l'autre est un musicien populaire grivois, osé et fort populaire, justement; l'un est discret, l'autre exubérant; l'un sérieux, l'autre, ben...

Bref, comme contraste, il est difficile de faire mieux... Or, les partisans sont à l'image des candidats, n'est-ce pas? Car ici et quoi qu'on en dise, on ne vote pas pour un parti et son programme, on vote pour la personne, car c'est elle que l'on voit et qui porte le flambeau de l'espoir. Or et comme je vous le disais dans un texte précédent (l'espoir noir), l'espoir est tout dans ce pays où le désespoir n'existe pas. Il faut comprendre que les gens s'y accrochent avec, pour utiliser l'expression courante, l'énergie du désespoir, souhaitant, envers et contre tout, que les choses finissent par aller mieux. En fait, c'est cette forme d'espoir qui a permis à Aristide de triompher jadis : il s'est présenté comme le sauveur du peuple, dont il était issu et s'en est fait le porte-parole. On l'a cru. On l'a cru incorruptible, on l'a cru chevalresque, on l'a cru sans peur ni reproches, alors qu'il n'était qu'humain. Et même en dépit de ces failles, plusieurs croient encore en lui, d'où la raison sans doute pour laquelle un tas de gens sérieux, surtout du côté international, ne voient pas son retour d'un très bon œil... Mais bon, tant qu'à brouiller les cartes, aussi bien les brouiller pour la peine...

Toujours est-il que ces élections ne laissent personne indifférent, bien que les gens ordinaires s'y sentent beaucoup moins concernés que les intellectuels. Mais les partisans sont chauds, des deux côtés, et peu importe qui va l'emporter, on peut s'attendre à des jolies étincelles -- de joie ou de dépit, l'effet reste le même, vous êtes d'accord, j'en suis sûr. Or, il suffit d'un baril de poudre mal placé pour que ces étincelles fassent un carnage... Donc, oui, d'une certaine façon, on a hâte et la lutte s'annonce enlevante, comparable même, selon cet article, à un match de football (soccer pour les Nord-américains acharnés) entre le Brésil et l'Argentine! L'issue reste donc incertaine, même si les sondages -- pour peu que l'on puisse s'y fier -- donnent Martelly gagnant. Souhaitons-le, non pas pour la valeur du candidat comme pour ce qu'on nous promet s'il se trouve évincé. Car oui, je le redis, les partisans de Martelly sont à l'image de leur idole : extravertis expressifs expansifs. Ils sont jeunes et ils sont "chauds". Et ils n'ont peur de rien car ils n'ont rien à perdre. Baril de poudre, dites-vous? J'ai tendance à croire comme vous. Mais un baril de poudre n'est rien, tant qu'il n'est pas soumis aux projections d'étincelles, on est d'accord là-dessus... Alors il faut espérer que les étincelles qui fuseront de part et d'autre n'atteindront pas la poudrière car là, les amis, Bondye sèl konnen! Reste que c'est un suspense pour tout le monde, y compris pour nous, quoique pas exactement pour les mêmes raisons...

En fait et comme je l'ai entendu à plusieurs reprises de sources différentes, c'est ou bien Martelly, ou bien la révolution. Comme alternative, disons que ça ne laisse pas une marge de manœuvre à tout casser à la démocratie, mais bon. Et parlant de démocratie, je ne vous apprends rien en vous disant que "Titid" arrive demain, n'est-ce pas? Oui, oui, il s'agit bien de l'ex-président Aristide, en exil depuis 7 ans en Afrique du Sud et qui a choisi justement ce moment pour refaire surface au pays, sans doute juste pour faire diversion ou pour renouer avec le pays qui l'a vu naître. Qui pourrait lui en vouloir? Mais le timing est disons... drôle, et c'est un euphémisme, vous l'avez deviné...

Alors non, nous n'avons pas spécialement hâte aux élections, mais plutôt hâte que les élections soient choses du passé, que la poussière soit retombée et que la vie reprenne son cours normal, pour peu que l'on puisse parler de normalité dans ce pays où l'improvisation est reine.

Mais l'image que je vous donne (ci-dessus) est aussi vraie que le reste!

lundi 14 mars 2011

Haïti n'est pas le Japon


La terre a tremblé au Japon! Et pas rien qu'un peu : 8,9 sur l'échelle de magnitude sismique, c'est dans l'exceptionnel. Les photos nous montrent d'ailleurs assez éloquemment les effets dévastateurs du séisme. Du séisme? En partie seulement, car la catastrophe qui a vraiment fait le plus de dommages, c'est plutôt le tsunami, cette onde de fond dont la puissance reste stupéfiante. Mais les Japonais connaissent bien cette catastrophe naturelle, si bien en fait, que ce sont eux qui l'ont nommée de cette façon, remplaçant ainsi l'ancienne et inappropriée appellation de "raz-de-marée". Car le tsunami, vous le savez maintenant, n'a rien à voir avec la marée, ni même avec les vagues de la mer. Mais je le redis : les Japonais sont familiers avec ce phénomène, ce qui n'atténue en rien l'ampleur des dégâts qu'il sème.

La raison pour laquelle je vous mentionne cette distinction, c'est que le petit sondage de Cyberpresse posait samedi dernier la question, à savoir : "Comparativement au séisme en Haïti, comment la catastrophe au Japon vous touche-t-elle?" (a) Autant qu'en Haïti; (b) Moins mais ça me touche; (c) Ça me touche peu. Or et à ma grande surprise, je l'avoue, la majorité des gens (63%) ont répondu que cette catastrophe au Japon les touchait autant que celle qui a frappé Haïti l'année dernière! J'avoue que je comprends mal. Qu'on puisse se sentir concerné par le malheur de ces gens s'entend aisément; mais autant que pour Haïti? Ben voyons! Le Japon, au cas où vous l'auriez oublié, c'est Toyota, Honda, Nissan, Sony, Toshiba et compagnie, si vous voyez ce que je veux dire... Comparer Haïti au Japon, c'est comme comparer la lune au soleil, sous prétexte que les deux éclairent! Et si cette catastrophe, par ailleurs tout à fait dramatique, je ne le nie pas, vous touche tout autant que ce qui nous est tombé dessus l'année dernière, c'est que vous n'avez vraiment pas compris et que vous ne comprenez toujours pas que Haïti n'est pas le Japon! Car je vous parie ma plus belle chemise hawaïenne (la bleue avec des palmiers) que d'ici quelques mois, tout sera rentré dans l'ordre au pays du Soleil Levant, alors qu'ici, ben c'est comme l'année passée à la même date! Pensez-y un peu : il y a toujours plus d'un demi-million de gens qui vivent sous des tentes ou des abris de fortune!

Évidemment, le séisme haïtien ne fait plus tellement «nouvelles», et donc, on peut facilement s'imaginer que tout est réglé. Mais non! Que les médias se désintéressent de la situation sociale du pays est tout à fait normal et consistant avec le rôle des médias qui sont d'abord là pour nous présenter du sensationnel. Mais faut pas charrier, quand même! Haïti est toujours dévastée, Haïti est toujours à genoux et pour vous dire franchement, y'a pas grand-chose qui se fait présentement pour que s'enclenche son redressement! Certes, on dit que tout va dépendre de l'issue des prochaines élections (dimanche prochain) et du niveau de confiance que le nouveau président (ou présidente, sait-on jamais) pourra susciter chez les bailleurs de fonds. On dit ce qu'on veut. Mais le fait demeure : Haïti est toujours dans la merde, peu importe ce qui peut se passer dans le reste du monde. Et je pense que comparer la catastrophe d'ici avec celle du Japon pour savoir laquelle est la plus émouvante est tout à fait incongru. D'ailleurs, je le précise encore, eussions-nous vécu un tsunami par-dessus le séisme, Haïti aurait probablement été rayé de la carte démographique tant il y aurait eu de morts.

Le plus drôle, c'est qu'on traite maintenant le Japon comme on a traité Haïti l'année dernière : avec charité, commisération et générosité! On leur envoie du secours dont ils n'ont pas besoin (peut-on être mieux équipé que les Japonais, je vous le demande?) et on se pète les bretelles à le faire. Comme le souligne l'auteur de cette opinion aujourd'hui : "Le président français s'est mis au diapason de la commisération et du sensationnalisme en annonçant avec gravité que la France allait «voir comment faire parvenir des équipes, des avions et des moyens» aux Japonais, comme si ceux-ci vivaient encore dans une brousse reculée et à l'âge de pierre! Les Japonais n'ont, heureusement, nul besoin des «avions français» (ou d'autres pays, d'ailleurs, sinon pour des motivations diplomatiques)."  Voilà qui est fort bien dit et qui rejoint entièrement mon opinion sur la question.

La catastrophe japonaise est majeure, personne ne dira le contraire. Mais elle ne va pas réduire le pays à l'état du bidonville qu'Haïti est devenu -- et qu'il est resté -- depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Je pense qu'il faut faire la part des choses et sortir du sensationnalisme, plutôt que de laisser les images (nombreuses et d'excellente qualité, si vous avez remarqué) faire vibrer la corde sensible des cœurs éplorés.

Le Japon va s'en sortir. Rapidement. Et seul. Haïti? Pas sûr, pas sûr...

dimanche 13 mars 2011

Quand la stupidité tue


Fait divers paru hier sur Cyberpresse : «Neuf personnes ont été tuées samedi et 24 autres blessées dans l'accident d'un autobus provoqué par des barricades placées sur la route par des manifestants près des Cayes, dans le sud d'Haïti, a-t-on appris auprès de la police.»  Bon. Jusque là, ça va. C'est bien dramatique, mais les accidents arrivent, ici comme ailleurs et vu l'état mécanique des autobus ici, on peut même s'étonner que cela n'arrive pas plus souvent. Cependant, nous n'avons pas entendu parler de manifestation et la chose nous étonne. Je vous donne la suite : «L'accident s'est produit sur la commune de Bergeau lorsqu'un autobus a heurté des barricades formées de grosses pierres placées en travers de la route par des habitants mécontents, devant un bâtiment où étaient en formation des agents chargés de la sécurité des élections présidentielles et législatives du 20 mars, selon la même source.»  Il semble donc que ce soit vrai et qu'il y ait vraiment eu là une manifestation qui a mal tourné. Mais pourquoi?  Et pourquoi bloquer la route? Réponse à la ligne suivante : «Les habitants entendaient protester parce qu'ils n'avaient pas été sélectionnés pour participer à la sécurité des élections.» !!!!!!!!!!! Eh ben là, les amis, je suis soufflé! Oui oui, vous avez bien lu comme moi et si vous n'êtes pas renversés, eh bien c'est que rien ne vous atteint! Neuf morts sur le coup, mais aux dernières nouvelles, le décompte est de 15 personnes et risque de monter encore car plusieurs sont encore loin d'être tirés d'affaire. Et tout ça pourquoi? PARCE QUE QUELQUES IMBÉCILES N'AVAIENT PAS ÉTÉ SÉLECTIONNÉS POUR UN TRAVAIL D'UN JOUR!!! Mais on est où là?

Vous le savez maintenant, je n'aime pas dire que les Haïtiens sont comme ci ou qu'ils sont comme ça. Mais ici, les amis, c'est dur, dur de ne pas se choquer. C'est dur à comprendre et encore plus dur à admettre. Certes, vous me direz que la stupidité n'a pas d'appartenance sociale, raciale ou religieuse et vous aurez parfaitement raison. La stupidité est universelle, qu'elle soit personnelle ou collective, comme si le fait d'être en groupe pouvait valider une idée stupide. Seul, on peut faire une chose stupide par manque de recul. Comme ce pauvre con qui, tout à l'heure à la plage, continuait de s'exposer en plein soleil alors même qu'il était déjà rouge comme un homard qu'on sort de l'eau bouillante. Stupide, dites-vous? Oui, il n'y a pas d'autre mot. Mais bon. Le type paiera seul pour sa stupidité. Tandis que cette route bloquée et toutes ces victimes paient pour la stupidité d'un groupe d'arrogants sans têtes et sans desseins. Imbéciles, frustrés, égocentriques et inconséquents. Bien sûr, on les poursuit maintenant. Trois sont déjà arrêtés et on cherche les autres. Mais le mal est fait et la vengeance, quelle que soit la forme qu'elle puisse prendre, ne rendra jamais la vie aux personnes qui rentraient chez elles ou s'en allaient visiter parents ou amis. En fait et comme je me souviens l'avoir lu chez Asimov, qui lui-même citait Shiller : "Against stupidity the gods themselves contend in vain." Même les dieux ne peuvent rien contre la stupidité... En fait et comme le disait Oscar Wilde: "There is no sin except stupidity."

Et cette fois, on ne peut pas commuer la faute de ces bandits -- car c'en sont, n'en doutez pas. On ne peut pas dire qu'ils voulaient tout simplement se faire entendre et protester contre une procédure à l'équité discutable. Non. On ne peut pas bloquer une route nationale, LA route nationale pour tout dire, et se laver les mains des conséquences. On ne peut pas dire: «Se pa fòt mwen», car ces irresponsables voyous sont coupables, stupides ou non. Car cette fois, reconnaissons-le, il y a exagération. Et si la stupidité se retrouve aussi bien au Canada qu'en Haïti, elle atteint ici des sommets inégalés et inégalables. Car même les plus stupides dans notre coin de pays -- et Dieu sait qu'il y en a -- n'iraient pas jusque là. D'abord, ils ne le pourraient pas et ensuite, ils ne le feraient pas, à moins d'avoir vraiment l'intention de tuer des gens, et dans ce cas, ce n'est plus de la stupidité, mais un acte terroriste ou quelque chose du genre. Tandis qu'ici, seule la stupidité excessive est en cause.

Reste seulement à souhaiter que les coupables seront tous appréhendés, exposés à la colère publique au piloris pendant 15 jours--un pour chaque décès -- sans manger ni boire et s'ils sont encore vivants après, qu'ils soient pendus publiquement jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Pardonner, c'est bien beau, mais il y a une limite.

vendredi 11 mars 2011

Mardi Gras & Mercredi des Cendres


Je vous dis que deux jours de congé au beau milieu de la semaine normale de travail, ça vous chambarde un horaire!... Si bien que malgré mes meilleures intentions, je me suis trouvé sans temps pour vous écrire un petit quelque chose. Je sais, je sais, vous allez me dire que rien ne m'y oblige et que je n'ai donc pas à me répandre en plates excuses. Et vous aurez raison. Mais j'aime cette activité, même lorsque je n'ai pas grand-chose de neuf à vous conter.

Semaine rapide, donc, à cause des deux jours de congé : le Mardi Gras et le Mercredi des Cendres. Le Mardi Gras fut festif, comme on s'y attendait, mais sans plus. Calme sous tous rapports, même que nous avons dormi dans le silence puisque les activités musicales et carnavalesques avaient plutôt lieu dans une autre zone que notre quartier résidentiel. Pas de quoi se plaindre, donc. Quant au Mercredi des Cendres, eh bien il fut des plus tranquilles, comme on s'y attendait d'ailleurs. Nous ne sommes pas sortis et avons plutôt profité de cette relâche pour faire quelques petites tâches, difficiles à mener à bon terme lorsque s'y mêlent les activités hospitalières. En d'autres termes, ce n'est pas parce que tout le monde est en congé que nous le sommes! Simplement, nous travaillons moins fort, mais non moins efficacement, comme quoi l'un ne va pas nécessairement avec l'autre. Et puis, la jambe me tiraillait douloureusement, conséquence d'une tendinite que je traîne depuis déjà plusieurs lunes et bon prétexte pour se vautrer devant la télévision... À propos, connaissez-vous la série Dexter? Délectable...

Ce n'est donc qu'hier jeudi que nous avons repris les activités normales et comme il fallait s'y attendre, ce fut un jeudi comme un lundi, avec près de 250 personnes en consultation. C'est à croire que les gens choisissent le jour où ils sont malades, tiens... En tout cas, notre personnel n'a pas chômé et si aujourd'hui c'est un peu plus calme, nous avons tout de même du pain sur la planche. Bon. Je sens votre question : si j'ai du pain sur la planche, comment fais-je pour trouver le temps de vous écrire? Tout est affaire d'organisation du travail, simplement. Ainsi, mes rapports comptables pour février sont complétés et expédiés aux patrons, alors je me retrouve avec quelques minutes de répit, suffisantes en ce qui me concerne pour que je puisse m'adonner à cette activité reposante s'il en est une : l'écriture. Un jour, je me dis que je vais écrire quelque chose de dense, de touffu, de songé, de labyrinthique, bref, quelque chose de sérieux. Et ce sera beau!

Aujourd'hui, tout va. Relativement. En fait, relativement bien. La politique est calme, la campagne bat son plein, mais ça ne ressemble en rien à une campagne électorale au Canada ou aux États-Unis. Quelques banderoles de part et d'autre de la rue principale, quelques annonces à la radio et surtout, des messages incitatifs au téléphone (cf mon dernier texte), bref rien de majeur, rien de violent, rien qui pourrait laisser croire que ces élections, prévues pour dimanche en huit, vont tourner au ridicule comme ce fut le cas au premier tour. À moins, bien sûr, qu'il y ait ingérence en la matière, comme le laisse croire l'article que je signale ici... Car dans ce pays, tout est possible, y compris les coups de théâtre dignes des séries B pour ados...

Et puisque je parle d'articles, avez-vous lu ce fait divers, publié récemment? Je reconnais que c'est une sordide affaire qui sent la magouille à plein nez, mais je subodore aussi une naïveté excessive et peut-être même une arrogance à peine déguisée à l'endroit des fonctionnaires de l'État haïtien... Car je vous le dis tout net : pour se faire arrêter à Port-au-Prince, il faut vraiment faire exprès... Mais bon. Il n'empêche que c'est une bien triste histoire dont l'issue ne me paraît pas très rose pour la dame, que ce soit mérité ou non. Comme quoi "À Rome, comme les Romains" vaut partout, y compris en Haïti. Même si on ne comprend pas toujours les structures administratives et les complications bureaucratiques, il faut toujours, toujours les respecter. Et se montrer poli en tout temps. Voilà pour mes deux sous de gros bon sens.

Et pendant ce temps, la terre continue de tourner et les drames se succèdent ailleurs, tantôt en Libye où la population n'est pas sortie de l'auberge, tantôt au Japon où le tremblement de terre a fait pas mal de dommages, matériels et humains, rien pour rassurer nos Haïtiens pour qui la mémoire de la Catastrophe de 2010 n'est vraiment pas loin...

Mais présentement, le ciel est bleu (enfin, pas vraiment car la pluie s'en vient) et tout va plutôt bien, alors inutile de chercher la petite bête quand elle est cachée...

Et pour finir, cette citation tirée de Wikipédia, plutôt de circonstance, même si la circonstance est déjà chose du passé : "Un Turc, qui avait passé à Paris le temps du carnaval, racontait au sultan, à son retour à Constantinople, que les Français devenaient fous en certains jours, mais qu'un peu de cendre, qu'on leur appliquait sur le front, les faisait rentrer dans leur bon sens." Louis Julien Larcher[16] (1808-1865)
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vendredi 4 mars 2011

Appel létal


Ce serait drôle si ce n'était pas tragique...

J'ai entendu cette histoire abracadabrante pour la première fois hier matin, alors que je passais à la maison (pour chercher une paire de pinces, si vous voulez tout savoir). Éraise, notre chère bonne (et non notre bonne chère, quand même!) était tout en émoi et me met immédiatement en garde : on dit à la radio (qu'elle écoute à tue-tête) que certains numéros de téléphone sont ensorcelés et qu'y répondre, c'est signer son arrêt de mort. Elle me tend une liste de trois numéros auxquels elle me conjure de ne pas répondre, car ils sont possédés, sous l'emprise des zombies (auxquels elle croit dur comme fer -- j'y reviendrai). Or, que peut-on face au diabolique?

De retour à mon bureau, je croise quelques employés, et pas parmi les plus crédules, qui me lancent le même avertissement : ne réponds pas à ces numéros car la mort s'ensuit! Le reste de la journée ne fera qu'accroître ce qui passe déjà pour une paranoïa collective. Tout le monde en parle, et les plus impressionnables n'osent plus répondre au téléphone! Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire à dormir debout?

Ce n'est que plus tard, lisant cet article sur Haiti Press Network que j'ai pu me rendre compte qu'on était allé assez loin dans le canular sans que personne ne s'en formalise vraiment. Mais l'histoire de la femme qui a accouché d'un poisson a aussi défrayé les manchettes et là encore, personne n'y trouvait à redire, car puisque les médias en parlaient, il fallait bien que ce soit vrai! Mais je reviens à  l'article très lucide de Jonel Juste, que je vous recommande, non seulement pour le rapport de ce fait divers insolite autant qu'incroyable, mais aussi pour les questions, fort pertinentes, que l'auteur pose. Entre autres, il mentionne : «Le seul bon côté de cette histoire de numéros de téléphone assassin [sic] : l’occasion de réfléchir sur l’impact de l’introduction des nouvelles technologies en milieu rurales [sic].» Il ajoute : «Le téléphone mobile est l’élément de la modernité à l’indice de pénétration le plus élevé en Haïti, qui atteint le plus de monde, plus que l’électricité, plus que la radio, la télévision, plus que tout. D’ailleurs, il les remplace parfois : un cellulaire est une radio, une télé, un ordinateur, une lampe de poche…» Il n'y a pas d'exagération ici : c'est vrai que le cellulaire, c'est le modernisme à petits frais. Tout le monde en a un et plus il comporte de gadgets, plus il est séduisant. Or, pour beaucoup d'usagers, le cellulaire, ce n'est rien d'autre qu'une forme de magie; dès lors, le pas qui permet de croire que l'appareil peut être porteur de mort violente se franchit aisément : ce n'est, après tout, qu'une question de gradation de la magie. L'auteur de l'article n'est pas tendre envers ses compatriotes : «Pire, [l'affaire] montre la stagnation de la mentalité haïtienne et qu’en 2011 on pense encore comme au Moyen-âge [sic]. La pensée magique. L’idée même de l’utilisation des ondes électromagnétiques usuelles à des fins criminelles aurait dû paraître absurde. Au lieu de cela, on préfère dire qu’Haïti est le pays de tous les possibles.»

Or, c'est bien là le drame. Même si l'on admet que de telles sornettes sont impossibles dans les pays développés, on les accepte en Haïti, parce qu'ici, c'est le "pays de tous les possibles", surtout en ce qui a trait aux forces occultes qui se manifestent de mille et une façons, notamment sous forme de zombies, lesquels ne laissent personne indifférent.

Éraise me demande si je crois au diable et s'étonne de ma réponse. Elle affirme, le plus sérieusement du monde, qu'il s'incarne parfois dans de vieux arbres ou des plantes grasses (le diable est maigre, tout le monde sait ça), à l'affût des âmes incertaines et influençables. Le diable guette, le diable est partout; en fait, le diable est un vrai petit diable! De là à croire qu'il peut emprunter la voie des ondes, il n'y a qu'un saut de puce! N'empêche et comme l'auteur le souligne, c'est quand même triste et pas trop flatteur pour le peuple haïtien...

Mais le pire à mon sens, ce n'est pas tant la crédulité populaire (laquelle est répandue plus qu'on le croit--pensons aux légendes urbaines qui ont la couenne dure genre Elvis-qui-vit-encore) que ceux qui en profitent, voire qui en abusent. Et ici, comme partout ailleurs, il est permis de se demander à qui le crime profite. Il y aurait de la politique là-dessous que je ne serais pas surpris, mais alors pas le moins du monde. D'ailleurs politique rime tellement bien avec diabolique... Et comme on est en pleine campagne électorale, eh bien, il n'y a pas vraiment lieu de se surprendre...

En tout cas ces jours-ci, politique ou pas, l'heure est aux festivités, car c'est le carnaval, lequel s'annonce "chaud", selon le slogan même des banderoles qui en font la promotion. Car le Mardi Gras, c'est mardi prochain! Souhaitons seulement qu'il ne soit que chaud dans sa musique et son effervescence...

mardi 1 mars 2011

Quand ça détone...

POW!

Réveil immédiat et panique instantanée. Est-ce un coup de feu? Je jette un coup d’œil au radio-réveil numérique : 1 h 12. Je retiens mon souffle. À côté de moi, ma compagne, d'ordinaire bien enveloppée dans les bras de Morphée, ne respire plus elle non plus. Je présume qu'elle a, comme moi, entendu la détonation et que, comme moi, elle attend la suite. Mais il n'y a pas de suite. Peut-on se risquer à respirer? Il le faudra bien... Tout doucement, sans faire le moindre bruit, on lâche notre souffle et on prend une petite bouffée d'air. Tout est si calme, c'est à croire que nous avons rêvé. Et pourtant, lorsque nous nous décidons bien timidement à partager notre impression à voix basse, elle s'avère identique : le claquement ne laisse que peu de doute sur son origine. Et vu notre mauvaise expérience avec les détonations, eh bien nous sommes pour ainsi dire sur le qui-vive.

POW! CLAC!

Voilà le claquement sec qui se reproduit, et cette fois, il nous est facile d'en identifier la source : une MANGUE qui tombe sur les feuilles du palmier nain qui pousse au pied du manguier! Ouf! Ce n'était que ça. On s'en fait quelques blagues. On rit de notre panique. Le pouls peut ralentir, l'adrénaline se dissiper, CE N'ÉTAIT RIEN. Et c'est même courant, comme je l'ai d'ailleurs mentionné dans un texte de l'an dernier. Mais comment peut-on confondre l'impact de ce fruit avec celui d'une arme à feu? L'intensité du claquement d'abord et notre mémoire stigmatisée ensuite. Car il faut le dire, l'imagination fait beaucoup dans ces cas-là, surtout lorsqu'elle s'appuie sur des souvenirs assez cauchemardesques... Et puis, un claquement, dans une nuit silencieuse n'est jamais synonyme d'harmonie et de tranquillité, hein? Alors mieux vaut s'éveiller et se tenir à l'affût. Car on ne sait jamais. Surtout que ces temps-ci, et malgré une situation sociale plutôt calme, l'insécurité règne. Des voleurs armés courent les rues, semble-t-il, et la police n'y peut pas grand-chose... Alors on se croise les doigts et on souhaite que rien ne se passera qui viendra troubler les nuits habituellement paisibles, si l'on oublie les coqs et les chicanes de chiens, bien entendu.

Mais les fruits tombent, c'est un phénomène bien connu, et ce, la nuit comme le jour. Or, la saison des mangues approche et les arbres de la cour en sont chargés. Mais ces fruits succulents n'attendent pas toujours de mûrir patiemment sur leur branche avant de se laisser choir : quelquefois, pour une raison x, ils décrochent, fatigués sans doute de leur vie de fruit ou simplement attaqués et vaincus par une bête, rat ou oiseau. Et leur chute n'est jamais discrète, car les fruits verts sont durs et massifs et dans leur course effrénée vers le bas, bousculent tout ce qui se trouve sur leur passage. Dès lors qu'ils atterrissent ailleurs que sur le sol, l'impact en est plutôt sonore. Alors voilà, vous savez tout.

Vous me direz qu'il n'y a pas de quoi en faire tout un plat et c'est précisément ce que je vous dis, si vous me suivez bien. Quand on sait qu'il ne s'agit que d'une mangue qui s'est frayée un chemin vers le bas, on se rendort aisément; mais voilà : encore faut-il le savoir! Et j'entends par là, sans en douter! Or, je vous le répète, nous sommes dans une période où les attaques individuelles contre des bonnes gens sont en croissance et c'est toujours la nuit que ces choses se passent, n'est-ce pas? C'est ce qui explique que ces claquements sonores, apparentés à la violence, nous réveillent : on ne sait jamais.

Une fois la source de la détonation identifiée, nous sommes donc retournés aux affaires courantes, chez Morphée. Et le matin, comme toujours depuis quelque temps, la galerie était couverte de mangues. Tout est bien qui finit bien. Ça c'était au cours de la nuit de dimanche à lundi dernier.

Mais la nuit dernière, c'est un son sourd et lourd que nous avons entendu et qui nous a réveillés, vers les 4 h 30. Comme quelqu'un qui aurait sauté le mur et aurait abouti au pied du cocotier. Mais cette fois, j'en ai rapidement déduit la source. Et voyez la taille de ce coco (photo ci-dessus), fruit du cocotier contenant la noix de coco que vous connaissez bien et dites-moi maintenant que j'exagère avec mes histoires à dormir debout...

De quoi faire réfléchir La Fontaine, tiens (le gland et la citrouille)...