vendredi 29 avril 2011

Aimez-vous l'aventure?


J’ai déjà dit que les départs étaient une inévitable source de stress. Inévitable à cause de la nature même de l’activité : il faut penser à tout, à ce qu’on laisse derrière aussi bien qu’à ce dont on aura besoin devant; aux choses indispensables (passeports, tickets, argent…) et aux choses pas absolument nécessaires mais tout de même utiles et agréables (gouttes ophtalmiques, lunettes, livres, vêtements chauds…). Mais inévitable également à cause de la situation présente du pays, qui rend la circulation difficile voire aléatoire. Or, sachant cela, nous avions décidé — très sagement dois-je le souligner — de faire la portion routière de notre voyage un jour d’avance, de façon à nous laisser la marge de manœuvre susceptible de diminuer le stress. Ça y est? Vous me suivez? Je ne vais pas trop vite?

Donc, nous quittons Les Cayes vers 10h30, supputant que, si les choses se passent sans anicroche, nous serons vraisemblablement à Port-au-Prince vers les 14h30, ce qui nous laissera le temps de faire quelques courses avant d’aller relaxer à l’hôtel. Mais les impondérables, les amis, les impondérables…

Un premier barrage nous ralentit. Pas longtemps : une petite demi-heure et nous pouvons passer à nouveau, la police ayant dispersé les manifestants et les voitures qui bloquent la route. Un second barrage nous interrompt, mais encore une fois, la police intervient rapidement et nous pouvons poursuivre notre route… jusqu’à ce barrage qui n’en est pas encore un. Mais l’activité fébrile qui se passe devant ne laisse aucun doute quant à l’objectif visé : barrer la route et embêter les automobilistes, lesquels d’ailleurs, font maintenant demi-tour massivement. Ce que nous faisons nous aussi. Notre chauffeur, prudent par nature et par expérience, préfère s’éloigner. Nous attendons. Mais voilà que des manifestants, foulard sur la tête, viennent bloquer la route précisément à notre niveau, nous ordonnant même de mettre notre voiture en travers de la route de façon à la bloquer. Poliment, je demande au gars de nous laisser aller, insistant que nous n’avons rien à voir là-dedans. Rien à faire : on me fait la réponse la plus injurieuse qui soit en Haïti et que je ne répèterai pas ici de peur de passer pour vulgaire. Disons simplement que l’expression a son pendant en anglais et tout sera dit. Bref, nous frappons un mur d’agressivité et d’incompréhension. D’autres malfrats arrivent, la tension monte d’un cran et l’un d’eux exige les clés de la voiture. Je m’y oppose; on sort les pistolets — pas des joujoux, je vous jure. Pas le choix de les laisser prendre les clés de la voiture et tant pis pour le reste…

Nous voici donc bloqués au beau milieu de nulle part, sans voiture et sans moyen d’y remédier, avec des gens qui courent s’abriter de tous les côtés. Où aller? Jusqu’au moment où une dame, de l’autre côté de la route, nous fait signe de la rejoindre. Ce que nous faisons. Nous nous trouvons chez elle dans une sécurité relative, mais guère plus avancés… Je crains toujours le pillage de nos effets personnels et avec ce que l’on trimbale avec nous (ordinateur, appareil photo, passeports, cartes de crédit et argent liquide) nous avons de quoi contenter les plus exigeants… Mais il semble que ce ne soit pas le but de l’activité. En effet, moins d’une demi-heure plus tard, les forces de l’ordre ont fait fuir les manifestants et ont rouvert la route. Tout le monde repart. Mais pas nous, qui sommes sans clé…! Cependant Onès, notre dévoué chauffeur, a pris des dispositions pour possiblement récupérer nos clés. Possiblement. Alors on attend. Une heure passe, puis une autre. Il est maintenant près de 17h et il faut commencer sérieusement à un plan B… Mais lequel? Arrive alors une grosse remorque de la MINUSTAH qui, visiblement, vient pour remorquer notre véhicule. C’est le temps de poser quelques questions. Que je pose. Le chef de la police me dit qu’ils doivent remorquer notre voiture au commissariat de la ville voisine, sinon on va le brûler aussitôt que le jour sera tombé. Cela me paraît une raison tout à fait acceptable et donc, j’opine. Le chef de la police m’offre même d’aller attendre au commissariat, si l’on veut, histoire d’accroître un peu notre sentiment de sécurité. Là encore, je trouve l’idée bonne. J’opine encore. Or, lorsque je rejoins le chef de la police, il est en conversation avec deux types qui nous posent un tas de questions, ce qui rend ma douce amie un peu nerveuse. À tort, nous pourrons le constater. L’un des deux gars est tout simplement dans la même situation que nous (on lui a aussi pris ses clés de voiture) et il attend tout simplement qu’un ami vienne lui en porter un double. Sauf que dans son cas, l’ami ne tardera pas trop et comme il nous offre gentiment et généreusement de nous conduire à notre hôtel à Port-au-Prince, nous montons avec lui. Vers 19 h, nous sommes à l’hôtel, la bière est bonne et le steak succulent.

Onès, pendant ce temps, a poursuivi ses négociations avec un intermédiaire qui connaît l’un des types qui a pris les clés. Qu’il finira par récupérer, à force de patience et de persévérance!

Tout est bien qui finit bien, donc et personne ne s’en plaint!

Mais quant à savoir si on aimé l'expérience, eh bien c'est franchement non!

vendredi 22 avril 2011

Good Friday


Je vous ai déjà parlé du Vendredi Saint, qu'on appelle incidemment «Bon Vendredi» en anglais (Good Friday) pour une raison que j'ignore. Pour moi, tous les vendredis sont bons. Il est vrai que celui qui est férié l'est encore plus, pour une raison évidente. Le travail, qui ici n'arrête jamais, vous le savez bien maintenant, ralentit à en devenir une activité relaxante. Ainsi, les gars repeignent la cuisine de la résidence (qui en avait bien besoin) et les infirmières veillent sur un hôpital vide... Ma co-directrice fait ses comptes et moi, ben moi, je ne fais rien, comme il sied à un directeur en congé. Ce qui, incidemment, me donne l'occasion de vous divertir un peu par la lecture de ces propos sans sens, mais non insensés.

Vendredi Saint donc, belle occasion pour les religieux de tout acabit de profiter de la crédulité populaire pour renflouer leurs coffres souvent vides et surtout, surtout de sermonner. Car ici, on aime ça les sermons : ceux qui les font autant que ceux qui les écoutent. Et je dis bien écouter, pas seulement entendre. Car les gens, même lorsqu'ils écoutent la radio, écoutent si attentivement que c'en est surprenant. Ils écoutent n'importe quoi, surtout à la radio, et gobent tout, l'appât, l'hameçon, la ligne, tellement ils aiment écouter quelqu'un parler. Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, rares sont les discours qui m'accrochent au point que j'en oublie le temps qui passe. C'est arrivé, je l'admets, mais pas souvent. Mais ici, tout discours mérite l'attention révérencieuse d'un auditoire varié, ce qui bien évidemment amène souvent de bien piètres locuteurs à en abuser. Mais bon. Le discours de l'un, c'est le passe-temps de l'autre...

Mais pour l'instant, tous ces beaux discours vides se sont enfin tus, laissant la place à un silence qui nous sied tout à fait. Ils vont sûrement reprendre de plus belle en fin de journée. Les discours à saveur apocalyptique (je n'ose ici parler de sermons) et aussi, ne l'oublions pas, les chants. Aboyés à tue-tête dans des micros amplifiés au-delà du raisonnable, ils sont d'un faux qui fait mal mais qui, pourtant, ne semble incommoder personne dans l'assistance : après tout, ces chants ne partent-ils pas de l'âme? Pourquoi faudrait-il que l'âme sonne juste à l'oreille? Seule compte la puissance sonore et de ce côté, vraiment, rien à craindre.

Mais tout cela n'entrave en rien le congé du Vendredi Saint qui, toutes considérations religieuses mises à part, fait bien l'affaire de tout le monde. Un congé est toujours bienvenu, mais le vendredi est d'autant plus agréable qu'il prolonge en la débutant la fin de semaine. Remarquez que le même phénomène se passe lorsqu'un congé tombe le lundi, mais pour je ne sais quelle raison, le sentiment du long week-end n'est pas le même. Ou me trompé-je?

En tout cas, bon congé de Pâques! Good Good Friday!

mardi 19 avril 2011

Mourir pour rien


On dit souvent des accidents qu'ils sont «bêtes et méchants». C'est une façon courante de souligner notre impuissance et notre incompréhension face à des drames qui n'avaient aucune raison d'être. Eh bien hier, nous avons eu droit à un accident «bête et méchant». Qui a coûté la vie à une personne. C'aurait pu être deux.

L'accident est toujours, par définition, ce qui n'est pas prévu au programme. On roule sur une autoroute quasi-déserte et tout à coup, surgi de nulle part, un cerf se dresse en plein milieu de la route. Surprise et manœuvres d'évitement. Si ça marche, on s'en tire avec une belle frousse, sinon, c'est l'impact, la mort de la pauvre bête et les dommages à la voiture et possiblement à ses occupants. Ça, c'est un accident. L'accident n'est pas l'occurrence possible ou potentielle qu'on évite, parfois de justesse; l'accident, c'est le fait accompli. C'est la rencontre d'occurrences qui n'étaient pas supposées se rencontrer. C'est un jeune homme, une perche métallique et un fil haute tension : les trois éléments n'ont rien de problématique en soi, mais leur combinaison est fatale, comme le pauvre jeune homme l'a appris--trop tard, bien entendu. Foudroyé, le gars. On l'a transporté à l'hôpital que pour y constater son décès. Vous dire que ç'a causé un émoi local serait peu dire : tout le monde était atterré, tout le monde était pris de saisissement, comme on dit ici. C'est que le jeune homme ne souffrait d'aucune maladie, ni d'aucune faiblesse apparentes; il était en bonne santé, en très bonne forme. Comment dès lors peut-il mourir d'un simple choc électrique, c'est la question que plusieurs se posaient et qui, pour plusieurs, restait sans réponse. D'autres y donnaient des réponses fantaisistes comme le choc lui a fait bouillir le sang ou lui a éclaté le cœur ou a retiré toute l'eau qu'il avait dans le corps. Tout ça pourquoi? Pour cueillir le fruit de l'arbre à pain, (ci-dessus) que tout le monde adore.

Reste qu'il est dur pour ces gens ordinaires de comprendre comment cette énergie qu'on ne voit pas et qui ne sert, en résumé, qu'à allumer les lumières peut terrasser. Tuer aussi efficacement qu'un pistolet et pourtant, sans effusion de sang. Sans blessure apparente, en fait. Une personne âgée, malade du cœur ou prise d'un cancer, passe encore; mais un jeune homme dans la force de l'âge, bien sur ses deux pieds? Disons que c'est dur à admettre et pourtant, il faut bien se rendre à l'évidence. D'où le saisissement : on est tellement surpris et on se sent tellement démuni qu'on ne sait plus à quel saint se vouer... D'où la discussion en fin de journée avec ce groupe d'habitués de notre institution et qui étaient là à se demander ce qui avait bien pu provoquer un tel drame. Et chercher s'il n'y avait pas, quelque part, un coupable qui méritait de payer pour son crime. J'ai fait de mon mieux pour expliquer ce qui s'était passé en mentionnant les propriétés du courant. Que ce n'est pas parce qu'on ne le voit pas qu'il est inoffensif; que ce n'est pas parce qu'il passe par un fil horizontal qu'il ne cherche pas à descendre à la terre par n'importe quel chemin, incluant l'humain; que le courant, lorsque le voltage est élevé, peut tuer n'importe qui. Bref, j'ai tenté, tant bien que mal, de démystifier cette énergie mal connue. «Bel pawol» a dit une dame à sa voisine; «Li pale byen». Merci bien madame. Je fais ce que je peux. Et c'est pas beaucoup, bien malheureusement.

La mort n'est pas une nouveauté. Surtout pas dans ce pays, surtout pas depuis le tremblement de terre... 300,000 morts environ, c'est quand même pas rien. Imaginez par exemple, gens du Québec, une ville comme Gatineau où, tout à coup, il ne reste plus personne... Plus rien que des rues désertes. Que des cadavres! Dur à imaginer, n'est-ce pas? Mais c'est pourtant ce qui s'est passé par ici. En pire, bien entendu... Pourtant, on finit par tourner la page et la vie continue. Mais la mort de ce jeune homme, si inutile, si gratuite, vient nous rappeler toute l'impuissance qui entoure la fin d'une vie. Le vide. L'absurde. Et franchement, ça fait mal. Hier, quand je parlais avec ces gens, je sentais que nous étions tous unis par cette tristesse nécessaire face aux imparables coups du sort. Qu'y faire, sinon se morfondre en chœur?

En tout cas, je puis vous le dire : hier, pas besoin de demander pour qui sonnait le glas.

lundi 18 avril 2011

De l'importance du travail d'équipe


Eh bien malgré tout ce que je dis à propos de mon maigre intérêt pour les choses politiques, il semble que ce soit un thème qui m'accroche car il revient souvent dans mes propos. Sans idéologie, cependant; car il s'agit plutôt pour moi (comme pour vous, par ricochet) de comprendre un peu ce qui se passe au pays qui nous héberge présentement.

Ainsi, l'article de ce matin, signé Marissal (dont j'ai apprécié un article jadis), est biaisé et tendancieux. À tout le moins dans son titre. «Michel Martelly songe à amnistier Duvalier et Aristide» : un titre comme ça vous fait croire que c'est ce dont l'article parlera, pas vrai? Or, lisant l'article, on se rend compte que M. Martelly a donné une entrevue téléphonique via Skype et, parlant de choses et d'autres, a mentionné :  «Je dirais tout simplement que nous pourrons éventuellement penser à ça (l'amnistie) dans la mesure où ceux qui ont été blessés dans le passé comprennent la nécessité de se réconcilier.» Je ne sais pas pour vous, mais il me semble que le journaliste a fait un triple saut périlleux avec double vrille pour en arriver à titrer son article sur cette simple réflexion, au reste bien banale. Car enfin, soyons honnête, le nouveau président a bien d'autres chats à fouetter avant de traiter les cas de MM. Duvalier et Aristide. Et je ne pense pas qu'il en fasse une priorité. D'ailleurs, si vous lisez l'article, vous constaterez que sa première préoccupation -- et ici, tout à fait justifiée en ce qui me concerne -- c'est la reconstruction du pays, qui s'enlise toujours depuis plus d'un an. Que le pays soit pauvre est un fait, mais cela ne signifie pas qu'il doive rester embourbé dans ses débris! Pour le reste, eh bien je pense que M. Martelly a juste l'embarras du choix : infrastructures, communications, création d'emplois, éducation et soins de santé... la liste est longe et ressemble à s'y méprendre à n'importe quelle feuille de route de n'importe quel chef d'état en puissance ou de fait. Et est certainement trop lourde pour n'importe quel chef d'État qui l'aborderait seul, fût-il le président Obama, tiens. Un chef doit savoir s'entourer d'une équipe efficace et motivée, qui non seulement peut l'épauler dans ses décisions, mais qui peut aussi et surtout soulager sa charge de travail. Or, trop souvent en politique, le leader fait office du bouc émissaire pendant que les autres se cachent derrière en disant : «Se pa fôt mwen».

Reste que c'est un peu ce qui se passe dans notre petit hôpital; je vous disais dans mon dernier texte, que les petits changements font souvent une différence, tout en étant moins exigeants en termes de ressources (financières, matérielles et humaines). Mais ce que je ne vous ai pas dit, c'est que même pour accomplir ces petits changements, il faut une division du travail : une instance décisionnelle (ça c'est ma compagne et moi-même) et une instance chargée d'appliquer la décision. Évidemment, cette dernière instance mérite souvent d'être aiguillonnée pour l'inciter à aller jusqu'au bout dans le respect des indications de l'instance décisionnelle, mais lorsque sont atteints les résultats, tout le monde en partage le crédit. C'est, entre autres choses, ce qui s'est passé en ce qui concerne la peinture de l'hôpital. Les gars ont vraiment accompli de la bonne besogne, dans les temps requis (c'est-à-dire pendant le week-end exclusivement) et dans le respect des consignes que je leur avais données. Ils ont même réussi au-delà de mes espérances à préserver le dessin qui apparaît sur la photo ci-dessus tout en refaisant la peinture. Vous dire qu'ils étaient fiers est peu dire... Or, je vous dirai que cette facette du travail (motiver les employés) constitue l'un des éléments clés du succès ou de l'échec de toute entreprise. Le leadership, c'est bien beau, mais à tout leader, il faut des 'followers', des gens disposés et intéressés à suivre le leader. Pour ce faire, deux méthodes, bien connues et souvent identifiées par ce qu'elles représentent : le bâton et la carotte. En d'autres termes, le reproche et les félicitations. J'avoue pour ma part que, bien que j'utilise ces deux approches, je favorise, et de beaucoup, l'approche carotte qui, parce qu'elle renforce les comportements souhaités, me semble donner de meilleurs résultats que le châtiment.

Ceci m'amène à commenter cet extrait du commentaire reçu d'un lecteur haïtien (j'en déduis) au sujet de mon texte «Cherchez l'erreur...» Le monsieur (je présume) dit ceci : «...vous aurriez (sic) pu aider cette personne a (sic) corriger ses lacunes [...] au lieu de la critiquer lachement (sic).»  Premièrement, je ne critique pas lâchement. Je n'ai aucune honte à critiquer, ni à être l'objet de critiques, fondées ou non. La critique est humaine et universelle, sans doute parce qu'elle dessert bien l'ego de celui qui la formule. Après tout, quand on critique (un film, un livre, un homme politique, un administrateur) on sous-tend qu'on aurait su faire mieux. Mais une bonne critique (car il en est de bonnes) est courte et pointue; elle souligne l'erreur, mais que l'erreur et ne s'intéresse pas à extrapoler des généralités qui souvent n'ont aucun rapport. Cette critique-là, je la prends car je l'apprends. Je peux devenir meilleur si l'on me pointe du doigt mon erreur. Rappelez-vous : on apprend de nos erreurs. Encore faut-il les voir. La critique, en ce sens, peut aider. Mais je vous ai aussi dit que l'on bâtissait sur les succès, et non sur les erreurs. Et c'est là que la critique, amère, élaborée et généralisée devient contre-productive : elle écrase celui ou celle qui en fait les frais et ne lui donne aucune chance de s'amender. Partisan du "One Minute Manager", je tends à en appliquer les principes et ma foi, ça marche plutôt bien. C'est pourquoi quand je lis «critiquer lâchement», je n'en fais aucun cas. Ce n'est simplement pas moi.

Quoi qu'il en soit, vous avez compris ce que je veux partager avec vous : tout est question de partage. Et le partage n'est que rarement de 50-50. Il n'a pas à l'être. Équitable ne veut pas dire égal. Lorsque je déménageais de lourds électro-ménagers avec mon frère, je n'ai jamais eu aucun problème à lui passer la lourde charge. Genre 60-40. Ce n'était pas juste, mais tout à fait équitable.

Demandez à mon frère...

jeudi 14 avril 2011

La platitude des jours ordinaires


Plus d'une semaine a passé! Vous allez me dire qu'une semaine, ce n'est pas vraiment long et vous aurez raison. Mais tout de même, la vitesse à laquelle certaines passent me laisse sans souffle! Est-ce à dire qu'on court trop? Pas vraiment. Certes la multiplicité des tâches et les petits problèmes qui surgissent inopinément induisent une certaine fatigue, mais c'est juste dans l'ordre des choses. Non, la différence de la semaine dernière, c'est ma jambe qui m'a fait et me fait toujours serrer les dents--tendinite, spasme musculaire, sciatique ou autre, on s'en fout, l'essentiel est que c'est douloureux et donc, ma productivité en souffre. Désolé, mais c'est comme ça.

En outre et pour dire la vérité, la semaine a été délicieusement tranquille, avec des activités "normales" et des gens contents de la tournure des événements. La politique est maintenant reléguée à un futur imprécis mais non menaçant, et c'est tout ce à quoi les gens aspiraient. Pour le reste, on verra.

Pas grand-chose de neuf donc, et personne ne s'en plaindra. N'empêche qu'avec tout ça, avril est maintenant bien entamé et va bon train. Tant mieux, tant mieux. Car avril terminé, c'est mai et avec mai vient une petite pause personnelle que nous estimons tout à fait méritée, quoi que vous en pensiez. D'ici là le pain sur la planche ne manque pas et on met vraiment la main à la pâte. Mais le jeu en vaut la chandelle. Ainsi, nous avons décidé de repeindre notre hôpital. Incroyable ce qu'une couche de peinture différente produit comme effet! On dirait du neuf! C'est propre, ça brille, c'est clair et ça égaie. Tu parles d'un changement! Un changement apprécié, d'ailleurs : tout le monde nous en fait compliments! Avec la télévision qui trône maintenant bien en vue dans le coin de la salle d'attente, les patients n'ont plus à l'être (patients, je veux dire), captivés qu'ils sont par les images de la télé. Au point que parfois, ils en oublient la raison de leur venue à l'hôpital... Et je blague à peine...

En fait, ce sont souvent ces petits changements qui font la différence. Pas besoin de refaire le monde : un peu de peinture suffit parfois à redonner la vitalité à un endroit mortuaire, et si vous pensez à ces impressionnantes fresques qu'on voit parfois sur des édifices gris et ternes, eh bien vous comprenez tout à fait ce que je veux dire. Or, ces petits changements, bien que peu onéreux et pas compliqués, sont souvent négligés et perçus comme insuffisants. Genre un grain de sable de plus sur la plage. Parfois, c'est vrai. Mais souvent, petit est magnifique, comme on le dit encore mieux en anglais (small is beautiful, pour ceux qui n'avaient pas allumé). Tout ça pour vous dire que, dans le souffle du changement que l'élection de Martelly entraîne, repeindre l'hôpital a sa raison d'être.

Et puis on a une visite officielle et médiatique qui s'annonce en mai, en même temps que nos gros chefs, alors faut que tout soit à son avantage. Nous nous y appliquons. Bien entendu, nous savons d'avance que nous ne pourrons tout corriger, remettre en état ce qui doit l'être et refaire du neuf avec le vieux. D'où l'importance, incidemment, de se concentrer sur les petits changements.

D'ailleurs et pour tout vous dire, je pense qu'il a là matière à extrapolation et sans doute une ligne de conduite à adopter pour améliorer le pays : des petits changements, mais visibles et pimpants! Inutile de mettre la barre trop haute : à force de sauter sans jamais l'atteindre, on se décourage et on abandonne. Et abandonner, c'est bien la dernière chose dont le pays a besoin...

Quoi? Vous dites que je ne dis pas grand-chose? Et après?

mardi 5 avril 2011

Un lendemain suave

Sauvés!

C'est ce que j'ai écrit hier sur mon "mur" Facebook et c'est vraiment l'impression que nous avons eue lorsque nous avons su les résultats à l'heure dite, voire avant : Cyberpresse, via Reuthers, annonçait déjà la victoire de Martelly à 16 h. Nous avons soupiré d'aise. Et pas que nous: en ville, c'était le délire, mais sans violence. Que l'expression d'une joie non feinte, celle d'un triomphe dont on doutait encore jusqu'à la dernière minute. De l'avis de plusieurs, en dépit de la popularité de Martelly (peut-être même à cause de cette popularité), "l'intellectorat" haïtien et l’establishment américain souhaitaient ouvertement voir Mme Manigat prendre le pouvoir. Mais pas besoin d'être un spécialiste des sondages pour savoir que ce n'était pas ce que voulait le peuple. En fait, les résultats parlent éloquemment : presque 68% des voix à Martelly ne laisse aucun doute sur la volonté populaire. Bien sûr, tout est contestable. J'ose même dire : a fortiori dans ce pays. Alors que ce résultat, probant en soi, soit remis en question au cours de la période qui débute maintenant et qui se termine, en principe, ce 16 avril reste tout à fait possible. Cela dit, personnellement, si j'étais à la place de Mme Manigat, je jetterais l'éponge et je saluerais mon opposant bien bas, car il a gagné, c'est un fait avéré et qu'on se doit de respecter, toute conviction politique mise à part. Comme je l'ai dit à qui voulait l'entendre, sans égard au parti politique ou à la valeur du candidat, dans un processus qu'on veut démocratique, il est indispensable que le résultat corresponde à la volonté de la majorité. Et ici, indéniablement, c'est ce qui s'est passé. Si vous voulez quelques détails de plus, je vous recommande l'article de Clarens Renois, sur Cyberpresse. Intéressant...

Une nuit de fête donc, et une journée calme pour y faire suite : les écoles, les commerces, les bureaux, les banques... tout fonctionne normalement et vous dire combien c'est rassurant, ça ne se dit pas.

Je ne vous en dis pas plus. Je veux juste partager avec vous notre soulagement. Pas seulement le mien ou celui de ma compagne, mais aussi celui de tous ceux, toutes celles qui partagent notre vie au quotidien ici et qui, comme nous, retenaient leur souffle. Maintenant, nous soufflons. Les gens rient, font des blagues (dans cet ordre), se congratulent mutuellement et expriment leur joie.

Pour l'instant, pour aujourd'hui, l'espoir a changé de couleur.

lundi 4 avril 2011

L'amère pilule


Avez-vous hâte à cinq heures, aujourd'hui?

Peut-être, si c'est à cette heure que se termine votre journée de travail; sans doute pas s'il n'y a pas d'occasion spéciale pour vous. Car le 4 avril est une journée normale pour tout le monde, sans fête particulière (il y a bien celle de St-Isidore, le patron des informaticiens, mais qui s'en soucie?) ni événement digne de mention. Pour nous cependant, c'est la date fatidique; la date butoir, celle où le couperet tombe et où la merde fuse de toute part. Celle de l'annonce officielle des résultats préliminaires du second tour des élections nationales. Je n'ai pas voulu vous rebattre les oreilles (les yeux, si vous préférez) avec ce thème redondant et truffé de lapalissades : je vous ai dit ce qu'il en était et je vous ai dit que si Martelly n'était pas élu, les choses risquaient fort de se gâter. Puis je me suis tu, sachant très bien qu'il ne servait à rien d'ergoter sans matière à réflexion. Mais aujourd'hui, bien que la matière ne soit pas plus riche, faut admettre que la tension a monté d'un gros cran. Tout le monde attend et tout le monde s'attend à des résultats qui risquent de ne pas aller dans le sens de la volonté populaire. Dit-on. Donc tout le monde (ou presque) s'est armé, et pas de patience... Bref, cinq heures risque fort de sonner le glas de la période de répit que nous avons eue jusqu'à maintenant. Car les fanatiques sont prêts.

Vous dire que ça nous comble d'aise serait mentir. D'ailleurs, je cherche encore LA personne que ces événements mettent à l'aise : tout le monde a peur, tout le monde retient son souffle, tout le monde attend que ça passe en espérant que ce ne sera pas trop long et que la casse sera limitée. Certains, plus vieux, parlent avec amertume autant qu'avec honte du processus électoral ici qui finit toujours par déjanter et par sombrer dans la violence gratuite. Des élections sans violence en Haïti, ça ne se fait pas. Tout le monde le sait et tout le monde le désapprouve, mais ça ne change rien à la chose ni à son résultat : le pays paralyse, le temps que cette effusion de mauvais sang ait éclaboussé les rues. Puis, timidement, on revient à la vie normale. C'est un processus douloureux, mais inévitable semble-t-il. On nous dit de nous tenir à carreau; c'est que ce que tout le monde fait d'ailleurs. Encore une fois, puisqu'il faut y passer, il faut serrer les dents et se résigner. Après, ce sera mieux. Car il y aura un après : il ne faut pas en douter.

Donc si vous croyez que les prochaines heures nous excitent et nous rendent fébriles, eh bien vous n'y êtes pas du tout. Au contraire, elles usent la patience et font croître le stress de l'impuissance et celui, non négligeable et bien présent, de la peur. Car si tout le monde a peur, faudrait être totalement inconscient pour ne pas la ressentir, ne serait-ce que par contagion. N'ap swiv, comme on dit...

Et puis il faut se dire qu'il y a pire : la Libye, pour ne pas la nommer; la Côte d'Ivoire... En fait, c'est justement ce qui me fait doublement peur : que ces pays "inspirent" nos manifestants locaux et leur mettent en tête des idées d'hécatombe qu'ils n'avaient pas auparavant. Mais encore une fois : qu'y peut-on?

Surtout, ne me dites pas : "Lève le camp! Déménage!" D'abord il est trop tard et ensuite, ce n'est pas le but du jeu : il s'agit au contraire de faire avec la réalité qui nous entoure. Bref, je ne vous apprends rien aujourd'hui, mais je veux quand même partager avec vous, mes fidèles, cet inconfort qui nous affecte tous. La pilule est amère et on ne l'a même pas encore avalée! Mais bon. On devrait y survivre...

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Il est présentement 18 h, à notre heure non avancée. Martelly est confirmé chef dans ces résultats préliminaires. Quel soulagement! Qu'il soit bon ou pas importe peu : l'important c'est qu'il est ce que le peuple haïtien veut! Une nuit chaude, donc, mais pas nécessairement violente... À suivre...