dimanche 13 octobre 2013

Quand la faux fauche...


Dimanche dernier, après vous avoir raconté ma nuit sans sommeil, nous sommes partis à la plage faire un brin de causette avec notre cher ami Antonio et un brin de trempette dans la Mer des Caraïbes, les deux activités allant fort bien ensemble. Un dimanche d’insouciance, donc, sous le cuisant soleil de l’époque. Un dimanche comme bien d'autres, jusqu’à ce coup de téléphone de l’un de nos employés m’apprenant que sa fille de 15 ans vient d’avoir un accident de voiture. Je lui demande naturellement si elle est blessée et il me répond qu’en fait, elle est morte. Bête comme ça. Je vous avoue que le reste de la conversation m'échappe et que j'y ai gauchement mis un terme. Plus tard, j’apprendrai que les circonstances de l’accident, bien que pas tout à fait nettes, tiennent au mauvais état mécanique du véhicule, au nombre de passagères derrière (dans la boîte du petit pick-up), à la route de montagne, à la présence d’un obstacle — en l’occurrence un véhicule en panne — et, sans doute aussi, à l’inexpérience du chauffeur, lequel a perdu la maîtrise de son pick-up dont les soubresauts ont expulsé la moitié des passagères sur la route, les tuant sur le coup. Au total, six jeunes filles, toutes à peu près du même âge (15 ans) y ont perdu la vie. Six sur treize. Des jeunes filles innocentes, issues de bonnes familles avec de bons parents, amoureuses du Bon Dieu et sérieuses à l’école qui tout à coup ne sont plus. Pour nous ce ne sont que des étrangères — y compris la fille de notre employé — et pourtant, le drame nous affecte. Si bien que je n’ai pas besoin de vous dire combien il affecte les pauvres parents…

Les funérailles, communes pour ces jeunes victimes, ont eu lieu hier; la ville en était presque paralysée. Mais d’après ce qu’on nous a dit, ce furent de belles funérailles où l’on a beaucoup pleuré, crié, prié, sans oublier quelques évanouissements du plus bel effet. Car oui, des funérailles par ici, il faut que ce soit beau; triste, mais beau. Grandiose si possible. Et celles-là le furent sans qu’on ait eu besoin d’en rajouter, comme on le fait parfois.

Je vous dis cela comme on me l’a raconté, car non, nous n’y sommes pas allés. Pas parce que le drame nous laisse indifférents, mais plutôt parce que nous ne nous sentons pas vraiment à l’aise avec les épanchements de douleur des Haïtiens. Ici, dans ce pays, comme je vous l’ai déjà dit, la douleur s’exprime que c’en devient douloureux pour les autres. Mais c’est un exutoire qui fonctionne et tôt, plutôt que tard, la vie reprend son cours. Car elle le doit.

La mort n’est jamais facile à gérer, surtout quand elle touche des vivants qui sont encore loin d'avoir atteint leur espérance de vie. Comme ce fut le cas encore cette semaine à notre petit hôpital, cette fois avec un petit enfant de trois ou quatre ans qui, incapable de respirer à cause d’une tumeur cancéreuse qui bloquait le passage de l’air, est mort en salle d’opérations. La mère avait été prévenue que l’opération était très risquée, que l’enfant risquait d’en mourir mais puisqu’il était déjà condamné, elle s'était raccroché au fil ténu de l'espoir. En vain. Et sa douleur, les amis, faisait vraiment mal à voir. Mais qu'y pouvons-nous?

Est-ce pour cela qu’aujourd’hui, dimanche, ça ne nous disait pas vraiment d’aller flâner à la plage?…

dimanche 6 octobre 2013

Insomnie


Qu’est-ce qui a bien pu me réveiller, comme ça, au beau milieu de la nuit? Je ne le sais pas. Il est 2h15. Pas 14h15, ne vous y trompez pas, c’est bel et bien la nuit, dans toute sa splendeur. Car oui, la nuit est splendide. Toujours est-il que me voici réveillé. Dehors, c’est le silence, un silence rare en ce pays grouillant de vie et la vie, eh bien c’est rarement silencieux, n’est-ce pas… En fait, c’est à se demander si ce n’est pas ce silence qui m’a fait remonter à la surface de ma conscience, lac tranquille que rien n’agite. Tout à coup, un coq, loin, s’époumone et s’égosille. Sans écho. Personne, pas même ses stupides congénères, ne lui répond. Le silence se refait, absorbant ces petites perturbations comme si de rien n’était. Quelques grillons se frottent les ailes, et leur chant se mêle à mes acouphènes dans une harmonie qui n’est pas déplaisante. C’est le silence, mais pas absolu. Un silence qui n’est pas une absence, mais bien une présence négative, qui pourrait être oppressante si elle n’était pas si familière, mais qui, en l’occurrence, se révèle apaisante et propice à l’éclosion des pensées. Et non, je ne parle pas des fleurs. Mais je suis sûr que vous avez, vous aussi, à un moment ou à un autre, ouvert les yeux sur la nuit noire et laissé les pensées dériver dans le silence sans autre intention que de les regarder aller, ces pensées, et les voir se ramifier, se dédoubler, se complexifier, puis s’estomper au profit de celles qui viennent de naître. Fascinant... Les synapses s’excitent et le dormeur n’en est plus un…

Personnellement, j’avoue que j’aime bien ces épisodes d’activité cérébrale nocturne. J’aimerais seulement qu’ils soient plus courts. Or, il semble que le cycle du sommeil nous y reconvie à toutes les deux heures environ, de sorte qu’une fois éveillé, il faudra attendre que cette période soit passée avant de sentir à nouveau l’invitation de Morphée. Et si on manque le bateau, eh bien le prochain est deux heures plus tard, soit à l’heure du lever. Insomnie dites-vous? Si l’on veut. Mais qui n’a rien d’obsédant ni d’angoissant. En fait, ce peut même être assez agréable.

Me voici donc bien éveillé et pas mécontent de l’être dans ce silence rare en cet environnement urbain. Car ne l’oubliez pas, les amis : nous vivons en ville et bien que notre cour se donne des airs de campagne, les bruits de la ville, auxquels s’ajoutent ceux du monde rural, sont constants et composent une espèce de toile de fond sonore qui, au fil du temps, nous devient familière et rassurante. Le silence ici étonne. À plus forte raison lorsque le courant est coupé…! Et tout à coup, le son d’un tambour le brise et voilà que des voix s’élèvent dans une mélopée triste et insistante : quelque part, une cérémonie vaudou a lieu. Le silence n’est plus, certes, mais ces sons emplissent l’air nocturne d’une beauté sauvage et vaguement métaphysique. J’écoute, toujours fasciné par ces chants simples et gratuits qui, loin de couper le fil de mes pensées en font surgir d’autres qui m’emportent sur d’autres fleuves.

Je regarde l’heure : il est maintenant 4h30. J’ai manqué le train de 4h15 qui aurait pu me reconduire au sommeil, mais je n’en ai cure : la nuit est belle et vaut la peine qu’on s’y arrête. Les chants se sont tus, les tambours aussi. Les coqs se mettent en voix, comme s’ils savaient, malgré la grande noirceur, que le jour n’est pas loin. Une voiture passe. Puis une autre. La vie diurne s’amorce timidement avant de prendre sa folle vitesse de croisière. Mango brait. Des chiens aboient comme pour dire au jour de se hâter. Mais il est déjà là, le jour, et malgré sa faible lumière, il écrase la nuit sans merci et l’enterre sous son exubérance. À côté de moi, ma compagne s’étire paresseusement et, toujours engourdie, me demande comment fut ma nuit.

« Excellente », lui dis-je.