samedi 30 juin 2012

L'approche problème


Je vous ai souvent dit que le gros de notre travail consistait à gérer les problèmes. Soit de façon purement réactive (le problème se présente, on y fait face et on lui cherche une éventuelle solution), soit de façon proactive — on anticipe le problème et on envisage quelques solutions possibles. Mais celui qui nous est tombé dessus lundi dernier n’était pas vraiment prévisible et il a donc fallu s’y ajuster tant bien que mal.

Rassurez-vous, il ne s’agit nullement d’un problème crucial : tout simplement, l’un de nos compteurs électriques a surchargé, le feu a pris dans la ligne et nous avons subi une brève mais hautement dommageable surcharge. Tout de même, nous avons été chanceux dans notre malchance. Quelques appareils électriques (notre micro-ondes, un refroidisseur d’eau, une télévision…) en sont morts, mais rien de majeur et quelques heures plus tard, tout était revenu à la normale, ou presque.

Presque, parce que le routeur de notre système Internet n’a pas apprécié la surcharge et, bien que semblant toujours fonctionnel, visuellement (les 'tites lumières clignotaient toujours normalement), refusait systématiquement de nous connecter à la Toile. C’était ça, mon problème. Mais avant que je mette le doigt dessus, j’ai passé quelque temps à me remuer les méninges… Cependant, comme, en bon gestionnaire proactif, j’avais un routeur de rechange, une fois le problème circonscrit, le résoudre fut affaire de pas grand-chose : quelques paramètres à redéfinir et le tour fut joué. Sauf que…

Sauf que l’autre bidule que nous utilisons beaucoup ici, c’est un point d’accès sans fil (Wireless Access Point pour les bilingues) dont l’adresse IP se confond avec celle du nouveau routeur, entraînant de ce fait un conflit d’adresse dont le routeur est sorti vainqueur. Bref et si vous me suivez toujours, régler un problème en a engendré un autre, pas dramatique ici non plus, mais pas moins agaçant pour autant. Mais n’écoutant que mon courage et mon opiniâtreté, je me jetai dans les eaux troubles de la configuration réseautique et, en quelques heures, trouvai la solution. Et si vous croyez que le problème n’est pas digne de mention, c’est que vous ne vous y êtes pas frottés, car l’exercice demande patience et, je le redis, obstination. Mais il se résout et pour moi comme pour tous nos usagers de l’Internet ici, seul cette conclusion compte.

Il n’empêche que cet exemple vous illustre bien ce que je vous ai déjà mentionné, à savoir que «Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois». Je ne connais pas grand-chose en informatique, encore moins en systèmes et en réseaux, mais faute d’avoir sous la main un spécialiste, j’en mets le couvre-chef, quelquefois avec succès, souvent pour rien, mais sans jamais craindre de me buter sur le mur de ma propre incompétence. Car il faut toujours s’essayer avant de s’avouer vaincu, c'est ce que ma mère me répétait tout le temps...

Il reste que le problème électrique à la source de mes petits problèmes informatiques n’est toujours pas résolu, lui, et même si on se promet bien de lui apporter une solution plus fiable et plus permanente, ce n’est pas encore fait. Pour plusieurs raisons, dont l’impossibilité de trouver la pièce d’équipement — un coupe-circuit, si vous voulez tout savoir — dont nous avons besoin pour nous assurer un minimum de protection contre la surcharge. Mais nous sommes sur la bonne voie… En fait, je pense que nous sommes forcément sur la bonne voie pour la simple raison que je n’en connais pas d’autre…


mercredi 27 juin 2012

Démolir pour mieux construire?


Je suis toujours intéressé de lire ce que la presse internationale raconte au sujet d’Haïti et de ses problèmes que l’on sait chroniques. Et en lisant cet entrefilet hier, je me suis dit qu’un rectificatif s’imposait, ou à tout le moins quelques précisions pour étoffer un tant soit peu le sujet.

En gros, c’est que l’article semble dire que le gouvernement, sans cœur, chasse les pauvres gens et démolit leur maison, sans souci de les reloger. Cela n’est pas entièrement faux, mais c'est loin d'être vrai. Car il faut comprendre que nombre de gens se sont installés un peu partout et, comme tout bon squatter, refusent maintenant de quitter ces lieux qu’ils prétendent leurs. Or, ce que l’histoire ne dit pas c’est ce flan de montagne (morne l'Hôpital, c'est comme ça qu'elle s'appelle) est totalement impropre à la construction, surtout en raison de son sol meuble et sujet à des érosions majeures en temps de pluie, lequel a déjà fait de nombreuses victimes. En outre, le ministère de l’Environnement, lequel est chargé de ce dossier, offre aux résidents actuels des compensations qui n’ont rien à voir avec ce que l’article annonce, lorsqu’on parle de $500 US, car selon Le Nouvelliste, les sommes proposées atteindraient jusqu’à 125,000 G pour les propriétaires, soit un peu plus de $3,000 au taux de change actuel. En plus, on donne aussi le terrain aux expropriés afin qu’ils puissent se reconstruire sans avoir à faire ce déboursé. Évidemment, vous me direz que pour une relocalisation, c’est peu. Je suis d’accord. Mais c’est quand même mieux que rien dans les circonstances. Sauf que les gens concernés voient l’offre gouvernementale comme une belle occasion de faire un joli petit profit et demandent rien de moins que le million de gourdes, soit environ $25,000 pour déménager. Même à distance, vous voyez se poindre le dialogue de sourds… Le ministère affirme qu’il ne peut absolument pas offrir cette somme, et pour ma part, je le crois sur parole. Mais les gens concernés ne l’entendent pas de cette oreille et refusent de bouger moyennant l’octroi de ladite somme. Et, entretemps, pour montrer qu’ils sont sérieux, ils manifestent en bloquant les rues du secteur et en faisant chier (oups! langage irrévérencieux!) le reste des gens qui, si j’en crois ce que j’en grappille, ne sont pas très sympathiques à leur cause qu’on juge un peu trop opportuniste.

Si je vous dis tout ça, ce n’est pas juste pour vous parler des misères du peuple haïtien, mais aussi pour faire un parallèle avec une situation que vous connaissez très bien, gens du Québec. Certes, vous me direz que «au Québec, c’est pas pareil.» Je ne dis pas que ce l’est. Mais remarquez que la mentalité du «après moi le déluge» transparaît bien dans les deux cas et c’est précisément là que le bât blesse… Je n’ai pas besoin, je pense, d’en dire plus…

Quoi qu’il en soit, la reconstruction du pays, puisque c’est ce dont je parle aujourd’hui, se heurte à bien des obstacles, dont l’argent qui n’est jamais suffisant, la main-d’œuvre qui n’est jamais assez compétente, l’équipement qui n’est jamais disponible ou en bon état de marche, sans oublier la bureaucratie, les revendications territoriales impossibles à trancher et l’avidité de certains. Bref, 400,000 personnes vivant encore dans des conditions précaires deux ans et demi après le séisme peut sembler énorme, mais en regard des obstacles à surmonter, je trouve la performance plus qu’honorable. Et ça se poursuit jour après jour…

Somme toute et quoi qu’on en dise, je trouve pour ma part que le pays s’améliore. Certes, il reste encore beaucoup à faire pour arriver quelque part, mais les voiles administratives sont visiblement gonflées par une bonne brise qui pousse le navire haïtien vers des terres plus sereines. Reste à espérer que la brise ne va se transformer en ouragan de force 5, comme il arrive si souvent sous ces latitudes…

dimanche 24 juin 2012

La Fête nationale


Aujourd’hui, c’est jour de fête au Québec. Pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de la Fête nationale, que l’on appelait jadis la Saint-Jean-Baptiste et qui se soulignait, entre autres, par une parade de chars allégoriques dont le point culminant était le petit Saint-Jean-Baptiste, personnifié par un enfant local qui avait là son heure de gloire. Je n’ai jamais été choisi pour ce rôle. Mon ami Jocelyn qui était naturellement frisé comme un mouton, oui. J’en fus presque jaloux, mais voyant comme les autres ridiculisaient cet honneur, comment ils le piétinaient sous leurs sarcasmes, ce fut juste « presque ». Puis les années passèrent, les chars allégoriques disparurent et le petit Saint-Jean-Baptiste aussi, par le fait même. Et la fête devint peu à peu nocturne et même, avant l’heure, un peu comme la messe de minuit à 22 h… Il n’en fallait pas plus pour que j’en décroche complètement…

Aujourd’hui, je regarde ça de loin. Un peu comme tout le monde, je souhaitais que l’ambiance de la fête, cette année, ne soit pas ternie par une couleur qui ne lui va guère et par des partisans qui en auraient oublié la nature même : une fête nationale, tout simplement. Heureusement, d’après ce que j’en lis, les choses se sont relativement bien passées jusqu'à présent. Mais c’est en lisant Nathalie Petrowski que j’ai eu l’idée de partager avec vous mes commentaires. Car elle touche à un point que je trouve intéressant : le slogan. Le Québec en nous. Ça se veut rassembleur, ça se veut poignant, ça se veut identitaire, ça se veut émotif. Mais tout comme madame Petrowski, je me demande à quel point le slogan accomplit cela. Non pas que j’aie, comme elle, un doute quant à l’endroit où ce Québec est supposé logé, quand il est «en nous» : il faut que ce soit viscéral et rien d’autre. Ce n’est pas même pas une question de cœur : trop fragile, le cœur; c’est une question de tripes, du «fond», du «hara». Mais comme elle, je me demande à quoi ça peut ressembler chez un Québécois qui vit au Québec depuis toujours et qui, chaque jour, en vit les platitudes quotidiennes. Et je vous dis cela, parce que tout comme Adam Cohen dont madame Petrowski dit grand bien, nous vivons, ma compagne et moi, à l’étranger et, à défaut d’habiter le Québec, le Québec nous habite, tous les Haïtiens qui nous connaissent vous le confirmeront. En fait, oui, nous sommes des ambassadeurs du Québec. Ce sont de petites choses : la langue d’abord, que les Haïtiens ont passablement de difficulté à comprendre lorsque nous la parlons naturellement, sans compromis linguistique; puis la nourriture, ou plus justement, la façon de faire à manger; la musique que nous écoutons, qui n’est pas que québécoise, beaucoup s’en faut, mais qui s’articule beaucoup autour d’Espace-musique de Radio-Canada que nous captons grâce à Internet; la culture de l’hiver — que je n’ai toujours pas réussi à expliquer à mes Haïtiens — et surtout, ce fond latin que tous alentour ont goûté à des degrés divers et qui leur dit, mieux que n’importe quelle démonstration, que nous ne sommes pas Américains, ni Français, ni Allemands ni quoi que ce soit d’autre. Québécois pure laine, voilà ce que nous sommes. Pourtant, je le dis innocemment au risque de me faire lancer quelques tomates, je ne retire de ce fait aucune fierté. Pourquoi cela serait-il? Je suis né au Québec, en ai appris les mœurs et les coutumes en les vivant, me suis intégré au fur et à mesure de mon développement personnel et social et me trouve aujourd’hui vraiment chanceux d’y être né. Privilégié même. Mais c’est le fruit du hasard. Et aujourd’hui, à des milliers de kilomètres de ce milieu qui m’a vu naître, je ne suis qu’un expatrié, un mot qui dit bien ce qu’il dit: hors de sa patrie. Mais qui sait aujourd'hui ce qu'est la patrie? Question épineuse à laquelle je me garderai bien de répondre ici...

Le Québec en nous? Pour ma compagne et moi, il est là, c’est indéniable. Mais en bout de ligne et comme dirait cet autre que vous, lectrices et lecteurs québécois, connaissez fort bien : «Qu’ossa donne?»

Et sur ce, allez bonne fête et que la musique vous rassemble, à défaut de vous ressembler!

mercredi 20 juin 2012

Le sauvetage du poussin



Faut que je vous raconte cette histoire. Parce qu’elle est légère, qu’elle finit bien et qu’elle a fait de moi un héros aux yeux de ma chère compagne, ce qui n'arrive pas tous les jours, quand même...

La scène se passe hier mardi, entre 5 et 6 heures du soir. Selon notre habitude, nous sommes devant la télé à cette heure et habituellement, le niveau sonore de l’appareil enterre tous les autres sons. Mais en allant à la cuisine nous chercher un verre de vin, ma compagne m’apprend qu’un poussin piaille sans relâche, comme s’il avait perdu sa mère. «Il a l'air en détresse», m’apprend-elle, chagrinée du fait. Je m’approche et ne peux que constater qu’elle a tout à fait raison : le poussin piaille son isolement et sa mère n’est pas visible dans le coin, d’où sa détresse bien réelle et totale. Les poules ne pensent pas, du moins je ne le crois pas, mais l’instinct suffit à faire comprendre au poussin que sa survie, déjà pas évidente sous la protection de sa mère, est passablement menacée, voire critique : les chats, les chiens, les mangoustes voire les oiseaux de proie n’en feront qu’une bouchée aussitôt qu’ils l’auront repéré, ce qui ne saurait tarder au boucan qu’il fait. Car il en braille un coup le petit, à gésier déployé, pourrait-on dire. Que faire?

Je sors. M’approche de la bête… et découvre sa mère, la poule, juste de l’autre côté de la clôture, infranchissable obstacle pour le poussin. Tout s’explique, ou presque. La mère et le reste de sa marmaille ont passé la barrière, laissant celui-là derrière (les poules ne savent pas compter). Or, sans la mère pour le guider, il ne peut rejoindre les siens qu’il sent pourtant juste à côté. Et la mère de son côté, ne peut abandonner le reste de sa troupe pour sauver l'esseulé. Vous voyez le tableau. Je le vois aussi. N’écoutant que ma compassion naturelle, je feinte à droite, à gauche et finis par attraper le poussin, sous le regard courroucé de la mère qui ne se prive pas de m’en caqueter tout un chapitre. Sûrement croit-elle que, comme tout bon prédateur qui se respecte, je vais engloutir son poussin sans même déglutir. Or, je le lance doucement à travers les barreaux de la clôture pratiquement sur le dos de sa mère. Fin des piaillements, fin des caquètements, la famille est à nouveau réunie, tout le monde est content et le preux chevalier peut ranger sa rapière et retirer son armure. En tout cas, c’est l’accueil que m’a fait ma dulcinée lorsque je suis rentré de cette périlleuse mission. Émue, elle m’a tendu mon verre de vin et m’a félicité pour ce geste magnanime, que Schweitzer lui-même n’aurait certainement pas désavoué. Car ne minimisons pas les choses, les amis : à n’en point douter, le poussin me doit la vie. Je l’ai sauvé. Pas au péril de la mienne, je l'admets, mais bon, l’effet en reste le même pour le poussin, vous en conviendrez.

Ce qui me ramène à ce dont je vous parlais hier, à savoir le rapport entre un investissement énergétique et son résultat. Or, dans ce cas, je puis vous dire que l’opération fut des plus rentables, car un investissement d’environ 0,3% a produit un résultat de 99,7%, je dirais. Imaginez : pour le poussin, gain majeur, puisqu’il a été sauvé d’une mort quasi-certaine; pour la poule, gain majeur aussi puisqu’elle retrouve son poussin et que les choses reviennent dans l’ordre. Pour ma compagne, c’est le happy ending idéal où la mère et son rejeton tombent dans les bras l’un de l’autre (ici dans les plumes); enfin pour moi, c’est la fin du piaillement qui commençait à m’agacer vraiment, là… Somme toute, une bataille qu’il valait la peine de livrer, car tout le monde en sort gagnant!

Là-dessus vous m’excuserez, mais je dois aller polir mon armure…

mardi 19 juin 2012

Un pays pas facile


Pas de quoi pavoiser, mais pas de quoi en faire un drame non plus : Haïti se classe 7e sur quelque 59 pays «en faillite», ce qui ne surprendra personne, personne en tout cas qui connaît un tant soit peu ce pays. Mais une fois de plus, les chiffres parlent : comment en effet pourrait-on prétendre que tout marche sur des roulettes dans un pays où le taux de natalité est tout de même significativement élevé (27 pour 1000 habitants, comparativement à 14 aux USA)? Ajoutez à cela un PIB de $67 par habitant pour une population de 9,9 millions d'habitants dont l'espérance de vie est de 62 ans et vous admettrez que ce n'est pas facile, pas facile du tout… En comparaison, le PIB des USA est de $47,153 pour une population de 309,3 millions d'habitants dont l'espérance de vie est de 78 ans. Je n’ai pas les chiffres du Québec sous la main, mais j’assume qu’ils sont plus près de ceux des États-Unis que de ceux d’Haïti…

Non, je ne veux rien sous-entendre. Surtout pas que le Québec n’a pas à se plaindre en raison de ses bonnes conditions de vie. Il est vrai, comme le faisait remarquer un noble personnage aux idées claires et tranchées, qu’on n’a pas besoin de vivre en Syrie ou en Haïti pour trouver matière à se plaindre, car le motif peut en être différent. Tout de même et en ce qui me concerne, j’ai toujours un peu de misère à accepter que l’on se plaigne le ventre plein, quand tant de gens l’ont vide, au point où ils n’ont plus l’énergie pour se plaindre. Mais encore une fois, là n’est pas la question. Lorsque les conditions de vie se dégradent, l’on peut et l’on doit s’en plaindre, pas dans le but de chialer sur son sort, mais pour voir s’il n’est pas possible de changer ce qui mérite de l’être. D'ailleurs, si vous vous souvenez, j’ai déjà mentionné cette nuance dans la critique que certains appellent 80/20, c’est-à-dire 80% d’efforts pour un résultat de 20%. Ce n’est pas rentable. Mieux vaut choisir ses batailles. En fait et pour tout vous dire, c’est le genre de discussion que j’ai régulièrement avec ma chère compagne qui s’échine souvent à vouloir régler des problèmes qui mangent son énergie et qui, même résolus, ne font pas grande différence en bout de ligne. Or, dans un milieu de travail où, comme le nôtre, il y a beaucoup à faire, il devient important de choisir ses projets et de mesurer l’énergie qu’ils nécessiteront pour leur accomplissement au regard des résultats qu’ils entraîneront. Je ne veux pas dire que le statu quo soit préférable en tout temps, mais il faut prendre le temps d’évaluer un peu l’impact des efforts investis avant de se lancer dans de grands changements.

Mais j’en reviens au pays : il y a quelques années, les choses s’amélioraient en terre haïtienne et nous étions en mesure d’en apprécier les effets positifs : communications, routes, salubrité… tout marchait (un peu) mieux. Et les chiffres le confirment : en 2009, Haïti était au 12e rang de ces «états en faillite»; il est demeuré au 11e rang en 2010, année du tremblement de terre, car ce n’est que l’année suivante que l’impact du séisme a pu s’observer; on passe alors au 5e rang, pour finir cette année en 7e position, ce qui n’est rien pour se pavaner, je le redis… Parmi les critères retenus, on note la pression démographique, la perte de légitimité de l'État, l'insécurité, la précarité des services publics, le déclin économique, les conflits au sein des élites, le niveau de l'assistance externe… et là, vous savez déjà intuitivement que c’est pour tout cela que Haïti se démarque des pays industrialisés ayant un niveau de vie confortable : ici, rien, mais vraiment RIEN n’est facile…

Mais qu’à cela ne tienne : les gens savent ici faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils savent accepter ce qu’ils ne peuvent changer, sans pour autant avoir peur de se retrousser les manches (figure de style, bien entendu, car qui porte des manches longues dans ce pays, je vous le demande) et de mettre la main à la pâte.

Bien malheureusement, ce n’est pas toujours suffisant. En fait, ce l’est rarement…

mercredi 13 juin 2012

Des goûts et des couleurs...


Je n’en ai pas encore fini avec ma (modeste) montée de lait de dimanche dernier. Les commentaires reçus — et j’ajouterai : ceux non reçus encore plus — me disent à quel point je touche ici un sujet délicat. Car on parle ici d’idées et tout le monde veut bien avoir la sienne. Notons d’emblée que l’affaire des couleurs amène le débat encore plus près d’un match de boxe ou de tennis. D’un côté, les rouges, de l’autre, les verts : entre les deux, aucune nuance. Aucune demi-teinte qui, comme dans un arc-en-ciel, fondrait ces couleurs éclatantes en un pastel reposant. Non. Les rouges tirent à boulets… rouges (!) sur tout ce qui s’appelle autorité tandis que les verts… se mettent au vert, tiens… en attendant que les rouges s’essoufflent. Notons encore que si les verts sont, dans un autre contexte, associés à l’écologie et aux ressources renouvelables, les rouges rappellent les communistes, ces incarnations du diable...! Enfin et sans vouloir aller trop loin dans cette exploration de la symbolique des couleurs, le rouge, c’est la colère, la violence, le danger, le sang, tandis que le vert, c’est l’harmonie et la quiétude. Or, si je ne m'abuse, c'est le rouge qui a été initialement choisi : le vert n'en a été que la réponse. Dès lors, vider ce rouge de sa connotation violente et radicale me paraît illogique et un peu hypocrite. Par ailleurs, on comprendra que cette opposition des couleurs n’aide en aucune façon à établir un climat propre à la conciliation : les rouges ne peuvent reverdir et les verts sont loin de rougir de leur état, même s’ils en ont leur claque des crises écarlates. En d’autres termes, la rougeole n’est pas contagieuse ici… Enfin, pas vraiment…

Mais ce match use. La perspective se bouche et on se demande où cette petite guerre des nerfs aboutira. La chute du gouvernement? Peut-être. Peut-être pas non plus. Et dans ce dernier cas, que feront les rouges? Une crise d’apoplexie? Par ailleurs, en admettant que le gouvernement actuel chute, est-ce à dire qu’il sera remplacé par un gouvernement qui abolira toutes les iniquités sociales, qui distribuera l’argent comme des cartes à jouer et qui donnera à tous et à toutes du pain et des jeux? Est-ce vraiment ce que l’on croit? Est-ce l'idée qui meut et émeut les rouges? Est-ce vraiment une option plausible? Je vous laisse en décider.

Et l’idéologie là-dedans? Eh bien quoi qu’en disent certains ardents défenseurs de la position rouge, elle me semble bien cabotine, l’idéologie. Car le thème simple qui revient continuellement, c'est le désordre. On tape sur des casseroles, on chahute, on défie la police «pleine de pisse», on fait son petit anarchiste, son petit révolté, tout ça dans une ambiance qu'on veut légère et expressive, voire festive (ne me dites pas que ces seins nus ou le tintamarre des casseroles ne vous font pas sourire...) Cela m'a d'ailleurs rappelé les paroles de cette délicieuse chanson de Charlebois, le Révolté, qui date de 1973 et dont le texte est signé Réjean Ducharme. Je vous donne ici le dernier quatrain en raison de son actualité:
On me demande qui je suis,
Pourquoi je suis si révolté
En résumé, eh bien, voici
Je veux refaire la société
Peace and love
L.S.D.
Hurray, Hurray
Hippie, hippie, pourra
Certes les hippies ont disparu, mais pour le reste, qui n'a pas rêvé, à un moment ou à un autre de sa jeunesse, de refaire la société, d'en bannir les iniquités et de la rendre plus humaine? C'est pour cela qu'on ne peut condamner les jeunes et tous ceux, toutes celles qui les soutiennent : leur idéal est sain. Mais il y a une limite. Je ne dis pas que je sais où elle se trouve, mais il y a une limite, temporelle, spatiale, économique et philosophique et je pense qu'il serait bien que ceux qui voient la vie en rouge le sachent. Mourir pour des idées, c'est noble, vu comme ça, mais comme le chante si bien Brassens, y'a pas d'urgence en la demeure...
Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente.
Voilà pour mon grain de sel. Je n'y reviendrai plus, c'est promis. Je me contenterai désormais d'attendre que le temps fasse son œuvre et que la poussière retombe. En passant, voyez sur la photo comme le rouge et le vert se marient bien...

dimanche 10 juin 2012

Droit de parole


J’ai l’impression que quelque chose de grave est en train de se produire au Québec. Et non, ce n’est pas la révolution marxiste-léniniste à laquelle plusieurs jeunes se réfèrent sans trop savoir ce qu’elle implique : c’est plus sournois et plus dangereux que ça. Car je parle ici de la liberté d’expression et j’ai comme l’impression qu’elle en prend un coup, ces temps-ci. Voyez le titre de l’article de Michelle Ouimet : le dérapage verbal. En référence aux propos de Jacques Villeneuve qui a eu le front de dire ce qu’il pensait des étudiants. L'affront, devrais-je dire. Car s’il avait encensé le comportement de ces mêmes étudiants, il n’y aurait pas eu de dérapage, c’est bien ça? En d’autres termes, le seul discours qui tienne est celui qui va dans le sens même de la contestation étudiante, tous les autres étant des discours fascistes, capitalistes, bourgeois, phallocrates et quoi d’autre encore…! Eh bien moi je vous dis : c’est grave.

«Se taire ou pouvoir dire ce que l'on pense bien que ce soit contraire à la majorité bien pensante. C'est aussi ça la démocratie», dit Danielle Lavoie, une amie d’une amie facebook qui, je l'assume, me permettra de citer son commentaire, tout comme mon cousin Gilbert qui écrit : «C'est ça le problème, la majorité silencieuse est muselée. On a beau crier haut et fort ''démocratie'' mais quand on est même pas foutu de respecter les opinions divergentes...!» Or, c’est là tout le problème, c'est bien vrai : les tenants des casseroles pourfendent ceux ou celles qui ne sont pas du bord des étudiants, les écrasent sous des commentaires méprisants et leur disent en termes non équivoques de la fermer. Museler. Le mot dit bien ce qu’il dit : attacher le museau pour empêcher les chiens de japper ou de mordre. C’est là qu’on en est rendu avec cette sordide affaire de contestation étudiante… Vous ne trouvez pas ça grave, vous autres? Eh bien moi oui. Même Foglia ne sait plus trop comment s’en sortir, lui qui n’a jamais fait un secret de ses allégeances idéologiques et qui ne s’est jamais privé de les exposer avec toutes les couleurs de sa riche palette langagière. Mais là, il en a sa claque du mépris. Je le cite, de sa dernière chronique : «Pourquoi je vous raconte tout ça? Parce que vous commencez à me faire chier. Oui, vous, ami lecteur. Vous qui, ces jours-ci, m'écrivez des horreurs. Depuis mon premier jour à La Presse, il s'est trouvé des joyeux tôtons pour me demander si je n'avais pas honte de travailler pour Power Corp. Mais depuis trois semaines, depuis cette vidéo mise en ligne par Anonymous, vous êtes déchaînés.» Eh bien moi, j’abonde dans le même sens. Alors que les opinions des journalistes sont allées tantôt en faveur des étudiants, tantôt contre, les commentaires sur les blogues des journalistes, sur Facebook ou Twitter sont radicaux et radicalement contre toute opinion qui ne va pas dans le sens de la contestation. Or, comme dans toute décision venant de l’État, on peut être d’accord ou ne pas l’être. Dans un régime totalitaire, si on est contre, on se tait car sinon on se retrouve en prison — ou pire : mort. Mais dans une société démocratique, les opinions diverses ont le droit de s’exprimer librement, n’est-ce pas? Alors dites-moi : d’où vient cette haine envers ceux ou celles qui ne sont pas d'accord avec la contestation étudiante? Et le respect là-dedans, il est où?

J’avoue que je ne comprends pas trop, mais lorsque des gens se trouvent muselés par d’autres, simplement à cause d’une divergence d’opinion, on peut se demander ce qui s’en vient après. Jacques Villeneuve n’est certainement pas une autorité politique ou philosophique; mais il a droit à son opinion d’homme libre et en l’exprimant, il n’oblige personne à la partager. Aurait-il fait mieux de se taire? Pourquoi? Pour quelle(s) raison(s)? Il ne siège pas au gouvernement, n’est pas journaliste, ne fait pas partie de la structure collégiale ou universitaire, bref, n’est pas un rouage important dans cette affaire. Et pourtant, on le descend en flammes. Parce qu’il a dit ce qu’il pensait, tout simplement.

Vous ne trouvez pas ça grave, vous autres? Eh bien moi oui.

mardi 5 juin 2012

Fin de l'interlude


Il y a certains sujets sérieux qui mériteraient mon attention, et la vôtre par le fait même. Mais aujourd’hui est notre dernier jour en sol canadien — canadien, j’insiste, parce que le fait n’a rien à voir avec une quelconque allégeance politique, mais plutôt avec la réalité géographique : demain, nous quittons ces contrées nordiques pour retourner dans notre four tropical — et je veux rester encore un peu dans le léger, le suave, le cabotin, alors les sujets sérieux attendront.

Pour ceux et celles qui suivent nos pérégrinations, vous savez que, il y a tout juste deux semaines, nous débarquions dans ce pays qui nous a vu naître et que nous chérissons toujours, malgré sa froidure qui dure, ses travaux routiers chroniques, ses manifestations qui le sont presque devenues (chroniques, je veux dire), ses scandales qui font (presque) rire, sans oublier ses mouches noires et ses maringouins. Mais retrouver cette forêt boréale qui m’est familière, voir l’écureuil s’évertuer à trouver un moyen d’atteindre les mangeoires des oiseaux (il a réussi à sauter ce matin et pour le récompenser de sa prestation, je l’ai laissé grignoter pendant quelques minutes…), écouter le vent dans les feuilles des trembles et des bouleaux, sentir les effluves des plantes qui tapissent le sol — et que je ne vous nommerai pas par simple ignorance, hormis les pissenlits, bien entendu — et entendre le huard s’exprimer en son lugubre langage, ça les amis, ça n’a pas de prix et c’est irremplaçable. En plus, faut que je vous précise que c’était la pleine lune hier (sans éclipse, mais bon, on ne peut tout de même pas tout avoir, n’est-ce pas? Nous ne sommes pas comme certains qui s’obstinent encore…) et le spectacle de notre bonne vieille lune se reflétant sur le miroir du lac était, ma foi, assez saisissant. Et tout à coup, le huard se manifeste… Pour ceux et celles qui savent de quoi je parle, je suis sûr qu’il vous en passe des frissons. Pour les autres, bien malheureusement, je ne peux vous décrire... Pour ça, faudrait au moins Stephen King…

Somme toute et malgré les incontournables mouches et moustiques ci-dessus mentionnés, notre séjour nous a fait du bien, même s’il fut court. Trop court, entre autres pour voir tous ceux, toutes celles que nous aurions aimé voir; trop court pour entamer des travaux que j’aurais pourtant bien aimé entreprendre; trop court pour vraiment décrocher. Mais ce n’est que partie remise. Car nous reviendrons, si Bondye vle, comme on dit couramment dans cet autre pays qui nous a adoptés, nous reviendrons, et dans pas trop longtemps à part ça… Ne vous en faites pas, je vous dirai tout au moment opportun.

Pour l’instant, confortablement installés dans notre luxueuse chambre d’hôtel à siroter un petit verre de vin, je me dis qu’il en est des pires, des moins chanceux, des plus à plaindre. Car pour nous, comme pour plusieurs que je connais, se plaindre quand on a le ventre plein devient carrément indécent. Mais tout est question de perspective, je l’ai dit déjà, mais bon, il peut être utile de le répéter…

Fin de l’interlude boréal, donc, et retour vers la chaleur humide d’Haïti, que nous connaissons mais qui n’en devient pas plaisante pour autant… Ce n’est pas comme les gens qui sont là-bas et que nous aurons grand plaisir à revoir…

vendredi 1 juin 2012

Interlude boréal


Mai s’en est allé; vive juin. Sous nos latitudes tropicales habituelles, c’est la chaleur qui commence. Mais au pays du frette, c’est à peine un soupir d’été, suivi d’un rappel de la saison froide qui semble ne pas vouloir céder sa place, acquise de longue date. En deux mots comme en mille, on se les gèle et je parle des oreilles, bien sûr. Température extérieure ce matin : 5° C. Rien pour nous rappeler les tropiques… Mais les oiseaux semblent s’en balancer comme de leur première graine de tournesol, et s’en empiffrent goulûment — je parle des graines de tournesol, vous l’avez compris — sans s’en plaindre. Roselins, mésanges, sitelles, geais, chardonnerets… sont tous au rendez-vous, se côtoient sans heurts, chacun attendant son tour pour accéder à un perchoir. Seuls les colibris, ces petits Napoléon, gèrent l’espace alors même que leur pitance — de l’eau sucrée — est sans rapport. Mais ceux-là ne tolèrent pas grand-chose dans leur environnement immédiat et n’ont peur de rien ni de personne, leur vitesse et leur agilité leur permettant de narguer n’importe quoi, y compris les écureuils…

Nourrir les oiseaux, les regarder piailler à qui mieux mieux, de temps en temps, en voir se frapper dans la fenêtre et s’assommer proprement, quand il n’en meurt pas, voilà un passe-temps propre aux vacances en milieu forestier. Le reste peut attendre.

Les moustiques, par exemple. Ils sont là, présentement. Et pas rien qu’un peu. Sauf qu’ici, leur saison étant limitée, ils mettent les bouchées doubles, si l’on peut dire, et comme ce sont nous qui font office de nourriture, eh bien disons que la guerre est déclarée. L’ami des bêtes (que je suis) n’inclut pas les moustiques et je sais que Schweitzer lui-même, chaud partisan de la «Révérence pour la vie» n’hésitait pas à les écrabouiller lorsqu’ils passaient à sa portée. Donc, rassuré par la position du grand homme, je me sens tout à fait à l’aise de les tuer sans remords. Certes, vous me direz que Schweitzer composait avec des moustiques porteurs de malaria alors que par ici, ils sont complètement inoffensifs, mais leur piqûre est déplaisante au point où ils en méritent la mort. Voilà, c’est dit.

Ceci m’amène à une petite différence que je partage avec vous. Simplement dit, j’ai l’impression que les moustiques nordiques ne sont qu’un maillon moins évolué de la chaîne des moustiques, les plus réussis étant ceux que l’on rencontre en Haïti ou sous les tropiques en général. Je m’explique : (1) les moustiques tropicaux sont très rapides, très difficiles à tuer, capables d’esquiver la main meurtrière sans suer; ceux d’ici sont lents et patauds, faciles à atteindre et du coup, faciles à tuer. Pensez-y : j'en ai même tué un d'un coup de tête latéral... (2) Les moustiques tropicaux sont silencieux ou presque, au point où ils peuvent piquer sans qu’on les sente venir; les moustiques nordiques sont au contraire très bruyants, au point où la présence d’un seul dans une chambre fermée suffit à empêcher le sommeil, ce qui signifie souvent la mort de l’intrus, ne serait-ce que pour le faire taire. (3) La piqûre des moustiques tropicaux est indolore — celle des anophèles, entre autres —, ce qui leur permet de piquer à répétition sans éveiller leur victime; nos maringouins piquent sans délicatesse, de sorte que l’instant où ils piquent est souvent l’instant où ils meurent d’une bonne claque bien appliquée. Dans le meilleur des cas, ils éveillent le dormeur et les autres perdent leur chance de piquer sans se faire repérer. Conclusion : les chances de survie des moustiques tropicaux me paraissent bien meilleures que celles de leurs cousins nordiques. Les mouches noires sont une tout autre affaire, cependant…

Mais petites bêtes ou non, rien ne peut nous empêcher de goûter le silence de notre forêt boréale et de profiter de la sérénité qui accompagne ces lieux

Ah! oui, j'oubliais de vous dire : ceci est mon 300e texte. Je vous dis juste comme ça au cas où vous n'auriez rien à lire ce soir...