Aucun message portant le libellé vieux. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé vieux. Afficher tous les messages
mardi 22 février 2011
Le cumul des ans
Aujourd'hui est mon anniversaire. Aujourd'hui, je vieillis. Aujourd'hui???
Vieillir est un processus. Dit comme ça, ça peut paraître banal, mais pensez-y deux minutes et vous allez comprendre. On ne devrait pas utiliser ce verbe au présent. «Je vieillis» ne reflète jamais la réalité, car c'est trop court. Plusieurs verbes du deuxième groupe (vous vous souvenez : qui se conjuguent sur le modèle finir et font leur participe présent en -issant) indiquent un devenir plus ou moins instantané. Ainsi, lorsqu'on pâlit, blêmit, rougit, on devient pâle, blême, rouge sur-le-champ ou à peu près. Mais quand on vieillit, le processus s'étale sur une période de temps beaucoup plus longue, de sorte qu'il me paraît difficile d'utiliser le verbe au présent. La même remarque peut aussi s'appliquer à d'autres verbes, comme grossir, grandir ou maigrir. Certes, on peut dire : «Bon sang de bonsoir, je grossis!» constat qui s'impose lorsqu'on a peine à boucler la ceinture d'un pantalon qu'on n'a pas mis depuis longtemps; mais ce faisant, on indique tout de même que le processus est toujours en cours. Ainsi en est-il de vieillir. Il n'est pas certes pas faux de dire qu'on vieillit, car tout ce qui vit est soumis à ce processus; et lorsqu'arrive l'anniversaire du jour qui nous a vu naître, on sait que l'on a effectivement ajouté un an à cette suite ininterrompue de jours et de nuits. Comme le processus ne s'arrête jamais, dire que l'on vieillit (présent) est sensé.
Sensé, oui, mais non représentatif de la conscience d'avoir vieilli. «J'ai vieilli» au passé implique que j'ai conscience que des changements se sont opérés qui me permettent d'attester le passage des ans. Ces changements peuvent être d'ordre physiques ou psychiques. Physiquement, on sait ce que vieillir entraîne : les rides, l'affaissement musculaire, la bedaine, les cheveux gris, puis blancs (quand il en reste...), la vue et l’ouïe qui baissent et j'en passe. Psychiquement, les changements sont souvent plus subtils mais néanmoins observables. Quoique... Mais passons. Car le vieillissement est un processus aux effets connus, à défaut d'être maîtrisés...
Donc, j'atteste que, au fil des ans, j'ai vieilli et, ce faisant, me suis assagi. Oui, oui, je le dis sans gêne. S'assagir est un autre processus qui prend du temps... On peut ne pas être trop con jeune, mais on ne peut pas être sage pour autant. La sagesse s'acquiert avec la vieillesse, avec l'expérience de la vie et j'entends par là la variété et l'intensité des situations traversées au fil des ans. Comme je le dis souvent, on apprend de nos erreurs, même si l'on bâtit sur nos succès. C'est que les succès sont rassurants : ils sont la confirmation qu'on a fait le bon choix, alors pourquoi changer? C'est incidemment pour cette raison que les tueurs en série finissent par se faire prendre : forts d'un premier succès, ils persistent et signent, au point où leur signature devient connue; ne reste par la suite qu'à les appréhender. L'erreur, en revanche, fait mal. On n'a pas envie de remettre ça. Donc on modifie le comportement qui l'a entraînée, espérant ainsi y échapper. Des fois, ça fonctionne, mais pas toujours : souvent, on ne fait que changer d'erreur, passant de Charybde à Scylla sans rien gagner au change. Mais l'apprentissage ne s'en fait pas moins. Et pour peu qu'on soit honnête avec soi-même, on pourra dire, au moment de se laisser aller au sommeil, qu'on s'endort moins niaiseux qu'on l'était.
Pourquoi je vous dis tout cela? Simplement parce que l'anniversaire est pour moi l'occasion de ressasser le passé, surtout celui de l'année qui finit. L'occasion de voir quelle(s) erreur(s) a/ont été faite(s) et d'en dégager un enseignement quelconque. Mais curieusement -- et bien modestement, je le précise -- il n'y a pas eu d'erreurs au cours de l'année dernière. Je n'en prends pas gloire : ce sont des choses qui arrivent, comme il arrive parfois que les erreurs s'accumulent comme les tempêtes de neige : coup sur coup. Mais bien que l'année qui s'achève ici pour moi ait été fertile en événements -- et je ne parle pas que des suites du tremblement de terre --, elle s'est déroulée à peu près dans l'ordre prévu avec même quelques petits succès à la clé, lesquels nous incitent à poursuivre dans cette voie, CQFD!
Il n'empêche : les années passent et le temps coule comme une rivière, sans s'interrompre mais non sans varier sa vitesse, son débit, sa profondeur, sa turbidité et quoi encore! Et c'est sur cette rivière que nous tentons de rester à flot, sans couler, sans frapper de rocher, sans chavirer, sans s'échouer. Ce n'est pas toujours évident. Mais bon. Pourquoi devrait-ce l'être? Mais le pire, ou le plus drôle, selon votre nature, c'est qu'on ne sait pas où la rivière va ni à quel moment notre voyage se termine...
Dites, c'est pas beau, ça?
jeudi 20 mars 2008
Granmoun
J’ai abordé — brièvement, il est vrai — le thème des enfants. Je pourrais difficilement passer à côté de leur pendant : les vieux.
Dans une culture orale comme celle d’Haïti, les personnes âgées ne peuvent être mises au rancart, car elles connaissent ce qui s’est passé avant. Les vieux sont les gardiens du savoir séculaire, qu’ils transmettent bien volontiers à tous ceux qui veulent bien les écouter. Ce que l’on fait bien volontiers. Une fois, j’écoutais un vieux raconter l’histoire d’un ouragan dont j’ai oublié le nom. Il en mettait sans doute un peu, mais l’essentiel reflétait quand même l’intensité de la catastrophe. Nous étions bien six ou sept à écouter sa narration des événements, et tous étaient captivés. Personne ne doutait de la véracité du récit, car pour la plupart, ce n’était pas la première fois que cette histoire leur était contée et la version s’accordait avec les versions précédentes (me dit-on). Pour moi qui l’entendais pour la première fois, je me disais : quel fabuleux conteur. Son histoire est comme un film qui se déroule sous nos yeux. On voit les maisons entraînées par les coulées de boue; on voit les gens crier, pleurer, s’accrocher à leurs maigres biens; on admet les morts et les disparus. Le drame devient réel et tout le monde reste pendu aux lèvres du granmoun qui raconte avec une émotion bien réelle et bien sentie. Et les jeunes qui composent l’auditoire, loin de se moquer des propos du vieux, les boivent comme du petit lait.
C’est sans doute pour cela que les gens âgés sont respectés : ils portent un savoir qui n’est accessible que par le poids des années. On accepte les vieux, on s’en occupe, on fait des blagues avec eux, on les intègre, bref, ils font partie de la vie. La retraite ici n’existe pas : lorsqu’on devient vieux au point de ralentir, on ralentit, tout simplement, mais on ne s’arrête pas pour autant. Je me souviens une fois d’un directeur qui devait embaucher un responsable. Après plusieurs entrevues, il jeta son dévolu sur un type de 76 ans! Nous étions tous étonnés de la chose, et pourtant, le directeur, le plus sérieusement du monde, maintint qu’il avait vraiment choisi le meilleur candidat. Qu’est-ce que l’âge, dans ce cas? (L’histoire nous prouva par la suite qu’il avait eu tout à fait raison.)
Les granmoun, c’est la sagesse vivante. Pas en raison de leur philosophie élaborée, mais bien par leur vécu, par leur mémoire et leur compréhension des choses de la vie. Un proverbe — un autre — l’exprime fort bien : «Bouch granmoun santi, sa’k ladan se rezon.» (Je n’ai pas besoin de traduire n’est-ce pas?) Au-delà de l’apparente fragilité de la vieillesse, il y a la solidité de l’expérience.
Mais plus important encore, il y a le contentement de vivre une existence simple, sans attente autre que celle d’avoir de quoi se mettre sous la dent et un endroit au sec pour dormir. Que demander de plus?
S'abonner à :
Messages (Atom)