dimanche 6 avril 2014
Le respect de la différence
C’est en écoutant l’autre soir ce film déjà ancien (1992) de Sidney Lumet — pas son meilleur, je vous le dis tout de suite, mais bon, ce n’est pas de cinéma que je veux parler ici — que m’est venue l’idée de ce texte. Car un peu à l’image de Witness (vraiment meilleur dans le genre), le film se passe dans la communauté juive hassidique de New York et les scènes de vie de ces gens marginaux sont bien rendues et sans doute assez fidèles à leurs us et coutumes. D’où, incidemment, l’intérêt de ce genre de film. Or, tout comme dans Witness, le film de Lumet (A Stranger Among Us, si vous voulez le titre) met en situation un étranger (en fait, une étrangère dans le film) qui, par les impératifs du boulot, se retrouve à l’intérieur de cette communauté serrée, cumulant gaffes et impropriétés culturelles pour en faire sortir la différence d’avec le monde courant — normal, diront certains. Car oui, ces gens sont différents. Pensent différemment, s’habillent différemment, mangent différemment, parlent différemment, bref vivent différemment. Et pourtant, ils sont bien loin de leur milieu d’origine. Que demandent-ils à leur pays d’accueil? De se faire respecter, tout simplement. Ils ne sont pas là pour changer le pays, pour faire la révolution ou la conversion des âmes errantes, mais simplement pour vivre leur vie, selon les règles auxquelles ils et elles adhèrent. Le respect. Un respect que, au Québec, certaine charte que je ne nommerai pas entend baliser (lire : restreindre), par crainte que la piscine ne soit plus accessible à toutes les vieilles dames nanties… Vous m’excuserez, mais je trouve la chose aberrante et honteuse.
Oui, cela me fait honte, car pour nous qui vivons en Haïti depuis quinze ans, c’est nous la «minorité ethnique». Blancs dans un pays noir, difficile de passer pour autre chose! Et pourtant, je vous le dis sans détours : en pas moins de quinze ans, jamais nous n’avons senti de xénophobie, encore moins de racisme à notre égard. Dans un pays à culture esclavagiste où les «maîtres» étaient blancs, on pourrait pourtant s’attendre au minimum à un certain froid de la part des Haïtiens, au pire à une haine farouche, mais c’est tout le contraire : on nous respecte et on respecte nos différences. Et je ne parle pas que de ma compagne et de moi : les blancs sont nombreux en Haïti et je mets ma main au feu que personne ne s’y sent victime de racisme ou de mépris social ou culturel : les gens nous acceptent parce que nous sommes des humains, point. Bien sûr, nous faisons de notre mieux pour nous intégrer au pays, mais nous restons toujours blancs, étrangers, nantis dans ce pays noir, homogène et si pauvre. Bref, un pays qui aurait toutes les raisons de ressentir la présence des blancs avec leurs grands airs, leur indélicatesse, leur condescendance ou leur pitié; mais non. En Haïti, le sourire est contagieux et il faut bien dire que le peuple nous en apprend un brin sur ce que doit être l’accueil d’étrangers, même ceux qui viennent pour leurs propres fins personnelles, ce qui est en fait le cas de tous les expatriés. Car sous des dehors parfois bien hypocrites, ceux et celles qui viennent s’installer dans ce pays le font parce que cela leur convient — pas par grandeur d’âme, ne vous y méprenez pas, et j’inclus ici même ceux et celles qui se disent missionnaires. Certains, comme nous, œuvrent (modestement) dans l’humanitaire; d’autres se font grassement payer à titre de consultants ou similaires; d’autres enfin, ouvrent boutiques et s’y font hôteliers ou restaurateurs... Mais tous sont également acceptés pour ce qu’ils sont : des étrangers.
Or, pendant ce temps au Québec, on alimente la xénophobie en voulant faire un débat de société autour du danger de laisser les autres être les autres et exprimer leur différence… Pas étonnant que dans cette foulée rétrograde ait germé le slogan «s’occuper des vraies affaires»…
À quand le retour au «vivre et laisser vivre»?
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