dimanche 28 février 2010

Que d'eau! Que d'eau!

 

Partis. Envolés. Du moins je l'assume, sur la base que si ce n'était pas le cas, j'en aurais évidemment entendu parler... Vous avez compris que je vous parle des gros chefs, dont je vous avais signalé l'arrivée il y a déjà quelque temps. Or, le temps passe... Si bien qu'ils sont venus, ont vu et n'ont pas vaincu grand-chose mais bon, ce n'est pas le but de l'exercice, n'est-ce pas? Non. Car le but de l'exercice est, comme toujours, de faire une brassée de linge sale et le repassage qui s'ensuit. Je vous passe les détails. Après tout, qui a envie d'entendre parler de la lessive du voisin? Mais je dois tout de même vous dire que la présence des Brésiliens et le sort de l'orthopédie à notre petit hôpital a évidemment fait l'objet d'une profonde analyse, comme seuls les gros chefs peuvent en faire une, pas vrai? Les résultats ne sont pas encore connus--comme pour toute analyse profonde, la gestation dure un bon moment avant que la mise à bas s'accomplisse--et on ne peut que souhaiter que ces résultats soient le reflet vrai de l'analyse, mais pour l'instant, on doit se contenter de conjectures. Mais ne vous en faites pas, je vous tiendrai au courant.

Reste que ce fut une semaine exigeante. Et pas évidente. Mais bon, on s'en doutait, n'est-ce pas? Et je vous avais prévenu, alors...

***
Aujourd'hui dimanche, je dois vous dire que le texte ci-dessus a été fait hier samedi, mais je n'ai pas pu terminer à cause de la pluie. Je sais, je sais, ça fait un peu match de tennis ou partie de baseball: remis à cause de la pluie. C'est sans doute de là que vient le populaire "raincheck" américain, incidemment. Eh bien hier, c'en était un raincheck et pas un petit, je vous le jure. Qu'est-ce qu'il a plu! Des cordes! Un ris-d'eau! Au début, on se dit que ce n'est qu'une bonne ondée qui va s'estomper dans l'heure, mais quand ça fait 6-7 heures sans interruption, sans relâche, je vous jure que ça laisse des quantités d'eau au sol plutôt impressionnantes. Non, je n'ai pas de photo récente (notre petite caméra Canon nous a laissé choir), mais celle que je vous joins, prise l'année dernière, vous donne une petite idée. L'eau a envahi partout, l'hôpital, notre maison, les maisons d'un peu tout le monde, bref un enfer liquide, un de plus, comme si on en avait besoin... Car un proverbe haïtien le dit bien: «Kay koule tronpe soley men li pa tronpe lapli.» Des personnes ont même péri au cours du déluge, comme le rapporte cet article. Mais ce que l'article ne dit pas, c'est que l'eau baisse vite--dès que se ferme le robinet céleste, en fait--et aujourd'hui tout est à peu près rentré dans l'ordre. N'empêche que nos pauvres Brésiliens n'ont pas dû avoir la nuit facile, sous leurs tentes... Mais c'est un moindre mal, car ils sont «faits forts» et je pense qu'il faut plus qu'un malheureux petit déluge pour les démoraliser...

Mais je vous disais que la semaine de la visite patronale avait fini par finir et que nous pouvons maintenant à nouveau nous occuper des problèmes courants. Et dire que le mois finit aujourd'hui... Mars demain. Puis Jupiter... On ne peut qu'espérer que les choses vont se tasser un peu. Se sédimenter, en quelque sorte. Car tout le monde est tanné--pas juste vous autres, aimables lecteurs/lectrices--car nous aussi on commence à l'avoir dans le babaorum le tremblement de terre et ses suites. Nous aussi on aspire à un retour à la «normale» pour ce que ça peut signifier dans ce monde complètement chamboulé. Mais nous savons que ce ne sera pas pour tout de suite. Alors aussi bien passer un petit dimanche bien tranquille, qu'en pensez-vous?

lundi 22 février 2010

Jour (un peu) spécial


Je vous ai fait grâce de mes habituelles inepties hier. Non, non, inutile de m'en remercier--le cœur n'y était pas, tout simplement. Ni samedi d'ailleurs, d'où cet étalage de malheur que je vous ai servi. De l'autre côté, il est parfois nécessaire de voir le malheur de près pour apprécier son absence. En tout cas, je ne me lance pas sur ce sujet aujourd'hui. Car aujourd'hui, vous le savez tous et toutes, j'en suis sûr, c'est l'anniversaire de ma naissance.

Eh oui, il y a déjà bien longtemps, je naissais. Pas con encore. C'est-à-dire que je ne con-naissais (au cas où vous ne l'auriez pas pigé du premier coup) pas encore la vie. Une tempête de neige exceptionnelle, racontait maman, avec tellement de neige dans les rues que seuls les traîneaux tirés par des chevaux arrivaient à passer et encore, tout juste, vu que les chevaux, ça ne flotte pas trop sur la neige, hein? Quant à leur mettre des raquettes... Mais tu parles si je m'en foutais moi, de la tempête historique qui m'accueillait... Je débarquais dans un monde étrange et j'avais besoin de tout mon petit change pour ne pas piquer ma crise, tellement c'était effrayant.

Et puis j'ai apprivoisé le monde. J'ai appris à ne plus en avoir peur. Enfin pas trop. Même si je lis un roman de Stephen King comme c'est le cas présentement (Dreamcatcher). Mais que de chemin pas facile pour en arriver là...! Tout de même, après 58 ans sur notre bonne vieille planète (qu'on me permette ici une digression: pourquoi certaines personnes ont-elles un problème à dévoiler leur âge? L'âge qu'on a, ce n'est pas une qualité ni un défaut, que je sache : c'est le jalon que l'on plante annuellement pour savoir où l'on est rendu. L'âge est un fait, pas une performance ni une punition, pas une gloire ni une honte! Que j'aie 58 ans signifie seulement que j'ai vécu pendant 58 années en date d'aujourd'hui : rien de plus! Ça ne me rend pas plus fin (ce serait difficile!...) ni plus fou (carrément impossible), ça ne fait pas de moi une personne différente et ça ne mérite pas vraiment le détour. Donc, pourquoi cette phobie de l'âge??? S'il vous plaît, éclairez-moi! Fin de la digression.), après 58 ans sur notre bonne vieille planète, donc, je ne peux pas me plaindre. La vie n'a pas toujours été facile--ne l'est pas toujours--mais se passe quand même relativement bien. En fait et comme le chante Pierre Bertrand: «Moi j'm'en fous, ma blonde m'aime.» C'est déjà pas mal, vous en conviendrez sûrement. Pour le reste, si vous suivez cette chronique un tant soit peu, vous savez que notre vie haïtienne--cayenne pour être exact--se passe plutôt bien, même en ces temps durs. Bien entendu, nul ne sait comment les choses vont tourner, mais en ce jour circonstanciel, les choses vont.

Sauf pour l'arrivée du big boss, évidemment. Vous vous en souvenez, je vous l'avais annoncé. Eh bien au moment où j'écris ces lignes, il n'est pas encore là, mais mon sursis s'achève car il est présentement en route...

Alors je ne vous en dis pas plus. En fait, je vous annonce que, les choses étant ce qu'elles sont cette semaine, je devrai sans doute vous lâcher, du moins momentanément. Donc, je pense vous revenir ce vendredi 26, si Bondye vle (peut-être même avant si l'occasion se présente).

Mon image est plus ordinaire aujourd'hui. Haïti c'est ça aussi!

samedi 20 février 2010

Les vraies choses


Vous le savez maintenant, je fais rarement dans le sensationnel car je n'ai pas la prétention de vouloir vous épater. Mais aujourd'hui, je veux vous montrer quelque chose de dur, pour moi en tout cas, mais qui fait pratiquement partie de notre quotidien depuis cet horrible tremblement de terre.

Vous vous souvenez de la photo de la jeune fille ci-dessus. J'ai même attiré par la suite votre attention sur le sillon qu'une larme a tracé sur le côté de son visage. La voici encore une fois. N'est-ce pas qu'elle est belle. Et pourtant, il y a dans son regard une résignation qui fait mal. Car elle sait. On lui a fait comprendre la gravité de son état, et l'opération qui doit être pratiquée, alors elle se résigne.


Et c'est parti. Qu'on me permette ici de souligner la compétence et le professionnalisme de l'équipe brésilienne. (Pour la suite, cœurs sensibles s'abstenir.)



Ce que l'on voit ci-dessous, c'est vraiment la coupe, pas autre chose, pas de trucage ni d'effets spéciaux...


Pour tout vous dire, ces photos, cette opération, ne datent pas d'hier ni d'aujourd'hui, mais d'il y a presque deux semaines. Simplement, je ne me sentais pas à l'aise de les partager avec vous. Et pas à cause de vous qui êtes de bons lecteurs et de bonnes lectrices. Mais plutôt à cause de son regard, à la jeune fille. Car il faut que vous compreniez bien : je blague parfois, je me fais léger, mais ne vous leurrez pas, ce n'est qu'une façon de masquer la parfois trop dure réalité.

Je vous montre ci-dessous la conclusion de cette opération tout à fait réussie, grâce encore une fois à la compétence de nos amis brésiliens. Si ça ne vous émeut pas jusqu'à l'os, eh bien nous ne sommes simplement pas de la même trempe...

 

Oui, vous avez compris: cette "chose", c'est la jambe de la jeune fille. Détachée du corps, ça fait drôle, hein? Moi, en tout cas, ça me dérange sérieusement. Et que faire du membre inutile, maintenant? Je vous le donne en mille : on l'enterre tout simplement, assez profond pour que les chiens n'en fassent pas leur plat du jour. Et qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Y'en a marre à la fin.

vendredi 19 février 2010

On continue...

 

Allez, dites-le franchement: vous en avez ras le bol de mes complaintes haïtiennes et vous aspirez à une pause publicitaire, pas vrai? Une pause club-med, une pause plage dorée et mer de cristal, pas vrai? Eh bien nous aussi!!! Mais comme je le disais hier, nous sommes dans la phase 2 de la catastrophe, à l'étape où le spectaculaire fait place au routinier, mais un routinier pas évident. Non, non, je ne me plains pas, rassurez-vous. Je l'ai déjà dit et je veux bien le répéter pour les inattentifs (ceux qui sont dans la dernière rangée, au fond de la classe), nous n'avons rien à chialer, nous avons le ventre plein et une connexion Internet, alors... Mais chaque fois que je fais une petite visite aux patients hospitalisés, je trouve ça chaque fois un peu plus raide. Non pas parce nos malades souffrent, bien au contraire. Ils sont vraiment hyper bien traités, ici, je le dis en toute modestie. Les Brésiliens sont très humains dans leur approche médicale et prennent le temps, malgré la barrière de la langue, d'établir un contact avec le patient. Le vrai TLC, quoi! Mais c'est dur de penser que ces jeunes mères, ces jeunes mâles costauds, en seront réduits à une vie de misère noire--pas de calembour, je vous en prie. La photo d'hier, le sillon d'une larme sur la joue, illustre mon point, je pense. Mais les jours passent et le paysage se modifie. Un peu.

Entrevue vidéo hier. Le producteur, un Italien-américain, prépare un documentaire sur la situation actuelle.  Maintenant que les médias ont épuisé le sujet dans dans ce qu'il avait de voyant, on peut commencer à s'occuper du fond. J'étais l'interviewé. Je lui ai raconté tout ce que je savais et tout ce que je ne savais pas, de quoi alimenter un documentaire de 2-3 heures, je crois bien... Il était enchanté. Ne me demandez pas où ni quand ce sera diffusé, car je l'ignore et pour dire la vérité, je m'en contrefiche. Comme tout le monde qui me connaît le sait pertinemment, je parle comme je marche et n'en ai cure; alors pour jouer les vedettes, on repassera. N'empêche que, comme Luciano (le producteur en question) m'a dit, ces trucs-là, quelquefois ça rapporte gros. Et là, je suis preneur.

Ce matin, rencontre inopinée avec un délégué de la Croix-Rouge internationale. Un Anglais. Un vrai. Ressemblait vaguement à Pierce Brosnan (qui est Irlandais, tout le monde le sait, mais bon). Très distingué, très British, très intéressé et plutôt épaté de voir ce que nous avions fait depuis le début. M'a demandé tout bonnement comme ça si une ambulance nous serait utile... "La Croix-Rouge peut vous fournir ça", m'a-t-il affirmé. Présomptueux? Peut-être, mais il ne m'a pas fait cette idée. Alors il est permis d'espérer, pas vrai?

Donc tout ça pour vous dire, que malgré mon incessante complainte au sujet de notre fatigue et de notre découragement sporadique, on tient parce que d'autres sont salement plus amochés que nous. Au royaume des aveugles, les borgnes ne se plaignent pas. Et d'ailleurs, le soleil brille toujours, le ciel est encore bleu et la mer, ben la mer, justement on y pense...

Avec tout ça, je ne vous l'ai pas encore dit, mais aujourd'hui, je le pense: TGIF!

jeudi 18 février 2010

La peur règne toujours


Lu hier et médité une bonne partie de la journée: "Changer de paradigme c'est nous libérer de cette pensée magique qui nous fait espérer que tout ceci ne soit qu'un cauchemar dont nous allons bientôt nous réveiller." (R. Vaillancourt)

Devant une catastrophe de cette ampleur, on cherche des repères... qui n'existent plus. On ne sait plus trop à quel(s) saint(s) se vouer. On se sent déphasés, déséquilibrés, déstabilisés. Je pense l'avoir déjà dit. Mais il faut que j'y revienne. Car c'est là l'un des éléments essentiels de la période actuelle: elle dure. Elle ne s'estompe pas. Elle se maintient, comme une suite de jours gris qui nous font presque douter que le soleil existe. Et elle a sur nous les mêmes effets pernicieux qu'une suite ininterrompue de jours sans soleil: elle nous use, elle nous sape le moral, elle nous rend amers, elle nous fait douter.

Juste pour vous donner un exemple: je lisais hier un article (introuvable aujourd'hui--probablement parce qu'on l'a retiré) qui disait que, à la suite de l'éboulement du mur d'une école primaire à Cap Haïtien, éboulement dû à de fortes pluies qui descendaient de la montagne derrière l'école, certains ont pensé percevoir une secousse avant l'effondrement du mur. Maintenant, on attend le tremblement de terre qui va assurément secouer la région et qui sera encore plus terrible que celui du 12 janvier dernier! Comme si Cap Haïtien voulait compétionner avec Port-au-Prince! Et pourtant, derrière cette folie, on sent le désarroi du peuple. Car qui croire? Comment croire que c'est fini? Comment ne pas penser qu'il s'agit là d'un film d'horreur qui nous fait frissonner de peur, mais où l'on reste conscient que "ce n'est qu'un film"? C'est vrai que plusieurs encore semblent marcher comme dans un rêve, horrible certes, mais rêve tout de même. Ils attendent le réveil qui ne viendra pas. Ils se terrent, ils dorment dehors ou dans leurs voitures, ils sont sur le qui-vive, bref, ils ont peur. Pas peur de l'avenir, car l'avenir n'existe pas. Peur au présent. Une peur à se rendre malade, parfois. Hier, c'était l'une de nos techniciennes de laboratoire: vomissements, diarrhée et douleurs à l'estomac: "c'est mon ulcère", dit-elle. Mais en vérité, l'ulcère se manifeste parce que le stress l'excite...

Car je vous le dis: l'hystérie collective s'accroît. Plusieurs croient que ce n'est pas fini et qu'un autre tremblement de terre est imminent. Témoin ce message SMS reçu le 1er février dernier:
"Fè pèp la konnen sak pase nan peyi a 12 janvier 2010 te gen yon sèvant bondye ki te soti etazini bondye te voye-l vin bay nouvèl la, li bay li, yo pase-l nan jwèt. Epi sa-l te di a fèt. Li tounen 25 janvier ankò li di sak te pase 12 janvier se pat anyen sa vle di sak pral pase a pirèd. Si nou vle epanye sak pral pase fè 3 jou jèn ki sipoze komanse le 12, 13, 14 fevrier 2010. Pase mesaj sa a jiskaske ou pa gen SMS ankò nou pap kit haiti kraze."
"Informez la population que ce qui s'est passé dans le pays le 12 janvier 2010, une servante de Dieu venue des États-Unis l'avait annoncé; elle a transmis son message, mais tout le monde a cru que c'était une blague. Et puis ce qu'elle avait annoncé s'est avéré. Elle est retournée le 25 janvier en disant que ce qui s'était passé le 12 janvier n'était rien en comparaison de ce qui s'en venait. Si nous voulons nous épargner ce qui doit arriver, il faut faire 3 jours de jeûne les 12, 13 et 14 février 2010. Faites passer ce message jusqu'à ce que vous n'ayez plus de crédit SMS. Nous n'allons pas laisser le pays se faire détruire."
Et qu'est-ce que vous dites de cela? Nul besoin de vous dire que si j'ai reçu ce message à deux reprises, tout le monde l'a reçu. Les téléphones ici sont tellement populaires... Imaginez maintenant le phénomène de contagion qui s'ensuit, style: "As-tu reçu ce message?" "Oui, et s'ils le disent, c'est sûrement vrai!" Pour un peu, on pourrait croire que certains s'amusent à paralyser le pays davantage, tiens...

Non, ce n'est pas un cauchemar et nous n'allons pas nous réveiller en poussant un soupir de soulagement. La vérité, c'est que la donne a changé. Le pays n'est plus le même, la page de l'Histoire est tournée et comme je le répète ad nauseam à qui veut encore l'entendre: nous ne retournerons jamais au 11 janvier 2010.

Et pendant ce temps, il pleut à torrents à Port-au-Prince... Vous savez ce que ça veut dire...

mercredi 17 février 2010

Mardi Gras (hier)


Le texte qui suit devait être pour hier. Mais je n'avais pas le temps de m'exciter les méninges, alors je vous ai pondu autre chose. Mais je ne peux passer sous silence le Mardi Gras, même si c'est aujourd'hui le Mercredi des Cendres.

C'est que le gouvernement haïtien--du moins ce qu'il en reste--dans un élan de sagesse peu commune, avait décrété que, exceptionnellement cette année et en raison des circonstances que tout le monde connaît, il n'y aurait pas de carnaval du Mardi Gras, et que ce jour, normalement le plus célébré de l'année, passerait sans tambours ni trompettes cette année. Nouvelle bien triste pour tout le monde, car tout le monde ici aime bien l'ambiance très festive du carnaval--ou l'ambiance très carnavalesque du festival, si vous préférez. Mais une décision tout à fait compréhensible, et donc tout à fait acceptable dans les circonstances. Jusqu'ici tout va bien. Et lorsque ce même gouvernement a décrété, la semaine dernière, vendredi 12 février jour chômé pour commémorer les victimes du séisme, nous avons trouvé la chose relativement acceptable justement parce que, entre autres, ce congé allait remplacer le traditionnel congé du Mardi Gras. Mais c'était mal connaître la logique haïtienne.

Car lundi, dans un communiqué plutôt bref et pour lequel je n'ai pas malheureusement de référence, le gouvernement décrétait que, la loi étant la loi, contrairement à ce qui avait été annoncé le 11 février, ce mardi serait Gras, férié et chômé! Et voilà! Aussi simple que ça!

Certes, vous me direz que personne ne devrait se plaindre d'un congé supplémentaire, n'est-ce pas? Mais vous aurez tort. Car après le congé de vendredi dernier, congé qui en a fait sombrer plusieurs dans la noirceur de la prière et du jeûne -- car on ne parle pas ici d'une prière lumineuse, porteuse d'espoir et pleine de gratitude, mais plutôt de cette prière expiatoire, comme si les survivants avaient à se reprocher d'avoir survécu... Après ce congé, donc, il me semble qu'on avait besoin d'une semaine normale, sans interruption, d'une semaine capable de contribuer, par le travail, à la reprise d'une certaine vitesse de croisière. Au lieu de cela: congé! Un congé qui paralyse les services, qui renvoie chez eux des gens qui n'ont rien à y faire, qui prive les enfants d'un jour d'école par-dessus tous ceux qu'ils ont déjà manqués, bref un congé aussi inutile qu'inapproprié. Le pays a une bonne petite distance à parcourir pour arriver à destination, mais on s'arrête pour un oui ou pour un non et on se demande pourquoi ça n'avance pas!... Mais la loi c'est la loi, n'est-ce pas? Dura lex, sed lex, comme aime à le répéter mon ami Onès. Avouez que c'est tout de même drôle d'avoir à invoquer la loi pour justifier un congé que l'État lui-même avait décidé, encore une fois fort sagement, d'abroger cette année...

En tout cas, nous, à notre hôpital, nous n'avons pas pris ce congé. À l'annonce du communiqué officiel, j'ai immédiatement diffusé une note de service spécifiant que nous allions fonctionner normalement, surtout compte tenu que la nouvelle équipe de Brésiliens était là et sur pied d'attaque, pour ainsi dire. Eh bien personne ne m'a boudé et tout le monde était à son poste ce mardi. Dites, c'est pas beau, ça? En plus et comme pour me donner raison, nous avons reçu pas moins de 140 patients pour consultations régulières, ce qui est plus bas que notre moyenne habituelle, mais pour un jour dit de congé, cela représente tout de même une performance très acceptable. Donc, ce fut un mardi tranquille, pas tellement gras et pas tellement festif, mais plutôt efficace, hors tout.

J'espère qu'on en a fini avec les congés, au moins jusqu'à Pâques...

mardi 16 février 2010

Le travail c'est la santé!

 

Je ne vous en dirai pas long aujourd'hui. D'abord je n'ai pas grand temps (oui, oui, je sais les sceptiques resteront sceptiques, mais bon) et ensuite, je me dis que mieux vaut un petit manger chaque jour qu'une orgie alimentaire une fois par semaine, pas vrai?

Mais ce n'est pas de nourriture dont il est question ici, ou plutôt, ce peut l'être par extension. Vous allez me suivre et vous allez comprendre.

Vous vous souvenez que je vous ai entretenus jadis de Raymond, l'homme qui construisait des maisons. Eh bien Raymond poursuit toujours. Il n'est pas au pays présentement -- et pour cause -- mais il dirige à distance les projets domiciliaires. Par mon intermédiaire. Alors il a un «boss», c'est-à-dire au sens créole, un gars qui connaît son métier qui exécute les travaux selon la méthode Raymond, laquelle, si vous vous en souvenez, donne des résultats surprenants. Or, en ces temps de destruction massive, vous avez compris que l’œuvre de Raymond prend encore plus de sens! Donc Raymond a pris des arrangements avec boss Ti-Jo qui devient ainsi son contremaître et l'exécuteur de ses commandes. Et ça marche plutôt bien. Ti-Jo est fiable, connaît la routine et fait preuve d'une certaine discipline personnelle, ce qui, pour un Haïtien, n'est pas toujours évident. Nous avons eu, lui et moi, quelques petites discussions pour finalement nous entendre sur une façon de procéder capable de donner les résultats attendus (en l'occurrence, une maison finie et prête à être habitée) dans des délais raisonnables.

Or, je vous l'ai dit (attendez: vous l'ai-je dit?): présentement et pour aller dans le même sens que Paul Farmer, ce dont le pays a besoin le plus, ce sont des emplois. Faut que les gens puissent travailler le plus rapidement possible, le plus régulièrement possible et toucher leur salaire sans délai. C'est la seule chose qui pourra empêcher l'éclatement du pays. Car sans argent, on ne peut vivre, je ne vous apprends rien là, et présentement, tout est plus cher et donc les Haïtiens ont besoin de gagner leur pitance comme tout le monde. C'est pour cela que je vous disais plus haut que, indirectement, mes propos avaient un rapport avec la nourriture.

Donc, toute initiative visant à procurer de l'emploi est louable et valable. C'est pourquoi lorsque Ti-Jo travaille, c'est une excellente chose, car ce faisant, il procure aussi du travail à d'autres et en plus, produit un résultat dont il a toutes les raisons du monde d'être fier: quoi de plus valorisant, je vous le demande, que de fournir un toit à qui n'en a pas?

Comme quoi malgré la misère endémique, il se passe quand même de belles choses, dans ce drôle de pays...

lundi 15 février 2010

Commentaires sur un autre message


La nouvelle équipe brésilienne vient d'arriver. Quatorze spécialistes. Et quelques nouveaux patients aussi, qui viennent d'un bord ou de l'autre. Alors ça va. Mais ce n'est pas des Brésiliens dont je veux vous parler aujourd'hui, mais plutôt de ce petit message reçu d'une personne qui connaît notre hôpital depuis pas mal de temps et qui s'y intéresse depuis toujours. Je lui ai demandé si je pouvais mettre son message sous forme de commentaire au texte «Mais où sont donc les cas orthopédiques?» et elle a accepté. Cependant et comme elle fait référence à un texte du Nouvelliste, j'ai pensé qu'il était peut-être plus intéressant de commenter son message, un peu comme je l'ai fait hier, mais un peu seulement.

D'abord le message de Jocelyne:
Bonjour monsieur Richard,
Je tiens à vous remercier pour votre site qui nous informe de «la vie au sud» c'est vraiment très intéressant et surtout ça nous montre tout le beau travail que vous faites auprès des gens; vraiment vous êtes gentil de nous écrire vos impressions tous les jours malgré le travail immense que vous avez à faire; c'est touchant de constater qu'il y a des gens qui ont bon cœur et qui ont à cœur le bien du peuple haïtien qui est si courageux et digne malgré tant de souffrances; je pense souvent à vous et à tout le personnel qui se donne entièrement pour soulager cette souffrance et donner un peu d'espoir et de réconfort.
Je ne sais pas si vous lisez le nouvelliste (www.lenouvelliste.com); l'on y parle de Brenda aujourd'hui c'est vraiment bien et je dois vous dire que je suis fière de vous et des gens qui ont travaillé à notre Institut; ça fait du bien au cœur de constater qu'il y a encore des gens bons, courageux et généreux.
Encore une fois merci pour la délicatesse de nous écrire chaque jour.
Mes Respects et Salutations à vous et tous ceux qui ont à cœur le bien et le bonheur de ce peuple que nous aimons.
Pas mal, hein? Avouez que c'est gentil, quand même. Et, ce qui n'enlève rien à la chose, tout à fait vrai. Alors je veux publiquement exprimer à Jocelyne toute notre gratitude pour ce petit message, car il nous a vraiment remonté le moral. Je sais, je sais, parfois je blague, ce qui vous laisse à penser que nous sommes tout à fait relaxes que le moral est au beau fixe. Mais à la vérité, comme un peu tout le monde, nous doutons. Ce que nous faisons nous paraît tellement futile, des fois, tellement vain, à peu près l'équivalent d'un petit seau d'eau jeté sur le sable du Sahara à midi en plein mois de juillet en vue de l'humidifier... Mais je ne veux pas vous dire que nous sommes déprimés pour autant, car ce ne serait pas vérité. Non. Simplement et comme le dit souvent mon ami Onès, nous sommes «entre les deux». D'où la valeur du petit message de Jocelyne. Ça fait du bien que des personnes éloignées de nous en distance, se rapprochent par des mots simples et chaleureux. Des mots qu'on sait vrais. Des mots qui nous touchent, quoi!

Quant à l'article du Nouvelliste, eh bien je vous le suggère fortement. C'est bien de lire d'une autre source ce que je m'évertue à vous raconter de façon parfois lassante, je sais, je sais. Et pour une fois, je n'ai rien à redire quant à l'exactitude des propos tenus. Dans un style qui n'est pas le mien, bien sûr, mais bon, ça vous changera!

Et pendant ce temps, la vie continue et demain, c'est le Mardi Gras, imaginez-vous donc...

dimanche 14 février 2010

Plus de Prestige?


Aujourd'hui, j'avais décidé, bien paresseusement et à la suggestion de ma compagne attentionnée, de prendre congé et de vous laisser braire, ne vous en déplaise. Mais un petit message de Pierre, mon presque neveu, m'invite aux commentaires et alors je me suis dit : pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups? Alors je réponds à Pierre et je vous alimente par le fait même. Dites, c'est pas beau, ça?

Pierre écrit (et j'assume qu'il m'autorisera à transcrire ici son message):
Salut Richard! J'espère que tout va bien pour vous deux! Si tu as 1 minute, j'aimerais bien avoir quelques nouvelles de comment évoluent les choses dans ton coin...Je lis les journaux mais je ne crois pas que cela soit suffisant pour avoir une idée du vrai état des choses dans le pays. Est-ce que c'est encore vivable? Est-ce que la situation s'empire, s'améliore quelque peu ou est plutôt stagnante? As-tu l'impression que votre situation est toujours aussi fragile qu'il y a 3 semaines? Y a-t-il eu plus de violences jusqu'à maintenant?
D'abord, Pierre a bien compris que ce n'est pas du côté des journaux qu'il pourra avoir un portrait juste de la situation actuelle, telle que nous la vivons. Je pense, en toute modestie, vous brosser un tableau personnel plus fidèle de ce qui se passe, précisément parce qu'il est plus personnel. La situation actuelle ne fait plus l'actualité journalistique, Dieu merci, mais elle n'en reste pas moins ardue à tous égards pour ceux et celles qui la vivent sur une base quotidienne, même si -- et je le répète une fois de plus -- nos conditions matérielles restent aisées et enviables : on a toujours de la bière, bien que la bière locale, l'incontournable Prestige, soit de plus en plus rare (et pour cause puisque l'usine, comme je vous l'ai dit naguère, a été sérieusement ébranlée et que la production a donc cessé pour un temps x), on trouve toujours de la bière importée -- Heineken, Coors, Budweiser et surtout, la délicieuse Presidente brassée chez le voisin dominicain. On trouve aussi des conserves, de la viande, du fromage et du vin et quoi d'autre encore. Donc, nous ne sommes pas à plaindre. Il semble que les arrivages de carburant se fassent à nouveau, de sorte que la pénurie que je craignais semble s'être dissipée, pour l'instant du moins. Et pour répondre à la question de Pierre : oui, c'est encore tout à fait vivable, voire confortable. Puis, Pierre pose une question que j'aime parce qu'elle décrit le parcours possible de n'importe quelle situation : soit vers le haut, soit vers le bas, soit en mode statu quo.

Cela dit, savoir comment la situation évolue reste une question difficile. Certes, médicalement parlant, la situation s'est grandement améliorée, au point où l'on se demande si la deuxième équipe de Brésiliens, arrivée hier, trouvera à s'occuper jusqu'à la date prévue de leur départ, quelque part la semaine prochaine; même chose pour l'équipe américaine prévue pour la fin du mois: y aura-t-il encore des cas à traiter? Même si on se doute bien que certains n'ont probablement pas reçu les soins que leur état nécessite, on peut assumer que la plupart des victimes ont été vues et soignées adéquatement. Bien sûr, ce n'est pas fini et ce n'est pas demain la veille que ces gens pourront retourner chez eux (c'est où ça?) et retrouver une vie normale (c'est quoi ça?). Donc, sous l'angle médical, la situation est franchement meilleure. Mais de l'autre côté, on sent la tension sociale monter et ça, mes amis, ça n'augure rien de bon. De ce côté, non seulement ne voit-on aucune amélioration, mais je dirais que le tissu social se désagrège chaque jour un peu plus: les habitants de Port-au-Prince ne savent plus où aller, des milliers de gens ont perdu leur emploi et par là même, la petite source de revenus qui leur permettait de flotter, et là, le radeau de l'aide internationale commence à ressembler de plus en plus au Radeau de la Méduse... On commence à blâmer le gouvernement, président en tête, on blâme l'absence de plan de reconstruction, on blâme les étrangers et leur aide mal coordonnée, on blâme... Comment ne pas le faire? Et d'ailleurs, que faire d'autre? Car il faut bien que quelqu'un porte le chapeau du désastre, maintenant. La catastrophe était naturelle, soit. Mais ses effets ne le sont plus et si les choses vont mal, c'est sûrement la faute du gouvernement, n'est-ce pas? Et qui oserait dire que ce n'est pas partout pareil? En tout cas, tout ça pour dire que, socialement, la situation est loin de s'améliorer et qu'avec les pluies qui s'en viennent, ça risque franchement de péter à quelque part. Donc, mon cher Pierre, et vous tous et toutes qui suivez ce raisonnement, globalement je dirais qu'on n'a pas encore atteint le fond du baril et avec l'épaisseur de lie qui s'y trouve, j'espère qu'on ne l'atteindra pas...

En résumé, c'est oui, notre situation reste toujours aussi fragile qu'il y a trois semaines. On vit un jour à la fois, car on ne sait pas ce que demain nous réserve. Et les pronostics restent, au mieux, affaire de hasard. Un peu comme si on jetait les dés en annonçant un double six : ça peut arriver, mais si c'est le cas, c'est simplement un coup de chance. Ici, on jette les dés et ils affichent ce qu'ils affichent. Et on gagne ou on perd.

Mais pour le peuple haïtien, les dés sont pipés: personne ne va rien gagner.

samedi 13 février 2010

Parenthèse


Changement de propos, aujourd'hui. Le drame, vous le connaissez, je vous en parle quotidiennement depuis un mois, alors une petite parenthèse ne fera pas de mal. Surtout pour vous parler de beauté.

Car dans l'enfer qu'est le pays présentement, la beauté existe toujours. Les paysages, pensez-vous, et vous avez raison: les paysages haïtiens sont toujours dignes des images que l'on se fait du paradis tropical; mais ce n'est pas des paysages dont je veux vous entretenir aujourd'hui, mais plutôt d'une autre forme de beauté.

Hier soir, alors que j'étais paisiblement allongé avec mon livre dans le silence qui prélude à la nuit, on s'est mis à chanter quelque part. Dérangeant, n'est-ce pas? Une bande de gars--une douzaine peut-être--qui chantent à cappella, sans partition, sans distinction mélodique: juste ensemble: quelle horreur, n'est-ce pas? Mais loin d'être dérangeant, leur chant était, ma foi, d'une beauté qui forçait qu'on s'y arrête. J'ai dû poser mon livre. Pensez-y: que des voix d'hommes chantant dans la nuit. C'était vraiment très particulier. Oh! Rien à voir avec le Choeur de l'Armée Rouge, mais quand même, c'était assez prenant, comme chant. Des voix justes, des voix bien timbrées, des voix qui, voulant exprimer la sérénité, engendraient la beauté. Pas d'instruments pour accompagner, pas d'amplificateur dont pourtant les Haïtiens sont si friands, pas de pseudo-vedette qui prend le micro et qui s'en donne à gorge déployée comme chez nos voisins adventistes: que ces voix chantant en harmonie. Dans mon pays nordique--l'autre--, si l'on entend des gars chanter, c'est qu'ils sont saouls ou que leur équipe de hockey vient de gagner la coupe Stanley. Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas très édifiant. Mais ici, le chant était pur, parce qu'il était simple, sans autre intention que celle de partager un moment de sérénité, je le répète. Personne pour applaudir non plus, tiens. Des gars qui chantent ensemble. Pour rien, pour la beauté de la chose. Ils ont chanté comme ça un bon ti-temps, et puis le silence habituel a repris sa place. Un silence que j'ai trouvé plate, même si plus propice à la lecture...

Mais tout ça pour vous dire que, après toutes ces années passées dans le pays, je m'émerveille toujours de certaines façons de faire, certaines traditions dont l'origine s'est évaporée dans la nuit des temps, mais qui restent toujours ancrées dans la vie haïtienne. La religion en est un bon exemple: certains journalistes (ceux et celles qui, en quelques jours, ont tout compris sur Haïti et son peuple, vous savez ce que je veux dire) blâment la religion, «l'opium du peuple», comme disait Marx. Mais la religion, sans égard à la dénomination, est avant tout affaire de tradition, une tradition qui, comme toutes les traditions, ne se discute pas. On la vit, c'est tout. Ici, «Kris Kapab», comme on le voit écrit en créole, ou «Christ capable» dans sa version française, expriment la même foi que, au-delà des vicissitudes humaines, existe une puissance supérieure sur laquelle on peut se fier et qui, avec le temps, pourra tout régler. Ainsi, au moment où j'écris ces lignes, on diffuse à la radio une émission de litanies que les gens assis dehors sous ma fenêtre écoutent religieusement (et pour cause) et à laquelle ils participent en répondant en chœur comme s'ils étaient avec le preacher: «Nou pa kapab ankò». Style: n'en jetez plus, la cour est pleine. Style : assez, cétacé.

Mais qu'on y croit ou pas, un chant qui s'élève dans la nuit comme celui d'hier, ça vous réconcilie avec bien des choses...

vendredi 12 février 2010

Mais où sont donc les cas orthopédiques?

 

Je vous l'ai dit hier, aujourd'hui, c'est congé. Bon, pour le jeûne, je ne sais pas si ça marche fort. Mais pour la prière, toutes les stations de radio diffusent en boucle et tout le monde écoute à tue-tête, semble-t-il. Succès total, donc.

Ce qui remporte moins de succès, cependant, c'est notre course aux cas orthopédiques. Ça peut sembler drôle comme ça, mais nous savons (ou en tout cas nous le présumons) qu'il reste encore des tas de gens qui n'ont pas reçu les soins dont ils ont besoin. Ce matin, Peter (photo), un ange plutôt costaud, mais ange tout de même, s'est déplacé jusqu'à un hôpital dans la zone pour aller chercher des patients... qui n'étaient pas là! Pourtant, tous les arrangements étaient faits, le directeur de l'hôpital parlait de près de 30 patients qui pourraient être transférés ici pour qu'on s'en occupe. Or, une fois sur place, Peter a bien dû se rendre à l'évidence: il n'y a pas de patients! Que s'est-il passé? On ne le sait pas. Le directeur de l'hôpital a-t-il menti délibérément? A-t-il mal compris? Est-ce une confusion linguistique? Ou a-t-il simplement changé d'idée et expédié ses patients ailleurs? Impossible de le dire. Mais Peter était bien déçu, et moi de même. Certes, vous me direz que si nous n'avons pas de patients, ce ne peut être un drame puisque ça signifie que tout le monde a été soigné. Mais encore une fois, je doute que cette conclusion soit avérée. Je pense qu'on n'arrive simplement pas à joindre les gens qui auraient besoin de soins. Car il faut dire que pour les pauvres, une fracture peut représenter une petite fortune et dans bien des cas, ils vont s'abstenir de se présenter à l'hôpital, tout simplement! Ça peut sembler invraisemblable, mais c'est hélas une bien triste réalité.

D'ailleurs j'ai dû vous parler des vrais pauvres et des pseudo-pauvres, non? Faudra que je révise mes textes précédents et présentement, eh bien je n'ai pas vraiment le goût de le faire... Mais dans un cas comme dans l'autre, j'y reviendrai, car ça en vaut la peine.

Pour l'instant donc, la recherche de patients potentiels se poursuit. Et de la façon dont Peter se démène, je ne serais pas surpris qu'il nous en trouve, tiens. Encore une fois, il ne s'agit pas d'accéder à un niveau de performance qui nous vaudrait une médaille: les jeux olympiques, ce n'est pas ici que ça se passe; disons qu'on n'est pas vraiment prêts pour ça...! Mais il m'apparaît important que les éclopés soient traités et qu'on puisse passer à autre chose, vous ne trouvez pas vous autres?

jeudi 11 février 2010

Un mois plus tard

 

Un mois. Le pays a survécu, nous aussi et le rapiéçage va bon train. Mais fallait-il pour autant décréter le 12 février, soit demain, jour férié? L'article est bref, ce n'est en fait qu'un simple entrefilet, mais il dit tout. Avertissement : je vous transcris le texte comme il est, fautes incluses. Vous pouvez également le lire en suivant ce lien.
Les autorités haïtienne ont décrété ce vendredi 12 février, journée fériée et chômée pour honorer les centaines de milliers de victimes du tremblement de terre du 12 janvier qui ont été inhumées sans cérémonie. C'est aussi le premier de trois jours de prières et de jeûne organisés par différents groupes religieux toutes tendances confondues. Le jeûne se fera de six heures du matin à six heures du soir. Toutes les églises Catholique feront une messe chanté à sept heures du matin, ce vendredi 12 février. Les services publics, les écoles et l'industrie chômeront donc le 12 février.
Alors un petit congé, qu'est-ce que vous dites de ça? Pour nous, ça ne se refuse pas. Non pas que cela fera un grand changement dans notre vie, mais le rythme va diminuer un peu et ce sera déjà ça, croyez-moi. Mais je reviens avec la petite nouvelle ci-dessus: «trois jours de prières et de jeûne», ça vous dit? Un jeûne qui, tout comme son pendant musulman, devra se faire pendant le jour, comme si ces gens-là avaient les moyens de passer une journée à travailler dur sans manger! Comme le dit un fort bon proverbe d'ici,  «Sak vid pa kanpe» (un sac vide ne tient pas droit). J'imagine que, à la différence des Musulmans, ils pourront au moins boire et avaler leur salive! Mais sérieusement: trois jours de jeûne? Pour expier quoi?

Je ne sais pas si vous avez déjà fait ça, jeûner. Moi si. Quand j'étais jeune, juste pour voir. Et ça peut sembler aisé, comme ça à première vue, surtout quand on a des réserves musculaires ou adipeuses, mais je vous jure qu'après le deuxième repas sauté, ça gargouille sérieusement du côté gastrique. Comme le veut le slogan du club Nautilus (si c'est toujours le même), «y'a pas de mal à se faire du bien». Certes. Mais l'inverse est vrai aussi : y'a pas de bien à se faire du mal, et dans ce cas, je ne pense pas qu'un jeûne, si pieux fût-il, fasse du bien en bout de ligne. Mais bon. Si l'on est partant pour la valeur spirituelle du jeûne, je veux bien, mais de grâce, pourquoi l'imposer à la population?

Une population bien mal en point, par ailleurs, apeurée et déstabilisée, qui a perdu ses repères et qui voudrait bien retrouver un semblant d'équilibre. Juste pour vous donner un exemple, il y a eu tout un émoi aujourd'hui à une école de la zone : un tremblement de terre supposé a fait s'écrouler un mur! Je vous laisse penser la panique qui s'en est suivie!... Or, c'était tout simplement des ouvriers qui travaillaient juste à côté et qui ont volontairement jeté le mur à terre! Puis, le bouche à oreille (le bouche à bouche comme certains aiment à dire) a fait le reste et en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, le peuple était dans la rue et hurlait anmwen! (au secours) Quand je vous dis que le choc psychologique est profond... Je pense qu'il n'est pas exagéré de parler ici de traumatisme collectif. Mais bon, je ne suis pas l'expert, alors je n'irai pas plus loin dans cette voie. Mais qu'on le sache: même si les journaux et la télévision ont cessé d'en parler, le drame haïtien est loin d'être fini, je vous l'affirme.

En tout cas, justifié ou non, on prend le congé et on dit merci.

mercredi 10 février 2010

Des hôpitaux pas vraiment honnêtes?

 

Déjà, la semaine s'envole. Dommage qu'elle n'entraîne pas dans son sillage la multitude de petits problèmes qui sont notre lot depuis ce triste événement.

Aujourd'hui, je me fais critique de l'actualité, encore une fois. Mais ne vous en faites pas : encore une fois n'est pas coutume... Lisez ceci, si vous ne l'avez déjà fait. Vous voyez que je ne vous racontais pas d'histoires quand je vous ai mentionné la chose dans mon texte de samedi dernier. Certains s'en défendent, mais la pratique de faire payer pour les fournitures médicales -- même lorsqu'elles sont fournies gratuitement -- reste courante. Raison invoquée: ben, faut ben faire nos frais... Mais la vérité est plus simple et peut se résumer à ceci: «pourquoi n'aurait-on pas notre part du gâteau, nous aussi?» Car le gâteau de l'aide internationale en impose par sa taille et l'on sait que certains s'empiffreront au détriment des autres. C'est toujours comme ça. Ce qui ne veut pas dire que ça devrait l'être. Faut comprendre que dans le pays, il y a deux types d'établissements de soins de santé, tout comme il y a deux types d'établissements scolaires: public et privé. Privé, dans le cas qui nous intéresse, ça veut dire non attaché au ministère de la santé publique et de la population (MSPP). Or, les soins de santé coûtent cher, c'est donc dire que quelqu'un, quelque part, se verra refiler le coût de ces soins, en totalité ou en partie. On voit donc se dessiner trois sous-groupes: (1) les établissements privés-privés (habituellement totalement haïtiens) où les coûts de fonctionnement sont défrayés par les usagers; (2) les établissements totalement subventionnés, où les patients ne paient rien (Paul Farmer et son méga-projet Partners in Health / Zanmi Lasante en est probablement le seul exemple); (3) les établissements partiellement subventionnés, dont les revenus proviennent à la fois des patients et de fonds privés, dans des proportions variables. C'est notre cas. Dans le cas des établissements privés-privés, les prix seront élevés, puisqu'ils doivent être suffisants pour défrayer tous les coûts de fonctionnement, incluant les salaires des professionnels. Ainsi, lorsque ma tendre moitié a subi son opération (voir Rebondissement de la balle) l'été dernier, les frais se sont élevés à plus de $6000 US, ce qui n'a rien de surprenant compte tenu de la délicatesse de l'intervention et la compétence des intervenants. Certes, vous me direz que $6000, c'est cher pour nous, donc, ce doit l'être encore plus pour les Haïtiens et vous aurez raison. Mais les mieux nantis et ceux qui ont une assurance-santé peuvent se permettre cela. Et puis, comme il faut que les revenus équilibrent les dépenses, eh bien y'a pas vraiment le choix. Et c'est là où les petits établissements, subventionnés par des sources extérieures, font toute la différence. Prenez notre cas, par exemple. L'Institut Brenda Strafford a été fondé en 1982 grâce aux fonds de la fondation du même nom et à son PDG, Barrie I. Strafford. Au fil des ans, les millions se sont suivis et aujourd'hui, bien que l'investissement de la fondation se soit stabilisé à environ 30% des coûts d'opération, cela reste une part généreuse et indispensable à la survie de l'institution. Cependant, comme nous maintenons une pratique de petits frais pour les usagers, l'équilibre est fragile et un événement comme ce maintenant fameux tremblement de terre peut précipiter les dépenses d'une façon vertigineuse. D'où la tentation, pour certains établissements, d'augmenter leur marge de profits en vendant les produits (le plus souvent les médicaments) qui leur ont été donnés. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour moi, ce n'est pas correct. On ne peut pas toujours penser en termes d'argent et chercher à faire des profits sur le dos des pauvres malheureux. J'en connais pourtant qui le font sans vergogne... Mais je suis content de vous dire que nous, nous ne faisons pas cela. Et je suis bien content si l'ONU pense à sévir là-dessus, car il y a abus, très nettement. Évidemment et comme je vous l'ai dit hier, "il y a loin de la coupe aux lèvres", et cette intention, au reste fort louable, risque de tomber à plat faute de moyens. Car on a bien beau dire, mais si on fait une loi, encore faut-il de doter des moyens de la faire respecter...

Comme vous le voyez, ma critique n'est pas très mordante. C'est que, bien que je trouve la pratique déloyale, elle n'en est pas moins humaine et explicable quand on sait les difficultés qu'éprouvent certains centres de santé à fonctionner. Mais reste que ce n'est pas correct.

mardi 9 février 2010

Un départ brésilien

 

Déjà 3h30 et je n'ai rien d'écrit! Tempus fugit, comme dirait l'autre (qui est mort depuis longtemps, vous pensez bien...). Bon. Que s'est-il passé aujourd'hui qui mériterait d'être narré? Le départ de l'équipe brésilienne, d'abord. C'était charmant et surtout plein d'humour («...dit le président à son vautour»... vous y êtes?*). Tout le monde embrassait tout le monde (les Brésiliens sont très affectueux, en tout cas, ceux-là) et j'avoue que mon certificat pour accomplissements exemplaires (plastifié) a fait son petit effet. Et pourtant, c'était tellement rien. Mais ils ont apprécié le geste plus que si je leur avais remis à chacun un chèque de $1000. Et puis ils sont partis.

Pas mal de parlotte ce matin au point que je n'ai pas eu le temps de compléter ma comptabilité. Tu parles si ça me fait mal... J'en ai presque pleuré, tiens. (Pour les non-avertis, c'est une BLAGUE!) Mais on essaie de planifier un peu les prochains jours et de voir comment les choses vont s'orienter. Car tout est dans la planification, maintenant. Nous avons toujours un peu de tout, ou, si vous préférez, nous ne manquons encore de rien. Les médicaments pour les patients du séisme nous sont gracieusement offerts par une organisation pharmaceutique (Pharmaciens humanitaires, je pense); les Brésiliens ont fourni une tonne de matériel opératoire et Peter, en association avec Kay Espwa, apporte toujours à manger aux patients et à une partie des employés. Donc, on peut dire que cette extension de notre service habituel ne nous coûte pas gros... et qu'elle rapporte beaucoup, à tout le moins pour les patients.

Les gros chefs viendront la semaine du 22, si la tendance se maintient. C'est du moins ce que j'ai appris aujourd'hui. Ça nous donne donc une semaine supplémentaire de sursis. Une semaine pour consolider nos acquis et préparer le terrain. Pour ainsi dire. Car il y a des projets dans l'air qui mériteraient bien qu'on les enracine, si la mission première de notre établissement est d'aider. Mais vous savez comme moi qu'on dit bien des choses quand on veut bien paraître... Cela dit, tous les spécialistes s'entendent : les besoins orthopédiques vont se multiplier au fil des semaines. Or les endroits manquent et les ressources, encore plus. Vous me voyez venir là? Je ne vais pas trop vite? Eh bien, s'il n'en tenait qu'à moi, notre petit hôpital s'agrandirait d'une branche, fidèle en cela à la théorie de Lamarck (avec laquelle vous êtes tous familiers, je n'en doute pas) qui veut que le besoin crée l'organe. Considérant le besoin, un organe orthopédique ferait bien l'affaire... Évidemment et comme le dit le proverbe, «il y a loin de la coupe aux lèvres».  Quand même, on peut toujours échafauder des plans, non?

Alors voilà, la pierre est lancée dans la mare de votre esprit tranquille. Si l'onde de choc qu'elle crée vous titille les méninges et vous donne des idées, n'hésitez surtout pas à m'en faire part: je suis preneur! (Défaitistes, s'abstenir.)

* La Marche du Président (Vigneault/Charlebois)

lundi 8 février 2010

Passent les jours, passent les semaines...

 

J'aurais tort de penser que j'ai le temps aujourd'hui de vous pondre un petit coco. Mais l'appel est là, irrésistible. Sauf qu'aujourd'hui. le temps file. Petit lundi, grosse semaine, je vous l'ai dit l'autre jour, mais ici, ça reste encore et toujours «Gros lundi et bonne petite semaine...» Plein de petits détails à régler, une partie des Brésiliens s'en va demain, un autre groupe arrive bientôt, bref, y'a de l'action.

Tout de même, à défaut d'être co-ordonnée cette action reste ordonnée, de sorte que personne ne perd la boule à faire ce qui doit être fait. Mais ici, on n'est pas dans la distribution de nourriture comme c'est le cas à Port-au-Prince, ni dans la construction d'abris temporaires, ni dans la gestion de camps de réfugiés. Ici, comme je le disais tout juste à cette gentille représentante de la MINUSTAH, nos patients reçoivent à manger trois fois par jour (photo), sont couchés dans des lits propres et confortables, eux-mêmes situés dans des salles ventilées et relativement fraîches. Les toilettes sont relativement propres et nous avons l'eau courante. Oui, oui, je sais, vous allez me dire que je parle d'évidences. C'est que vous oubliez d'où je vous parle. Ici, il faut apprécier chaque jour ce que, dans nos pays gâtés, nous tenons pour acquis. Alors ne m'en veuillez pas de vous rappeler ces évidences car ici, elles ne le sont pas.

Comme vous le voyez, j'erre. Je n'ai pas vraiment grand-chose de neuf à vous rapporter et, n'étant pas journaliste, comme je l'ai souligné à maintes reprises, je ne sens aucune obligation à vous rapporter fidèlement tout ce qui se passe, surtout si ça ne vaut guère plus que le pet du voisin. Et présentement, nous avons comme une accalmie. J'espère juste que ce n'est pas le calme avant la tempête car franchement, nous avons eu notre dose... Mais cette accalmie, si fragile qu'elle soit, s'apprécie d'autant plus qu'elle arrive après la tempête sismique, alors ne me parlez surtout pas d'une autre catastrophe à venir.

Et parlant de catastrophe, nos «gros chefs» arrivent bientôt, tout probablement la semaine prochaine, et il faudra faire avec, que ça nous plaise ou non. Raison de leur visite: c'est leur «temps habituel», et ce n'est pas un vulgaire tremblement de terre qui pourra altérer ce plan... Si ce n'est pas de la régularité, ça, dites-moi ce que c'est! Mais je vous parlerai de cette visite en temps opportun. J'en aurai peut-être rien à dire, remarquez, mais d'un autre côté, qui sait?

Allez! Vous êtes bien gentils et tout et tout, mais pour une raison x, j'ai hâte à la bière aujourd'hui, alors je vous laisse, fidèles lecteurs et surtout, fidèles lectrices et vous invite à me revenir quand bon vous semblera.

dimanche 7 février 2010

Simplement dimanche

 


C'est rare. C'était courant avant, mais depuis le 12 janvier, c'est devenu rare: un dimanche à ne rien faire. Un dimanche relaxe. Pas au point de pouvoir s'exiler à la plage pour la journée, mais certainement suffisamment pour passer le temps à faire des activités qui ressemblent à un dimanche: lecture, musique, un peu de télé (je viens de voir l'excellent film de David Mamet House of Games que je ne saurais trop vous recommander si vous avez la chance), un peu de lecture, un peu de browsing sur le Net, quelques Sudoku... voilà un bon petit dimanche, vous ne trouvez pas vous autres?

Les Brésiliens sont là, mais je ne les ai pas encore vus ce matin. Farniente, vous dis-je... Mais s'ils ont besoin, ils nous le feront savoir. En fait, c'est justement pour cette raison que nous ne sommes pas sortis: au cas où. Je sais, vous allez me dire qu'il faudra bien se libérer de ce joug un de ces quatre, et dans un avenir pas trop loin de préférence, car on est tannés de ce poids sur nos épaules -- qui reste supportable, c'est vrai, mais dont la masse cumulative nous fatigue à la longue. Or, si vous vous souvenez, je vous avais dit que je craignais pour le long-terme: je vous ai parlé de stress et de son effet cumulatif. Eh bien c'est là où on se trouve, présentement. Mais je l'ai dit à plusieurs reprises, chaque jour qui passe est un jour vers le retour à la «normalité», pour peu que le terme puisse s'appliquer au pays et à ce qui s'y passe présentement.

Parlant avant-hier avec nos médecins, nous abondions tous dans le même sens, à savoir que l'endurance haïtienne était telle que, peu importe l'ampleur de la catastrophe, le peuple finit toujours par retomber sur ses pieds. Les gens râlent, mais ne lâchent pas prise. Ne se découragent pas, n'abandonnent pas, ne renoncent pas. «N'ap lite» (nous allons lutter) devrait être la devise de ce pays, tiens. Un pays où on ne se suicide pas, puisque le suicide est un renoncement, un abandon de la lutte, une reddition. Ici, c'est: «le peuple meurt, mais ne se rend pas.» «Tu nous as déjà tout dit ça», me direz-vous. Sans doute, sans doute. Mais c'est tellement important, tellement vrai que je me dois de vous le répéter. Et tellement différent de l'attitude des gens habitués à ce que tout leur tombe tout cuit dans le bec!... Prenez l'exemple de la tempête de neige qui vient de frapper l'est des USA et dont tous les médias font leurs gros titres. Il semble que la tempête ait même fait deux morts! Hou la la! Attention, là, on ne rit plus! Et le tremblement de terre en Haïti? Je vous parie une livre de jambon contre un livre sur les gens bons que d'ici la fin de février, le monde aura oublié c'est quoi Haïti et continueront de nous confondre avec Tahiti... Non, je ne ris pas...

Mais j'en reviens à mon petit dimanche tranquille. Il fait beau -- ciel bleu et soleil de plomb -- et Les Cayes est amorphe. Tout le monde vaque à des occupations légères, les gens vont et viennent, mais sans presse, et les corbeaux locaux n'en finissent plus avec leurs vocalises élaborées et bruyantes. Tellement que tout à l'heure, pour pouvoir lire tranquille, j'ai dû les chasser (ils se perchent tout en haut des palmiers royaux et jacassent à n'en plus pouvoir) à l'aide mon précieux slingshot, qui n'est pas vraiment une fronde ni un lance-pierre, mais juste un slingshot, tout simplement. N'empêche, ça les fait fuir pour quelques instants. Car ils reviennent, ces intelligents corvidés. Ils savent. Ils me regardent du haut de leur perchoir et c'est tout juste s'ils ne me chient pas dessus, tiens. Mais ils ne privent pas d'en rire, façon corvidés, bien entendu.

Et pour finir, tiens, je partage avec vous le plaisir incommensurable que j'ai eu de retrouver une personne qui m'était chère jadis mais dont j'avais perdu toute trace. Mais grâce à Facebook, c'est fait. Claudine, qui remonte à l'époque de l'Algérie (1975-77) a répondu qu'elle était bien elle!

Dites, n'est-ce pas extraordinaire?

samedi 6 février 2010

Commencerait-on à respirer?

 


Un petit samedi nuageux avec apparence de pluie dans l'air. Normalement, on s'en réjouit car la pluie dissipe la chaleur et abreuve la terre. Mais je ne peux m'empêcher de penser à ce qu'une pluie diluvienne peut entraîner, comme conséquences, à Port-au-Prince... Car en temps normal, comme la capitale est sise au pied des montagnes, la pluie fait descendre des torrents de boue de tous les côtés. Dans l'état actuel des choses, on devine qu'il n'y aura pas que la boue qui va descendre...

Mais encore une fois, pour nous aux Cayes, tout baigne et personne ne s'en plaint. Nos Brésiliens, entre autres, ont choisi ce samedi pour faire une petite escapade à la mer. Qu'ils méritent bien! Car pour travailler, ces gens-là travaillent, il faut bien le dire. Et ce sont les patients qui en bénéficient. Sauf que, comme vous l'avez sûrement déduit, s'ils ont les moyens de s'offrir une petite sortie à la plage, c'est que le flot de patients diminue. Et c'est une déduction juste: les patients viennent de façon régulière et constante, mais le "rush" du début s'est calmé. Et il le fallait, car le rythme du début était étourdissant. Maintenant, les cas médicaux sont vus, évalués, intégrés à l'horaire et, éventuellement, réglés. En un mot, on prend le temps de s'occuper des malades. Et tout ça, gratuitement, ce qui n'enlève rien à la chose. Hier, une vieille dame m'arrête sur mon vélo et m'annonce que son mari est hospitalisé et que le docteur dit qu'on va l'opérer lundi. «Mais je n'ai pas un seul ti-kob», dit-elle. Je la rassure: «Pa fatigué, chéri, n'ap aranje sa.» Tout juste si elle ne m'a pas sauté au cou... Mais c'est que les soins de santé sont habituellement tellement onéreux que les gens préfèrent rester malades ou blessés plutôt que de se présenter à l'hôpital sans argent. Même pendant cette période de crise, il est des hôpitaux (un entre autres que je ne nommerai pas) qui continue de demander des sommes exorbitantes pour les soins : une fracture ouverte? C'est $600 US! À prendre ou à laisser! Alors plusieurs laissent, comme de raison. On comprend dès lors leur étonnement quand on leur dit qu'on va les soigner gratuitement!

Ce n'est cependant pas la politique institutionnelle courante. Comme tous les établissements de soins de santé dans le pays, nous faisons des frais pour toutes les étapes du processus de l'offre de soins : ouverture/recherche du dossier (qui inclut les frais de consultation du médecin), examens de laboratoire, médicaments, hospitalisation et chirurgie éventuelle. Mais ces frais restent minimes et ne sont pas suffisants pour assurer notre autonomie financière, et ne serait-ce de l'injection monétaire constante de notre bailleur de fonds (la Fondation Brenda Strafford de Calgary, pour ceux et celles qui ne le savent pas déjà), nous mangerions nos bas, comme on dit. Mais en temps normal et attendu que des dépenses hors-budget ne nous tombent pas dessus--genre l'achat d'une génératrice au coût de $23,000 US l'an dernier--nous sommes «pa pi mal». Cependant, exploiter les pauvres malheureux qui, après avoir tout perdu ou presque, se battent simplement pour recouvrer l'usage de leurs membres me semble tout à fait inapproprié. Y'a toujours une limite, quand même...

Enfin, pour mettre un point à cette escapade saturnienne* (oui, je sais, l'adjectif est osé, mais bon, je ne recule devant rien pour vous préciser ma pensée), je vous ai mis, en exergue pour ainsi dire, la photo de notre groupe de Brésiliens. Y'a du monde, hein! Mais quel beau et bon monde, mes amis. Que de bonnes gens là! Franchement, de quoi vous réconcilier avec tout ce qui va mal dans le monde à l'heure actuelle. Car de voir ces parfaits inconnus débarquer, retrousser leurs manches et traiter le peuple haïtien comme si c'était leurs frères et leurs sœurs, c'est beau ça, moi je vous le dis.

* Saturnien vient de Saturne, bien entendu, et comme samedi vient aussi de Saturne, eh bien j'ai fait le saut. Et si vous avez pensé au sens figuré de saturnien (triste, mélancolique...), eh bien vous n'y étiez pas du tout...

vendredi 5 février 2010

Rien à voir avec vendredi, mais...


Oui, je sais, je vous ai fait faux bond hier. Non pas que je n'aie rien trouvé à dire--il y a toujours des choses à raconter--mais j'étais «bouké» comme on dit en créole, et on était en pénalité Internet, avec une vitesse de pas même 100 Kbps, alors aussi bien dire que c'était une connexion téléphonique tout au plus. Mais ce matin, c'est revenu, nous avons retrouvé notre vitesse habituelle d'environ 1,200 Kbps et tout le monde en est heureux. Reste que notre connexion, habituellement tout à fait adéquate, ne suffit plus vu l'affluence. J'ai demandé et averti tout le monde de ne pas faire d'abus de bande passante ou sinon, je les débranche, tout simplement. Notre système Starband fonctionne assez bien, mais comme pour tous les gros fournisseurs américains, nous avons une limite d'utilisation qui, lorsqu'elle est dépassée, nous fait tomber automatiquement en pénalité. Rassurez-vous, je ne vais pas continuer à vous raser avec nos problèmes Internet...

Car ce n'est pas d'Internet ou de bande passante que j'entends vous parler aujourd'hui, mais plutôt de ces Américains qui ont décidé de «sauver» des enfants haïtiens en les escamotant en République Dominicaine. La presse y a consacré plusieurs articles (dont celui-ci), et pour cause: l'affaire est proprement scandaleuse. J'espère que tous ces gens iront en prison et assez longtemps pour y penser à deux fois avant de «voler» des enfants, même si c'est pour leur plus «grand bien». Car c'est quand même aberrant de voir que ces gens se donnent le droit de juger et d'agir à leur guise, sans le moindre respect pour les us et les coutumes des autres, et je ne parle pas des lois. Or, la première chose à faire pour rebâtir le pays, c'est d'accepter comme fait établi que tout croche et tout «poké» qu'il puisse être, Haïti reste un pays, pas une province américaine! Lui prêter main forte est une chose. Mais penser à sa place en est une autre!... Haïti a besoin d'aide dans des proportions effarantes. Mais d'aide seulement! J'ai, pour ma part, énormément de difficultés avec ces bien-pensants qui décident ce qui doit advenir du pays sans jamais y avoir mis les pieds. Il faut lire les commentaires des gens qui suivent les blogues sur Cyberpresse pour voir à quel point les «experts» sont nombreux. À les entendre, on a qu'à les écouter et le sort du monde (incluant celui d'Haïti, bien entendu) est réglé! Savent tout. Comprennent tout. Et l'expriment avec conviction, passion, véhémence, même. Et se gonflent mutuellement de leurs savantes analyses et des conclusions non moins savantes qu'ils en tirent. Ah! c'est du propre, je vous jure... Eh bien n'attendez pas de moi, qui vit dans ce pays depuis seulement 10 ans, de vous expliquer ce qui s'y passe et ce qu'il faut faire pour arranger les choses, car en vérité, je n'en sais strictement rien. Trop con, dites-vous? C'est possible. Mais je pense plutôt que la somme des variables est tellement imposante que toute conclusion est forcément erronée. Alors «experts» abstenez-vous. De grâce. »Avant de juger l'indien», disait Félix, «chausse ses mocassins.» (Les Haïtiens ont aussi un proverbe qui dit la même chose, mais je l'ai oublié...) Mais vous m'avez compris, n'est-ce pas? C'est pourquoi je suis si choqué de voir un groupe religieux américain prendre les choses en main comme eux seuls savent le faire, dans l'ignorance la plus crasse des valeurs en jeu et avec l'arrogance qu'on leur connaît. En passant, avez-vous remarqué comme arrogance et ignorance font bon ménage? L'un est souvent à l'origine de l'autre, qui redevient la cause du premier dans un cercle nombriliste forcément vicieux...

Arrogance et ignorance: voilà pourquoi je suis plutôt réticent à l'idée de mettre le pays en tutelle, comme plusieurs «experts» le recommandent... Ça fait: «Poussez-vous les imbéciles et les ignorants et laissez les pros faire le travail.» Ça fait CIA ou NSA, vous ne trouvez pas, vous autres?

Mais pendant ce temps, le temps passe. Les jours se suivent, se ressemblent un peu sans être jamais les mêmes et avec le temps, ben les choses se tassent. "Avec le temps, va, tout s'en va..." (Ferré).  Et pendant ce temps, Rickenson (photo) grandit parmi nous où il se sent presque en famille tandis que sa mère, hospitalisée, se remet de son amputation et de la perte de ses deux autres enfants... Le temps, vous dis-je.. Le temps guérit tout.

mercredi 3 février 2010

Le 3 fait-il le mois?

 

Doux Jésus que les crêpes étaient bonnes!

Mais sont-ce les crêpes qui m'ont fait passer une nuit de «pitourne»? En tout cas, j'ai eu bien le temps de penser à ce qui se passait et à ce qui ne se passait pas. Non pas que cela ait pu résoudre quoi que ce soit, mais penser reste un verbe d'action qui exprime donc une action, cérébrale si l'on veut, mais action tout de même. En d'autres termes, s'exciter le cerveau n'est pas très bon pour qui veut sombrer dans les bras de Morphée. Or, par les temps qui courent, il est bien difficile de reposer le cerveau. Les pensées s'y bousculent, s'entrechoquent, se disputent la conscience, veulent se faire entendre et y réussissent finalement, mais non sans vous étourdir!

Tout ça pour vous dire que la nuit ne fut pas trop bonne. Mais dans votre univers déconnecté, admettez que vous vous en foutez comme de l'an 40, ce que je suis tout à fait prêt à accepter, ne vous en faites pas.

Les Brésiliens continuent de nous envahir, mais c'est une invasion civilisée, polie, enthousiaste et motivée--rien à voir avec les invasions barbares! Cela dit, ils ont beau être bien gentils, n'empêche que ça fait pas mal de monde en même temps dans la cour. Vous avez vu les tentes (photo de vendredi dernier, 29 janvier); aujourd'hui, je vous montre les boîtes de matériel qui viennent tout juste d'arriver via la République Dominicaine. Ces gens-là s'organisent vraiment bien. Côté langue, certains ne parlent que le portugais, mais ils sont minoritaires; la plupart parlent aussi l'anglais avec plus ou moins de succès, de sorte qu'il est relativement aisé de se comprendre. Quant au radiologiste, il parle portugais et espagnol, ce qui est quand même mieux que portugais et inutituk... Mais cette véritable tour de Babel entraîne des situations cocasses où, comme hier, j'en viens à parler à mes hommes en espagnol, à ma blonde en anglais, au radiologiste en québécois et au seul Américain du coin en créole! (Bon, vous allez dire que j'exagère, et je vous dirai un tout petit peu, mais en gros, c'est comme ça que ça se passe.) Et je ne sais pas pour vous, mais pour moi, la gymnastique cérébrale nécessaire pour ouvrir une porte linguistique et en fermer une autre commence à me peser, moi! Les jeunes font ça sans y penser. En fait ils font à peu près tout sans y penser... Mais avec l'âge, faut de la concentration, n'est-ce pas?

Mais là, je commence à en manquer, de concentration. Heureusement, l'heure de la bière approche... Allez, je vous fais ça court aujourd'hui, mais vous savez que nous sommes toujours là, fidèles au poste, vaillants et courageux comme toujours!... (Et modestes avec ça, comme de raison...)

mardi 2 février 2010

La chandeleur


«À la chandeleur, l'hiver passe ou prend vigueur». Joli proverbe, hein? Pas vraiment applicable en ce pays, mais bon. Bien sûr, vous me direz que la chandeleur, en tant que fête chrétienne, personne n'en a rien à cirer et que si on veut parler du 2 février, qu'on parle au moins du Jour de la Marmotte, idiotement copié sur la tradition américaine du Groundhog Day. Eh bien quitte à vous paraître vieux jeu, je préfère la chandeleur dont l'histoire est assez intéressante et qui nous a donné plusieurs délicieux proverbes (entre autres). En outre, la chandeleur était traditionnellement associée à la crêpe, tradition que nous ferons revivre ce soir au souper, puisque nous aurons des crêpes jambon-fromage-asperges, mmmm! tellement bon que j'en bave déjà!

Pas grand changement depuis hier sauf la rumeur du jour... La rumeur du jour, racontée par l'un de nos médecins puis déformée sensiblement par d'autres personnes, c'est que nous serions supposés subir un autre tremblement de terre majeur dans les prochains jours. J'ai dû en rire, même si ce n'est pas vraiment drôle. Comme si les gens avaient besoin de ça... Selon le médecin, un géologue français en entrevue à la radio a déclaré que, bien que le séisme du 12 janvier ait relâché une bonne partie de la tension sur la faille Enriquillo, il a également eu pour effet d'accroître la tension ailleurs, ce qui ne peut qu'entraîner un autre tremblement de terre. Jusque là, nous sommes d'accord. Mais c'est lorsqu'on me dit que le prochain séisme est imminent que je tique. Car comment le savoir? J'ai dit à tout le monde, y compris à mes amis médecins, que personne ne pouvait prédire un séisme en termes de jours, ni prédire où le séisme va se produire! Je sais peu, mais ça je le sais. Alors, ai-je dit, on ne peut tout de même pas se terrer (beau choix de verbe en l'occurrence, admettez!) en attendant le prochain tremblement! Ces propos sensés en ont ébranlé certains, mais la plupart restent sceptiques... Et je ne peux pas dire, dans ce cas, que les sceptiques seront confondus, car je n'en sais rien! Mais je refuse de vivre dans la peur que le ciel nous tombe sur la tête ou que la terre se dérobe sous nos pieds. C'est comme si on se refusait de prendre le volant parce qu'on peut avoir un accident... On ne s'arrête pas à ça. Et j'avoue, pour ma part, être beaucoup plus concerné par la montée du chaos social que par la prédiction d'un autre séisme qui peut se produire en 2020 ou en 2080, pour ce qu'on en sait. Ou en 2010, bon d'accord...

Mais la vie continue, n'est-ce pas? Parce qu'elle doit continuer. La vie, c'est le temps, et le temps ne s'arrête jamais. Alors on continue. On se lève, on court pendant une dizaine d'heures, et puis on lâche notre souffle avant de retomber dans un sommeil qu'on souhaite réparateur mais qui ne l'est pas toujours. Les nerfs, faut croire... Et chaque jour, on essaie de mettre une pièce sur un petit trou. Un baume sur une plaie. Rien de permanent, mais ça tient pour un bout.

Aujourd'hui cependant, le baume a pris la forme d'une jolie petite somme pour nos employés: pas moins de 2,000 G, soit l'équivalent d'environ 50 $, c'est un beau cadeau. Surtout en ces temps durs où tout le monde crotte sec. Peter, un Américain venu pour aider--un parmi tant d'autres--à travers une fondation humanitaire, a trouvé l'argent pour nos employés. Et qu'est-ce que vous dites de ça? Franchement, ça, c'est un beau geste.

Quant à nous, eh bien je vous rappelle qu'on s'offre de délicieuses crêpes, ce soir! J'espère que vous ne l'avez pas déjà oublié!

lundi 1 février 2010

Bonjour février!


Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais vous laisser commencer février comme ça! Surtout que c'est un mois important, février. Le mois où les jours rallongent. Le mois de la Saint-Valentin... Le mois de mon anniversaire, aussi. Ça, c'est important! Pourtant, c'est un mois qui commence comme l'autre a fini : en plein drame. Car il s'étire, notre drame; il n'en finit plus de durer, à tel point que c'en devient rasant. Comme un bon film qui ne finirait pas: tout à coup on en a marre, on se lève et on passe à autre chose et tant pis pour la fin. C'est dans cet esprit que je vous ai livré le texte d'hier: il me semble que ça serait bien si l'on pouvait passer à autre chose. Mais hélas!...

Les médias commencent à se désintéresser de la chose, et c'est bien. Ils ont fait leur travail, ils ont véhiculé l'information, ils ont fait monter les cotes d'écoute ou similaire et maintenant, c'est "passons à autre chose". Encore une fois, c'est correct comme ça. Il faut que la page se tourne et que l'histoire ait une fin. Mais voilà: ici, elle n'en a pas encore. On ne sait pas ce qui s'en vient. On sent que nous sommes à la deuxième vague: après la catastrophe, il y a l'après-catastrophe qui, dans le cas qui nous touche ici, peut être aussi mauvaise (quoique moins spectaculaire) que la catastrophe elle-même. Car maintenant, les gens, pris par surprise par l'événement, ont eu le temps de remonter leurs culottes et voudraient bien que les choses rentrent dans un semblant d'ordre: le cosmos, par rapport à son contraire: le chaos. Malheureusement et quoi qu'on en dise, c'est toujours cahoteux et chaotique. Certains reçoivent à manger, d'autres pas, certains reçoivent des soins inadéquats, d'autres pas, comme en témoigne d'ailleurs cet extrait d'un article d'Ariane Lacoursière:
"Samedi midi, le Dr Pitchner opère un jeune homme de 18 ans dans son bloc opératoire. Le patient présente une immense plaie sanguinolente au coude droit. «Il s'est fait amputer dans un autre hôpital. Mais la plaie s'est infectée, explique le Dr Pitchner. Les grosses taches noires dans la plaie sont causées par l'infection.» Dans un ultime effort pour freiner l'apparition de tétanos, le Dr Pitchner vaccine son jeune patient. «Je le fais à tout le monde. Par prévention», dit-il."
Or cette situation, nous l'avons vécue ici, à notre petit hôpital, et disons que ce n'est pas tellement encourageant. Surtout que les amputations ne sont pas pratiquées par des charlatans, mais par des médecins étrangers, qu'on croit compétents et professionnels. Mais on est où là? Le Dr Ricardo, le chef de notre équipe de Brésiliens ici, m'a dit qu'il a vu des confrères d'un autre pays (que je ne nommerai pas) faire des choses très risquées pour l'infection. C'est vrai que ce ne sont que des Haïtiens ou des Haïtiennes, alors... Alors quoi? À quoi sert de soigner si l'on soigne mal? Du travail bâclé reste toujours du travail bâclé, qu'il faut reprendre à un moment ou à un autre et dont les conséquences sont parfois très lourdes. Alors pourquoi ne pas prendre le temps de faire les choses proprement du premier coup? Surtout qu'il ne s'agit pas de mesures compliquées ou onéreuses sur le plan financier, mais de simple gros bon sens. Ah! Je vous dis...

Et juste cela vous dit, mieux que n'importe quelle explication élaborée, à quel point les choses ne vont pas bien. Les médias voudraient bien pouvoir tirer un trait sur toute cette histoire, comme j'en ai tiré un hier sur janvier, mais on est encore loin du compte, je le répète...

Ne vous en faites pas: quand les choses auront baissé suffisamment pour qu'on puisse recommencer à respirer, je vais vous le faire savoir!