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mercredi 22 mai 2013

Le mur

Je vous ai parlé du mur, mais sans vous en parler vraiment, alors je me permets d’y revenir. Car c’est important, un mur. Quand on veut séparer deux espaces, on érige un mur ou on creuse un fossé; ou les deux parfois. Pensez à celui de Berlin, construit en une seule nuit, dit-on, et dont l’efficacité fera la honte de l’Allemagne moderne pendant 28 ans… Un mur isole, protège, limite l’accès, cache même. Or, c’est précisément la fonction que le mur dont je vous ai parlé dans mon dernier texte doit jouer : nous protéger et limiter l’accès à la propriété de l’hôpital. Vous allez me dire qu’une simple clôture fait tout aussi bien l’affaire mais vous aurez tort, car la clôture est nettement plus facile à franchir et laisse voir ce qui se passe de l’autre côté, attisant de ce fait les convoitises. Et puis une clôture de type "frost", ça se coupe sans trop de problèmes, comme on le voit dans tous les films, et il est relativement aisé de s’y frayer un passage.

En fait, c’est exactement ce qui s’est produit récemment : quelqu’un a tout simplement créé une brèche dans la clôture, se donnant ainsi accès à notre propriété sans que personne ne le sache et sans que les gardiens puissent s'interposer. Difficile de croire à des intentions honnêtes derrière ce geste et nous en avons eu la preuve lorsque nous avons appris que l’un de nos gardiens s’était fait voler ses deux moutons. Ne riez pas, de grâce! Le type en était tout remué, non pas pour la personnalité de ces doux animaux, mais plutôt pour leur valeur marchande, hélas!

Voyant la brèche dans la clôture, je pris la décision sans plus hésiter : ce sera un mur et haut avec ça. De cette façon, la propriété sera complètement entourée et protégée des éventuels petits voleurs. En fait, je pense que cette construction ne fait pas leur affaire puisque, en cours de route, on a coupé les barres de fer qui formaient le squelette des poteaux de béton — à la scie à métaux, c’est tout de même un assez long travail  — et bien que je ne nie pas la valeur marchande du fer, j’y vois plutôt comme une protestation contre ce mur qui rend l’accès au terrain bien difficile, surtout coiffé de fil de fer barbelé coupant, (razor wire), qui n’a rien de décoratif, croyez-m’en… Mais il faut ce qu’il faut. Après ma bicyclette, disparue en octobre 2010 par la voie de l’inefficace clôture, il y a eu récemment la batterie de la génératrice, puis les moutons du gardien, sans oublier le fer d’armature… Bref, il est temps de freiner l’hémorragie. (Parlant de cette bicyclette, vous vous souvenez que je vous avais dit que je ne la reverrais sans doute jamais, eh bien j’avais tort : quelques mois plus tard, chez le marchand de vélos du coin (!), j’ai revu le cadre de cette même bicyclette. J’aurais pu le reconnaître les yeux fermés… Tout le reste avait été retiré et modifié, de sorte qu’il ne restait rien de la bicyclette originale que ce cadre rouge… Évidemment, le marchand n’était au courant de rien…)

Peut-être soulèverez-vous la question esthétique de ce mur : un ouvrage de blocs de béton gris, mesurant de plus de trois mètres de haut (sans compter le barbelé au sommet), n’est certainement pas ce qui vient à l’esprit quand on veut parler de beauté. Entendant nous : c’est carrément laid. Une laideur que, pour parodier Kant, l’on pourrait sans doute décrire comme une «universalité subjective», car j’en connais peu qui oseraient dire que ce mur est beau. Imposant, oui; massif, lourd, solide, nous sommes d'accord. Mais beau?...

Cependant, ce que vous ne savez pas, c’est la vitesse à laquelle poussent les plantes grimpantes dans ce pays. En quelques mois, le mur ne sera plus qu’un écran de verdure et malgré sa masse, en deviendra presque beau, à tout le moins reposant pour l’œil sans pour autant perdre de ses fonctions protectrices. Je vous en ferai une photo à ce moment-là…

En tout cas et quoi qu’il en soit, il n’a rien à voir avec le mur de la honte…

jeudi 11 avril 2013

Accident!


Je ne veux pas faire mon oiseau de malheur et donner l’impression de taper sur le même clou sans cesse, mais l’accident dont vous voyez la photo ci-dessus ne fait que confirmer ce que je vous disais dans l’un de mes textes précédents, à savoir que les transports publics en Haïti sont à déconseiller fortement, pour toutes sortes de raisons allant de l’état mécanique des bus publics aux hasards de la route. Et pourtant, dans le cas de l’accident de la photo, ce n’est pas une raison mécanique ni un hasard de la route qui a provoqué le drame, mais simplement l’incompétence flagrante du chauffeur, lequel à ce qu’on nous a dit, était assez éméché : il revenait d’une veille funéraire et ces veilles sont toujours l’occasion de boire bien copieusement à la santé du mort — surtout qu’il s’agit là d’une des rares circonstances où l’alcool coule à flots et gratuitement en plus. Or, il semble que le chauffeur, voulant montrer sa solidarité à la famille du défunt sans doute, se soit proprement imbibé; reprendre le volant dans cet état n’était évidemment pas une bonne idée… Faut encore que je vous dise que toute cette route (la nationale des Cayes à Valère) est à peu près parfaitement rectiligne, sauf à cet endroit où une courbe aussi inattendue que prononcée vous oblige à ralentir substantiellement. On peut donc assumer que le chauffeur, embrumé dans les vapeurs éthyliques, n’a pas vu la courbe arriver et n’a pas pu la négocier, tout simplement. Un accident bête, comme il en arrive partout dans le monde. Sauf qu’ici, nous avons appris que sept passagers avaient péri, sans compter la quinzaine de blessés qui s’en sont tirés tant bien que mal. Ce n’est pas un bilan effroyable, mais c'est tout de même assez macabre et ce n’est certainement rien pour pavaner.

Le pire, c’est que certains passagers, voyant l’état d’enivrement évident du chauffeur, ont exigé de descendre du bus avant la courbe fatidique. Grand bien leur en prit! On dit aussi que la famille du chauffeur, dont tous les membres étaient assis devant, s’en sont tous tirés indemnes, tout comme le chauffeur d’ailleurs, au grand dam des autres passagers — pas ceux qui sont morts, je veux dire…

Je vous relate ce fait divers pour la simple raison qu’il illustre bien ce que je vous dis depuis toujours, il me semble, à savoir que les accidents arrivent et que, par définition, ils sont inévitables. Car un accident évité n’est pas un accident, mais un presque-accident, n’est-ce pas? Ainsi, si le chauffeur du bus avait réussi à prendre la courbe, même en dérapant légèrement, tout le monde en eût été quitte pour une belle frousse, personne n’aurait parlé d’accident et tout aurait été dit. Tandis que là, l’accident s’est réellement produit et le drame s’en est suivi. Dès lors, vous serez mieux en mesure de comprendre mon principe de ne jamais prendre la route une fois la nuit tombée, et ce, même si je suis parfaitement à jeun (vous avez compris que je précise la chose pour que, d’avance, les mauvaises langues puissent ravaler leurs sarcasmes et non parce que je commets régulièrement des abus d’alcool…). En effet, non seulement les obstacles habituels sont-ils toujours là, mais ils se fondent au décor et n’en deviennent que plus dangereux, nonobstant la puissance des phares de la voiture. Donc, s’abstenir — ou à tout le moins limiter les déplacements — reste encore la meilleure police d’assurance…

Pourtant, il faut parfois le faire et là, eh bien on fait ce que tous les Haïtiens font : on prie…

mardi 8 janvier 2013

Haïti, un pays à éviter?


Haïti proteste. Haïti clame bien haut son innocence. Haïti dénonce le classement paru à la fin de décembre sur le site Yahoo.fr. voyage et qui place Haïti parmi les dix pays à éviter en 2013. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un tollé d’indignation. Tout à fait justifié dans les circonstances, je le dis en toute simplicité. En fait, j’ai vérifié sur plusieurs autres sites du même genre (les pires pays à visiter) et en aucun autre endroit n’ai-je rencontré cette odieuse désignation du pays. Je suis donc d’accord pour dire que certains y sont allés un peu fort en mettant Haïti au même rang que l’Irak, l’Afghanistan ou la Syrie… Alors remettons les pendules à l'heure : Haïti n'est pas un pays à éviter. Pas du tout.

Pour le prouver, le gouvernement s’appuie sur des chiffres qui classent Haïti parmi les pays antillais où la criminalité est la moins élevée. C'est là que je tique. Car, je le redis : ces chiffres ne disent pas tout. La situation au pays n’est ni pire ni meilleure qu’elle l’était auparavant, mais elle n’est pas pour autant paisible et insouciante. Juste pour vous en donner un petit exemple, je tombe ce matin sur ce petit article tiré de Haiti Press Network (HPN), que je cite intégralement pour ne pas que vous ayez à faire l’effort de le rechercher sur le Web.
«De nouvelles fusillades ont éclaté lundi soir dans le quartier de Bel-Air, centre de Port-au-Prince apparemment entre groupes armés qui s'affrontent depuis plusieurs semaines semant la panique au sein de la population, a appris Haiti Press Network. Des tirs nourris à l'arme automatique ont été entendus dans le quartier forçant les membres de la population à s'enfermer dans leurs maisons. "Nous avons abandonné la rue des 6H00 du soir. Il y a des tirs à l'arme lourde partout; les commerces sont fermés. Rien ne fonctionne", a témoigné par téléphone un résident contacté par un journaliste de HPN. Selon des habitants du Bel-Air deux groupes armés s'affrontent depuis plusieurs semaines pour le contrôle de la zone alors que la police et la Minustah n'assurent pas régulièrement la sécurité dans le quartier. "Les patrouilles de la PNH sont rares et celles qui sont parfois présentes se retirent des 5H00 PM. La Minustah es pratiquement absente", a indiqué un père de famille.»
Je ne sais pas ce qu’on dirait si une telle situation se passait au centre de Montréal, de Paris ou de New-York, mais je suis convaincu qu’on ne la trouverait pas drôle — et certainement pas normale ou acceptable. Mais en Haïti, c’est notre «normal». Tout comme le sont les manifestations impromptues, ou même les simples «blocus» (bouchons de circulation) qui paralysent la circulation pendant des heures, menaçant de vous faire manquer l'avion, par exemple... Port-au-Prince, je le dis sans mépris ni colère, n’est pas une capitale où il fait bon flâner le nez au vent. Et disant cela, je voudrais bien pourtant que ce soit un endroit invitant, capable de séduire le voyageur qui le découvre pour la première fois. Mais ce n’est pas le cas et je pense qu’il faut avoir le courage d’appeler un chat un chat, même si l’on voudrait qu’il soit autre chose.

Les chiffres fournis concernent la criminalité, concept large s’il en est un. Or, je prétends que les crimes dont on parle en Haïti ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qu’on pourrait rencontrer en Jamaïque ou au Salvador, et c’est ce qui rend les chiffres peu représentatifs du climat d’insécurité qui prévaut dans le pays. Quand on parle d’insécurité, on ne parle pas de criminalité, mais du fait que l’on peut rapidement se retrouver dans une situation potentiellement très dangereuse sans que rien ne la laisse prévoir. Les manifestations, entre autres, ne sont jamais légères en ce pays, et même le secrétaire d’état à la sécurité publique l'a admis publiquement lorsqu'il a annoncé que le pays avait connu pas moins de 363 manifestations violentes en 2012. Et notez bien le mot : violentes. Je pense qu'il y a là quelque chose de préoccupant, pas vous?

Quoi qu'il en soit, cette réalité sociale n'enlève rien au fait que le pays vaut le détour, sans le moindre doute...

mercredi 2 janvier 2013

De fausses idées sur l'insécurité?


Pour tout vous dire, j’avais décidé de vous offrir ce texte en guise de clôture à 2012. Mais je trouvais qu’il n’était peut-être pas de mise de vous parler de choses dures et tristes alors que l’heure était aux réjouissances. Comme ma compagne était tout à fait d’accord avec moi, je me suis abstenu. Mais l’article d’aujourd’hui sur Haiti Libre que mon ami Antonio a suggéré sur son mur Facebook, m’incite à y revenir. Car je crois qu’il faut faire la part des choses.

Qu’on veuille dédramatiser l’insécurité chronique du pays est tout à fait normal. Il semble en effet paradoxal de vouloir développer le tourisme tandis que l’insécurité est décriée partout comme endémique. Mais malgré tous les chiffres qu’on nous avance dans l'article, la situation au pays reste, hélas, catastrophique. Je vous en donne un triste exemple, survenu le 25 décembre ici aux Cayes.

En ce jour de paix et d’amour universel, des bandits ont kidnappé un enfant de 8 ans, ont rançonné les parents pour $150,000 US et voyant que ceux-ci ne pouvaient offrir plus de $25,000, ont torturé l’enfant (bras cassés, langue coupée, yeux crevés) avant de le tuer. Je vous dis ça comme ça, rapide parce que c’est tellement horrible que je veux que vous passiez vite. Mais c’est réellement arrivé. Un enfant de 8 ans. Torturé et mis à mort cruellement. Le jour de Noël. Alors je ne sais pas si ces choses arrivent aussi en Jamaïque ou à Trinidad, mais ici, elles sont assez fréquentes, en fait, de plus en plus fréquentes, notamment en ce qui a trait au kidnapping des jeunes enfants.

Récemment (le 28 décembre dernier), le département d'État américain s’adressait ainsi à ses ressortissants:
"U.S. citizens have been victims of violent crime, including murder and kidnapping, predominantly in the Port-au-Prince area. No one is safe from kidnapping, regardless of occupation, nationality, race, gender, or age. In recent months, travelers arriving in Port-au- Prince on flights from the United States were attacked and robbed shortly after departing the airport. At least two U.S. citizens were shot and killed in robbery and kidnapping incidents in 2012."
Tout cela ne signifie rien de bon, vous l’avez compris. Mais c’est la triste réalité, hélas! Alors qu’on s’efforce de redorer le blason haïtien et de minimiser l’impact de cette réelle insécurité en comparant Haïti aux autres pays antillais, je veux bien, mais ne me dites surtout pas que le phénomène n’est pas préoccupant : il l’est. Car comme le message du département américain le dit : personne n’est à l’abri du kidnapping, ni les étrangers que nous sommes (ce qui était pourtant le cas auparavant), ni même les jeunes enfants.

Si bien que je ne peux en tout état de cause, souscrire à l’opinion de l’article d’Haiti Libre, même si j’en comprends la raison d’être. Mais comme je l’ai déjà dit, il y a malheureusement loin de la coupe aux lèvres et malgré le désir de promouvoir le tourisme, il faudra certainement que l’on puisse contenir, voire réduire cette insécurité chronique avant que les touristes s’y frottent car l’effet en serait désastreux.

Je conclus en vous disant ce que je vous ai toujours dit : Haïti n’est pas un pays facile et les défis sont de taille pour que les gens accèdent à ce que l’on considère une qualité de vie acceptable. Et malgré la meilleure volonté du monde, ce n’est pas demain la veille que cela se fera. Mais chaque petit pas vers l’avant reste tout de même un pas dans la bonne direction et je pense qu’il faut s’encourager.

Mais en restant très prudent, tout de même…

vendredi 29 avril 2011

Aimez-vous l'aventure?


J’ai déjà dit que les départs étaient une inévitable source de stress. Inévitable à cause de la nature même de l’activité : il faut penser à tout, à ce qu’on laisse derrière aussi bien qu’à ce dont on aura besoin devant; aux choses indispensables (passeports, tickets, argent…) et aux choses pas absolument nécessaires mais tout de même utiles et agréables (gouttes ophtalmiques, lunettes, livres, vêtements chauds…). Mais inévitable également à cause de la situation présente du pays, qui rend la circulation difficile voire aléatoire. Or, sachant cela, nous avions décidé — très sagement dois-je le souligner — de faire la portion routière de notre voyage un jour d’avance, de façon à nous laisser la marge de manœuvre susceptible de diminuer le stress. Ça y est? Vous me suivez? Je ne vais pas trop vite?

Donc, nous quittons Les Cayes vers 10h30, supputant que, si les choses se passent sans anicroche, nous serons vraisemblablement à Port-au-Prince vers les 14h30, ce qui nous laissera le temps de faire quelques courses avant d’aller relaxer à l’hôtel. Mais les impondérables, les amis, les impondérables…

Un premier barrage nous ralentit. Pas longtemps : une petite demi-heure et nous pouvons passer à nouveau, la police ayant dispersé les manifestants et les voitures qui bloquent la route. Un second barrage nous interrompt, mais encore une fois, la police intervient rapidement et nous pouvons poursuivre notre route… jusqu’à ce barrage qui n’en est pas encore un. Mais l’activité fébrile qui se passe devant ne laisse aucun doute quant à l’objectif visé : barrer la route et embêter les automobilistes, lesquels d’ailleurs, font maintenant demi-tour massivement. Ce que nous faisons nous aussi. Notre chauffeur, prudent par nature et par expérience, préfère s’éloigner. Nous attendons. Mais voilà que des manifestants, foulard sur la tête, viennent bloquer la route précisément à notre niveau, nous ordonnant même de mettre notre voiture en travers de la route de façon à la bloquer. Poliment, je demande au gars de nous laisser aller, insistant que nous n’avons rien à voir là-dedans. Rien à faire : on me fait la réponse la plus injurieuse qui soit en Haïti et que je ne répèterai pas ici de peur de passer pour vulgaire. Disons simplement que l’expression a son pendant en anglais et tout sera dit. Bref, nous frappons un mur d’agressivité et d’incompréhension. D’autres malfrats arrivent, la tension monte d’un cran et l’un d’eux exige les clés de la voiture. Je m’y oppose; on sort les pistolets — pas des joujoux, je vous jure. Pas le choix de les laisser prendre les clés de la voiture et tant pis pour le reste…

Nous voici donc bloqués au beau milieu de nulle part, sans voiture et sans moyen d’y remédier, avec des gens qui courent s’abriter de tous les côtés. Où aller? Jusqu’au moment où une dame, de l’autre côté de la route, nous fait signe de la rejoindre. Ce que nous faisons. Nous nous trouvons chez elle dans une sécurité relative, mais guère plus avancés… Je crains toujours le pillage de nos effets personnels et avec ce que l’on trimbale avec nous (ordinateur, appareil photo, passeports, cartes de crédit et argent liquide) nous avons de quoi contenter les plus exigeants… Mais il semble que ce ne soit pas le but de l’activité. En effet, moins d’une demi-heure plus tard, les forces de l’ordre ont fait fuir les manifestants et ont rouvert la route. Tout le monde repart. Mais pas nous, qui sommes sans clé…! Cependant Onès, notre dévoué chauffeur, a pris des dispositions pour possiblement récupérer nos clés. Possiblement. Alors on attend. Une heure passe, puis une autre. Il est maintenant près de 17h et il faut commencer sérieusement à un plan B… Mais lequel? Arrive alors une grosse remorque de la MINUSTAH qui, visiblement, vient pour remorquer notre véhicule. C’est le temps de poser quelques questions. Que je pose. Le chef de la police me dit qu’ils doivent remorquer notre voiture au commissariat de la ville voisine, sinon on va le brûler aussitôt que le jour sera tombé. Cela me paraît une raison tout à fait acceptable et donc, j’opine. Le chef de la police m’offre même d’aller attendre au commissariat, si l’on veut, histoire d’accroître un peu notre sentiment de sécurité. Là encore, je trouve l’idée bonne. J’opine encore. Or, lorsque je rejoins le chef de la police, il est en conversation avec deux types qui nous posent un tas de questions, ce qui rend ma douce amie un peu nerveuse. À tort, nous pourrons le constater. L’un des deux gars est tout simplement dans la même situation que nous (on lui a aussi pris ses clés de voiture) et il attend tout simplement qu’un ami vienne lui en porter un double. Sauf que dans son cas, l’ami ne tardera pas trop et comme il nous offre gentiment et généreusement de nous conduire à notre hôtel à Port-au-Prince, nous montons avec lui. Vers 19 h, nous sommes à l’hôtel, la bière est bonne et le steak succulent.

Onès, pendant ce temps, a poursuivi ses négociations avec un intermédiaire qui connaît l’un des types qui a pris les clés. Qu’il finira par récupérer, à force de patience et de persévérance!

Tout est bien qui finit bien, donc et personne ne s’en plaint!

Mais quant à savoir si on aimé l'expérience, eh bien c'est franchement non!

mardi 1 mars 2011

Quand ça détone...

POW!

Réveil immédiat et panique instantanée. Est-ce un coup de feu? Je jette un coup d’œil au radio-réveil numérique : 1 h 12. Je retiens mon souffle. À côté de moi, ma compagne, d'ordinaire bien enveloppée dans les bras de Morphée, ne respire plus elle non plus. Je présume qu'elle a, comme moi, entendu la détonation et que, comme moi, elle attend la suite. Mais il n'y a pas de suite. Peut-on se risquer à respirer? Il le faudra bien... Tout doucement, sans faire le moindre bruit, on lâche notre souffle et on prend une petite bouffée d'air. Tout est si calme, c'est à croire que nous avons rêvé. Et pourtant, lorsque nous nous décidons bien timidement à partager notre impression à voix basse, elle s'avère identique : le claquement ne laisse que peu de doute sur son origine. Et vu notre mauvaise expérience avec les détonations, eh bien nous sommes pour ainsi dire sur le qui-vive.

POW! CLAC!

Voilà le claquement sec qui se reproduit, et cette fois, il nous est facile d'en identifier la source : une MANGUE qui tombe sur les feuilles du palmier nain qui pousse au pied du manguier! Ouf! Ce n'était que ça. On s'en fait quelques blagues. On rit de notre panique. Le pouls peut ralentir, l'adrénaline se dissiper, CE N'ÉTAIT RIEN. Et c'est même courant, comme je l'ai d'ailleurs mentionné dans un texte de l'an dernier. Mais comment peut-on confondre l'impact de ce fruit avec celui d'une arme à feu? L'intensité du claquement d'abord et notre mémoire stigmatisée ensuite. Car il faut le dire, l'imagination fait beaucoup dans ces cas-là, surtout lorsqu'elle s'appuie sur des souvenirs assez cauchemardesques... Et puis, un claquement, dans une nuit silencieuse n'est jamais synonyme d'harmonie et de tranquillité, hein? Alors mieux vaut s'éveiller et se tenir à l'affût. Car on ne sait jamais. Surtout que ces temps-ci, et malgré une situation sociale plutôt calme, l'insécurité règne. Des voleurs armés courent les rues, semble-t-il, et la police n'y peut pas grand-chose... Alors on se croise les doigts et on souhaite que rien ne se passera qui viendra troubler les nuits habituellement paisibles, si l'on oublie les coqs et les chicanes de chiens, bien entendu.

Mais les fruits tombent, c'est un phénomène bien connu, et ce, la nuit comme le jour. Or, la saison des mangues approche et les arbres de la cour en sont chargés. Mais ces fruits succulents n'attendent pas toujours de mûrir patiemment sur leur branche avant de se laisser choir : quelquefois, pour une raison x, ils décrochent, fatigués sans doute de leur vie de fruit ou simplement attaqués et vaincus par une bête, rat ou oiseau. Et leur chute n'est jamais discrète, car les fruits verts sont durs et massifs et dans leur course effrénée vers le bas, bousculent tout ce qui se trouve sur leur passage. Dès lors qu'ils atterrissent ailleurs que sur le sol, l'impact en est plutôt sonore. Alors voilà, vous savez tout.

Vous me direz qu'il n'y a pas de quoi en faire tout un plat et c'est précisément ce que je vous dis, si vous me suivez bien. Quand on sait qu'il ne s'agit que d'une mangue qui s'est frayée un chemin vers le bas, on se rendort aisément; mais voilà : encore faut-il le savoir! Et j'entends par là, sans en douter! Or, je vous le répète, nous sommes dans une période où les attaques individuelles contre des bonnes gens sont en croissance et c'est toujours la nuit que ces choses se passent, n'est-ce pas? C'est ce qui explique que ces claquements sonores, apparentés à la violence, nous réveillent : on ne sait jamais.

Une fois la source de la détonation identifiée, nous sommes donc retournés aux affaires courantes, chez Morphée. Et le matin, comme toujours depuis quelque temps, la galerie était couverte de mangues. Tout est bien qui finit bien. Ça c'était au cours de la nuit de dimanche à lundi dernier.

Mais la nuit dernière, c'est un son sourd et lourd que nous avons entendu et qui nous a réveillés, vers les 4 h 30. Comme quelqu'un qui aurait sauté le mur et aurait abouti au pied du cocotier. Mais cette fois, j'en ai rapidement déduit la source. Et voyez la taille de ce coco (photo ci-dessus), fruit du cocotier contenant la noix de coco que vous connaissez bien et dites-moi maintenant que j'exagère avec mes histoires à dormir debout...

De quoi faire réfléchir La Fontaine, tiens (le gland et la citrouille)...

jeudi 18 février 2010

La peur règne toujours


Lu hier et médité une bonne partie de la journée: "Changer de paradigme c'est nous libérer de cette pensée magique qui nous fait espérer que tout ceci ne soit qu'un cauchemar dont nous allons bientôt nous réveiller." (R. Vaillancourt)

Devant une catastrophe de cette ampleur, on cherche des repères... qui n'existent plus. On ne sait plus trop à quel(s) saint(s) se vouer. On se sent déphasés, déséquilibrés, déstabilisés. Je pense l'avoir déjà dit. Mais il faut que j'y revienne. Car c'est là l'un des éléments essentiels de la période actuelle: elle dure. Elle ne s'estompe pas. Elle se maintient, comme une suite de jours gris qui nous font presque douter que le soleil existe. Et elle a sur nous les mêmes effets pernicieux qu'une suite ininterrompue de jours sans soleil: elle nous use, elle nous sape le moral, elle nous rend amers, elle nous fait douter.

Juste pour vous donner un exemple: je lisais hier un article (introuvable aujourd'hui--probablement parce qu'on l'a retiré) qui disait que, à la suite de l'éboulement du mur d'une école primaire à Cap Haïtien, éboulement dû à de fortes pluies qui descendaient de la montagne derrière l'école, certains ont pensé percevoir une secousse avant l'effondrement du mur. Maintenant, on attend le tremblement de terre qui va assurément secouer la région et qui sera encore plus terrible que celui du 12 janvier dernier! Comme si Cap Haïtien voulait compétionner avec Port-au-Prince! Et pourtant, derrière cette folie, on sent le désarroi du peuple. Car qui croire? Comment croire que c'est fini? Comment ne pas penser qu'il s'agit là d'un film d'horreur qui nous fait frissonner de peur, mais où l'on reste conscient que "ce n'est qu'un film"? C'est vrai que plusieurs encore semblent marcher comme dans un rêve, horrible certes, mais rêve tout de même. Ils attendent le réveil qui ne viendra pas. Ils se terrent, ils dorment dehors ou dans leurs voitures, ils sont sur le qui-vive, bref, ils ont peur. Pas peur de l'avenir, car l'avenir n'existe pas. Peur au présent. Une peur à se rendre malade, parfois. Hier, c'était l'une de nos techniciennes de laboratoire: vomissements, diarrhée et douleurs à l'estomac: "c'est mon ulcère", dit-elle. Mais en vérité, l'ulcère se manifeste parce que le stress l'excite...

Car je vous le dis: l'hystérie collective s'accroît. Plusieurs croient que ce n'est pas fini et qu'un autre tremblement de terre est imminent. Témoin ce message SMS reçu le 1er février dernier:
"Fè pèp la konnen sak pase nan peyi a 12 janvier 2010 te gen yon sèvant bondye ki te soti etazini bondye te voye-l vin bay nouvèl la, li bay li, yo pase-l nan jwèt. Epi sa-l te di a fèt. Li tounen 25 janvier ankò li di sak te pase 12 janvier se pat anyen sa vle di sak pral pase a pirèd. Si nou vle epanye sak pral pase fè 3 jou jèn ki sipoze komanse le 12, 13, 14 fevrier 2010. Pase mesaj sa a jiskaske ou pa gen SMS ankò nou pap kit haiti kraze."
"Informez la population que ce qui s'est passé dans le pays le 12 janvier 2010, une servante de Dieu venue des États-Unis l'avait annoncé; elle a transmis son message, mais tout le monde a cru que c'était une blague. Et puis ce qu'elle avait annoncé s'est avéré. Elle est retournée le 25 janvier en disant que ce qui s'était passé le 12 janvier n'était rien en comparaison de ce qui s'en venait. Si nous voulons nous épargner ce qui doit arriver, il faut faire 3 jours de jeûne les 12, 13 et 14 février 2010. Faites passer ce message jusqu'à ce que vous n'ayez plus de crédit SMS. Nous n'allons pas laisser le pays se faire détruire."
Et qu'est-ce que vous dites de cela? Nul besoin de vous dire que si j'ai reçu ce message à deux reprises, tout le monde l'a reçu. Les téléphones ici sont tellement populaires... Imaginez maintenant le phénomène de contagion qui s'ensuit, style: "As-tu reçu ce message?" "Oui, et s'ils le disent, c'est sûrement vrai!" Pour un peu, on pourrait croire que certains s'amusent à paralyser le pays davantage, tiens...

Non, ce n'est pas un cauchemar et nous n'allons pas nous réveiller en poussant un soupir de soulagement. La vérité, c'est que la donne a changé. Le pays n'est plus le même, la page de l'Histoire est tournée et comme je le répète ad nauseam à qui veut encore l'entendre: nous ne retournerons jamais au 11 janvier 2010.

Et pendant ce temps, il pleut à torrents à Port-au-Prince... Vous savez ce que ça veut dire...

mercredi 20 janvier 2010

Et une autre petite secousse avec ça?


C'est drôle. Hier, je vous parle de sécurité. Je venais à peine de plaquer mon texte sur le Web que les coups de feu retentissent dans la rue, et pas un ou deux, mais une véritable fusillade! Je pose quelques questions et on me dit que les prisonniers, incarcérés à la prison juste derrière le commissariat, lui-même à deux pâtés de maison de notre hôpital, les prisonniers donc se sont évadés et que maintenant, la police leur tire dessus! Mais on est où là? Entre-temps, tout le monde est sur ses gardes, personne n'ose sortir de l'enceinte et ma petite sœur préférée, une sœur de la charité de Calcutta (non, elle n'est pas de Calcutta la ville, en fait, elle est latino et s'appelle Guadalupe), explique au gentil soldat uruguayen qu'ils doivent rester ici et nous protéger. Dix minutes plus tard, des militaires avec de jolis casques bleus sur la tête et des armes que les maniaques reconnaîtraient sans doute font le pied de grue devant la barrière alors que les coups de feu claquent dans l'air de cette fin d'après-midi tranquille. Finalement, vers 18h, ça se calme. J'apprendrai ce matin que plusieurs évadés ont été repris et qu'on en a tué onze, pas moins. Je ne peux pas dire que cela m'ait rendu chagrin...

Mais on n'a pas encore fini...

Ce matin, 6h, alors que j'allume pour ma petite heure de lecture matinale, voilà que le lit se met à tanguer! Je me retourne pour partager l'expérience avec ma compagne, mais la profondeur de sa respiration ne laisse aucun doute sur son état de conscience, alors je passe. Plus tard, à la radio d'Espace Musique--la seule qui se laisse écouter--notre cher Gilles Payer confirme qu'effectivement, Haïti vient de subir un autre tremblement de terre! Et là je me dis: ce sera l'hystérie collective! Je jette un coup d’œil sur Internet: magnitude 6,1. De quoi énerver bien du monde...

Et en effet, dehors, on ne parle que du tremblement de terre qui vient de se passer. Un peu plus tard, l'infirmière chef me dit que les infirmières ne veulent plus aller dans la salle d'opération parce qu'elles ont peur que le plafond leur tombe sur la tête... Que de gauloiseries!... Je les réunis donc toutes et leur donne un "crash course" en géologie 101. Aborde la tectonique des plaques. Leur explique les failles qui traversent l'île et qui sont au nombre de trois. Leur affirme qu'un tremblement de terre, ça ne se prévoit jamais à la journée près. Leur illustre l'effet de l'onde de choc. Leur annonce qu'il y aura sans doute d'autres tremblements au cours des prochains jours ou des prochaines semaines, mais toujours de force décroissante. J'affirme. Je garantis. Me fais convaincant. Si bien qu'elles me croient et acceptent de retourner dans la salle d'opération... Vous ai-je dit qu'il fallait faire tous les métiers ici?

Et voilà que des étrangers sont là. Les derniers en lice: des Espagnols qui prévoyaient s'installer à Port-au-Prince mais qui ont vite déchanté quand ils ont vu le merdier!... Alors ils ont commencé à regarder autour et se sont finalement dirigés vers Les Cayes. S'ils nous fournissent l'aide prévue, nous allons avancer un petit pas dans la bonne direction.

Comme vous le voyez, pas de philosophie aujourd'hui. C'est que j'avoue que je suis un peu fatigué aujourd'hui. "Bouké", comme on dit en créole. Mais d'autres sont pires que moi...

Et on tient le coup et une autre journée sera bientôt chose du passé. Peut-être qu'à force d'en empiler dans le passé, on pourra avoir un futur...

mardi 19 janvier 2010

Et ça continue...


On sent que les problèmes s'en viennent. On ne les voit pas encore, mais on les sent. Tout "problem solver" qui se respecte connaît cette sensation. Les fils détachés s'enchevêtrent en un fouillis que l'on peine à démêler. Je voudrais bien qu'Ariane me prête son fil conducteur, mais hélas, ce n'est pas possible... Il faut que les choses se passent comme elles doivent se passer. Même si on sent les problèmes, même si on les anticipe, ils ne sont pas là. Et de toute façon, ce ne sont pas des problèmes qu'on peut régler par anticipation. En passant et pour ceux que ça intéresse, "Tèt chaje", le titre de mon texte d'hier, est une expression très typiquement haïtienne qui ne se traduit pas vraiment ("tête pleine" serait la traduction et ça ne fait aucun sens, vous l'admettrez); ça veut dire aussi bien "plein les bras" ou "c'est compliqué", au choix. Mais ça s'applique vraiment à la situation présente.

Cela dit et faisant écho à la réflexion que j'ai mise sur mon "mur" Facebook ce matin, il convient de poser la question: sommes-nous en sécurité? Ceux, celles qui sont des habitués de ma prose savent que j'ai déjà abordé le thème en avril 2008, et un peu de façon prémonitoire puisque le jour suivant éclatait la violence dans les rues des Cayes. Quand je vous dis qu'on sent ça venir... D'où ma réponse à la question: sommes-nous en sécurité? C'est non. Cependant et comme je l'ai écrit, en Haïti, par les temps qui courent, il n'y a personne en sécurité. Haïtiens, étrangers, expatriés confondus: l'insécurité règne. On n'y peut rien. Mais l'insécurité ne signifie pas pour autant que nous devenons des victimes! Ainsi, la conduite sur des routes glacées engendre, à juste titre, l'insécurité; mais cela ne veut pas dire que surviendra l'accident fatal! Même chose ici: l'insécurité nous invite à faire un peu plus attention, comme par exemple, on retire la clé sur la porte extérieure, au dehors... Évidemment, la clé de la voiture est toujours sur le contact et les portes de la maison ne sont jamais verrouillées, mais bon faut pas pousser la paranoïa quand même...

C'est pourquoi à la question: "Are we okay?", je réponds "Yes", car en fait, nous le sommes. C'est vrai que tout est question d'équilibre. L'insécurité est là, oui, mais encore une fois et pour reprendre mon exemple de la route verglacée, elle n'est qu'une variable de plus. Qui engendre un stress de taille, reconnaissons-le, mais qui ne suffit pas à nous déloger d'ici, du moins pas encore. Car dans ce délicat équilibre entre la peur et la paix, il suffit parfois de peu pour que penche la balance... rarement du côté de la paix, cependant, il faut bien le dire...

Changement de propos. Lu hier ici: "US Muslims Raise $800,000 To Help Haiti Earthquake Victims" (!) Ça ne vous fait pas tiquer un peu, vous? Alors que ça ne va pas tellement bien pour la communauté musulmane, ils se forcent quand même le cul et ramassent près d'un million de dollars pour un peuple qui ne leur est nullement apparenté! Comme quoi il ne faut jamais généraliser; la bonté et la générosité sont partout, pas seulement chez les chrétiens ou les catholiques, pas seulement chez les Américains ou les Canadiens, mais partout où les humains pensent et agissent comme des humains. Je vous dis ça comme ça, juste en passant, parce que je l'ai trouvée bonne...

Entre-temps, les blessés continuent de nous arriver, certains cas plus spectaculaires que d'autres, comme cette dame qui a perdu un œil et une partie de la joue (photo). Mais notre médecin dit que, mis à part l’œil, ce n'est pas majeur. Impressionnant quand même, avouez-le.

Mais il y a pire. Pas mal plus pire, comme dirait l'autre...

mardi 8 avril 2008

Ça brasse encore!...


Il n’entre pas dans mes intentions de jouer ici au journaliste et de vous décrire avec sensationnalisme ce qui se passe dans nos rues. J’en serais sans doute capable, mais pour dire franchement, vous raconter la violence, vous dénombrer les morts et les blessés me semblerait contraire à une certaine pudeur sociale. Certes, je puis vous dire que les gens occupent la rue, qu’ils y déferlent par milliers pour réclamer une baisse des prix des denrées de base, car cela est bien réel et, disons-le, tout à fait fondé. Mais je n'irai pas plus loin. Au moment où j’écris ces lignes, c’est le grand brouhaha au dehors. J’entends même les gens scander des slogans et taper dans leurs mains, ce qui est quand même moins préoccupant que les coups de feu, on est d’accord là-dessus.

Les rues sont désertes et rien ne bouge (sauf la foule de manifestants, bien entendu). La ville est «chaude», comme les Haïtiens disent en créole (vil la cho). Tout le monde essaie de s’en tirer sans égratignures, et même si la plupart y arrivent, le stress demeure. Une balle perdue fait le même effet qu’une balle bien visée, ne l’oublions pas.

Cependant, on se prend d’espérer. Le président Préval est censé parler à la population tout à l’heure et annoncer une baisse du prix du riz. Si cela se produit, tous ces gens mécontents vont manifester leur joie, cette fois, et tout pourra rapidement rentrer dans le semblant d’ordre qui caractérise le pays. Et la vie continuera à peu près normalement jusqu’au prochain ras-le-bol collectif…

Au moins, nous ne souffrons pas encore des éventuelles ruptures de stocks qui accompagnent presque toujours ces périodes improductives. Nous avons suffisamment à manger, de l’eau pompée de notre puits, du gasoil pour la génératrice (ma plus grande préoccupation, étant donné que l’électricité nationale, l’EDH, ne donne pas de courant pendant la journée) et assez de médicaments pour pouvoir continuer de soigner les malades. Faut dire que ceux, celles qui viennent sont plutôt assez malades, car autrement, on reste sagement à la maison et on attend que les choses se tassent. Aujourd’hui, nous avons reçu une vingtaine de patients, soit dix fois moins qu’une journée moyenne normale. Mais l’hôpital fonctionne quand même en dépit de la tension extérieure. Incidemment, c’est peut-être ce qui met l’hôpital dans une situation privilégiée : nous sommes là pour soigner, sans parti pris ni favoritisme.

Donc, comme tout le monde, on attend. Certes, il faut de la patience et une bonne dose de résignation, mais comme je l’ai déjà dit, quand on n’a pas le choix, on n’a pas le choix, n’est-ce pas?

Allez, une petite image paradisiaque, pour vous faire oublier…

samedi 5 avril 2008

Ça brasse!...




Encore hier, ma tendre et douce moitié me demandait ce qui m’avait incité à parler de sécurité la veille alors que tout était parfaitement serein sous un ciel d’un bleu limpide. Rien ne laissait présumer des événements qui ont frappé Les Cayes ce jeudi dernier, 3 avril, ni de la violence qui, aujourd’hui encore, paralyse la ville. Ce qui m’avait incité? Rien. Je ne faisais que décrire une situation que je sais véridique, à savoir que la sécurité dans ce pays est toujours relative, «sujette à changement sans préavis», comme le disent les commerçants qui veulent monter leur prix sans avoir à les justifier. Eh bien ici, c’est un peu comme ça : la violence flambe sans qu’on sache trop pourquoi.

Ainsi, la cause avouée des manifestants (plusieurs milliers, s’il faut en croire les médias), c’est le coût de la vie. Cause juste, s’il en est une, et capable de rallier les plus désintéressés, car tout le monde sait que depuis quelques mois, on assiste à une véritable flambée des prix, surtout des produits de base. Le sac de riz (ici, on achète par sac ou par marmite), qui se vendait encore, le mois dernier 350 G (9 $ US environ), est maintenant rendu à 1150 G, soit 30 $ US! Inflation, dites-vous? Escroquerie, plutôt! C’est en tout cas ce que pensent les gens, car le riz, denrée essentielle s’il en est une, sert également d’étalon de mesure. Si le riz monte, c’est que tout monte. Le même argent n’achète plus rien. Or, la patience haïtienne, dont j’ai vanté les mérites, a aussi ses limites, et cet excès conduit le peuple à manifester sa colère et son ras-le-bol. Y a-t-il quelqu’un dans la salle qui ne comprend pas? Dans un pays où les ressources sont si rares qu’elles sont presque en voie d’extinction, on peut aisément admettre que la grogne haïtienne, issue de la frustration de voir le pouvoir d’achat rétrécir comme une peau de chagrin, ait sa raison d’être.

Mais l’organisation méthodique des manifestations, la présence des armes et la colère contre la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti), laisse penser qu’il y a peut-être anguille sous roche. Pourquoi cibler une organisation internationale et la rendre responsable de la flambée des prix? Cela m’a paru curieux et lorsque j’ai soulevé le point, j’ai vu une autre image : celle de la drogue.

Lors d’un point de presse hier vendredi, le premier ministre haïtien, Jacques Édouard Alexis a «mis l’accent sur la possibilité que certains manifestants aient été manipulés par des gens impliqués dans le trafic de la drogue et la contrebande. “Il y a des gens qui essaient de détourner l’attention de la population sur la lutte engagée contre la corruption, la drogue, la contrebande et le respect de la Constitution, a déclaré le chef du gouvernement haïtien ”». Vous ne trouvez pas que cette version sonne plus vrai, vous? Moi si. Surtout lorsque l’on sait que la MINUSTAH a joué un rôle important dans cette lutte contre la drogue et la contrebande. Dès lors, la vengeance contre la force onusienne s’explique, n’est-ce pas?

Quoi qu’il en soit, nous, on se tient tranquille. J’ai mis le nez dehors de l’enceinte de l’hôpital hier bien peureusement et non sans raison, je vous le dis. Les barricades enflammées, l’absence de vie dans les rues, la peur qui se lit sur les visages des rares passants… le drame qui se joue ici n’est pas du cinéma, hélas! Mais comme le dit le proverbe, lespwa fè viv. Tout le monde a espoir que les choses vont bientôt rentrer dans l’ordre…

mercredi 2 avril 2008

Sécurité


Il faut que je revienne sur la question de la sécurité, ou plus exactement, de notre sécurité. Le point est immanquablement abordé par quiconque s’intéresse à notre vie ici, que ce soit dans l’idée (rare) de nous rendre visite ou simplement de tenter de comprendre notre intérêt à demeurer dans un pays que le gouvernement du Canada — et des États-Unis, de pire façon — dépeint comme hautement non recommandable, un pays à éviter à moins d’obligation majeure. Le fait est que la sécurité est fragile dans ce pays, où le nombre de policiers est ridiculement faible par rapport au haut taux de criminalité. Mais cette criminalité excessive est centralisée à Port-au-Prince ou alors dans certaines zones en rapport avec le trafic de cocaïne, maintenant bien florissant dans le pays. La capitale est, ne le nions pas, la proie de bandits qui ont fait du kidnapping une entreprise des plus rentables. Auparavant, ces kidnappings avaient un rapport avec la politique (c’est en tout cas ce qu’on entendait). Or, dans un dernier communiqué que je viens tout juste de recevoir de l’ambassade canadienne, il semble qu’on ait maintenant affaire à des groupes dont la seule motivation est le profit. On parle de gens qui ne seraient même pas Haïtiens, bien vêtus — complets, cravates — très violents et très professionnels, c’est-à-dire capables de couvrir leurs traces et d’agir en toute impunité. Ces gens sans scrupule s’attaqueraient, dit-on, à n’importe qui dont la situation financière ne semble pas trop mal. Rien là de bien rassurant, je n’en disconviens nullement. Mais encore une fois, ces groupes opèrent exclusivement à Port-au-Prince, du moins selon les dires de l’ambassade. C’est probablement ce qui fait qu’on se sent moins concerné par la chose.
Évidemment, l’encadrement policier n’est pas mieux aux Cayes qu’il peut l’être dans la capitale ou ailleurs, si bien que le jour où les bandits décideront de se mettre à l’œuvre, personne n’y pourra grand-chose. Fatalisme? Bien sûr. Bondye konnen, comme on dit. L’épée de Damoclès est bien là, au-dessus de nos têtes, mais comme ça fait un bout qu’elle tient en place, eh bien on apprend à vivre avec sans trop s’en faire. Un peu comme les ouragans… (J’y reviendrai.)
Donc je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de danger à vivre en ce pays, mais bon, il y en a ailleurs aussi, non? Et comme disent nos voisins, les Américains, «Better the Devil you know». Ainsi, quand on sait que les agressions se produisent toujours à la nuit tombée, eh bien on évite de sortir le soir. S’armer? Pour se tirer dans les pieds? Non merci. Si nous habitions la capitale, je ne dis pas, encore que, comme le dit si bien l’Évangile : «Celui qui se sert de l’épée périra par l’épée», ou quelque chose d’approchant. Le fait est que la violence appelle la violence et la meilleure stratégie reste encore d’éviter de s’y trouver mêlé. Et c’est exactement ce que nous faisons et ce que font les gens sensés.
La violence? Elle est là, on le sait, mais comme on ne peut pas la changer, eh bien on apprend à vivre avec, tout simplement. Sommes-nous en sécurité? Oui, jusqu’à un certain point. Assez pour que les nuits se passent à dormir, et non à penser à notre sécurité…