mardi 25 mai 2010

Politique (pas l'éthique)


Ce n'est pas le texte que j'avais préparé pour aujourd'hui. Mais lisant l'article de Radio-Métropole, je me suis dis: «Ah non! C'est pas vrai!» Et je partage avec vous ma frustration, mon dépit, mon amertume et ma désolation. Cela se parlait depuis plusieurs semaines déjà, mais je me disais que le gros bon sens allait primer et que les politicailleurs allaient se tenir tranquilles, histoire de laisser un peu la chance aux organisations humanitaires et au gouvernement de parer aux vraies urgences, entre autres celle d'abriter les quelque 1,7 millions de gens qui vivent encore sous les tentes dans des conditions difficiles, pour ne pas dire infernales. Mais pour plusieurs, l'attraction du pouvoir est aussi irrésistible que la lumière vive pour une mite et l'on aura compris que le cerveau n'a rien à voir là-dedans... Tout a commencé avec le ras-le-bol de Préval. Un mouvement populaire, informel, bien sûr, mais ô combien unanime dans ce désir, voire cette obsession de voir le président libérer sa chaise. Car dès lors, tous les espoirs sont permis, n'est-ce pas? Je ne fais pas de politique, vous le savez. Mais lorsqu'on écoute la radio (surtout en voiture, lorsque la route est longue et que je ne conduis pas) et que l'on entend tous ces beaux discours qui écorchent à vif le président Préval, on se dit que son règne est terminé. Lui-même l'a bien senti lorsqu'il a officiellement décrété qu'il allait gentiment laisser sa place à quelqu'un d'autre en février 2011. Considérant la quantité de pain sur la planche, on aurait pu croire que ces paroles allaient calmer les ardeurs belliqueuses de ses opposants et de la population en général. Mais non. Février, c'est bien trop loin!... Alors que fait-on? On organise tant bien que mal des élections en rassurant tout le monde : «[Le président du Comité Électoral Provisoire] soutient que toutes les dispositions sont déjà prises de manière à permettre aux sans-abri, qui se trouvent dans les camps de réfugiés, de participer aux prochaines élections», peut-on lire dans l'article. Quelle organisation exemplaire! Les sans-abri pourront voter! N'est-ce pas là l'essentiel? Qu'ils n'aient pas de maison, pas de travail, peut-être même pas d'identité importe peu, car ils pourront voter! Et vive la démocratie!

Ne faisant pas de politique, il ne m'appartient pas de savoir si le président Préval est vraiment aussi mauvais qu'on le dit. Cela est possible. Mais comme le dit le dicton américain : "Better the devil you know". Il me semble, dans ma perspective naïve, que l'essentiel n'est pas de faire de la politique au goût douteux, mais plutôt de s'attaquer aux vrais problèmes, notamment les conditions insalubres actuelles dans lesquelles vivent plus d'un million de personnes. Plusieurs pays ont offert leur aide. Des sommes faramineuses ont été promises. Mais rien n'avance, rien ne débloque et Port-au-Prince est toujours paralysée par ces décombres qu'on a empilés dans les rues, faute de mieux. Il me semble que quelques camions et quelques pelles mécaniques auraient tôt fait d'éliminer ces débris qui pourraient sans doute servir de matériel de remplissage ailleurs--mais certainement pas dans les artères principales de la ville! Non mais, à votre avis, suis-je irréaliste? Charger les décombres dans des camions à benne et les transporter ailleurs, est-ce vraiment un projet irréalisable? Est-ce vraiment trop compliqué? Il me semble que non. Mais faut croire que c'est trop banal, ou trop minus, ou trop bête, que sais-je? Car les débris jonchent les rues et continuent de s'y empiler, rendant la circulation automobile cauchemardesque. Il n'était déjà pas facile de circuler dans Port-au-Prince à certaines heures, maintenant, c'est carrément le délire!... Or, tous ces maux qui accablent le pays, tous ces problèmes qui restent irrésolus sont la faute de Préval, c'est ce qu'on entend de tous les côtés, en tout cas. Encore une fois, je ne sais pas. C'est peut-être vrai. Mais ayant lu la fable de La Fontaine Les animaux malades de la peste, je ne peux m'empêcher de comparer Préval à l'âne de l'histoire. Le lion se confesse et c'est pas joli joli, mais le renard le défend perfidement; et quand vient le tour de l'âne qui avoue bien naïvement avoir brouté de l'herbe dans un pré voisin «la largeur de sa langue», on crie haro sur le baudet et on le sacrifie sans autre forme de procès! Au lendemain du tremblement de terre, Préval a avoué, bien candidement, être complètement dépassé par l'ampleur de la catastrophe... Qui ne l'aurait été? Aujourd'hui, c'est à lui qu'on crie haro sur le baudet et c'est lui qu'on chasse à coups de pied au cul. Peut-être le mérite-t-il, mais ce n'est certainement pas moi qui lui lancerai la première pierre...

Des élections pour novembre, ça vous dit, vous autres? Je ne veux pas faire mon prophète de malheur, mais je vous parie un verre de vin contre un vain discours que ça va mal tourner. Et pendant ce temps, dites-moi, qui pâtit? Le peuple, vous avez tout compris, ce même peuple dont cette belle démocratie entend défendre les droits. Manger, s'abriter, gagner leur vie, on y verra en temps et lieu. L'essentiel est que ce peuple, ces citoyens et citoyennes, puissent voter. Dites, c'est-y pas beau, ça?

vendredi 21 mai 2010

Nos pénates haïtiens


Ceux et celles qui me suivent assidûment auront compris qu'une si longue absence en ces lieux d'écriture publique ne peut qu'être due à des causes exceptionnelles. Et ils auront raison. Car les vacances, puisqu'il faut bien les appeler par leur nom, ne font certainement pas partie de la règle qui consiste à travailler, travailler et travailler. Donc vacances, oui, mais courtes au point où on se demande si ça vaut la peine d'en parler... En outre, il ne se passe rien en vacances! On ne fait que manger, boire, parler et écouter la télé, sans oublier l'incontournable magasinage de tous les côtés... Bref, des vacances sans histoire (fait rare : pas même une contravention!...)

Donc, nous avons momentanément fui la chaleur haïtienne humide dont je vous ai entretenus précédemment et avons laissé en veilleuse les projets et les activités courantes de notre petit hôpital. Qui n'a pas chômé pour autant! Les patients sont venus, comme d'habitude en grand nombre et comme d'habitude, ont reçu les soins appropriés. Même les Brésiliens sont venus et comme d'habitude (puisque c'en est maintenant une) ont fait un travail remarqué et apprécié. Et pour couronner le tout, visite des gros chefs! Même si nous étions absents, ils ont musé à droite et à gauche et tenté de comprendre ce qui se passe dans ce merveilleux pays joyeusement bordélique. Bref, tout le monde s'est affairé, tout le monde s'est tenu occupé, tout le monde a continué de vivre même si nous étions ailleurs et la terre, cette bonne vieille planète, a continué à tourner comme si de rien n'était. C'est-y pas beau, ça?

Mais les vacances sont maintenant chose du passé (et du futur pas trop loin, je le précise) et il faut reprendre le fil de nos idées et de nos problèmes là où nous l'avions laissé. Rien de très stressant, excepté que bien des petites choses vont de travers et qu'il faut vraiment se retrousser les manches (façon de parler, bien sûr, puisqu'elles sont toujours courtes!) pour leur trouver une solution--quand il y en a une, vous l'avez compris! Mais un jour à la fois, on poursuit notre labeur. Et petit à petit, les choses s'améliorent, même si ces améliorations nous paraissent parfois bien dérisoires en rapport avec l'immensité de la tâche de reconstruction du pays. La reconstruction, parlons-en : rien n'est fait encore, on parle de 1,7 millions de gens sous les tentes (et, ce que l'histoire ne dit pas, dans la boue), les décombres encombrent les routes et la grogne monte. Qu'en sortira-t-il? Je vous laisse imaginer.

Mais pour l'instant, grogne pas grogne, la vie continue, au rythme de la chaleur qui augmente. Car oui, il fait chaud. Plus encore qu'avant, ce nous semble, mais ce doit être juste une impression. En tout cas, il fait chaud, je le redis, au cas où vous n'auriez pas compris la première fois. Mais bon. C'est Haïti, n'est-ce pas?

Et puis, ce que je ne vous ai pas dit et qui fait la beauté du retour, c'est qu'on retrouve cet inaltérable sourire haïtien qui nous accueille chaleureusement. Comme quoi la chaleur n'est pas que climatique...

Un jour à la fois, donc et pour le reste on avisera en temps et lieu. Non mais avouez: quelle profondeur dans le propos! Quelle luminosité dans l'idée directrice! Mais que voulez-vous, les vacances, ça me donne un surplus de jarnigoine...!

vendredi 7 mai 2010

Les grands départs



Vous allez me dire que les départs sont toujours une source de stress et vous aurez raison. Mais il est des fois qui sont pires que d'autres. Comme ce jour du 5 mai 2010, date choisie pour un départ vers notre pays d'origine après près d'un an sans mettre le nez dehors. Comme le vol est prévu pour 16h30, on se dit qu'on a le temps «en masse» et qu'il ne sert à rien de se précipiter à l'aéroport, alors qu’il y a tant encore de petits détails à régler avant de quitter notre cher petit hôpital. Tout de même et connaissant les aléas de tout voyage haïtien, nous voulons nous donner une marge de manœuvre adéquate et donc, fixons le départ de la maison à 9h, ce qui après les 4 heures de route qu'il faut compter normalement pour se rendre à l'aéroport, nous procure cette marge de manœuvre. Départ pile à l'heure. Tout va bien. Un peu de pluie en route, mais rien pour nous ralentir et donc, nous sommes largement dans les temps. Quand soudain, Onès notre chauffeur attitré, me signale, le plus calmement du monde, qu'il n'a plus de freins. Vous allez me dire que ce ne sont pas les freins qui font avancer la voiture et qu'on aurait tort de s'en plaindre, mais bon, les freins restent quand même un accessoire utile, convenons-en. Heureusement, chanceux dans notre malchance, nous sommes juste à côté de notre mécanicien habituel, lequel habite à Aquin, pour situer ceux et celles qui connaissent le patelin. Boss Blanc comme tout le monde l'appelle, a tôt fait de diagnostiquer le problème qui vient, semble-t-il, du maître-cylindre. En termes concrets, ça veut dire une panne du genre irréparable dans l'immédiat et imbricolable, si vous me passez le terme (et s'il vous offusque, vous savez le pli que ça me fait...). Que faire? Onès suggère que Roger, notre second chauffeur, vienne nous rejoindre avec l'autre voiture et que nous fassions l'échange, de façon à poursuivre notre route à Port-au-Prince. L'idée ne me sied guère : un rapide calcul laisse un doute substantiel s'installer dans mon esprit cartésien. «Ne peut-on trouver quelqu'un qui acceptera de nous louer sa voiture?» demandé-je à Boss Blanc. Il s'enquiert et trouve. Une petite demi-heure d'attente sous la pluie et le gars arrive.«Il te reste à t'entendre avec lui sur un prix...» me dit Boss Blanc en riant. «Je n'ai pas de problème avec ça» lui réponds-je. Onès, qui se souvient de l'épisode des chaises, s'en donne à cœur joie. Je parle avec le chauffeur.. «Ba-m 2 goud», me dit-il. Comment? Deux gourdes, deux cents dollars américains, quoi! Je prends mon air bien peiné et lui déclare que c'est malheureusement impossible mais qu'il nous faut absolument poursuivre notre voyage dans les plus brefs délais si l'on ne veut pas manquer notre avion, lequel ne nous attendra pas, nous ne le savons que trop bien.

Bien entendu, nous finirons par nous entendre... Sauf que, alors que nous avions assumé que ce serait notre chauffeur qui conduirait, c'est le monsieur lui-même qui prendra la relève. Et quelle relève! Sous un soleil cuisant (pas de climatiseur dans la voiture), puis sous un déluge tel que la visibilité en est devenue inexistante, nous avons fait la route en quatrième vitesse -- en cinquième en fait -- sans mot dire et en retenant notre souffle. Et la traversée de Port-au-Prince, je vous dis pas... vous dites que je conduis vite? Fallait voir le gars aller! Vous croyez que je klaxonne à tort et à cris? Lui, c'était à fond le klaxon! Vous me trouvez osé quand je me faufile entre deux voitures? Lui passe allégrement entre deux camions qui menacent de réduire sa voiture et son contenu en pâte compressée, et avec le sourire en plus! Mais quel chauffeur, mes amis!

Tout ça pour vous dire que nous arriverons à temps, mais juste. En fait, eussions-nous attendu l'autre chauffeur, nous eussions raté l'avion assurément.

Vol sans histoire, comme il faut qu'un vol se passe. Car un vol avec histoire se termine souvent mal pour les acteurs, alors aussi bien qu'il se passe sans histoire, vous ne croyez pas vous autres? Puis c'est le monde moderne, sa mauvaise température, ses gens pressés et stressés et sa surabondance de produits de consommation. Mais c'est aussi le monde dans lequel des gens qu'on aime vivent et palpitent, des gens qu'on aime bien voir et revoir et qui nous le rendent bien.

Et maintenant que nous voici temporairement installés dans nos quartiers nordiques, nous allons en profiter pour respirer un air bien frais et, souhaitons-le, revigorant. Car nous avons bien besoin d'un plein de vigueur...