jeudi 26 juillet 2012

Un autre carnaval


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L’auriez-vous deviné? Un autre carnaval secoue le pays. Je dis «secoue» car c’est un peu comme un tremblement de terre, cette affaire-là… Ça dérange les activités ordinaires, ça perturbe la circulation encore davantage, ça mobilise des tas de gens, ça encourage les abus de toutes sortes, bref, c’est le bordel… même si légèrement organisé. Et pourquoi ce «Carnaval des Fleurs», comme on l’appelle, fort joliment d’ailleurs? Parce que le président l’a promis, oui, devant le tollé de protestations qui s’est levé à Port-au-Prince quand il a été confirmé en février dernier que le carnaval annuel traditionnel, celui du Mardi Gras, aurait bel et bien lieu aux Cayes. La population de la capitale se sent frustrée de son «petit» carnaval du Mardi Gras? Qu’à cela ne tienne, on leur en donnera un gros, à l’été. En substance, c’est que ce que le président a dit. Dans les faits, il tient maintenant parole. Voilà au moins un fait qu’on ne pourra lui reprocher.

Car, bien évidemment, la question se pose : comment peut-on financer une telle activité — trois jours de bamboche, rien de moins — alors que les finances de l’État ne sont guère reluisantes et que plusieurs services de l’État souffrent encore d'arriérées de salaires majeurs? Comment? Rien de plus simple : on puise dans les coffres et on dégage un petit 65 millions de gourdes (soit 1,5 millions US environ), comme ça. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça me fait tiquer. Et puis entre vous et moi, dites-moi donc quel pays organise deux carnavals à quelques mois d’intervalle, paralysant le pays en obligeant toutes les institutions à fermer boutique pour la période? On affirme que l’activité vise à encourager le tourisme. Je veux bien, mais quelle preuve a-t-on que l'effet désiré se produira? Et d'ailleurs, est-ce vraiment la bonne période? La fin de juillet est chaude, humide, propice aux cyclones, en fait, pas vraiment idéale pour les touristes — les nordiques en tout cas, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les voyagistes vendent cette période à rabais. Mais qui sait? Peut-être que la fête contribuera à une relance économique sans précédent dont les touristes auront été les catalyseurs. Peut-être aussi que la fin du monde va se produire le 21 décembre 2012… En un mot, la relance touristique via le carnaval des fleurs, je n'y crois pas. Non. La vraie raison, tout le monde le sait, c'est vraiment pour le président de faire plaisir aux gens de Port-au-Prince, voire de les distraire, sans doute pour qu'ils oublient tout ce qui va mal dans le pays...En tout cas, ça se prépare au Champ-de-Mars...

Certains, non sans ironie, avancent que le président Martelly étant, par définition pourrait-on dire, un homme de spectacle, tout carnaval est bon pour lui. «Il fait ce qu’il sait faire», m’a dit un homme sage et cynique (l’un n’empêchant pas l’autre)… Il n’empêche que de l’avis de plusieurs, notamment dans la presse écrite, Martelly joue ici un jeu dangereux qui pourrait fort bien se retourner contre lui. Surtout si les millions nécessaires à la fête ont été prélevés à même des fonds restreints… Mais bon. Quel homme politique, a fortiori un président, ne fait que des bons coups? Lequel ne subira pas la critique populaire, fondée ou non? Même les meilleurs y passent.

Reste que ce carnaval ne fait pas l’unanimité. D’abord il ne repose sur aucune tradition; ensuite, il coûte cher; certains trouvent que ça ne fait pas très sérieux; d’autres craignent des dérapages sociaux; on dit aussi que la fête risque de porter ombrage au retentissant succès du carnaval du Mardi Gras des Cayes. Bref, ce n’est pas l’éclosion de joie universelle qu’on a vue en février dernier. Qu’en sortira-t-il? Bondye konnen, comme on dit…

Espérons juste que les festivités n’entraveront pas notre voyage vers la capitale, prévu pour à peu près la même époque, validant ainsi ce que je vous ai mentionné dans un texte où je me plaignais de la poisse qui nous poursuit, semble-t-il, quand arrive le moment du départ. Comme si le sort était contre nous… J'espère vraiment que ce n'est pas le cas...

mardi 24 juillet 2012

Scénarios effrayants


C’est en lisant le texte de Mario Roy ce matin que je me suis posé la question : mais pourquoi donc ces scénarios de fins de monde nous excitent-ils tant? Car on aura beau dire et on aura beau en rire, le sujet passionne et enflamme voire, pour certains, oriente la vie. Vous vous doutez bien que je n’ai pas de réponse à vous donner comme ça, mais le phénomène — car c’en est un — pique ma curiosité. Non, non, je ne parle pas de la fin du monde en tant que telle, mais plutôt de l’engouement pour la fin du monde ou, à défaut, pour ces grandes catastrophes qui changent le monde où elles se produisent, comme ce fut le cas lors du tsunami au Japon ou, plus près de nous, le tremblement de terre de janvier 2010.

Incidemment, on nous en promet un autre, et de taille. En fait et si vous aimez les articles alarmistes, je vous suggère ce texte tiré du Nouvelliste qui laisse entendre que ce n’est qu’une question de temps (lire jours ou mois) avant qu’un autre séisme majeur ne frappe Haïti. Et le ton, les amis, le ton : alarmiste, ai-je dit? En fait, c’en est presque apocalyptique. Genre : repentez-vous car c’est la seule chose que vous ayez encore le temps de faire, car le séisme est «imminent»!....

Mais qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est fabulation? La tension géologique; ça, c’est réel, démontrable, vérifiable avec les instruments appropriés. Et lorsque cette tension devient trop forte, il y a un relâchement subit qui produit une onde de choc qui se répercute à la surface. Ça, oui, ce sont des faits. Mais dire que cette accumulation de tension va nécessairement culminer très bientôt et provoquer de ce fait un relâchement destructeur est pure spéculation. Comprenons-nous bien : je ne dis pas qu’un tel scénario ne peut pas se produire, je dis seulement que personne, pas même le plus chevronné des géologues, ne le sait. Mais encore une fois, la perspective du drame émoustille les sens, fait saliver, fait peur aussi mais une peur comme celle que l’on éprouve lorsqu’on écoute un bon film à suspense. Une peur excitante, mais pas dangereuse. C’est comme ça qu’on les aime, les peurs : non fondées; ainsi quand le film finit, on lâche son souffle, on sourit de soulagement et on se dit que c’était un excellent film, drôlement bien ficelé, terriblement efficace. Or, ce que l’article nous dépeint, ce n’est pas le scénario d’un film, mais plutôt une réalité potentielle dont la plupart des gens ne se soucieraient guère ailleurs, mais qui engendre ici en Haïti une peur panique, et pour cause : le malheur s’est réellement produit et a effectivement été catastrophique. Comment dès lors ne pas avoir peur qu’il se reproduise? Et pourtant, comme le souligne le premier commentaire à la suite de l’article, «Il n'existe à ce jour aucune méthode scientifique permettant de prédire la date précise de survenue d'un séisme.» La dame ajoute : «Dans le cas d'Haïti le terme inéluctable (à la place de imminent) est plus approprié. Il ne s'agit pas de diffuser l'angoisse et le stress mais plutôt, de sensibiliser et d'informer les populations…» Voilà, ce me semble, des propos sensés, raisonnables et appropriés. Mais pas excitants, pas apocalyptiques, pas évocateurs du jugement dernier…

Or, le jugement dernier, c'est ça qu'on attend. Certains l’espèrent même. Et quoi de mieux qu'un déchaînement des forces de la nature pour en servir les fins redoutables? N’est-ce pas ce que la bible nous raconte?

La fin du monde est-elle proche? On n’en sait rien. Et c’est bien comme ça. Là-dessus, bonne fin d’année 2012, en autant qu'on puisse en voir la fin…!

samedi 21 juillet 2012

Pêcher dans le désert


La plage de Port-Salut, tout comme la plupart des plages en Haïti, peut certainement être considérée comme un attrait touristique de taille : eau turquoise, mer chaude, plage de sable fin et palmiers qui ondulent sous la brise, tout y est. Mais elle n’est pas que ça. Elle représente aussi l’accès à la mer et à ses ressources halieutiques. Or, il s’agit là d’un accès bien commode puisque les Haïtiens ne disposent que très rarement d’embarcations — je ne parle pas ici d’un navire de pêche, remarquez — capables de les emmener à bonne distance du rivage, là où les gros poissons se tiennent. Si bien que la pêche à partir du bord de la mer est répandue dans tout le pays et de la manière la plus simple qui soit : au filet. Il suffit simplement de le jeter à la mer, le plus loin possible du rivage et par la suite, de le haler sur la plage en ratissant tout ce qui se trouve sur son passage. Méthode simple, archaïque même, mais capable de donner certains résultats… en autant que la mer héberge encore quelques poissons! Or, c’est précisément le drame d’Haïti : les côtes ont été surpêchées — et ce n’est pas moi qui le dis, mais bien Jacques Cousteau, rien de moins — et bien que le constat date d’il y a plus de 20 ans, on peut assumer que la situation ne s’est guère améliorée depuis, au contraire. Car la pêche se poursuit toujours, ce qui rend difficile voire impossible pour la ressource de se renouveler adéquatement. Si bien que l’on pêche toujours plus petit, l’exception (le poisson de bonne taille) justifiant ici la règle. Et ne pensez pas que les pêcheurs locaux sont ignorants ou inconscients : ils savent très bien qu’ils ne font que prendre dans leurs filets ce qui pourrait contribuer à repeupler les eaux (photo). Mais, comme l’a si bien dit le monsieur qui tirait son filet depuis la plage : «Nou pa gen chwa» On n’a pas le choix. Jamais vérité n’aura sonné plus juste. Les Haïtiens n’ont pas le choix : la lutte pour la vie est ardue et jamais gagnée d’avance.

Cela dit, l’activité reste une bonne façon de meubler la journée, même si le travail qui la sous-tend est particulièrement harassant. Et croyez-moi, je sais de quoi je parle parce que j’ai, à quelques reprises, donné un coup de main à ces bonnes gens qui se mettent à plusieurs pour haler le lourd filet jusqu’à la plage. Et je puis vous dire qu’après quelques minutes seulement, j’en suais… Au moins si l’effort payait… Mais le filet arrive, débordant de branches, racines, bouteilles de plastique avec, ici et là, quelques menus poissons qui frétillent encore, quelques crabes qui s’affairent à chercher une impossible sortie à cette prison maillée et parfois, une anguille de belle taille ou une petite raie égarée, comme ce fut le cas un jour à St-Georges. Mais quoi qu'il en soit, le résultat final n’a rien de la pêche miraculeuse, je vous le dis tout net…

La solution est pourtant simple : outiller les pêcheurs de façon à ce qu’ils puissent pêcher au large, là où se trouvent les poissons, les vrais. Mais les équipements nécessaires coûtent cher et les pêcheurs — gens pauvres par définition — sont incapables de franchir cette étape, pourtant essentielle au succès de l’entreprise. Alors ils persistent dans leur modeste et inefficace façon de faire, résignés et philosophes malgré tout…

Tout ça pour illustrer, une fois de plus, que rien n’est jamais facile dans ce pays, au cas où vous en douteriez encore…

mercredi 18 juillet 2012

Le savoir-vivre


C’est la semaine dernière que ma chère compagne m’a pointé ce texte en me disant qu’il pourrait faire l’objet de quelques commentaires en ces lieux d’écriture. En effet, après l’avoir lu, je convins sans effort qu’il y avait là matière à une belle comparaison entre ce que l’on voit ici, à notre petit hôpital, et ce que le monsieur raconte et qui, si l’on en juge par les commentaires publiés, semble refléter une bien triste réalité. Ce qui ne me surprend guère, mais qui n’en est pas moins dommage pour autant.

Je vous ai déjà parlé de la règle d’or, en éthique, celle qui consiste à ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’autrui nous fît (subjonctif imparfait pour ceux qui veulent tout savoir). Or, certains, certaines font hardiment fi de cette règle que, pour ma part, j’estime tout à fait sensée et traitent les autres comme s’ils étaient des manants, des hères, des trouducs, bref, vous me comprenez. Cela me paraît excessif et déplacé, même dans les cas où l’on a affaire à de parfaits imbéciles (car oui, il s’en trouve, hélas!). Alors vous pensez bien que lorsqu’on se trouve dans un endroit où le personnel a pour tâche de vous venir en aide, c’est doublement inacceptable.

Et là, les amis, je puis vous dire que je ressens une certaine fierté à vivre parmi les Haïtiens car ici le respect est bien ancré dans les mœurs. Je l'ai déjà dit : c’est une vertu qui s’apprend à la maison d’abord et que renforcent l’école et la société ensuite. Si bien que les gens qui viennent ici, à notre hôpital, sont extrêmement respectueux des pratiques en cours et attendent patiemment (sans doute pour cette raison qu’on les appelle ici patients) leur tour de voir le médecin. Et ce n’est jamais rapide, pour toutes sortes de raisons. Mais ils sont là, assis sur des bancs de bois, à la chaleur, malgré les ventilateurs, dans un chaudron d’odeurs qui n’ont rien à voir avec les fleurs, au cas où vous croiriez le contraire. Sans manger, sans boire, sans toilettes (sauf des latrines pas très accueillantes) à leur disposition, les gens attendent et si par malheur le médecin qu’ils attendent de voir doit se rendre en salle d’opération et qu'ils sont laissés en plan, ils reviendront tout simplement reprendre leur station le lendemain. Personne ici n’oserait critiquer le processus, encore moins le travail de l’infirmière ou celui du gardien de sécurité. Le respect, vous dis-je. Certains parleront d’ignorance, voire de peur de la grosse machine institutionnelle, d’autres banaliseront ce comportement, mais lisez les commentaires que les gens ont écrit à la suite de l’article de La Presse et vous verrez que la plupart de ces gens sont de l’avis de l’auteur : l’arrogance des usagers fait mal à voir. Genre honteux. Genre vulgaire. Genre déplacé. Cependant, certains commentaires expriment un point de vue plus réservé, qui me plaît assez. Car il est bien vrai que les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires. Tout est dans la nuance. Partout, il se trouve des gens qui ont dédain de leurs semblables et en même temps, il s’en trouve d’autres qui les apprécient et qui apprécient leurs services. Mais le respect s’apprend, c’est bien clair, et je dirais : le plus tôt possible. Cela dit, il n’est jamais trop tard pour bien faire, ne l’oublions pas…

Il n’en reste pas moins que, même s’il s’agit là d’un triste constat, il vaut la peine de le faire et de le partager avec les autres. Car l’indifférence et le je-m'en-foutisme ne vont certainement pas dans le sens d'une meilleure société…

samedi 14 juillet 2012

Une armée haïtienne?


En lisant cet article de Gary Victor sur le tourisme je me suis dit que j’y allais ajouter mon modeste grain de sel; mais comme j’ai déjà abordé le thème à quelques reprises, j'ai assumé que vous ne seriez pas fâché si je remettais la chose à une date ultérieure. Car en poursuivant ma lecture, je suis tombé sur les suites du voyage de Martelly en Équateur et le thème de l’armée a retenu mon attention.

D’abord, il est permis de se poser la question : pourquoi un armée en Haïti? Le président Martelly en a fait une promesse électorale, c’est vrai, mais bien des promesses de ce genre restent lettres mortes ou s’évaporent dans l’air du temps. Et pourtant, malgré les sommes astronomiques que le projet implique, Martelly persiste et signe : son récent voyage en Équateur en est une belle illustration. Il faut donc croire qu’il y a sous roche plus que le simple désir de respecter une promesse, au reste très ambitieuse. Et l’une des raisons que l’on peut supputer, c’est sans doute l’omni présence des forces des Nations Unies, présence dont tout le monde a un peu, beaucoup, passionnément ras le bol, c’est selon. Car le fait est que ces militaires ne sont pas bien vus et que leur retrait du pays, en revanche, le sera. Cependant et comme je l’ai déjà dit, mettre la MINUSTAH dehors sans solution de rechange, c’est exposer le pays au désordre et à l’anarchie. Car en cas de coup dur, ces soldats parent à l’essentiel et maintiennent la paix, d’où le nom de leur mission d’ailleurs : MIssion des Nations Unies pour la STAbilisation d’Haïti. Donc, une armée haïtienne entraînée adéquatement permettrait de faire ce que ces soldats étrangers font. C’est d’ailleurs la justification de Martelly qui dit : «Nous regardons des étrangers qui viennent nous donner de la sécurité alors que nous pouvons le faire nous-mêmes.» Difficile de ne pas lui donner raison.

Il y a plus : dans ce pays où l’emploi est rare, une solde de soldat (oui, je sais, ça fait drôle, mais c’est pour mettre en évidence la parenté lexicale) même modeste, est toujours mieux que rien, surtout si on lui ajoute le prestige lié à l’uniforme auquel les Haïtiens sont particulièrement sensibles. Si bien que la raison d’être d’une armée haïtienne se défend et même, s’apprécie. Bien entendu, on parle d’une véritable armée, pas d’une vulgaire soldatesque (même champ lexical) comme celle qui s'est autoproclamée et qui s’amusait encore récemment à faire peur à un peu tout le monde…

Mais si le pourquoi se justifie, le comment reste entier, même si Martelly affirme avec son aplomb habituel que le gouvernement équatorien va lui donner un bon coup de main en ce sens. Mais même dans ce cas, disons simplement que la barre est haute… Ou bien je ne connais rien aux Haïtiens, ou bien les faire marcher au pas, leur ôter la liberté d’agir comme bon leur semble et les forcer à obéir aveuglément à des ordres souvent discutables sera LE défi, et pas rien qu’un peu… Il y a d’ailleurs un délicieux proverbe qui exprime fort bien cette réalité et que je vous passe sans me faire prier : "Mennen koulèv al lekòl pa anyen; se fè-l chita ki rèd". Qui peut se traduire par : Amener une couleuvre à l’école, ce n’est rien : c’est la faire asseoir qui est compliqué. Pas mal, hein?

Mais on aurait tort de vouloir lancer au président une pierre qu’il ne mérite pas encore. Son intention est louable et fondée alors attendons de voir ce qu’il en sortira…

mardi 10 juillet 2012

Un autre problème


Le problème dont je vous entretiens aujourd’hui est nettement plus sérieux que celui consistant à identifier la bête qui fait «tac tac tac tac tac tac» (toujours une énigme, soit dit en passant). Car il s’agit d’un problème qui croît, qui s’amplifie et qui peut rapidement devenir hors de contrôle. Il s’agit de la pollution — problème universel s'il en est un — et plus spécifiquement et en référence à l’article du Nouvelliste de jeudi dernier, la prolifération des contenants de polystyrène (mieux connu sous le nom de styrofoam), lesquels sont utilisés à toutes les sauces, mais surtout comme contenants à repas. Cette pratique est relativement nouvelle et, pour plusieurs Haïtiens, moderne et progressive. C'est que le produit s’achète pour pas cher et plaît, en grosse partie parce que c’est un produit pratique, propre et, je le crois, à la mode du jour. Mais les plus avertis savent combien il est difficile de s'en débarrasser après usage et combien, de ce fait, il devient une source majeure de pollution sous plusieurs formes : visuelle, spatiale, environnementale, sans oublier le haut degré de toxicité du produit lorsqu’on le brûle et l’odeur pestilentielle qu’il dégage. Et je parle d'expérience. De toute façon, je ne vous apprends rien là que vous ne savez déjà.

Les usages du polystyrène sont multiples et variés — qu’on pense notamment aux propriétés isolantes du produit, très populaire entre autres dans les sous-sols des maisons modernes nordiques — mais son imputrescibilité, fort appréciable dans un contexte où l’on cherche la durabilité, devient un réel problème dans une utilisation ponctuelle et temporaire, comme c’est le cas pour les contenants à nourriture. Certains, parmi les plus gros utilisateurs de ces contenants, les ont bannis radicalement, justement pour des raisons environnementales et les ont remplacés par des simples contenants de carton, moins isolants certes, mais beaucoup plus aisément biodégradables. C’est le cas de McDonald, à qui on prête bien des défauts, mais qui a certainement vu le problème et s’y est attaqué avant de se le faire dire.

Haïti est fragile. Comme toutes les îles tropicales, sans doute, mais encore plus quand on pense à la densité de sa population. Car on a beau dire, mais l’humain, de sa seule présence, pollue. Emplit l’espace de ses déchets, des sous-produits de sa consommation. Et cela va des déchets organiques jusqu’aux industriels, dont la simple masse devient souvent le problème. C’est précisément ce qui se passe avec les contenants de polystyrène : leur nombre est tel que la masse en est énorme et de ce seul fait, difficile à gérer. Or, vous savez comme moi que ce produit, ou plus justement, ce sous-produit du pétrole est pratiquement indestructible,  sauf par le feu — et alors, ce qui se retrouve dans la haute atmosphère n’est pas joli joli — ou, si on l’enterre, s’avère d’une longévité atroce. Sur une île aux écosystèmes fragiles, c’est une catastrophe. Or, si plusieurs Haïtiens et Haïtiennes sont tout à fait capables de mesurer les impacts écologiques de cette pratique, la grande majorité des utilisateurs n’en ont rien à branler, de sorte qu’il ne sera pas facile de sensibiliser les gens à restreindre l’usage de ces contenants. Seule solution, les interdire, simplement, et leur préférer un contenant de carton.

Tout ça pour vous dire que la préoccupation ministérielle est là et que le premier ministre a, de fait, promis de s’attaquer au problème, voire de le résoudre. Une promesse qui me paraît difficile à tenir dans les circonstances, puisque, je le redis, ces contenants sont très populaires à l’heure actuelle et il me semble improbable qu’ils seront délaissés simplement parce qu’ils sont déclarés non écologiques… Mais de l’autre côté, il faut bien commencer quelque part et si le gouvernement voit le problème, il me semble que c’est déjà un pas dans la bonne direction. Le reste n’est qu’affaire de temps…

Sauf que pendant ce temps, le problème s’enfle…

samedi 7 juillet 2012

Un bruit la nuit


Les plus perspicaces d’entre vous auront noté que mon blogue a subi un facelift, une rhytidectomie, si vous préférez. Sans raison. Les autres, ceux qui ne le fréquentent que sporadiquement, auront oublié à quoi il ressemblait avant, sur fond de chaudes couleurs tropicales, mais cela ne m’offusque en rien car pour moi, l’opération cosmétique n’enlève ni n’ajoute quoi que ce soit au fond qui reste le même. Mais j’avoue que je me suis laissé avoir par le bel emballage proposé par blogspot. Et je me suis dit : «Pourquoi pas?» Alors, voilà, vous savez tout.

Le sujet de ce jour ne fait pas très sérieux, j’en conviens, mais il illustre néanmoins les particularités de ce pays que nous apprenons encore à connaître. Cette fois, il s’agit de la chose-qui-frappe-à-la-porte-avec-un-objet-de-métal. Faut d’abord que je vous dise que les portes extérieures de notre maison sont en fer et lorsqu’un agent de sécurité a besoin de me parler, il frappe à la porte soit avec une clé, soit avec un petit caillou, produisant de ce fait un son métallique aisément audible, même avec la télé à tue-tête, comme on aime l’écouter. Or, je venais tout juste de me rendormir après une pénible séance de «pitourne» (pour les non-familiers avec ce québécisme, il s’agit d’un synonyme d’insomnie, mais tellement plus imagé…) lorsque je me fais réveiller d’un coup de coude de ma très chère compagne. «Réveille-toi, me dit-elle (c’était déjà fait, tu parles!), quelqu’un frappe à la porte.» Je jette un coup d’œil rapide au réveil numérique : il est 3 h 22, pas vraiment l’heure des visites de courtoisie. Je me dresse sur mon séant. Et j’attends de voir si l’on frappera à nouveau. «Tac tac tac tac tac tac tac». Le son est bien celui d’un objet métallique ou minéral solide qu’on frappe contre un montant de fer. Cependant, ça ne semble pas provenir de la porte, mais plutôt de la fenêtre juste au-dessus du lit. N’écoutant que ma bravoure légendaire, je me lève et tente d’identifier l’intrus… Rien à la fenêtre. Rien à la porte non plus. Mais il faut se rendre à l’évidence : il ne s’agit manifestement pas d’une présence humaine munie d’un objet métallique, car le son se fait entendre une fois de plus, un peu plus loin cette fois et il n'y a visiblement personne à la porte ou même dans les environs.

Mais quel peut être l’origine de ce bruit? Serait-ce l’animal que, selon Cyrano, «Aristophane appelle hippocampéléphantocamélos»? Ou peut-être un quelconque ptérosaure égaré dans les couloirs du temps? Un lézard? Une mygale? Une mangouste? Un vulgaire oiseau de nuit? Je me perds en conjectures… Mais le claquement est très caractéristique, très régulier (6-8 coups en deux secondes) et, lorsqu’il se produit dans notre fenêtre, très sonore. Si bien qu’au moment où je vous écris ces lignes, le mystère reste complet, la seule certitude étant que la bête est nocturne. Cela dit, à défaut de ne pas savoir ce que c'est, nous savons à tout le moins ce que ce n’est pas : un agent de sécurité qui vient frapper à la porte…

Mais j'avoue que cela m'intrigue. Bien sûr, vous me direz qu'il me suffit de poster dehors, près de la fenêtre, tapi dans l'ombre et le mystère s’éclaircira de lui-même, mais la nuit, habituellement, je dors et l'affût n'a jamais été ma tasse de thé. Non, vraiment, je préfère attendre et laisser le hasard me faire découvrir l'objet de ce questionnement qui, au reste, ne m'empêche nullement de dormir sur mes deux oreilles (pas simultanément bien entendu) en autant que ma douce et charmante compagne ne me darde pas de coups de coude dans les côtes...

En conclusion, on peut dire que si tout bruit n'est pas forcément une menace, toute menace n'est pas forcément bruyante...

jeudi 5 juillet 2012

Pourquoi des visiteurs?


Vous savez maintenant comme j’aime partager avec vous ce qui compose notre univers, cet univers haïtien dans lequel  il ne se passe présentement pas grand-chose — Dieu merci. Il fait chaud, certes, mais les nouveaux climatiseurs de nos bureaux fonctionnent à merveille de sorte que l’environnement de travail est des plus agréables. Le pays va et va même passablement mieux, à bien des égards, même si l’on se doute bien que ça ne va pas durer… Mais présentement, je le répète, tout marche à peu près bien alors rien à dire de ce côté.

Si bien que ce n’est pas de l’état général du pays dont je veux vous parler aujourd’hui, mais plutôt d’une question que m’a posée un correspondant à qui j’ai spontanément offert, comme je l’ai offert à la plupart d’entre vous, amis lecteurs et charmantes lectrices, de venir faire un tour au pays des Haïtiens. Sa question — pourquoi faites-vous ça? — m’a fait réfléchir. Pourquoi en effet vouloir attirer en ces lieux souvent tordus des gens que nous aimons et estimons? Pourquoi ce besoin de partager avec vous, gens du nord, ce que nous vivons en ce pays? Nous ne sommes pas Haïtiens, n’avons aucun mandat pour promouvoir le pays sur la scène internationale, ni pour y encourager le tourisme. Nous ne recherchons ni la gloire, ni la reconnaissance sociale, ni un pouvoir quelconque, alors pourquoi? Pour dire franchement, je ne sais pas. Et pourtant, il me semble que c’est important de maintenir cette offre.

Je me souviens, la première fois que nous avons débarqué au pays (en octobre 1998), nous étions parfaitement naïfs et ignorants des pratiques haïtiennes. Je savais qu’on y parlait le français et avais donc assumé — fort improprement au reste — que le français serait adéquat pour communiquer avec la population locale, quitte à apprendre le créole plus tard. Je savais qu’il y faisait chaud en octobre, mais je n’avais aucune idée qu’il put faire SI chaud. Bref, ce fut un choc, et pas seulement climatique ou linguistique, mais global, au point où après un mois au pays, nous doutions encore de pouvoir jamais nous y adapter. Évidemment, les choses se sont tassées… Mais cela explique peut-être, en partie du moins, pourquoi je tiens tant à montrer le pays à ceux et celles qui nous sont chers : parce que je veux faire pour d’autres ce que j’aurais apprécié que l’on fasse pour nous. Haïti vaut le détour, je l’ai dit à qui voulait l’entendre sur tous les tons, mais prendre ce détour seul, sans soutien et sans support logistique, en fait un détour compliqué ou financièrement onéreux ou les deux. D’où l’idée d’inviter nos proches et de tenter de les convaincre que le séjour vaut le déplacement. Pour certains, notre enthousiasme a finalement brisé les barrières qui les retenaient au Québec et ils sont venus. Et ils ont vu. Et ils ont vaincu leurs craintes et leurs appréhensions. Et pour une ou des raisons inconnues, cela me remplit d’une grande joie.

Mais ceux et celles qui sont venus savent également que je ne suis pas du type à me fendre en quatre ou à dérouler le tapis rouge pour plaire. Je pense que lorsque l’on se retrouve dans un milieu sécuritaire et confortable — et c’est précisément le cas à l’Institut Brenda Strafford — c'est suffisant et l'on se sent alors à l’aise de découvrir ce qu’offre le pays sans se faire prendre par la main. Or je le redis : ça me paraît important. Il me semble que plusieurs auraient intérêt à comprendre que ce pays n’est pas qu’un pays de souffrance, de misère et d’imbroglios politiques. Oui, il y a ça, c’est vrai, mais il n’y a pas QUE ça. Et pouvoir contribuer ne serait-ce que minimalement à changer l’image que les étrangers ont d'Haïti vaut certainement la peine qu’on s’y attarde. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ça me paraît tout à fait valable.

Et puis, entre nous, c’est tellement agréable, de la belle visite!...