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lundi 20 janvier 2014

Esclavage en Haïti?


Cela fait quelques fois que je tombe sur ces cris haut poussés contre le traitement infligé à ces esclaves modernes que sont les «restavek». «Reste avec». L’expression dit bien ce qu’elle sous-tend : on parle ici de jeunes qui ne sont pas les enfants des adultes chez qui ils restent et qui, eh bien, «restent avec» eux, simplement parce que les parents biologiques n'ont pas les moyens financiers de subvenir aux besoins de leurs enfants. Les parents «placent» leur enfant dans une famille qui, en principe, donnera à l'enfant une chance de s'en sortir en échange de l'accomplissement de travaux domestiques. Jusque là, rien d’affolant ou même de tendancieux. Mais voilà que les médias, ces colporteurs de l’information, s’en mêlent et s’emmêlent, confondent restaveks et esclaves et s’indignent de cette inadmissible pratique, statistiques en tête. Un bémol s’impose. Qui fera baisser la note d’un demi-ton et la rendra moins criarde. Car comme je vous l’ai déjà dit, il me paraît bien risqué de juger l’indien sans avoir chaussé ses mocassins, de juger la vie haïtienne dans une perspective qu’on veut objective mais qui me paraît fortement biaisée. Je m’explique.

Haïti n’est pas un pays comme tant d’autres. Disant cela, j’entends déjà les plus pointilleux parmi vous me dire : «Qui es-tu pour affirmer une telle chose? As-tu vu tous les autres pays du monde?» Et vous aurez raison. Non, je n’ai pas vu tous les autres pays du monde — à peine une vingtaine, je dirais — et Haïti mis à part, n’ai vécu dans des milieux culturellement différents qu’à deux autres reprises : en Algérie et à Fort George, au pays des Cris, ces autochtones si loin de la culture canadienne ou québécoise. Donc non, aucune prétention d’expert ici. Cependant, lorsque je vous dis qu’Haïti est différente (car oui, Haïti est un pays féminin, comme la France ou l’Allemagne), j’avance que les façons de faire ici ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. Dès lors, il me paraît difficile de juger. Les restaveks font partie d’une classe bien connue mais mal définie, aux contours flous et moralement variables; mais de là à les mettre dans le même panier que les esclaves, je pense qu’il y a une marge.

Certes, ces enfants ne sont pas tous traités de la même façon, on s’en doute. Quelle famille traite ses enfants de la même manière que le voisin? Certains restaveks bénéficient vraiment d’une qualité de vie supérieure à celle qu’ils auraient eu s’ils étaient restés avec leurs parents biologiques alors que d’autres souffrent d’abus de toutes sortes, avec toutes les variables possibles entre les deux. Dire que les restaveks sont des esclaves est donc aussi faux que de prétendre qu’ils ont tous la belle vie. D’où mon bémol. Et puis, n’oublions pas une distinction que je qualifierai de majeure : les restaveks sont tous des enfants ou des adolescents qui n’ont pas encore atteint l’âge de l’autonomie sociale. Lorsqu’ils vieillissent, ces jeunes s’insèrent tant bien que mal dans le monde qui les entoure et ont les mêmes droits que n’importe quel autre citoyen ou citoyenne. Tandis qu’un esclave reste un esclave, même à l’âge adulte…

Remarquez que je ne dis pas qu’il s’agit là d’une situation enviable pour ces enfants. Mais acceptable, oui. Dans le difficile contexte d’Haïti, des accommodements sont nécessaires et ce n’est pas l’État qui les fixe ni les gère : ici, les gens sont habitués à ne compter que sur eux-mêmes et sur leurs maigres ressources et pour ce qui les dépasse, ils invoqueront le Ciel bien plus souvent que l’État… Car LE problème d’Haïti, ne le perdons pas de vue, c’est sa grande misère. Et c’est de cette grande misère que découlent souvent des situations aberrantes, incompréhensibles, voire choquantes, spécialement pour nous, les nantis. Mais on dit que «Nécessité est mère de l’invention» et c’est sans doute ce qui rend les Haïtiens et les Haïtiennes champions du système D.

En tout cas et pour ma part, je ne peux m’offusquer de l’existence des restaveks pour la simple raison que c’est un système qui marche depuis l’indépendance du pays et l’affranchissement de l’esclavage — le vrai — et qui a engendré des gens ordinaires, pas des révoltés, des psychopathes ou des suicidaires. Ce n’est pas le système idéal, personne ne dira le contraire, mais c’est un système qui ne mérite pas d’être associé à l’esclavagisme. Je pense qu’il y a ici une nuance qu’il faut établir et respecter.

Dire que Haïti est le second pays au monde (la presse + 17-01-14) quant à la quantité d’esclaves est dès lors, simplement faux. Et Haïti ne mérite pas ça.

dimanche 12 janvier 2014

Un moyen comme un autre


Quand j’ai lu cet article, je n’ai pu m’empêcher de sourire. Car oui, c’est beau l’amour. C’est naïf et pur, c’est merveilleux et intemporel. L’amour est aveugle — bien plus que la justice si vous voulez mon avis, laquelle a tendance à distinguer entre les puissants et les paumés. Mais pas l’amour. L’amour ne voit rien et s’imagine tout. Même qu’un jeune Cubain bien baraqué puisse être en amour avec une aînée — tiens, appelons-la comme ça, la digne dame. J’ai souri, donc, car le scénario n'est pas nouveau et se reproduit assez souvent par ici. Avec les mêmes résultats, est-il besoin de le préciser…

Faut-il en vouloir au Cubain, au Tunisien ou à l’Haïtien qui se prête au jeu de l’amour sans y croire pour s’assurer une place au pays de l’abondance et de la facilité (ici, le Canada)? Non, bien sûr. «Qui veut la fin prend les moyens», dit le proverbe. Épouser en justes noces un Canadien ou une Canadienne demeure un sacré bon moyen d’ouvrir des portes qui, autrement, restent solidement, pour ne pas dire hermétiquement, fermées. Alors pourquoi pas? Sauf que, disons-le sans mentir, l’amour n’a rien à voir là-dedans et c'est bien malheureux pour ceux, celles qui se font berner.

On peut dès lors se poser la question : comment ces personnes, âgées mais pas gagas pour autant, peuvent-elles tomber si aisément dans le panneau? Comment peuvent-elles ne pas voir qu’elles se font exploiter outrageusement? On ne sait pas. Mais la stratégie marche dans de nombreux cas et je pourrais vous en citer au moins trois locaux qui ont abouti de la même façon que celui de la dame au Cubain.

L’un, entre autres, mettait en vedette un Canadien retraité et une jeune Haïtienne. Belle fille sexy, intelligente et articulée, volontaire et déterminée. Le type — appelons-le Gérard — en était complètement imbibé et malgré mes bons conseils, s’est rapidement marié à ce qu’il croyait être la perle rare. Beau et gros mariage célébré à Port-au-Prince sans regarder à la dépense. Gérard, vieux veuf, renaissait. C’est après que le chat est sorti du sac... Je ne vous dirai pas ce que Gérard a traversé ni combien l’aventure lui a coûté, en argent et en santé, mais il a finalement admis qu’il s’était radicalement trompé et qu’il n’y avait pas grand-chose à faire pour rectifier le tir, sauf écoper. Il a vraiment fait tout son possible, mais à un point donné, il a fallu qu’il se rende à l’évidence : le mariage n’était qu’un bateau naufragé qu’il valait mieux fuir avant d’y périr. La dame n’ayant encore aucun papier officiel lui permettant de débarquer au Canada, Gérard s’en est retourné sur le bout des pieds et je pense qu’on ne le reverra pas de sitôt en Haïti… À sa défense, je dirai que la dame était fort séduisante et drôlement habile dans ses manipulations… Mais le résultat pour Gérard n’en fut pas moins le même : un sale coup au cœur et un portefeuille considérablement allégé. Pas vraiment le temps de lui dire «je te l'avais bien dit», car il a douloureusement compris...

Vu de l’extérieur, on se dit que ces choses-là n’arrivent qu’aux naïfs et aux poissons. L’hameçon est si gros qu’on ne peut pas ne pas le voir, n’est-ce pas? Mais gardons-nous bien de juger. Car l’amour est aveugle, je vous le redis au cas où vous l’auriez oublié. Et je veux aussi vous répéter que dans un pays comme Haïti — ou Cuba —, le ticket de sortie du pays n’est pas facile à décrocher et tous les moyens sont bons, j’entends moralement bons pour arriver à cette fin. Notez qu’il ne s’agit pas ici d’une arnaque organisée et hiérarchisée, mais simplement d’individus qui veulent «s’en sortir». Alors je vous en prie, réservez vos jugements péremptoires et priez pour que cela ne vous arrive jamais...


dimanche 29 décembre 2013

Pour clore 2013...


Finalement, Noël a passé, comme n’importe quel autre jour, et voici maintenant la fin de l’année qui frappe à nos portes. Déjà! On a beau dire, mais un an, c’est vite passé et 2013 n’a pas échappé à cette réalité astronomique : 365 jours d’orbite autour de notre soleil et nous voici de retour au même point — ou presque si l’on exclut l'ajout de cette année aux précédentes. Nous arrivons tout juste de la plage (photo ci-dessus prise tout à l'heure) et me revoici.

Car c'est le moment du bilan, un exercice que j’aime bien faire à cette période. Tout comme les médias y vont de leurs revues des événements et des points forts de l’année, j'aime bien faire une rétrospective dans ma tête de l'année qui s'achève. Car il faut se souvenir. Comme je le disais à ma chère compagne pas plus tard qu'hier soir, le passé n’est jamais mort : il est comme la page d’un livre que l’on tourne et sur laquelle on ne reviendra pas, mais dont il faut tout de même se souvenir si l’on veut poursuivre agréablement la suite de l’histoire, à plus forte raison la deviner…! Or, si nous ne savons pas ce que 2014 nous réserve, on peut tout de même prédire que l’année s’inscrira sûrement dans le prolongement de 2013 — simple question de logique et de gros bon sens.

Eh bien pour nous, le bilan, il est simple : la balance est positive. Nous avons, une fois de plus, profité de ce qui passait et consolidé nos acquits. Cela suffit. Mettre la barre trop haute est le plus sûr moyen de rater le saut, de se décourager et de renoncer. Je l’ai déjà dit : on apprend de ses échecs, certes, mais on bâtit sur ses réussites — pas sur les échecs. Nos objectifs étaient modestes et réalistes et je suis bien content que nous les ayons atteints, tout simplement. Alors voilà, vous savez tout de ce bilan de 2013.

Et la vie continue. Ce ne sont évidemment pas les fêtes de fin d’année qui peuvent y changer quoi que ce soit, à moins que ces fêtes s’assortissent d’événements majeurs, style cette fin du monde annoncée pour le 21 décembre 2012, vous vous souvenez? Tout le monde en parlait, plusieurs y croyaient même et pourtant... Rien de tout cela en 2013, mais des situations mauvaises un peu partout sur la planète et des conflits impossibles qui en disent long sur le degré de maturité des peuples... Le pape peut bien prier pour la paix dans le monde, tiens...

Entre-temps, la vie ici se poursuit au quotidien et les jours s’empilent. Si l’on regarde les grands titres de la presse haïtienne, on peut croire que le pays est vraiment sur la voie de la croissance, que le bilan est positif; mais la simple lecture d’un fait divers comme ceci vous replonge dans la dure réalité de ce pays : « 17 voyageurs clandestins haïtiens ont péri dans la nuit du 24 au 25 décembre près des îles Turks and Caïcos, une trentaine de rescapés sont détenus sur l’île. C’est le quatrième naufrage d’une embarcation de voyageurs haïtiens depuis le mois d’août. » Pire encore, ces huit femmes qui sont mortes dans la bousculade autour de la distribution des cadeaux d’un organisme de bienfaisance. Et quel cadeau : «…une marmite de riz, une marmite de haricots, une bouteille d’huile et une boîte de jus Sweety. » Pas une voiture décapotable ou un ameublement de salon! Juste un peu de nourriture! Je sais bien qu’on meurt de n’importe quoi, mais franchement là, arrêtez, je vous en prie! Car si ce n’est pas un drame, ça, dites-moi ce que c’est!... Évidemment, ces faits divers-là ne feront jamais partie des brochures ou des brochettes touristiques qu’on veut offrir aux étrangers et pour cause : on veut attirer les touristes, pas les rendre tristes à pleurer! Et pourtant...

Et pourtant, on voudrait tellement que ces choses-là n’existent pas… Que souhaiter de plus pour la nouvelle année?

dimanche 16 juin 2013

Tous les palmiers


Bien que le titre semble présenter un texte qui ferait suite à celui sur les flamboyants, il n’en est rien. En fait, il évoque plutôt à cette chanson de Beau Dommage que tout le monde au Québec connaît et a fredonné allégrement à une époque ou à une autre : «Tous les palmiers, tous les bananiers / vont pousser pareil quand j' s'rai parti…» Eh bien, c’est exactement ce qui va se passer : les palmiers, les bananiers, les frangipaniers, les amandiers vont continuer leur cycle de vie comme si de rien n’était malgré notre absence. Car oui, nous nous absentons, nous quittons aujourd'hui nos quartiers cayens (des Cayes).

Rien d’exotique, cette fois, simplement notre habituelle sortie vers nos pénates nordiques, notre second chez-nous en quelque sorte. Car nous y sommes en pays de connaissance : les arbres d’abord, puisque nous sommes dans un milieu forestier; puis les oiseaux, les fleurs, les insectes, incluant les incontournables mouches noires et leurs petits copains les maringouins; mais surtout, surtout le lac avec sa vie sauvage et humaine — sauf qu’on se demande parfois laquelle est laquelle… Mais c’est un beau et bon lac, suffisamment vaste et profond pour que s'y maintienne un écosystème sain dont tout le monde profite, surtout en cette saison où le climat s’y prête un peu mieux. La baignade, entre autres, y devient possible, mais non sans courage car la température de l’eau reste au mieux radicalement vivifiante, au pire un défi aux systèmes respiratoire et sanguin. Vous avez compris que pour nous, habitués à la tiédeur de la mer tropicale, se baigner dans le lac ne reste qu’un vague projet à l’issue incertaine… Mais s’il se réalise, vous pouvez être sûrs que je m’en vanterai — bien modestement, comme d’habitude… En revanche, en arpenter les abords en canoë reste une activité qui s’accorde bien avec le farniente.

Car c’est là la raison de ces vacances : farnienter. Niaiser. Se vider la tête des problèmes haïtiens pour les remplir des problèmes nordiques. Qui ne sont pas les mêmes, je vous prie de me croire. Surtout lorsque partir signifie tout préparer, y compris l’imparable et l’imprévisible. Oui bon, je sais que ça peut sembler exagéré, mais en fait, il faut vraiment penser à tout. Heureusement pour nous, notre personnel est de mieux en mieux apte à fonctionner sans nous sous la solide gouverne de Colette, notre chère assistante. Et puis disons-le : les communications via Internet nous rendent la vie tellement plus facile… Si bien que nous sommes confiants que tout ira bien. En tout cas, nous voulons y croire.

Un autre départ donc, qui commence aujourd’hui par cette route que nous connaissons bien des Cayes à Port-au-Prince mais qui n’en reste pas moins dangereuse pour autant; demain, après une rencontre professionnelle que j’espère profitable, c’est le vrai départ, celui qui nous fera sortir du pays. Et vive les vacances!

Un mot encore avant de vous quitter. Ce texte, fidèles lecteurs et lectrices, est le 400e de cette série entamée en 2008, soit un peu plus de cinq ans. Vous allez me dire qu’il n’y a rien d’exceptionnel à cette performance et je serai tout à fait d’accord avec vous. En fait et pour tout vous dire, ça n’a rien d’une performance, puisque j’écris pour mon plaisir et non pour la compétition, mais tout de même, 400 textes, c’est pas mal, non? Bien sûr, j’ai été très inégal tout au long de ce parcours mais je pense avoir néanmoins réussi à vous dépeindre à grands traits notre vie au sud, dans ce fascinant pays qu’est Haïti.

Merci de m’avoir lu, merci de continuer à le faire…

mardi 4 juin 2013

En complément au texte précédent


Vous avez été, comme d’habitude, nombreux à me lire — je parle de mon dernier texte — mais peu nombreux à me dire que vous aimiez mes propos... Rassurez-vous, je ne vous en tiens nullement rigueur. Car même s’ils gravitent constamment autour de la vie au sud, les sujets que j’aborde varient, cela va sans dire, et l’intérêt qu’ils présentent varie aussi. Or, mon dernier sujet était, disons… un peu cru, je le reconnais. Était-il choquant? Peut-être pour certaines âmes sensibles, mais je précise que je n’ai jamais eu l’intention de choquer, mais plutôt de vous relater une anecdote un peu croustillante de notre vie quotidienne sous ces latitudes. («Croustillante» ne se rapporte pas à la bête, bien entendu...) En fait et pour tout vous dire, ma compagne, dont la sagesse n’est plus à démontrer, m’a fortement conseillé de délaisser ce sujet qu’elle trouvait un tantinet beurk! et susceptible de susciter quelques frissons pas vraiment agréables. Surtout qu’elle en était la victime — ou l’héroïne, c’est selon — et qu’elle tenait donc un rôle majeur dans l’histoire. Mais je me suis dit que vous n’étiez pas nés de la dernière pluie, que vous connaissiez ces insectes que l’on juge souvent répugnants et que notre aventure vous ferait sourire et vous montrerait, s’il faut encore le montrer, que notre vie tropicale, toute luxuriante qu'elle soit, n’est pas pour autant paradisiaque. Et je continue de le penser. Si bien que ce rectificatif n’en est pas vraiment un, puisque je n’ai nulle intention de faire amende honorable et de retirer ce texte, au reste léger et amusant, en tout cas certainement pour nous qui en avons vécu les titillations.

Ceci m’amène une fois de plus à préciser un fait que plusieurs — nous-mêmes parfois — oublient : nous vivons sous les tropiques et les petits détails qui composent ici la vie quotidienne ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux que l’on retrouve sous un climat plus nordique. Je me souviens de cette chanson de Pierre Calvé où il disait, parlant du Québec «Vivre en ce pays, c’est comme vivre aux États-Unis» et je trouvais sa réflexion fort juste. Mais vivre en Haïti n’a vraiment pas grand-chose à voir avec la vie aux États-Unis, fût-elle en Floride, l’état le plus tropical de l’Amérique du Nord. Or, ces petits détails ne sont pas toujours des détails plaisants. Bien sûr, quand on pense tropiques, on pense à la chaleur constante, au soleil omniprésent, aux palmiers qui ondulent paresseusement sous la brise, bref l’image idyllique typique des gens en mal de vacances. Et j’avoue que les tropiques, pour les vacances, c’est dur à battre. Mais voilà : nous n’y sommes pas en vacances! Nous y vivons au jour le jour et bon, ce n’est pas tous les jours dimanche! C’est d’ailleurs une bonne chose parce que si c’était toujours pareil, on y mourrait d’ennui!

Alors oui, nous avons des insectes peu ragoûtants, des moustiques à longueur d’année et même parfois une mygale égarée; nous avons des oiseaux dont la cacophonie nous rend dingues; nous avons des voisins qui chantent faux à n’en plus pouvoir à un niveau sonore qui atteint le seuil de la douleur; nous subissons des pluies parfois si fortes qu’on n’y voit plus, comme si c’était une tempête de neige; nous avons des inondations régulièrement; nous sommes exposés aux ouragans; nous affrontons le choléra, les fièvres typhoïdes, la malaria, pour ne nommer que celles-là; nous souffrons de la chaleur ou de l’humidité excessives; bref, ce n’est pas le paradis. Mais c’est un beau milieu, foisonnant de vie et d’énergie et c’est comme ça qu’on aime ça.

Cela dit, je promets tout de même de faire un effort pour ne plus vous choquer...

mercredi 24 avril 2013

La clé des camps


Vous le savez maintenant : lorsque la presse internationale parle d’Haïti, cela m’incite fortement à y mettre mon grain de sel. Or, l’article ici mérite certainement qu’on s’y arrête un peu, ne serait-ce que par son ton.

D’abord, je le précise : il n’y a rien de faux dans l’article; ou si peu. C’est vrai que les expulsions ont lieu, chaque jour la presse locale en parle et, disons-le sans tourner autour du pot, ça ne fait pas l’affaire de ceux et de celles qui en font les frais. Mais l’histoire ne dit pas tout.

Il faut en effet comprendre que la destruction engendrée par le séisme de 2010 n’a que précipité un problème qui était déjà gigantesque. Incidemment, l’article le reconnaît : «Avant même le tremblement de terre, le pays souffrait déjà d'une pénurie de logements. Amnistie internationale estime qu'il manquait 700 000 logements, et les deux tiers de la population en ville vivaient dans des quartiers improvisés.»
 
Arrive le tremblement de terre, toutes ces bonnes gens, dont la «maison» n’était souvent guère plus qu’un quadrilatère de tôle recouvert d’une bâche, se sont retrouvés dans les camps temporaires, bien mieux servis qu’ils ne l’étaient avant! Résultat : plusieurs s’en sont trouvés fort bien, au point où certains n’ont pas hésité à louer leur propriété pour pouvoir profiter des largesses de l’aide internationale dans les camps... Voyez le second paragraphe de mon texte antérieur. Relisez la citation que j’avais choisie pour vous et vous allez vous rendre compte que deux ans plus tard, rien n’a changé, quoi qu’en dise Amnistie internationale.

Remarquez que je ne critique ni ne condamne le travail de cette noble organisation dont le rôle de chien de garde a toute sa raison d’être : les abus de pouvoir sont nombreux dans le monde et il est bon que, quelque part, quelqu’un crie : «Attention là! Vous dépassez les bornes!» Mais il faut se poser la question : quelles sont ces bornes? Qui les fixe? Les normes haïtiennes en matière de logement ne sont certainement pas celles du reste de l’Amérique du Nord, et pas pour des questions économiques comme en raison des habitudes de vie des Haïtiens. Ici, la maison ne sert souvent que d’endroit pour dormir car toutes les activités quotidiennes se font au dehors : la cuisine, le bain, la lessive, les loisirs, tout se fait dehors. Dès lors, déloger les gens devient un problème car pourquoi s’en iraient-ils? De là pour les autorités à y aller manu militari, c’est peut-être un peu fort, mais il faut comprendre que les gens sont très entêtés, un effet secondaire sans doute de cette résilience que l’on loue tant chez les Haïtiens…

"«Personne ne souhaite vivre dans un camp, mais la solution, ce n'est pas de les démanteler et de dire aux gens 'débrouillez-vous, souligne Anne Sainte-Marie, du bureau montréalais d'Amnistie." Permettez-moi d’être plutôt en désaccord : d’abord, je le redis, il y a des gens qui ne demandent pas mieux que de vivre dans un camp, pour la raison que j’ai mentionnée plus haut, à savoir : même si les installations y sont précaires, c’est souvent mieux qu’ailleurs. Ensuite, je crois personnellement que dans plusieurs cas, la seule façon de vider un camp de ses usagers, c’est de le démanteler. Bien sûr, les Haïtiens devront se débrouiller, mais ça, ils savent très bien le faire…

Et puis, malgré les constats d’Amnistie, le travail de relogement se fait tout de même et, ma foi, mérite d’être souligné voire louangé car ce n’est vraiment pas facile. Voyez ce qu’en dit Clément Bélizaire, directeur de l’UCLBP (Unité de construction de logements et de bâtiments publics) :
« Nous avons pu reloger à date 300,000 des 650,000 personnes qui vivaient dans les camps quand nous avons commencé nos activités. Cette année nous allons encore reloger environ 125,000 et ceci tout en respectant les prescrits des droits de l’homme ». 
Je trouve que c'est tout de même pas si mal... Et vous?

mardi 19 février 2013

Un petit pas digne de mention


On parle beaucoup de la reconstruction d’Haïti. Et quand on parle de reconstruction, on parle bien entendu de reconstruction physique, laquelle fait naturellement suite à la destruction physique engendrée par le tremblement de terre de janvier 2010. Il faut reconstruire les immeubles, les maisons, les routes, les édifices publics… vous voyez le topo. Mais il y a plus. La reconstruction s’étend à des secteurs qui n’étaient que peu ou pas construits avant le séisme et qui se retrouve aujourd’hui sous le couvert «reconstruction» alors qu’en fait et pour être plus précis, il faudrait parler de construction ou mieux encore, de développement national. Ainsi, l’éducation, la santé, le tourisme, pour n’en nommer que quelques-uns, sont des secteurs de toute première importance pour un pays qui veut se développer et il faut bien dire que des efforts majeurs sont faits dans ces secteurs et dans bien d’autres, dont, entre autres, les communications dont l’article ici parle.

Lorsque nous sommes arrivés en Haïti pour la première fois, en octobre 1998 (oui, je sais, ça fait déjà quelques années), les communications au pays étaient au mieux erratiques, au pire inexistantes. Les téléphones cellulaires n’existaient pas, Internet balbutiait et les médias interactifs n’étaient qu’un impossible rêve. Même le téléphone à ligne marchait cahin-caha et dans certaines zones seulement. Puis, timidement, les téléphones cellulaires ont fait leur apparition et même si le service était cher et la couverture incomplète, ils représentaient tout de même une amélioration de taille, que l’arrivée de la compagnie DIGICEL a optimisée, justement en offrant une couverture cellulaire nationale et des téléphones bon marché. Or, tout ça était bien avant le tremblement de terre. Rien à voir avec la reconstruction donc, mais plutôt avec le développement technologique. Après le tremblement de terre, rien sous ce chapitre n’a changé, et les fournisseurs de services de communication (téléphonie et Internet) ont continué à peaufiner leur offre de services. Si bien qu’il ne faut pas se surprendre si une compagnie vietnamienne a repris le désuet réseau téléphonique national, l’a modernisé et l’a considérablement enrichi, au point d’offrir des services de communication à peu près semblables à ceux qu’on retrouve ailleurs. Cette compagnie, c’est NATCOM, et si je vous en parle aujourd’hui c’est parce que c’est avec eux que nous faisons maintenant affaire pour les indispensables services Internet. Et ma foi, on ne peut pas s’en plaindre. La vitesse de téléchargement, rarement au-dessus de 500 Kbps avec notre fournisseur précédent via satellite, s’établit maintenant en moyenne à près de 2 Mbps, ce qui est nettement plus rapide et, de ce fait, nettement plus agréable, vous en conviendrez. Eh bien ça les amis, c’est une amélioration tangible et digne de mention. Mais, précisons-le bien, qui n’a rien à voir avec les efforts de reconstruction du pays post-séisme. Et c’est précisément là où je veux en venir : Haïti progresse, lentement, mais visiblement, et pas nécessairement parce que des pays charitables condescendent à lui jeter quelques millions ici et là, mais plutôt parce que des compagnies visionnaires y investissent et y font des profits. En parfait néophyte des affaires économiques internationales, je dis que c’est la bonne façon de faire et si le président du pays veut précisément attirer ces entreprises étrangères pour qu’elles viennent faire du bon business, eh bien je pense que c’est un point de vue qui se défend tout à fait.

En tout cas, une connexion Internet rapide et ininterrompue, c’est vraiment quelque chose…

mardi 29 janvier 2013

Un silence rare


Je vous ai parlé à quelques reprises de certains aspects de notre vie quotidienne en ce pays qui n’est jamais de tout repos. Trop peuplé, trop peu structuré, le pays va comme je te pousse et la seule façon d’y vivre confortables, c’est de composer avec cette absence de structures, de «faire avec», comme on dit couramment. Les irritants courants — les rues encombrées, les égouts en plein air, les chantiers improvisés, les manifestations spontanées et bien d’autres — deviennent ainsi un terrain familier et on se surprend à ne plus se surprendre de rien. Ainsi, au cours de la fin de semaine dernière, en cette époque où les groupes musicaux se pratiquent pour le carnaval, on s’attendait à des décibels approchant le seuil de la douleur et franchement, nos attentes n’ont pas été trompées : samedi soir surtout, un DJ dont seuls les Haïtiens ont la recette, semble-t-il, a tenu ses fans en haleine pendant six heures d’affilées, ne mettant un terme à ses hurlements qu’à deux heures du matin, seul moment où nous avons enfin pu penser à dormir. Dimanche, ce fut surtout pendant le jour. Mais là encore, le niveau sonore était délirant. Nous savons que nous n’avons pas le choix, alors nous en prenons notre parti…

Or, la nuit dernière, je me réveille tout à coup. Le temps que j’ouvre timidement les yeux, mon cerveau embrumé se présente au rapport : rien à signaler. Le silence est absolu. Pas un seul bruit ne se fait entendre : pas de moteur, pas de musique, pas de klaxon, pas même de coqs qui ne savent pas l’heure ou de chiens qui signalent leur territoire. Rien. Seuls les grillons et mes acouphènes… Et je me suis aperçu que c’était sans aucun doute ce silence exceptionnel qui m’avait sorti du sommeil… Sinon, quoi d’autre? Mais je ne vous dis pas le pire : l’air que j’ai en tête (j’ai TOUJOURS un air en tête qui peut aller du second mouvement de la 5e de Beethoven jusqu’à Le Frigidaire de Tex Lecor et je ne choisis pas toujours), l'air que j'ai en tête donc, c’est «Petit Papa Noël», (ici, clin d’œil à Karine et à son vicomte), version Tino Rossi… Avouez qu’il est dur de faire pire, surtout à la fin de janvier… Finalement, je réussirai à remplacer cet air par l’excellent Boulevard of Broken Dreams, si langoureusement interprété par Diana Krall (je parle de sa première version, bien entendu). Le silence donc. Un silence auquel Haïti ne nous a pas habitués et qui, pourtant, devrait aller de soi dans ce pays où les gens se couchent tôt et la vie nocturne — les jours de fête mis à part — est inexistante. Mais pour je ne sais quelle raison, ce silence est rare et presque anormal.

Toujours est-il que j’écoutais ce silence, car oui, le silence n’est pas qu’une absence, vous le savez si vous l’expérimentez de temps à autre, mais c’est aussi une présence qui, sans être audible — puisque c’est le silence! — se sent, se capte, se saisit. Je pense qu’on appréhende le silence comme on appréhende la peur : en s’y frottant. Mais encore faut-il que les conditions s’y prêtent — notre habitat nordique est difficile à battre sous ce chapitre — et ici en Haïti, je le répète, c’est un phénomène rare. Écoutant le silence, donc, je me suis trouvé tout à fait éveillé et bien convaincu que le sommeil ne reviendrait pas me visiter cette nuit-là. Mais tout à coup, le frigo est reparti, puis des chiens ont recommencé à se plaindre en leur langage, des coqs ont jugé, à tort, il va sans dire, que l’heure était venue de se faire entendre, quelques chèvres ont bêlé timidement — à moins que ce ne soit les moutons de l’un de nos gardiens — et cette présence sonore a suffi à me retremper dans notre monde nocturne habituel si bien que, à mon étonnement, je me suis rendormi…

Au matin, frais et bien disposé, je me suis levé et me suis dit que je devais vous livrer ces impressions... Comme quoi nous ne sommes pas toujours pris dans les drames sociopolitiques!

vendredi 28 décembre 2012

Des poubelles qui choquent


J’ai lu cet article, puis cet autre et enfin celui de Marie-Claude Lortie (que j'aime bien) et j’ai eu un frisson de révolte. Ce qu’on y dit, en rapport avec le gaspillage de la nourriture, je le savais tout comme vous le savez, j’en suis sûr, mais se le faire exposer comme ça, dans toute son indécence, ça fait mal. Car les amis, vous savez où je demeure : dans ce pays qu’est Haïti, manger n’est pas une activité, mais bien une nécessité dont dépend la survie. Et je puis vous assurer que tout le monde, sans exception, connaît l’importance de manger quand il y a à manger car on ne sait jamais s’il y en aura demain. Or, la nourriture ici coûte cher. Notez que lorsque je parle de nourriture, je ne parle pas des croustilles (chips), des tablettes de chocolat ou de la crème glacée, mais bien de la nourriture essentielle ici : l’huile, les pois, le riz, la farine… Toutes ces denrées sont chères et leur prix continue de monter.

Pendant ce temps, au Québec (mais aussi dans le reste du Canada et aux États-Unis), on dissimule au regard les énormes conteneurs à déchets dans lesquels on jette ce qui suffirait à nourrir plusieurs Haïtiens. Remarquez, je ne dis pas qu’il faudrait acheminer ces excédents alimentaires jusqu’en Haïti, car bien que la chose soit faisable (après tout, l’avion ne met que quatre heures à faire le trajet entre Montréal et Port-au-Prince), elle n’est pas nécessairement souhaitable, pour des tas de raisons qu’il serait trop long d’expliquer. Mais la double réalité n’en est pas moins choquante pour autant. D’un côté (au nord) la pléthore de produits qu’on étale à l’indifférence du consommateur — celui-là même dont je vous parlais hier — et qui doivent être à la hauteur de ses attentes; de l’autre (au sud), trois ou quatre oranges formant une petite pyramide le long d’une rue sale. D’un côté, des abus de nourriture tels qu’ils engendrent des véritables maladies; de l’autre des gens qui ne mangent pas à leur faim. Car ici, en Haïti, les gens ne mangent habituellement qu’un seul repas substantiel par jour. S’ils en ont les moyens, bien sûr. Sinon, ce sera un chaque deux jours…

Ce matin encore, tandis que, assis dans la voiture, j’attendais ma compagne, je discutais avec un de ces gamins qui ne manquent jamais de venir voir s’ils ne peuvent pas me soulager de quelques sous. «M’grangou» (j’ai faim), fait-il en se tapant sur le ventre. «Mwenmen tou» (moi aussi), lui réponds-je en faisant de même. Il rit : «Ou pa grangou, vant-ou plen!» (Tu n’as pas faim, ton ventre est plein!). Je ris avec lui. Difficile en effet de prétendre que je souffre de la faim avec les réserves adipeuses que je garde autour de ma ceinture. Alors d’un ton docte, je lui cite le proverbe : «Vant vid se mizè, vant plen se traka!» (le ventre vide, c’est la misère, le ventre plein, c’est les soucis). Sourire béat du garçon : «Ou pale menm jan ak Ayisyen!» (Tu parles comme un vrai Haïtien!). On rit tous les deux. Ma compagne met un terme à ce passionnant échange et nous retournons à la maison.

Et comme toujours après de semblables épisodes, je me demande si le gamin avait vraiment mangé ce matin-là. On ne peut pas les encourager à mendier, car ils en deviennent totalement dépendants. La plupart du temps, c’est une tactique pour escroquer quelque menue monnaie. La plupart du temps. Car il arrive parfois que ce petit garçon dise la vérité : qu’il n’a pas mangé et qu’il n’a pas grand chance de pouvoir le faire s’il ne «tape» pas un blanc ou un «gwo nèg».

Et pendant ce temps, au Québec, on cache la nourriture qu’on jette parce qu’on sait que cela est honteux, scandaleux. Mais ça ne fait rien : après tout, que ne ferait-on pas pour satisfaire un consommateur avide de fraîcheur, de propreté et d’emballages aseptisés? Oh! Et j’oubliais : soucieux des dates de péremption!

Autre temps, autres mœurs, mais autre pays, autres réalités. La nourriture ici, ne se gaspille pas. Jamais. Il est temps qu’on se rende compte que dans nos sociétés d'abondance, quelque chose cloche… Et en passant, je vous suggère l'article de Marie-Claude Lortie qui sonne assez juste à mon oreille...

Et avec ça, l'heure de la bière qui approche...

mercredi 28 novembre 2012

Ti-commerce


Quand je vous dis que rien n’est facile en ce pays…

Je prends aujourd’hui l’exemple des marchandes qu’on tente, sans grand succès, d’expulser des rues et des (rares) trottoirs qu’elles occupent — qu’elles squattent, pourrait-on dire — avec un entêtement féroce. La scène dont on parle ici se déroule à Pétion-ville, le quartier huppé — enfin, relativement — de la capitale. Mais en fait, le problème est majeur dans toutes les villes du pays : les étals des marchandes tapissent les rues et rendent la circulation automobile difficile, pour ne pas dire carrément dangereuse. Le mot d’ordre de la mairesse de Pétion-ville est pourtant non équivoque : «La chaussée aux véhicules, les trottoirs aux piétons et les marchés aux marchandes et marchands.»  Mais comme toujours, il y a loin de la coupe aux lèvres, dans ce pays où l’individualité est défendue farouchement et où personne n’hésite à monter aux barricades si on les pousse un peu trop… Or, l'éviction des marchandes ne se fait pas sans heurts. Ainsi, au début du mois, une marchande de Pétion-ville a été tuée par des agents de la mairie, ce qui a entraîné quelques échauffourées que vous n’auriez pas aimées. Ni nous non plus d’ailleurs. Si bien que malgré une volonté administrative qu’on sent ferme, le problème persiste toujours et même, s’envenime.

Il faut bien avouer que les trottoirs ou le bord de la chaussée ne sont pas des endroits idéals pour monter un étalage des produits qu’on veut vendre. L’espace y est des plus réduits, le contrôle des produits est difficile, les conditions physiques sont contraignantes (vous allez où quand l’envie de pipi vous prend?) et la présence des voitures et camions rendent l’entreprise hardie, voire hautement risquée. Et pourtant, c’est là que ces dames (en majorité) veulent faire leur «ti-commerce», comme on dit en créole (ti kòmes). Car c’est là qu’elles sont habituées de le faire et c’est là qu’elles croient, à tort ou à raison, qu’elles ont le plus de chance de rapporter un peu d’argent à la maison, en fin de journée. Et les marchés publics dans tout ça? Ben les marchés, pour moi, c’est tintin, ne serait-ce que pour les conditions d’insalubrité mentionnées ici. «Viandes couvertes de mouches, produits étalés à même le sol près de tas d’immondices, les marchés de la région métropolitaine poussent un peu partout et dans les pires conditions hygiéniques notamment à Pétion-ville», affirme Haïti Press Network. Pas tellement invitant, n’est-ce pas… Plus loin, on ajoute : «Les conditions d'hygiène sont totalement inexistantes. Il n'est pas étonnant de tomber sur des vendeurs qui font leurs besoins physiologiques dans des marmites et des objets en plastique et les jettent dans l’enceinte du marché malgré parfois que certains marchés soient dotés de toilettes.» Alors ça y est? Vous voyez le tableau? Ça vous dit d’acheter vos pommes de terre ou vos tomates dans ces conditions? Moi pas tellement…

Et pourtant, pourtant, quel choix ont ces pauvres gens? Faut bien vivre, n’est-ce pas? Dans un pays où le chômage atteint des sommets inégalés, faut bien que les gens trouvent une façon quelconque de joindre un peu d’argent… C'est ainsi que certains kidnappent ou pillent, alors que d’autres installent courageusement leur petit étal de mangues ou de produits cosmétiques, c’est selon. Mais d’une façon ou d’une autre, ce n’est pas facile. Et croyez bien que je suis un peu gêné de taper sans cesse sur le même clou, mais il faut bien dire la vérité, même si elle n’a rien ici de séduisant. Comme le disait récemment le maire de Québec, M. Labeaume, présentement en visite en Haïti : « Le problème d'Haïti est que leur misère n'est plus à la mode. ».

Je n’aurais pas su mieux dire…

samedi 24 novembre 2012

Les impôts, c'est dur...



L’impôt sur le revenu, vous aimez ça vous autres? Non, je ne vous demande pas si vous en voyez la nécessité ou si vous en acceptez la légitimité, mais si vous aimez ça recevoir votre talon de chèque et constater que l’État s’est allégrement servi à même ce qui vous appartient, ou en tout cas, ce que vous croyez qui vous appartient. L'impôt n'est qu'une taxe, une de plus, mais assez costaude celle-là… Je ne crois pas que vous aimiez cela… Cependant et comme je l’ai sous-entendu dans ma phrase précédente, j’assume que vous en comprenez la raison d’être : nos impôts alimentent les coffres de l’État qui peut ainsi payer pour les produits et les services collectifs : routes et transports publics, collecte des ordures, nettoyage des rues, distribution d’eau potable, soins de santé… vous comprenez ce que je veux dire. Mais comprendre que le gouvernement soit justifié de prélever sa part de votre salaire pour le bien de l’ensemble et aimer ça sont deux choses fort différentes, un peu comme le fait de comprendre la nécessité de prendre une pilule ne signifie pas qu'on en apprécie le goût amer…

Cependant, comme tout le monde (ou à peu près) paie ses impôts, comme le système est connu et, disons-le, un peu craint, comme le salaire net reste habituellement suffisant pour joindre les deux bouts, eh bien l’amère pilule passe. Mais ici en Haïti? La pilule est simplement recrachée…

Pour plusieurs raisons : d’abord, personne ne sait à quoi servent les impôts ou les taxes sur certains services qui sont prélevées un peu arbitrairement (comme si c’était tout à fait affaire de libre-arbitre, genre contribution volontaire). Ainsi certains restaurants ajouteront la taxe sur la facture du repas, d’autres non. Gageons que ceux qui l’ajoutent ne l’envoient pas nécessairement au gouvernement…! Mais bon. Quant aux produits de consommation courante, jamais on oserait ajouter une taxe qu’au reste personne ne paierait! Si bien que l’impôt sur le revenu reste, pour l'État, la façon la plus répandue de puiser dans les goussets des pauvres pour remplir ses coffres. Répandue, mais ô combien décriée! Et à juste titre, il faut bien le dire. Car si, dans nos pays nordiques, la contribution à l’impôt n’est jamais agréable — qui a envie de se faire étiqueter de bon «contribuable»? — elle sert au moins à «quelque chose» (et ici, notez bien l’utilisation des guillemets parce que ce «quelque chose» reste souvent flou et vaporeux); tandis qu’en Haïti, l’argent de l’État ne sert visiblement qu’aux dépenses de l’État et de ses fonctionnaires, c’est en tout cas ce que tout le monde pense. Et sans doute pas sans raison… Mais bon.

En tant qu’organisation, nous devons nous soumettre aux lois du pays et, donc, prélever l’impôt du maigre salaire de nos employés, si difficile à expliquer qu’en soit la pratique. Or, comme si ce n’était pas assez, j’ai reçu la semaine dernière un avis officiel de la non moins officielle Direction Générale des Impôts qui mentionnait entre autres qu’à compter de novembre, il faudrait prélever 2% de plus du salaire des employés! Vous allez me dire que 2% ce n’est pas grand-chose et qu’il n’y a pas là de quoi en fouetter un chat, mais le principe choque. La hausse, pour tout le monde, est proprement injustifiable, même si l’État la justifie en invoquant un fonds d’urgence (1%) et un fonds d’aide sociale (1%). Personne ne veut ou ne peut croire que l’argent supplémentaire prélevé à même le fond de leur poche servira à des fonds publics qui leur seront potentiellement utiles. Et même si la preuve m’en manque, je suis porté à croire que c’est sans doute la vérité…

Haïti fait bien des efforts pour s’organiser. Je l’ai dit et je le redis. Et l'une des conditions de cette réorganisation, c'est l'argent. Lequel n'a pas d'odeur, si vous vous souvenez, et qui ne pousse pas dans les arbres, comme vous le savez. Mais le prendre dans la poche des pauvres? Je ne sais pas mais ça me fait tiquer. Mais comme en Haïti tout le monde est pauvre, à quelle autre source peut-on puiser?

Quand je vous disais que rien n'était facile en ce pays...

jeudi 22 novembre 2012

Êtes-vous au courant?...


Tout le monde connaît l’expression. Mais ici, c’est dans un tout autre sens que je l’utilise. Ce que je veux dire ici, c’est : «Êtes-vous à l'électricité ou bien au mazout ou au bois?» Courant... Électricité, vous me suivez? Oui, bon, la formulation n'est pas courante, mais elle dit bien ce qu’elle dit. Dans nos pays, la question ne se pose même pas : personne ne se passe du courant électrique, cette énergie si propre et si fiable qu’on ne rend même plus compte du miracle qui se passe lorsqu’on actionne un interrupteur et que la lumière jaillit. De quoi se prendre pour Dieu-le-Père lors des 7 jours de la création, tiens... «"Que la lumière soit!" et la lumière fut.» Mais ici en Haïti, ce n’est pas tout le monde qui peut accéder à cette forme d’énergie, quelquefois par manque de moyens financiers mais parfois aussi, simplement parce que la ligne électrique n’atteint pas la zone où les gens habitent. Et ça, les amis, c’est vraiment une source de frustration bien plus importante que les dégâts causés par une tempête tropicale, fût-elle Sandy. Imaginez un peu, gens du bas du fleuve : vous demeurez disons à Mont-Joli. Or, la ligne électrique s’arrête d’un côté à Rimouski, et de l’autre à Matane. Que diriez-vous? Trouveriez-vous la chose acceptable? Eh bien c’est exactement la situation actuelle le long de la route nationale en Haïti : la ligne va d’un côté de A jusqu’à J et de l’autre de Z jusqu’à P, de sorte que K, L, M, N, O n’ont pas de courant. Trouvez-vous ça juste, vous autres? Moi pas tellement. Ni les gens des communes visées non plus d’ailleurs. Bien entendu, ces bonnes gens manifestent leur mécontentement avec fougue et passion en bloquant la route nationale environ un jour sur deux mais rien n’y fait : la ligne brille toujours par son absence.

Mais il faut comprendre que la situation n’est pas facile pour la compagnie nationale d’électricité : Électricité d’Haïti, mieux connue sous son sigle EDH. Coûts de production excessivement élevés, faible taux de recouvrement, fraude et vol de courant, équipements désuets… la liste est longue et explique sans doute le déficit de 10 milliards de gourdes (environ 250 millions de dollars US) pour la seule année 2010-2011. Mais la compagnie, qui admet perdre environ 18 millions de gourdes chaque mois ($450,000 US, ce qui n'est quand même pas rien) entend redresser la barre et se remettre dans le chemin de la rentabilité. Sauf que ce redressement fera mal. Pour plusieurs familles haïtiennes, le seul moyen de s’offrir l’électricité est de partager le compteur. Évidemment, cette situation conduit à des inévitables abus et l’EDH a vraiment l’intention d’éradiquer cette pratique et de mettre tout le monde au pas — entreprises incluses. Mais je le redis, les mesures que comptent prendre la compagnie nationale d’électricité ne passeront pas aisément, surtout qu’à l’heure actuelle, les tarifs n’ont rien à voir avec ceux que l’on connaît au Québec, par exemple. L’électricité, dans ce pays où les centrales hydroélectriques sont rares, provient trop souvent d’énormes génératrices — c’est le cas de la ville des Cayes, notamment — qui consomment des quantités astronomiques de carburant, sans compter les frais de maintenance et de remplacement des pièces qui s’usent. Et je ne parle pas des bris mécaniques imprévus… Or, c’est au client qu’on refile la facture de cette production électrique à grands frais, et dans un pays où l’argent se compte sur les doigts, disons que ce n’est pas facile de payer ces frais. En plus et si je me fie aux commentaires répétés que j’entends, les erreurs de facturation sont fréquentes, difficilement vérifiables et toujours au profit de l’EDH, si bien que plusieurs s’en fâchent et, je pense, non sans raison. Quant à ceux qui réclament la ligne électrique, si désagréable que soient les moyens de pression qu’ils utilisent (ils bloquent hardiment la route, je le répète, et sont armés) disons qu’ils n’ont certainement pas tort…

Quand je vous disais qu'il n'y avait rien de facile dans ce pays...

samedi 29 septembre 2012

Des prix forts (suite)


La semaine a fini par finir. La semaine de travail, s’entend. La première depuis ce retour dont je vous ai entretenus récemment. Et l’on voit que le travail règne toujours en monarque absolu, que dis-je, en dictateur implacable. En un mot comme en mille, nous revoici «dedans».

J’ai bien peu folâtré cette semaine, occupé que j’étais à me remettre à jour et à commencer la planification de l’organisation de l’Événement. Avec la majuscule, vous savez que je parle des 30 ans de l’Institut Brenda Strafford, événement qu’il convient de souligner de belle façon. Je vous en reparlerai, je vous l’ai dit, alors faites-moi confiance… Cela dit, c'est une planification qui n'est pas sans me causer un stress généralisé...

Une semaine ardue, donc, chargée sur tous les plans, mais grâce au Ciel, calme sur le plan politique. Bien sûr, on entend des rumeurs, mais le gouvernement semble faire un effort pour faire taire la grogne publique contre les récentes augmentations du prix des denrées de base. Juste pour vous donner quelques exemples et pour faire suite à mon dernier texte, la marmite de riz (base de l’alimentation haïtienne) est passée de 175 à 300 gourdes, soit une augmentation de 72%; la marmite de pois, source de protéines par excellence, n’est guère mieux, passant de 175 à 250 gourdes (43%); la farine — qui n’a pas besoin de farine? — a, quant à elle, grimpé de 44%, alors c’est vous dire que les augmentations n’ont rien de fictif ou d’illusoire. Imaginez une augmentation de 72% de votre bière préférée… De quoi monter aux barricades, là!

Si bien que malgré les efforts gouvernementaux, les récentes hausses restent, à toutes fins utiles, impossibles à absorber. Et j’ai bien peur que, si rien n’est fait, le peuple se mette à taper sur autre chose que des casseroles…

Mais bon. Rien n’est facile en ce pays, je l’ai répété à satiété, sinon ad nauseam et si vous ne le savez pas maintenant, vous ne le saurez jamais. Mais c’est une vérité qui mérite d’être dite et redite, ne serait-ce que pour apprécier la facilité de la vie sous nos latitudes nordiques. L’apprécier sans s’en plaindre. Enfin, pas trop. Car se plaindre le ventre plein quand d’autres l’ont vide que les parois abdominales s’en collent, ça me semble trop injuste. Et si l’on veut absolument se plaindre, que ce soit du climat pourri et imprévisible, car là, je vous le concède, gens du nord, vous ne pouvez rivaliser avec celui d’Haïti. Mais pour le reste…

Si bien que tandis que les prix montent en même temps que la frustration nationale, la vie continue sans trop de heurts. Reste à souhaiter qu’elle se maintienne dans cette voie, à cette vitesse pépère qui nous met un peu plus à l’abri des dérapages, car les dérapages, vous le savez bien vous qui conduisez sur des routes glacées, finissent souvent en catastrophes…

Et avec ça, septembre s’évapore doucement dans la brume du temps…

samedi 21 juillet 2012

Pêcher dans le désert


La plage de Port-Salut, tout comme la plupart des plages en Haïti, peut certainement être considérée comme un attrait touristique de taille : eau turquoise, mer chaude, plage de sable fin et palmiers qui ondulent sous la brise, tout y est. Mais elle n’est pas que ça. Elle représente aussi l’accès à la mer et à ses ressources halieutiques. Or, il s’agit là d’un accès bien commode puisque les Haïtiens ne disposent que très rarement d’embarcations — je ne parle pas ici d’un navire de pêche, remarquez — capables de les emmener à bonne distance du rivage, là où les gros poissons se tiennent. Si bien que la pêche à partir du bord de la mer est répandue dans tout le pays et de la manière la plus simple qui soit : au filet. Il suffit simplement de le jeter à la mer, le plus loin possible du rivage et par la suite, de le haler sur la plage en ratissant tout ce qui se trouve sur son passage. Méthode simple, archaïque même, mais capable de donner certains résultats… en autant que la mer héberge encore quelques poissons! Or, c’est précisément le drame d’Haïti : les côtes ont été surpêchées — et ce n’est pas moi qui le dis, mais bien Jacques Cousteau, rien de moins — et bien que le constat date d’il y a plus de 20 ans, on peut assumer que la situation ne s’est guère améliorée depuis, au contraire. Car la pêche se poursuit toujours, ce qui rend difficile voire impossible pour la ressource de se renouveler adéquatement. Si bien que l’on pêche toujours plus petit, l’exception (le poisson de bonne taille) justifiant ici la règle. Et ne pensez pas que les pêcheurs locaux sont ignorants ou inconscients : ils savent très bien qu’ils ne font que prendre dans leurs filets ce qui pourrait contribuer à repeupler les eaux (photo). Mais, comme l’a si bien dit le monsieur qui tirait son filet depuis la plage : «Nou pa gen chwa» On n’a pas le choix. Jamais vérité n’aura sonné plus juste. Les Haïtiens n’ont pas le choix : la lutte pour la vie est ardue et jamais gagnée d’avance.

Cela dit, l’activité reste une bonne façon de meubler la journée, même si le travail qui la sous-tend est particulièrement harassant. Et croyez-moi, je sais de quoi je parle parce que j’ai, à quelques reprises, donné un coup de main à ces bonnes gens qui se mettent à plusieurs pour haler le lourd filet jusqu’à la plage. Et je puis vous dire qu’après quelques minutes seulement, j’en suais… Au moins si l’effort payait… Mais le filet arrive, débordant de branches, racines, bouteilles de plastique avec, ici et là, quelques menus poissons qui frétillent encore, quelques crabes qui s’affairent à chercher une impossible sortie à cette prison maillée et parfois, une anguille de belle taille ou une petite raie égarée, comme ce fut le cas un jour à St-Georges. Mais quoi qu'il en soit, le résultat final n’a rien de la pêche miraculeuse, je vous le dis tout net…

La solution est pourtant simple : outiller les pêcheurs de façon à ce qu’ils puissent pêcher au large, là où se trouvent les poissons, les vrais. Mais les équipements nécessaires coûtent cher et les pêcheurs — gens pauvres par définition — sont incapables de franchir cette étape, pourtant essentielle au succès de l’entreprise. Alors ils persistent dans leur modeste et inefficace façon de faire, résignés et philosophes malgré tout…

Tout ça pour illustrer, une fois de plus, que rien n’est jamais facile dans ce pays, au cas où vous en douteriez encore…

mercredi 27 juin 2012

Démolir pour mieux construire?


Je suis toujours intéressé de lire ce que la presse internationale raconte au sujet d’Haïti et de ses problèmes que l’on sait chroniques. Et en lisant cet entrefilet hier, je me suis dit qu’un rectificatif s’imposait, ou à tout le moins quelques précisions pour étoffer un tant soit peu le sujet.

En gros, c’est que l’article semble dire que le gouvernement, sans cœur, chasse les pauvres gens et démolit leur maison, sans souci de les reloger. Cela n’est pas entièrement faux, mais c'est loin d'être vrai. Car il faut comprendre que nombre de gens se sont installés un peu partout et, comme tout bon squatter, refusent maintenant de quitter ces lieux qu’ils prétendent leurs. Or, ce que l’histoire ne dit pas c’est ce flan de montagne (morne l'Hôpital, c'est comme ça qu'elle s'appelle) est totalement impropre à la construction, surtout en raison de son sol meuble et sujet à des érosions majeures en temps de pluie, lequel a déjà fait de nombreuses victimes. En outre, le ministère de l’Environnement, lequel est chargé de ce dossier, offre aux résidents actuels des compensations qui n’ont rien à voir avec ce que l’article annonce, lorsqu’on parle de $500 US, car selon Le Nouvelliste, les sommes proposées atteindraient jusqu’à 125,000 G pour les propriétaires, soit un peu plus de $3,000 au taux de change actuel. En plus, on donne aussi le terrain aux expropriés afin qu’ils puissent se reconstruire sans avoir à faire ce déboursé. Évidemment, vous me direz que pour une relocalisation, c’est peu. Je suis d’accord. Mais c’est quand même mieux que rien dans les circonstances. Sauf que les gens concernés voient l’offre gouvernementale comme une belle occasion de faire un joli petit profit et demandent rien de moins que le million de gourdes, soit environ $25,000 pour déménager. Même à distance, vous voyez se poindre le dialogue de sourds… Le ministère affirme qu’il ne peut absolument pas offrir cette somme, et pour ma part, je le crois sur parole. Mais les gens concernés ne l’entendent pas de cette oreille et refusent de bouger moyennant l’octroi de ladite somme. Et, entretemps, pour montrer qu’ils sont sérieux, ils manifestent en bloquant les rues du secteur et en faisant chier (oups! langage irrévérencieux!) le reste des gens qui, si j’en crois ce que j’en grappille, ne sont pas très sympathiques à leur cause qu’on juge un peu trop opportuniste.

Si je vous dis tout ça, ce n’est pas juste pour vous parler des misères du peuple haïtien, mais aussi pour faire un parallèle avec une situation que vous connaissez très bien, gens du Québec. Certes, vous me direz que «au Québec, c’est pas pareil.» Je ne dis pas que ce l’est. Mais remarquez que la mentalité du «après moi le déluge» transparaît bien dans les deux cas et c’est précisément là que le bât blesse… Je n’ai pas besoin, je pense, d’en dire plus…

Quoi qu’il en soit, la reconstruction du pays, puisque c’est ce dont je parle aujourd’hui, se heurte à bien des obstacles, dont l’argent qui n’est jamais suffisant, la main-d’œuvre qui n’est jamais assez compétente, l’équipement qui n’est jamais disponible ou en bon état de marche, sans oublier la bureaucratie, les revendications territoriales impossibles à trancher et l’avidité de certains. Bref, 400,000 personnes vivant encore dans des conditions précaires deux ans et demi après le séisme peut sembler énorme, mais en regard des obstacles à surmonter, je trouve la performance plus qu’honorable. Et ça se poursuit jour après jour…

Somme toute et quoi qu’on en dise, je trouve pour ma part que le pays s’améliore. Certes, il reste encore beaucoup à faire pour arriver quelque part, mais les voiles administratives sont visiblement gonflées par une bonne brise qui pousse le navire haïtien vers des terres plus sereines. Reste à espérer que la brise ne va se transformer en ouragan de force 5, comme il arrive si souvent sous ces latitudes…

mardi 19 juin 2012

Un pays pas facile


Pas de quoi pavoiser, mais pas de quoi en faire un drame non plus : Haïti se classe 7e sur quelque 59 pays «en faillite», ce qui ne surprendra personne, personne en tout cas qui connaît un tant soit peu ce pays. Mais une fois de plus, les chiffres parlent : comment en effet pourrait-on prétendre que tout marche sur des roulettes dans un pays où le taux de natalité est tout de même significativement élevé (27 pour 1000 habitants, comparativement à 14 aux USA)? Ajoutez à cela un PIB de $67 par habitant pour une population de 9,9 millions d'habitants dont l'espérance de vie est de 62 ans et vous admettrez que ce n'est pas facile, pas facile du tout… En comparaison, le PIB des USA est de $47,153 pour une population de 309,3 millions d'habitants dont l'espérance de vie est de 78 ans. Je n’ai pas les chiffres du Québec sous la main, mais j’assume qu’ils sont plus près de ceux des États-Unis que de ceux d’Haïti…

Non, je ne veux rien sous-entendre. Surtout pas que le Québec n’a pas à se plaindre en raison de ses bonnes conditions de vie. Il est vrai, comme le faisait remarquer un noble personnage aux idées claires et tranchées, qu’on n’a pas besoin de vivre en Syrie ou en Haïti pour trouver matière à se plaindre, car le motif peut en être différent. Tout de même et en ce qui me concerne, j’ai toujours un peu de misère à accepter que l’on se plaigne le ventre plein, quand tant de gens l’ont vide, au point où ils n’ont plus l’énergie pour se plaindre. Mais encore une fois, là n’est pas la question. Lorsque les conditions de vie se dégradent, l’on peut et l’on doit s’en plaindre, pas dans le but de chialer sur son sort, mais pour voir s’il n’est pas possible de changer ce qui mérite de l’être. D'ailleurs, si vous vous souvenez, j’ai déjà mentionné cette nuance dans la critique que certains appellent 80/20, c’est-à-dire 80% d’efforts pour un résultat de 20%. Ce n’est pas rentable. Mieux vaut choisir ses batailles. En fait et pour tout vous dire, c’est le genre de discussion que j’ai régulièrement avec ma chère compagne qui s’échine souvent à vouloir régler des problèmes qui mangent son énergie et qui, même résolus, ne font pas grande différence en bout de ligne. Or, dans un milieu de travail où, comme le nôtre, il y a beaucoup à faire, il devient important de choisir ses projets et de mesurer l’énergie qu’ils nécessiteront pour leur accomplissement au regard des résultats qu’ils entraîneront. Je ne veux pas dire que le statu quo soit préférable en tout temps, mais il faut prendre le temps d’évaluer un peu l’impact des efforts investis avant de se lancer dans de grands changements.

Mais j’en reviens au pays : il y a quelques années, les choses s’amélioraient en terre haïtienne et nous étions en mesure d’en apprécier les effets positifs : communications, routes, salubrité… tout marchait (un peu) mieux. Et les chiffres le confirment : en 2009, Haïti était au 12e rang de ces «états en faillite»; il est demeuré au 11e rang en 2010, année du tremblement de terre, car ce n’est que l’année suivante que l’impact du séisme a pu s’observer; on passe alors au 5e rang, pour finir cette année en 7e position, ce qui n’est rien pour se pavaner, je le redis… Parmi les critères retenus, on note la pression démographique, la perte de légitimité de l'État, l'insécurité, la précarité des services publics, le déclin économique, les conflits au sein des élites, le niveau de l'assistance externe… et là, vous savez déjà intuitivement que c’est pour tout cela que Haïti se démarque des pays industrialisés ayant un niveau de vie confortable : ici, rien, mais vraiment RIEN n’est facile…

Mais qu’à cela ne tienne : les gens savent ici faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils savent accepter ce qu’ils ne peuvent changer, sans pour autant avoir peur de se retrousser les manches (figure de style, bien entendu, car qui porte des manches longues dans ce pays, je vous le demande) et de mettre la main à la pâte.

Bien malheureusement, ce n’est pas toujours suffisant. En fait, ce l’est rarement…

vendredi 6 avril 2012

Voguer vers d'autres cieux


Le sujet serait drôle s’il n’était pas tragique. S’enfuir d’Haïti, comme si le pays n’était qu’un bourreau sans âme juste là pour faire souffrir ses habitants n’est certainement pas un sujet léger ni facile à comprendre. Et à voir la photo ci-dessus, prise par un homme d'équipage de la marine américaine il y a quelques années (http://www.navy.mil/view_single.asp?id=24188), à voir la barque et tous ces gens, on se demande... Mais c'est quand je lis un article comme celui-ci, que je deviens un peu choqué. Car franchement, je n’arrive pas à comprendre...

C'est que la fuite de ces gens — puisque c’en est bien une — est une réponse à l’agression, à l’envahisseur. On fuit pour ne pas combattre, soit par manque de moyens de le faire, soit par défaite, mais on fuit parce que le salut est dans la fuite. Question de survie donc. Haïti agresse-t-elle à ce point son peuple? L’écrase-t-elle sous un joug tyrannique? Les gens sont-ils forcés de se taire pour ne pas se faire fusiller? Rien de tout cela. Certes, le pays n’est pas facile à bien des égards, mais la liberté d’expression y prévaut, les gens y sont libres d’agir comme bon leur semble — parfois un peu trop même — et on peut en sortir légalement sans plus de formalités qu’un simple passeport, accessible à tous et à toutes. Est-ce là le portrait d’un pays dont il faut s’enfuir à tout prix, même au péril de sa vie? Pas à mon sens. Les Haïtiens ne sont certainement pas prisonniers dans leur pays et chaque année, des milliers de gens vont et viennent au gré de leur humeur ou de celle de leur porte-monnaie. Juste parmi nos employés, plusieurs sont allés à l’extérieur du pays, en République Dominicaine, à Cuba, en France, au Canada ou aux États-Unis, pour ne nommer que ceux-là. Et en sont revenus. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ou elles ne choisiraient pas d’y émigrer si la chose pouvait se faire aisément. Mais de là à s’embarquer dans une véritable galère, aller défier le sort sur des mers inconnues? Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Il me semble que non. Pourquoi alors ces pauvres gens qui se laissent embarquer — c’est le cas de le dire — dans de pareilles aventures?

La seule réponse à laquelle je puisse penser, c’est la naïveté. Car oui, les Haïtiens sont, règle générale, naïfs et crédules. Dès lors, si un arnaqueur sans scrupules leur fait miroiter une vie de purs délices «lot bò», ils sauteront dans le bateau à pieds joints sans le moindre esprit critique, sans la moindre question sur la valeur de l’entreprise et ses chances de succès. En Haïti — je vous l’ai dit à maintes reprises — l’espoir fait vivre (proverbe). Mais il fait aussi quitter le pays sur une coquille de noix pour éventuellement toucher terre on ne sait où ni dans quelles conditions. Histoires atroces, souvent macabres s’il en est…

Lisez l’article et vous allez vous rendre compte par vous-mêmes : comment des personnes avec un minimum de bon sens peuvent-elles accepter de s’entasser sur un si frêle esquif et risquer pareil voyage, sur une mer imprévisible dont tout le monde a peur — à juste titre considérant que rares sont les Haïtiens ou les Haïtiennes qui savent nager — vers une destination qui semble aussi aléatoire qu’un tirage à la loterie? Eh bien sans doute la réponse est-elle précisément là : pour la même raison que les gens achètent les tickets de loterie : dans l’espoir fou de gagner le gros lot, même si la probabilité n’est que d’une chance sur 13 millions. Mais tout comme à la loterie, les espoirs sont vains et immanquablement réduits à néant lorsque frappe la dure réalité.

Pourtant, ces situations se répètent et les radeaux de la méduse entraînent régulièrement des pauvres naïfs vers le nord, vers ces cieux qu’on croit fatalement plus bleus. Fatalement, il faut qu'ils le soient, n'est-ce pas? Mais en vérité, il suffit de lever la tête pour se rendre compte que, si difficile que soit parfois la vie dans ce pays, le ciel y est d’un bleu qui n’a rien à envier aux autres…