vendredi 6 avril 2012

Voguer vers d'autres cieux


Le sujet serait drôle s’il n’était pas tragique. S’enfuir d’Haïti, comme si le pays n’était qu’un bourreau sans âme juste là pour faire souffrir ses habitants n’est certainement pas un sujet léger ni facile à comprendre. Et à voir la photo ci-dessus, prise par un homme d'équipage de la marine américaine il y a quelques années (http://www.navy.mil/view_single.asp?id=24188), à voir la barque et tous ces gens, on se demande... Mais c'est quand je lis un article comme celui-ci, que je deviens un peu choqué. Car franchement, je n’arrive pas à comprendre...

C'est que la fuite de ces gens — puisque c’en est bien une — est une réponse à l’agression, à l’envahisseur. On fuit pour ne pas combattre, soit par manque de moyens de le faire, soit par défaite, mais on fuit parce que le salut est dans la fuite. Question de survie donc. Haïti agresse-t-elle à ce point son peuple? L’écrase-t-elle sous un joug tyrannique? Les gens sont-ils forcés de se taire pour ne pas se faire fusiller? Rien de tout cela. Certes, le pays n’est pas facile à bien des égards, mais la liberté d’expression y prévaut, les gens y sont libres d’agir comme bon leur semble — parfois un peu trop même — et on peut en sortir légalement sans plus de formalités qu’un simple passeport, accessible à tous et à toutes. Est-ce là le portrait d’un pays dont il faut s’enfuir à tout prix, même au péril de sa vie? Pas à mon sens. Les Haïtiens ne sont certainement pas prisonniers dans leur pays et chaque année, des milliers de gens vont et viennent au gré de leur humeur ou de celle de leur porte-monnaie. Juste parmi nos employés, plusieurs sont allés à l’extérieur du pays, en République Dominicaine, à Cuba, en France, au Canada ou aux États-Unis, pour ne nommer que ceux-là. Et en sont revenus. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ou elles ne choisiraient pas d’y émigrer si la chose pouvait se faire aisément. Mais de là à s’embarquer dans une véritable galère, aller défier le sort sur des mers inconnues? Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Il me semble que non. Pourquoi alors ces pauvres gens qui se laissent embarquer — c’est le cas de le dire — dans de pareilles aventures?

La seule réponse à laquelle je puisse penser, c’est la naïveté. Car oui, les Haïtiens sont, règle générale, naïfs et crédules. Dès lors, si un arnaqueur sans scrupules leur fait miroiter une vie de purs délices «lot bò», ils sauteront dans le bateau à pieds joints sans le moindre esprit critique, sans la moindre question sur la valeur de l’entreprise et ses chances de succès. En Haïti — je vous l’ai dit à maintes reprises — l’espoir fait vivre (proverbe). Mais il fait aussi quitter le pays sur une coquille de noix pour éventuellement toucher terre on ne sait où ni dans quelles conditions. Histoires atroces, souvent macabres s’il en est…

Lisez l’article et vous allez vous rendre compte par vous-mêmes : comment des personnes avec un minimum de bon sens peuvent-elles accepter de s’entasser sur un si frêle esquif et risquer pareil voyage, sur une mer imprévisible dont tout le monde a peur — à juste titre considérant que rares sont les Haïtiens ou les Haïtiennes qui savent nager — vers une destination qui semble aussi aléatoire qu’un tirage à la loterie? Eh bien sans doute la réponse est-elle précisément là : pour la même raison que les gens achètent les tickets de loterie : dans l’espoir fou de gagner le gros lot, même si la probabilité n’est que d’une chance sur 13 millions. Mais tout comme à la loterie, les espoirs sont vains et immanquablement réduits à néant lorsque frappe la dure réalité.

Pourtant, ces situations se répètent et les radeaux de la méduse entraînent régulièrement des pauvres naïfs vers le nord, vers ces cieux qu’on croit fatalement plus bleus. Fatalement, il faut qu'ils le soient, n'est-ce pas? Mais en vérité, il suffit de lever la tête pour se rendre compte que, si difficile que soit parfois la vie dans ce pays, le ciel y est d’un bleu qui n’a rien à envier aux autres…

2 commentaires:

  1. Tu dis que la seule raison d'entreprendre un tel périple serait la naïveté....peut-être y a t il de ca mais que penses-tu du désespoir? Le désespoir ne conduit-il pas au suicide? l'ultime ...
    Il n'y a pas que de l'espoir ici en Haiti, il y a aussi beaucoup de désespoir...

    RépondreEffacer
  2. D'après ce que j'ai appris, statistiquement, il y a peu de suicides en Haïti; parfois, ça va mal, mais ça passe et les gens se remettent à croire et à espérer. Je ne pense vraiment pas que les gens qui s'embarquent sur ces rafiots sont mus par le désespoir; simplement, ils se font avoir.

    RépondreEffacer