mardi 29 janvier 2013

Un silence rare


Je vous ai parlé à quelques reprises de certains aspects de notre vie quotidienne en ce pays qui n’est jamais de tout repos. Trop peuplé, trop peu structuré, le pays va comme je te pousse et la seule façon d’y vivre confortables, c’est de composer avec cette absence de structures, de «faire avec», comme on dit couramment. Les irritants courants — les rues encombrées, les égouts en plein air, les chantiers improvisés, les manifestations spontanées et bien d’autres — deviennent ainsi un terrain familier et on se surprend à ne plus se surprendre de rien. Ainsi, au cours de la fin de semaine dernière, en cette époque où les groupes musicaux se pratiquent pour le carnaval, on s’attendait à des décibels approchant le seuil de la douleur et franchement, nos attentes n’ont pas été trompées : samedi soir surtout, un DJ dont seuls les Haïtiens ont la recette, semble-t-il, a tenu ses fans en haleine pendant six heures d’affilées, ne mettant un terme à ses hurlements qu’à deux heures du matin, seul moment où nous avons enfin pu penser à dormir. Dimanche, ce fut surtout pendant le jour. Mais là encore, le niveau sonore était délirant. Nous savons que nous n’avons pas le choix, alors nous en prenons notre parti…

Or, la nuit dernière, je me réveille tout à coup. Le temps que j’ouvre timidement les yeux, mon cerveau embrumé se présente au rapport : rien à signaler. Le silence est absolu. Pas un seul bruit ne se fait entendre : pas de moteur, pas de musique, pas de klaxon, pas même de coqs qui ne savent pas l’heure ou de chiens qui signalent leur territoire. Rien. Seuls les grillons et mes acouphènes… Et je me suis aperçu que c’était sans aucun doute ce silence exceptionnel qui m’avait sorti du sommeil… Sinon, quoi d’autre? Mais je ne vous dis pas le pire : l’air que j’ai en tête (j’ai TOUJOURS un air en tête qui peut aller du second mouvement de la 5e de Beethoven jusqu’à Le Frigidaire de Tex Lecor et je ne choisis pas toujours), l'air que j'ai en tête donc, c’est «Petit Papa Noël», (ici, clin d’œil à Karine et à son vicomte), version Tino Rossi… Avouez qu’il est dur de faire pire, surtout à la fin de janvier… Finalement, je réussirai à remplacer cet air par l’excellent Boulevard of Broken Dreams, si langoureusement interprété par Diana Krall (je parle de sa première version, bien entendu). Le silence donc. Un silence auquel Haïti ne nous a pas habitués et qui, pourtant, devrait aller de soi dans ce pays où les gens se couchent tôt et la vie nocturne — les jours de fête mis à part — est inexistante. Mais pour je ne sais quelle raison, ce silence est rare et presque anormal.

Toujours est-il que j’écoutais ce silence, car oui, le silence n’est pas qu’une absence, vous le savez si vous l’expérimentez de temps à autre, mais c’est aussi une présence qui, sans être audible — puisque c’est le silence! — se sent, se capte, se saisit. Je pense qu’on appréhende le silence comme on appréhende la peur : en s’y frottant. Mais encore faut-il que les conditions s’y prêtent — notre habitat nordique est difficile à battre sous ce chapitre — et ici en Haïti, je le répète, c’est un phénomène rare. Écoutant le silence, donc, je me suis trouvé tout à fait éveillé et bien convaincu que le sommeil ne reviendrait pas me visiter cette nuit-là. Mais tout à coup, le frigo est reparti, puis des chiens ont recommencé à se plaindre en leur langage, des coqs ont jugé, à tort, il va sans dire, que l’heure était venue de se faire entendre, quelques chèvres ont bêlé timidement — à moins que ce ne soit les moutons de l’un de nos gardiens — et cette présence sonore a suffi à me retremper dans notre monde nocturne habituel si bien que, à mon étonnement, je me suis rendormi…

Au matin, frais et bien disposé, je me suis levé et me suis dit que je devais vous livrer ces impressions... Comme quoi nous ne sommes pas toujours pris dans les drames sociopolitiques!

Aucun commentaire:

Publier un commentaire