vendredi 4 janvier 2013

L'échec de l'aide internationale


Je n’avais pas vraiment l’intention de vous écrire aujourd’hui — après tout je n’ai pas que ça à faire, quoi qu’en disent les mauvaises langues — mais après avoir lu l’article de La Presse, la question du jour de La Presse et cet excellent article de Haiti Libre, je me suis dis que mon grain de sel s’imposait. Car il y a dans tout cela une vérité à laquelle il convient de s’arrêter.

Je commence avec la question du jour : «Le gouvernement Harper a décidé de geler les fonds de l'ACDI destinés aux nouveaux projets d'aide à Haïti. Êtes-vous d'accord?» Eh bien devinez quoi? Une forte majorité de répondants (62%) sont d’accord! J’avoue que cela m’étonne un peu, connaissant la générosité des Canadiens, particulièrement des Québécois à l'égard du peuple haïtien. Et puis ces fonds ont été amassés pour aider Haïti, n’est-ce pas? Alors on peut s’étonner de la décision du gouvernement, sauf lorsqu’on lit la position on ne peut plus nette du ministre de la Coopération internationale : «Le fait est qu'Haïti est toujours en mauvais état. Et on va à côté, en République dominicaine, et les choses vont beaucoup mieux. Allons-nous continuer à faire la même chose de la même manière en Haïti? Je ne pense pas! Parce que nous n'obtenons pas le progrès auquel les Canadiens sont en droit de s'attendre.» Sans doute est-il vrai que le progrès d’Haïti n’est pas à la hauteur des attentes canadiennes, mais comparer Haïti à la République Dominicaine, c’est comme comparer les États-Unis au Mexique. C’est comme comparer des pommes avec des oranges. Mis à part que ce sont deux fruits, leur parenté s’arrête là. Ainsi en est-il d’Haïti et de la République Dominicaine. Cependant, le ministre précise ailleurs : «Nous ne sommes pas une œuvre de charité.» Là je suis tout à fait d'accord. Un pays aidant reste un pays aidant, dont la relation avec le pays aidé doit en bout de ligne s’assortir d’une certaine profitabilité pour le pays aidant.

Mais c’est l’article de Haiti Libre, cette excellente entrevue avec le représentant du Secrétaire Général de l'Organisation des états américains (OEA) Ricardo Seitenfus qui vaut vraiment le détour. L’article date, c’est vrai. Mais n’a pas vieilli d’un poil. Or, je n’avais pas lu à l’époque de sa publication et c’est maintenant que je le découvre. Un vrai petit bijou. Vraiment, je vous le dis, il s’agit là de la meilleure synthèse qu’il m’ait été donné de lire depuis que nous sommes en Haïti, c’est vous dire. Le monsieur parle juste et bien. Sa lecture de l’état de la situation du pays est tout à fait remarquable. Je vous cite quelques petits extraits, ici et là :
On veut faire d’Haïti un pays capitaliste, une plate-forme d’exportation pour le marché américain, c’est absurde. Haïti doit revenir à ce qu’il est, c’est-à-dire un pays essentiellement agricole encore fondamentalement imprégné de droit coutumier.

L’aide d’urgence est efficace. Mais lorsqu’elle devient structurelle, lorsqu’elle se substitue à l’État dans toutes ses missions, on aboutit à une déresponsabilisation collective.

Pour les ONG transnationales, Haïti s’est transformé en un lieu de passage forcé. Je dirais même pire que cela: de formation professionnelle. L’âge des coopérants qui sont arrivés après le séisme est très bas; ils débarquent en Haïti sans aucune expérience. Et Haïti, je peux vous le dire, ne convient pas aux amateurs.

Le pays offre un champ libre à toutes les expériences humanitaires. Il est inacceptable du point de vue moral de considérer Haïti comme un laboratoire.

Haïti est trop complexe pour des gens qui sont pressés; les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps ni n’a le goût de tenter de comprendre ce que je pourrais appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien saisi, qui nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et ils le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement par l’argent que nous apportons, c’est parce que nous nous sommes présentés comme cela.
Deux ans plus tard, rien ne sonne encore plus juste.

Si bien que, vous l’avez compris maintenant, je pense que geler les fonds de l’ACDI destinés à Haïti n’est peut-être pas une si mauvaise idée dans les circonstances…

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