lundi 20 janvier 2014

Esclavage en Haïti?


Cela fait quelques fois que je tombe sur ces cris haut poussés contre le traitement infligé à ces esclaves modernes que sont les «restavek». «Reste avec». L’expression dit bien ce qu’elle sous-tend : on parle ici de jeunes qui ne sont pas les enfants des adultes chez qui ils restent et qui, eh bien, «restent avec» eux, simplement parce que les parents biologiques n'ont pas les moyens financiers de subvenir aux besoins de leurs enfants. Les parents «placent» leur enfant dans une famille qui, en principe, donnera à l'enfant une chance de s'en sortir en échange de l'accomplissement de travaux domestiques. Jusque là, rien d’affolant ou même de tendancieux. Mais voilà que les médias, ces colporteurs de l’information, s’en mêlent et s’emmêlent, confondent restaveks et esclaves et s’indignent de cette inadmissible pratique, statistiques en tête. Un bémol s’impose. Qui fera baisser la note d’un demi-ton et la rendra moins criarde. Car comme je vous l’ai déjà dit, il me paraît bien risqué de juger l’indien sans avoir chaussé ses mocassins, de juger la vie haïtienne dans une perspective qu’on veut objective mais qui me paraît fortement biaisée. Je m’explique.

Haïti n’est pas un pays comme tant d’autres. Disant cela, j’entends déjà les plus pointilleux parmi vous me dire : «Qui es-tu pour affirmer une telle chose? As-tu vu tous les autres pays du monde?» Et vous aurez raison. Non, je n’ai pas vu tous les autres pays du monde — à peine une vingtaine, je dirais — et Haïti mis à part, n’ai vécu dans des milieux culturellement différents qu’à deux autres reprises : en Algérie et à Fort George, au pays des Cris, ces autochtones si loin de la culture canadienne ou québécoise. Donc non, aucune prétention d’expert ici. Cependant, lorsque je vous dis qu’Haïti est différente (car oui, Haïti est un pays féminin, comme la France ou l’Allemagne), j’avance que les façons de faire ici ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. Dès lors, il me paraît difficile de juger. Les restaveks font partie d’une classe bien connue mais mal définie, aux contours flous et moralement variables; mais de là à les mettre dans le même panier que les esclaves, je pense qu’il y a une marge.

Certes, ces enfants ne sont pas tous traités de la même façon, on s’en doute. Quelle famille traite ses enfants de la même manière que le voisin? Certains restaveks bénéficient vraiment d’une qualité de vie supérieure à celle qu’ils auraient eu s’ils étaient restés avec leurs parents biologiques alors que d’autres souffrent d’abus de toutes sortes, avec toutes les variables possibles entre les deux. Dire que les restaveks sont des esclaves est donc aussi faux que de prétendre qu’ils ont tous la belle vie. D’où mon bémol. Et puis, n’oublions pas une distinction que je qualifierai de majeure : les restaveks sont tous des enfants ou des adolescents qui n’ont pas encore atteint l’âge de l’autonomie sociale. Lorsqu’ils vieillissent, ces jeunes s’insèrent tant bien que mal dans le monde qui les entoure et ont les mêmes droits que n’importe quel autre citoyen ou citoyenne. Tandis qu’un esclave reste un esclave, même à l’âge adulte…

Remarquez que je ne dis pas qu’il s’agit là d’une situation enviable pour ces enfants. Mais acceptable, oui. Dans le difficile contexte d’Haïti, des accommodements sont nécessaires et ce n’est pas l’État qui les fixe ni les gère : ici, les gens sont habitués à ne compter que sur eux-mêmes et sur leurs maigres ressources et pour ce qui les dépasse, ils invoqueront le Ciel bien plus souvent que l’État… Car LE problème d’Haïti, ne le perdons pas de vue, c’est sa grande misère. Et c’est de cette grande misère que découlent souvent des situations aberrantes, incompréhensibles, voire choquantes, spécialement pour nous, les nantis. Mais on dit que «Nécessité est mère de l’invention» et c’est sans doute ce qui rend les Haïtiens et les Haïtiennes champions du système D.

En tout cas et pour ma part, je ne peux m’offusquer de l’existence des restaveks pour la simple raison que c’est un système qui marche depuis l’indépendance du pays et l’affranchissement de l’esclavage — le vrai — et qui a engendré des gens ordinaires, pas des révoltés, des psychopathes ou des suicidaires. Ce n’est pas le système idéal, personne ne dira le contraire, mais c’est un système qui ne mérite pas d’être associé à l’esclavagisme. Je pense qu’il y a ici une nuance qu’il faut établir et respecter.

Dire que Haïti est le second pays au monde (la presse + 17-01-14) quant à la quantité d’esclaves est dès lors, simplement faux. Et Haïti ne mérite pas ça.

1 commentaire:

  1. Cela fait longtemps que j'essaie de m'approcher d'une explication que ce malaise provoque...Comme tu as si bien dit il y a plusieurs nuances de GRIS...Entre la beauté de la situation IDEALE et la pratique de la REALITÉ, la déconvenue est immense

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