vendredi 4 novembre 2011

Affaires croches



Quand j’ai vu le titre de cet article, hier, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire… C’aurait tellement pu se passer en Haïti!... Et on se dit que c’est bien effrayant, que ça n’a pas de bon sens que c’est inconcevable et tout le reste, sans même se rendre compte qu’en fait, ce n’est pas bien méchant et plutôt créatif comme affaire croche…

Cependant on parle dans l’article de corruption et franchement, je vois mal ce qui a été corrompu dans cette affaire. Le système? Le fonctionnaire qui fausse les documents? Ou tout le monde qui profite de la supercherie? Est-on corrompu parce que l’on profite d’un système troué comme une passoire? Moi j’appellerais plutôt ça de l’opportunisme… Une belle qualité d’ailleurs, et qui se trouve assez répandue ici en Haïti. Une porte mal fermée est comme une invitation à entrer, non? En tout cas, j’en connais pas mal pour qui c’est comme ça. Et lorsqu’on se trouve à la source du système, eh bien il devient doublement important de ne pas laisser de portes entrebâillées qui pourraient donner à d'autres des idées pas nécessairement honnêtes… Incidemment, je parlais l’autre jour avec la responsable d’une autre ONG locale qui me demandait quelle était la technique que nous utilisions pour maintenir le contrôle de l’hôpital. Je lui ai répondu que nous étions là, tout simplement. En Haïti, comme partout ailleurs, c’est quand le chat est parti que les souris s’en donnent à cœur joie… Pas besoin de sortir le bâton donc, le seul fait d’être présent est suffisant pour que l’ordre soit maintenu. Un peu comme lorsque l’on voit une voiture de police stoppée sur le terre-plein entre les voies de l’autoroute… On lève le pied bien vite…

Sauf que dans le cas de la police, c’est vraiment la peur du bâton, sous forme d’une juteuse contravention, qui nous fait ralentir, alors qu’ici, à notre petit hôpital, je dirais que c’est plutôt la perspective d’une carotte bien mûre… Nos employés sont bien traités et j’ose penser qu’ils en sont conscients. Les conditions de travail ne sont certes pas parfaites — où le sont-elles? — mais elles se sont améliorées sensiblement au cours de notre mandat, et ce fait est aisément observable (ceci dit en toute modestie, vous l’avez deviné). Tout de même, cela ne signifie pas que tous sont contents de leur sort et qu’ils baignent dans la grâce divine, à jamais écartés de la tentation. N’exagérons rien. Ce sont des humains et je ne suis pas convaincu qu’une occasion de filouter le système, si elle se présentait, serait automatiquement écartée, surtout si le risque de se faire prendre est pratiquement nul. Car tout est là, n’est-ce pas? Ne pas se faire prendre. Il ne s’agit donc pas d’une propension morale à ne pas prendre ce qui ne nous revient pas de droit, mais plutôt une évaluation des chances de se faire prendre si on le fait. D’où sans doute l’énormité de certaines escroqueries lorsque leurs auteurs se sont finalement faits prendre et que le chat (pas celui qui garde les souris) est sorti du sac…

Mais avouons qu’à petite échelle, il n’y a pas grand dommage; qui se formalisera de voir qu'un stylo a disparu? L’une de mes infirmières préférées a justement cette manie de partir avec mes stylos — plus par distraction que par concupiscence, je le précise, mais tout de même, l’effet reste le même. Je pourrais aussi vous parler de ce pauvre père de 9 enfants, pris la main dans le sac (si je puis dire) à voler un gallon d’essence (soit environ 4 litres) pour faire cuire ses aliments… Auriez-vous congédié le type, vous?

Et puis l’article parle de corruption et là, je tique. Car il me semble qu’une personne corrompue, c’est une personne qui a plié sur ses principes à la demande d’une autre personne, le corrupteur, en échange d’une faveur quelconque — habituellement de l’argent, mais dans certains cas, de n’importe quelle autre nature. L’essentiel ici est que la personne corrompue n’est pas foncièrement d’accord avec elle-même pour crochir, mais succombe néanmoins à l’appât du gain.

D’ailleurs, j’avoue être tout à fait d’accord avec la réflexion de Serge Thibault, dans ce texte publié sur cyberpresse et intitulé «La corruption et nous» :
«L'illusion fondamentale sur laquelle repose le contrat social dans nos sociétés modernes est que l'acquisition du sens moral est une chose qui va de soi. Or, rien n'est plus faux. Contrairement au mythe rousseauien de l'enfant fondamentalement bon qui serait corrompu par la société, l'acquisition des fondements moraux relève d'un apprentissage à la fois rigoureux et héroïque.»
J’aime assez le qualificatif «héroïque». Car il faut parfois être de la trempe d’un héros pour savoir résister à la tentation… Ou bien un saint, tout simplement…

Alors je vous en prie, pas trop vite pour jeter la première pierre…



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