jeudi 21 août 2008

La rue qui vit


Ici, tout vit. Je vous l’ai sûrement déjà dit. Peut-être pas en ces mots, mais je pense néanmoins que l’idée a dû passer. Tout vit ou plutôt, plus justement, tout fourmille de vie. Ça va des fourmis (spécialement les foumi-fou, une espèce particulièrement active) aux humains, en passant par les plantes, les chiens et les chats, les chèvres et les poules (et les coqs, bien entendu). Et bien que cette vie puisse s’observer de n’importe quel côté, c’est souvent dans la rue qu’on en goûte une belle tranche. Ici, les rues ne servent pas qu’aux déplacements d’un point de la ville à un autre : les rues grouillent. Les voitures, les brouettes, les motos, les charrettes, les vélos, avec dessus, dedans, derrière ou devant, des gens. Des jeunes, des vieux, des pas beaux, des pas gros, des squelettiques, des énormes, des top-modèles (la plupart des Haïtiennes le sont, mais l’ignorent, ce qui ajoute encore à leur style), des intellectuels et, bien sûr, des mendiants de tout acabit. Tout ce beau monde joue du coude, parle à tout le monde, évite de justesse une moto ou une bécane lancée à vive allure, téléphone, achète un «manger-cuit», hèle une moto-taxi qui fait demi-tour sans regarder ni s’inquiéter du reste, sourit, rit à belles dents éclatantes, pognasse des mains sans discontinuer et n’en finit plus de jaser.

La rue tonitrue : les moteurs des voitures, des camions de tout gabarit, des bus surchargés s’entremêlent en un joyeux concert, ponctué de coups de klaxon aussi variés que les couleurs criardes des véhicules. Car ici, je vous l’ai dit, on ne klaxonne pas seulement dans les cas extrêmes, mais pour mille et une raisons, les plus courantes étant les salutations : un coup sec, doublé ou triplé, qui signifie simplement «Hé salut!». Puis il y a aussi les marques de politesse, par exemple, pour dire à quelqu’un qu’il peut passer quand on est arrêté au beau milieu de la chaussée en grande conversation avec un passant. Aussi la politesse quand on veut doubler commande de donner un petit coup de klaxon, auquel le chauffeur de la voiture doublée répondra en doublé. Puis, lorsqu’on passe à sa hauteur, un autre petit coup pour dire «je suis juste à côté, là», auquel l’autre chauffeur répond «bip! bip!», c’est-à-dire «je sais, je te vois», puis un dernier coup, une fois passé, celui-là long et amical et qui signifie «Merci bien!» dont la voiture doublée accuse réception par un tonitruant «Pas de quoi!». Enfin, il y a le coup de klaxon avertisseur, dont le sens est clair pour à peu près tout le monde. À peu près. Du bruit, dites-vous?

Et la musique? Vous l’oubliez, la musique? Elle est pourtant là, à tue-tête, sortant d’énormes baffles installées sur le bord de la rue, pour attirer l’attention des passants qui risquent la surdité s’ils s’arrêtent, mais bon, tout le monde s’en fout…

Enfin, la rue pue. Pas autant qu’à Naples ces temps-ci (d’après ce qu’on en dit), mais assez pour que la chose se remarque. Les égouts et les tas d’immondices s’y côtoient naturellement, surtout aux abords du marché, et malgré les efforts municipaux faits pour ramasser les détritus, leur accumulation reste inévitable : c’est la loi du nombre. Non pas que Les Cayes soit une grande ville, et sous ce chapitre, il faut avouer que nous ne sommes pas à plaindre si l’on se compare à Port-au-Prince. Mais tout de même, là où il y a de la vie, il y a forcément de la pourriture, n’est-ce pas? Mais cette vie vibre, irradie, secoue, colorie l’espace et s’y enracine. Sans cette vie, Haïti ne serait pas Haïti. Évidemment, la vie croît… jusqu’où? Bondye konnen, comme on dit dans le coin…

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