dimanche 17 janvier 2010

C'est dimanche...


C'est drôle. On se lève sous un ciel bleu, les poules picorent tout doucement dans la cour, il fait 27°C à 7h ce matin et tout est paisible alentour. Difficile de s'imaginer que nous sommes dans la merde--à moins que la merde soit vraiment à ce point confortable... Mais à la vérité, sous le voile du confort, la tension est là, elle se sent comme une odeur nauséabonde et elle nous colle à la peau.

J'ai mentionné hier sur mon "mur" Facebook que ç'avait été tout un samedi. C'est que normalement, les samedis sont des jours relaxes. On travaille, mais on a le temps de placoter et tout le monde est content. Mais ce samedi n'était pas tout à fait dans le style, disons... Notre petit hôpital est plein, et pas seulement des blessés, mais aussi de ceux et celles qui les accompagnent et qui restent là en permanence. Au point qu'il faut parfois les mettre dehors, et assez rudement, parce qu'ils ne veulent pas laisser leur place et qu'ils empêchent les infirmières de faire leur travail. Le va-et-vient est incessant, les gens crient, les gens pleurent, et pire encore, il y a ceux, celles qui vous regardent sans dire un mot, sans un gémissement mais dont on sent la souffrance... Les temps sont durs, les amis...

On dort mal. Pas par insécurité--ça, ce sera plus tard--mais parce que notre sommeil est interrompu tantôt par la sonnerie du téléphone (souvent des mauvais numéros, mais à 2h du matin, c'est quand même désagréable et ça réveille tout à fait), tantôt par les cris d'une femme qui vient de perdre un proche. Car lorsque la personne sous leur garde meurt, les Haïtiens crient. Je ne dis pas qu'ils pleurent: ils crient. À gorge déployée. Le chagrin ici, ce n'est pas en serrant les dents qu'on le vit: c'est en le partageant ouvertement avec les autres. Et s'il n'y a personne alentour, ça ne fait rien: on va juste crier plus fort. Or, ces temps-ci, les gens meurent. Même ceux ou celles que nous hospitalisons, souvent meurent des suites de leurs blessures, de septicémie ou d'une cause inconnue. Hier, je parlais avec un chirurgien qui me disait, comme ça, tout bonnement, qu'il venait de faire une amputation et qu'il s'apprêtait à en faire une autre, mais que le problème, c'est qu'il devait coucher les amputés par terre par la suite, car il n'y a plus de lits disponibles à l'hôpital... Morbide, dites-vous? Je suis d'accord. Mais c'est comme ça et on s'y fait. "Le naturel est ce qu'on a toujours vu", disait Félix. À force de voir des cadavres ou des amputés, c’en devient presque naturel...

Mais je ne veux pas dramatiser outre-mesure. La réalité est déjà dramatique, point n'est besoin d'en remettre. Le fait est qu'il y a des gens ici--tous Haïtiens, Haïtiennes--qui se retroussent les manches et qui carburent au super. Nathacha, notre infirmière-chef, en est un bel exemple. Elle va, elle vient, elle court, elle vole! Elle est partout, elle règle tous les petits problèmes, elle s'adresse aux patients d'une voix forte et claire, elle met elle-même la main à la pâte si nécessaire, bref, elle est LÀ. 100%. Irremplaçable. Ce n'est pas un mot que j'utilise souvent. Car même lorsque le pape meurt, on le remplace. Mais Nathacha? Si on ne l'avait pas, on ne pourrait pas l'inventer... Et ce sont ces Haïtiens et ces Haïtiennes qui vont relever le pays: pas l'aide internationale. Parce que l'aide internationale est extérieure. Elle est nécessaire, c'est bien évident. Mais à long terme, c'est le peuple haïtien, celui-là même qui a fait ce pays, qui va le remettre debout. Tout à l'heure, je demande à l'un de mes gardiens de sécurité (qui va devenir critique dans pas longtemps--pas le gardien, mais la sécurité) s'il veut revenir cette nuit. Il a déjà 18 heures de travail en ligne à son actif. Je lui ai demandé d'aller faire un ti-repos de midi à 6h et de revenir pour la nuit. Je lui ai dit que j'allais le payer en supplémentaire. Sa réponse? "On ne fait pas ça pour l'argent, mais parce qu'on est Haïtien."

Qu'est-ce que vous voulez répondre à ça?

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