Un petit samedi nuageux avec apparence de pluie dans l'air. Normalement, on s'en réjouit car la pluie dissipe la chaleur et abreuve la terre. Mais je ne peux m'empêcher de penser à ce qu'une pluie diluvienne peut entraîner, comme conséquences, à Port-au-Prince... Car en temps normal, comme la capitale est sise au pied des montagnes, la pluie fait descendre des torrents de boue de tous les côtés. Dans l'état actuel des choses, on devine qu'il n'y aura pas que la boue qui va descendre...
Mais encore une fois, pour nous aux Cayes, tout baigne et personne ne s'en plaint. Nos Brésiliens, entre autres, ont choisi ce samedi pour faire une petite escapade à la mer. Qu'ils méritent bien! Car pour travailler, ces gens-là travaillent, il faut bien le dire. Et ce sont les patients qui en bénéficient. Sauf que, comme vous l'avez sûrement déduit, s'ils ont les moyens de s'offrir une petite sortie à la plage, c'est que le flot de patients diminue. Et c'est une déduction juste: les patients viennent de façon régulière et constante, mais le "rush" du début s'est calmé. Et il le fallait, car le rythme du début était étourdissant. Maintenant, les cas médicaux sont vus, évalués, intégrés à l'horaire et, éventuellement, réglés. En un mot, on prend le temps de s'occuper des malades. Et tout ça, gratuitement, ce qui n'enlève rien à la chose. Hier, une vieille dame m'arrête sur mon vélo et m'annonce que son mari est hospitalisé et que le docteur dit qu'on va l'opérer lundi. «Mais je n'ai pas un seul ti-kob», dit-elle. Je la rassure: «Pa fatigué, chéri, n'ap aranje sa.» Tout juste si elle ne m'a pas sauté au cou... Mais c'est que les soins de santé sont habituellement tellement onéreux que les gens préfèrent rester malades ou blessés plutôt que de se présenter à l'hôpital sans argent. Même pendant cette période de crise, il est des hôpitaux (un entre autres que je ne nommerai pas) qui continue de demander des sommes exorbitantes pour les soins : une fracture ouverte? C'est $600 US! À prendre ou à laisser! Alors plusieurs laissent, comme de raison. On comprend dès lors leur étonnement quand on leur dit qu'on va les soigner gratuitement!
Ce n'est cependant pas la politique institutionnelle courante. Comme tous les établissements de soins de santé dans le pays, nous faisons des frais pour toutes les étapes du processus de l'offre de soins : ouverture/recherche du dossier (qui inclut les frais de consultation du médecin), examens de laboratoire, médicaments, hospitalisation et chirurgie éventuelle. Mais ces frais restent minimes et ne sont pas suffisants pour assurer notre autonomie financière, et ne serait-ce de l'injection monétaire constante de notre bailleur de fonds (la Fondation Brenda Strafford de Calgary, pour ceux et celles qui ne le savent pas déjà), nous mangerions nos bas, comme on dit. Mais en temps normal et attendu que des dépenses hors-budget ne nous tombent pas dessus--genre l'achat d'une génératrice au coût de $23,000 US l'an dernier--nous sommes «pa pi mal». Cependant, exploiter les pauvres malheureux qui, après avoir tout perdu ou presque, se battent simplement pour recouvrer l'usage de leurs membres me semble tout à fait inapproprié. Y'a toujours une limite, quand même...
Enfin, pour mettre un point à cette escapade saturnienne* (oui, je sais, l'adjectif est osé, mais bon, je ne recule devant rien pour vous préciser ma pensée), je vous ai mis, en exergue pour ainsi dire, la photo de notre groupe de Brésiliens. Y'a du monde, hein! Mais quel beau et bon monde, mes amis. Que de bonnes gens là! Franchement, de quoi vous réconcilier avec tout ce qui va mal dans le monde à l'heure actuelle. Car de voir ces parfaits inconnus débarquer, retrousser leurs manches et traiter le peuple haïtien comme si c'était leurs frères et leurs sœurs, c'est beau ça, moi je vous le dis.
* Saturnien vient de Saturne, bien entendu, et comme samedi vient aussi de Saturne, eh bien j'ai fait le saut. Et si vous avez pensé au sens figuré de saturnien (triste, mélancolique...), eh bien vous n'y étiez pas du tout...
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