dimanche 14 février 2010

Plus de Prestige?


Aujourd'hui, j'avais décidé, bien paresseusement et à la suggestion de ma compagne attentionnée, de prendre congé et de vous laisser braire, ne vous en déplaise. Mais un petit message de Pierre, mon presque neveu, m'invite aux commentaires et alors je me suis dit : pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups? Alors je réponds à Pierre et je vous alimente par le fait même. Dites, c'est pas beau, ça?

Pierre écrit (et j'assume qu'il m'autorisera à transcrire ici son message):
Salut Richard! J'espère que tout va bien pour vous deux! Si tu as 1 minute, j'aimerais bien avoir quelques nouvelles de comment évoluent les choses dans ton coin...Je lis les journaux mais je ne crois pas que cela soit suffisant pour avoir une idée du vrai état des choses dans le pays. Est-ce que c'est encore vivable? Est-ce que la situation s'empire, s'améliore quelque peu ou est plutôt stagnante? As-tu l'impression que votre situation est toujours aussi fragile qu'il y a 3 semaines? Y a-t-il eu plus de violences jusqu'à maintenant?
D'abord, Pierre a bien compris que ce n'est pas du côté des journaux qu'il pourra avoir un portrait juste de la situation actuelle, telle que nous la vivons. Je pense, en toute modestie, vous brosser un tableau personnel plus fidèle de ce qui se passe, précisément parce qu'il est plus personnel. La situation actuelle ne fait plus l'actualité journalistique, Dieu merci, mais elle n'en reste pas moins ardue à tous égards pour ceux et celles qui la vivent sur une base quotidienne, même si -- et je le répète une fois de plus -- nos conditions matérielles restent aisées et enviables : on a toujours de la bière, bien que la bière locale, l'incontournable Prestige, soit de plus en plus rare (et pour cause puisque l'usine, comme je vous l'ai dit naguère, a été sérieusement ébranlée et que la production a donc cessé pour un temps x), on trouve toujours de la bière importée -- Heineken, Coors, Budweiser et surtout, la délicieuse Presidente brassée chez le voisin dominicain. On trouve aussi des conserves, de la viande, du fromage et du vin et quoi d'autre encore. Donc, nous ne sommes pas à plaindre. Il semble que les arrivages de carburant se fassent à nouveau, de sorte que la pénurie que je craignais semble s'être dissipée, pour l'instant du moins. Et pour répondre à la question de Pierre : oui, c'est encore tout à fait vivable, voire confortable. Puis, Pierre pose une question que j'aime parce qu'elle décrit le parcours possible de n'importe quelle situation : soit vers le haut, soit vers le bas, soit en mode statu quo.

Cela dit, savoir comment la situation évolue reste une question difficile. Certes, médicalement parlant, la situation s'est grandement améliorée, au point où l'on se demande si la deuxième équipe de Brésiliens, arrivée hier, trouvera à s'occuper jusqu'à la date prévue de leur départ, quelque part la semaine prochaine; même chose pour l'équipe américaine prévue pour la fin du mois: y aura-t-il encore des cas à traiter? Même si on se doute bien que certains n'ont probablement pas reçu les soins que leur état nécessite, on peut assumer que la plupart des victimes ont été vues et soignées adéquatement. Bien sûr, ce n'est pas fini et ce n'est pas demain la veille que ces gens pourront retourner chez eux (c'est où ça?) et retrouver une vie normale (c'est quoi ça?). Donc, sous l'angle médical, la situation est franchement meilleure. Mais de l'autre côté, on sent la tension sociale monter et ça, mes amis, ça n'augure rien de bon. De ce côté, non seulement ne voit-on aucune amélioration, mais je dirais que le tissu social se désagrège chaque jour un peu plus: les habitants de Port-au-Prince ne savent plus où aller, des milliers de gens ont perdu leur emploi et par là même, la petite source de revenus qui leur permettait de flotter, et là, le radeau de l'aide internationale commence à ressembler de plus en plus au Radeau de la Méduse... On commence à blâmer le gouvernement, président en tête, on blâme l'absence de plan de reconstruction, on blâme les étrangers et leur aide mal coordonnée, on blâme... Comment ne pas le faire? Et d'ailleurs, que faire d'autre? Car il faut bien que quelqu'un porte le chapeau du désastre, maintenant. La catastrophe était naturelle, soit. Mais ses effets ne le sont plus et si les choses vont mal, c'est sûrement la faute du gouvernement, n'est-ce pas? Et qui oserait dire que ce n'est pas partout pareil? En tout cas, tout ça pour dire que, socialement, la situation est loin de s'améliorer et qu'avec les pluies qui s'en viennent, ça risque franchement de péter à quelque part. Donc, mon cher Pierre, et vous tous et toutes qui suivez ce raisonnement, globalement je dirais qu'on n'a pas encore atteint le fond du baril et avec l'épaisseur de lie qui s'y trouve, j'espère qu'on ne l'atteindra pas...

En résumé, c'est oui, notre situation reste toujours aussi fragile qu'il y a trois semaines. On vit un jour à la fois, car on ne sait pas ce que demain nous réserve. Et les pronostics restent, au mieux, affaire de hasard. Un peu comme si on jetait les dés en annonçant un double six : ça peut arriver, mais si c'est le cas, c'est simplement un coup de chance. Ici, on jette les dés et ils affichent ce qu'ils affichent. Et on gagne ou on perd.

Mais pour le peuple haïtien, les dés sont pipés: personne ne va rien gagner.

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