samedi 13 février 2010

Parenthèse


Changement de propos, aujourd'hui. Le drame, vous le connaissez, je vous en parle quotidiennement depuis un mois, alors une petite parenthèse ne fera pas de mal. Surtout pour vous parler de beauté.

Car dans l'enfer qu'est le pays présentement, la beauté existe toujours. Les paysages, pensez-vous, et vous avez raison: les paysages haïtiens sont toujours dignes des images que l'on se fait du paradis tropical; mais ce n'est pas des paysages dont je veux vous entretenir aujourd'hui, mais plutôt d'une autre forme de beauté.

Hier soir, alors que j'étais paisiblement allongé avec mon livre dans le silence qui prélude à la nuit, on s'est mis à chanter quelque part. Dérangeant, n'est-ce pas? Une bande de gars--une douzaine peut-être--qui chantent à cappella, sans partition, sans distinction mélodique: juste ensemble: quelle horreur, n'est-ce pas? Mais loin d'être dérangeant, leur chant était, ma foi, d'une beauté qui forçait qu'on s'y arrête. J'ai dû poser mon livre. Pensez-y: que des voix d'hommes chantant dans la nuit. C'était vraiment très particulier. Oh! Rien à voir avec le Choeur de l'Armée Rouge, mais quand même, c'était assez prenant, comme chant. Des voix justes, des voix bien timbrées, des voix qui, voulant exprimer la sérénité, engendraient la beauté. Pas d'instruments pour accompagner, pas d'amplificateur dont pourtant les Haïtiens sont si friands, pas de pseudo-vedette qui prend le micro et qui s'en donne à gorge déployée comme chez nos voisins adventistes: que ces voix chantant en harmonie. Dans mon pays nordique--l'autre--, si l'on entend des gars chanter, c'est qu'ils sont saouls ou que leur équipe de hockey vient de gagner la coupe Stanley. Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas très édifiant. Mais ici, le chant était pur, parce qu'il était simple, sans autre intention que celle de partager un moment de sérénité, je le répète. Personne pour applaudir non plus, tiens. Des gars qui chantent ensemble. Pour rien, pour la beauté de la chose. Ils ont chanté comme ça un bon ti-temps, et puis le silence habituel a repris sa place. Un silence que j'ai trouvé plate, même si plus propice à la lecture...

Mais tout ça pour vous dire que, après toutes ces années passées dans le pays, je m'émerveille toujours de certaines façons de faire, certaines traditions dont l'origine s'est évaporée dans la nuit des temps, mais qui restent toujours ancrées dans la vie haïtienne. La religion en est un bon exemple: certains journalistes (ceux et celles qui, en quelques jours, ont tout compris sur Haïti et son peuple, vous savez ce que je veux dire) blâment la religion, «l'opium du peuple», comme disait Marx. Mais la religion, sans égard à la dénomination, est avant tout affaire de tradition, une tradition qui, comme toutes les traditions, ne se discute pas. On la vit, c'est tout. Ici, «Kris Kapab», comme on le voit écrit en créole, ou «Christ capable» dans sa version française, expriment la même foi que, au-delà des vicissitudes humaines, existe une puissance supérieure sur laquelle on peut se fier et qui, avec le temps, pourra tout régler. Ainsi, au moment où j'écris ces lignes, on diffuse à la radio une émission de litanies que les gens assis dehors sous ma fenêtre écoutent religieusement (et pour cause) et à laquelle ils participent en répondant en chœur comme s'ils étaient avec le preacher: «Nou pa kapab ankò». Style: n'en jetez plus, la cour est pleine. Style : assez, cétacé.

Mais qu'on y croit ou pas, un chant qui s'élève dans la nuit comme celui d'hier, ça vous réconcilie avec bien des choses...

1 commentaire:

  1. Ce post prouve une fois de plus que ce qui intéresse n'est pas la géographie, mais bien la psychologie haïtienne.

    Ces gens-là vivent dans les vapes, mais des bonnes vapes. Le genre de vapes qui poussent à l'héroïsme et à la bonne attitude.

    Or au chapitre de l'attitude, les Québécois ont beaucoup à apprendre des haïtiens.

    Génial, ton post.

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