mardi 6 novembre 2012

Rien de trop beau


Je ne voulais pas avoir l’air de monter une fois de plus aux barricades, mais l’article que je viens de lire m’a tellement fait sourire, rire même, que j’ai décidé de vous le commenter. Non, je ne suis pas fâché. Juste cynique face à cet article qui illustre, une fois de plus, l’énorme différence entre votre pays — qui est aussi celui qui m’a vu naître et que je chéris toujours à certaines heures et en certaines saisons — et celui que j’habite et dont les mœurs m’étonnent toujours.

Ici en Haïti, une manifestation n’est jamais une partie de plaisir. Bon, à la rigueur, pour quelques «tèt cho» ou pour des jeunes qui n’ont rien à faire et qui peuvent courir vite, c’est une activité excitante et exaltante, capable de faire secréter l’adrénaline en quantité industrielle. Et la testostérone aussi. Mais qui n’est pas sans danger (pas la testostérone), car ici, bien que la police s’efforce de tirer à boulets de plastique, il s’en trouve toujours qui, dans le feu de l’action — et croyez-moi, l’expression n’est pas qu’une image littéraire, car le feu est omniprésent — tirent de vraies balles qui font de vraies blessures, parfois même fatales. Cela fait partie du jeu. Quant aux coups portés de part et d'autre (matraques, bâtons, machettes, bouteilles vides...), ils pleuvent littéralement, et personne ne s’en formalise car tout cela fait partie du jeu, je le répète — pour autant que l’on puisse parler de jeu, bien entendu. Car c’est un jeu violent, voire extrêmement violent genre sport extrême à l'issue incertaine. Si bien que pour les gens ordinaires, à plus forte raison pour les étrangers que nous sommes, une manifestation n’est pas une chose qu’on prend à la légère ni une activité à laquelle on prend part : simplement, on se barricade et on attend que ça passe.

Or, les manifestations du printemps dernier au Québec, bien que nettement plus joviales et inoffensives, n’étaient pas sans un substrat de violence, précisément contre les policiers dont la tâche est toujours de maintenir l’ordre et de limiter la casse. Bien sûr, il y a eu des débordements. Il y a eu des excès. Il y a eu des dégâts matériels importants et quelques coups de matraque bien — ou bien mal — appliqués. J’ai tout de même trouvé que, considérant le nombre de manifestations ainsi que le nombre de manifestants présents et l’arrogance dont ils faisaient preuve, les choses s’étaient déroulées avec un minimum de dommages collatéraux, comme il est de bon ton de dire, maintenant.

C’est pour cette raison que l’article de la Presse m’a tant fait sourire aujourd’hui. Celui-là même qui s’échinait sans doute à dénoncer l’iniquité publique et les abus de pouvoir des riches et de la droite (un aspirant poète, pensez-y) exige aujourd’hui des dommages-intérêts qu’on peut certainement qualifier de substantiels : plus d’un demi-million de dollars!!! Si vous ne voyez pas un paradoxe là-dedans, c’est que je ne sais pas ce qu’est un paradoxe. Lisez-moi ça sans rire : «Un étudiant de l'UQAM, blessé à la tête lors d'une manifestation anti-capitaliste […] réclame plus d'un demi-million de dollars en indemnités.» Anticapitaliste, ça veut bien dire contre le capitalisme, non? Et le poète réclame $505,000 pour «dommages physiques et moraux»! Wow! Rien de trop beau pour la classe ouvrière, n'est-ce pas!

Ce qui m’étonne dans cette histoire, c’est justement que la presse nous la livre. Et pas comme un fait divers ou insolite, non, mais bien comme un article majeur, une nouvelle importante, un fait qui mérite notre attention voire notre indignation. Et comme si ce n’était pas assez, le journaliste nous dépeint même les problèmes à l’enfance de cette pauvre victime du capitalisme outrancier!... Avez-vous l’impression que ce journaliste est impartial, vous? Moi, j’ai comme des doutes… En passant, avec ce nom (Ewan), m’étonnerait pas qu’il soit Haïtien, l’auteur. Avouez que ce serait drôle, surtout dans le contexte de la violence des manifestations haïtiennes!

En tout cas c’est bien la preuve que «nul n’est poète dans son pays». Quoi? Que dites-vous? Ce n’est pas ça le proverbe? Bon peut-être, mais prophète, poète, c’est kif-kif, vous ne croyez pas?

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