mardi 6 juillet 2010

Les trois M


Pas d'article de référence aujourd'hui, mais plutôt une petite réflexion que je partage avec vous, en rapport avec un petit message reçu de mon petit frère (ce qui fait bien des petits). C'est qu'il nous a traités de missionnaires... En blague, bien sûr, car il nous connaît trop pour être confus sur la question. Mais cependant, je dois dire que mes propos récents peuvent engendrer quelque confusion dans vos esprits quant à la raison d'être de notre séjour dans ce pays pas toujours facile.

Ce qui m'amène au sujet de ce texte : les trois M. J'ai déjà abordé le point, mais je ne me souviens plus en quelles circonstances -- pas dans le corps de ce blogue, cependant.

Lorsque nous sommes arrivés en Haïti pour la première fois -- c'était en octobre 1998, pour ceux et celles qui veulent tout savoir --, quelqu'un d'avisé dont j'oublie l'identité (Leita, je pense) nous a présenté cette classification qui, sans être tout à fait sérieuse, n'en est pas pour autant dénuée de vérité. Les trois M réfèrent aux trois types d'étrangers qui viennent dans ce pays, ou ailleurs incidemment. Que retrouve-t-on? MISSIONNARIES, MERCENARIES, MISFITS, qu'on peut traduire allégrement par «missionnaires, mercenaires et mésadaptés». En d'autres termes, la théorie veut que les expatriés entrent dans l'une ou l'autre de ces catégories, et je vous laisse deviner à laquelle nous estimons appartenir.

Les MISSIONNAIRES sont facilement identifiables : ce sont ceux et celles qu'une mission anime, le plus souvent de couleur religieuse, mais quelquefois à saveur humanitaire. Ces gens sont très courageux, très résistants face à l'adversité, car la mission les dope, booste leur adrénaline et leur dopamine et les rend capables de bien des tâches, souvent hautement décourageantes ou simplement dégueulasses. Ces personnes acceptent également des conditions de vie souvent minimales, parce que le confort de la vie matérielle n'est pas vraiment important ici : seule compte la mission, qui justifie la raison d'être dans le pays. Style Mère Teresa, quoi. Vous comprenez de qui l'on parle ici, n'est-ce pas? Cependant, si ces missionnaires sont souvent de véritables porteurs d'énergie, ils sont aussi les véhicules d'une propagande dont personne n'a besoin. Les chargés de mission sont souvent fanatiques. On les retrouve aussi bien d'un côté que de l'autre de l'immense barricade religieuse et ce qui n'est pas correct d'un côté ne peut le devenir de l'autre, n'est-ce pas? C'est incidemment ce qui s'est passé avec ces gens qui s'étaient octroyé le droit de sortir les enfants du pays «pour leur plus grand bien», il va sans dire...

Les MERCENAIRES sont d'un tout autre acabit. En Haïti, on les associe souvent -- et avec raison -- à la MINUSTAH, la force de l'ordre onusienne qui ne fait pas grand-chose mais dont les salaires sont la marque de fabrique. Ces gens viennent ici pour l'argent et pour l'argent seul. Le pays, les gens, leurs problèmes, ils s'en contrefichent, en autant que la bière coule à flots et aussi des filles, bien entendu. Ces gens viennent, font un temps habituellement pas long et s'en retournent d'où ils sont venus sans même savoir où ils sont venus. J'ai entendu parler d'un consultant payé $1,000 US par jour! À ce salaire-là, moi je suis partant! Qui ne le serait pas? Pour les pas forts en calcul, ça fait tout de même plus d'un quart de million par année et je ne sais pas pour vous, mais pour nous, c'est un salaire plutôt respectable!... Mais encore là, ce n'est pas nous...

Restent les MÉSADAPTÉS. Les mal-adaptés. Parmi la cohorte volumineuse de gens qui se retrouvent ici pour diverses raisons, les mésadaptés occupent une part importante et pas très bien définie. Car il y a des mésadaptés chez les missionnaires et chez les mercenaires. Essentiellement, une ou un mésadapté, c'est une personne qui, dans son pays d'origine, ne se trouve pas vraiment à sa place. D'où le nom anglais de "misfit" : quelqu'un qui ne «fitte» pas. Cette personne se retrouve donc aisément ailleurs, où elle tentera de se sentir plus à l'aise. Évidemment, dans cette classe un peu «poubelle», on trouve de tout : des jeunes en mal d'aventures, des vieux qui ont horreur de l'hiver, des femmes qui aiment et des hommes qui sèment, des Africains, des Asiatiques et des Européens, des gens d'église et des gens de glaise, sans oublier toute la panoplie de gens à problèmes qui s'imaginent (à tort, faut-il le dire) que le changement d'air va tout régler! Toute une faune, je vous dis! Et cependant, parmi cette faune bigarrée, il s'en trouve qui tirent leur épingle du jeu et qui, après un certain temps, s'ajustent. J'avoue que c'est un peu notre cas. Bon! Vous le savez maintenant! Notre motivation initiale n'était certes pas de répandre la Bonne Nouvelle ni de remplir notre bourse (à 500$ par mois, c'eût été difficile), mais simplement de découvrir Haïti, pas dans le sens de la découverte, mais plutôt dans celui de lui enlever son couvercle pour voir ce qu'il y avait dedans.

L'expérience fut concluante. Haïti nous convenait et nous convient toujours. Nous y puisons notre carburant et lui donnons notre énergie en retour. Nous savons ce que nous y faisons (enfin, presque...) et, sans être porteurs d'une «mission», nous poursuivons la tâche avec l'idée d'aller de l'avant. Enfin, nous profitons au maximum de ce que le pays offre, notamment sous forme de plages superbes, d'une mer limpide et chaude, de gens sympathiques et chaleureux et d'un climat tropical qui, d'octobre à mai, est tout à fait séduisant.

Tout ça pour vous dire qu'il y a toutes sortes de gens en Haïti, comme partout ailleurs, incidemment, et que, comme le disait si bien mon ami Gilles, «Ça prend toute sorte de monde pour faire un monde.»

Et une petite banane, avec ça?

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