mardi 13 juillet 2010

Faire place nette


Finalement et quoi que j'aie pu en dire auparavant, j'aime bien commenter ce que les journalistes disent au sujet de ceci ou de cela. Quelquefois, ils sont d'une superficialité aberrante, mais il arrive aussi que certains textes fassent mouche. Évidemment, tout dépend de la sensibilité et de l'intuition du ou de la journaliste. Je me suis moqué de Patrick Lagacé dans mon dernier texte, et je pense que c'était mérité. Cela dit, je n'ai rien de particulier contre ce journaliste, sinon qu'il prend souvent le chemin du sensationnalisme, un chemin facile et sans grand mérite; parfois en revanche, comme c'est incidemment le cas aujourd'hui, ses propos sonnent juste. Mais il y a mieux. Cet article, signé Daphnée Dion-Viens et rédigé sous forme d'entrevue, nous propose une excellente synthèse de la situation actuelle et de la mécanique qui la sous-tend. D'abord, que je vous cite l'extrait qui m'a plu :
«Il n'y a pas de place pour reconstruire. Haïti n'a ni l'argent ni l'équipement pour nettoyer les rues des milliers de tonnes de gravats qui s'y trouvent toujours. Le président haïtien a dit qu'avec 1000 camions qui travaillent huit heures par jour, ça prendrait quatre ans pour déblayer la capitale. Or, aujourd'hui, on constate que non seulement il n'y a pas assez de camions, mais la population est très dense, donc c'est difficile de faire ce travail. La Croix-Rouge a estimé que le volume de débris est 25 fois supérieur au 11 septembre 2001 alors qu'il n'y a pas de machinerie lourde à Port-au-Prince. Il faut lancer un appel aux amis d'Haïti pour aider au déblaiement parce que sinon, ça va prendre énormément de temps. Tous les pays veulent reconstruire Haïti, mais il faut déblayer d'abord.»
Dixit Nancy Roc, journaliste haïtienne qui vit à Montréal mais qui, visiblement, a tout compris comme si elle y était (je parle d'en ce pays, bien entendu). Mais avouez que ça ressemble fort à ce que je vous ai dit, et plus d'une fois, à part ça! Parlons peu, parlons bien : IL FAUT DÉBLAYER PORT-AU-PRINCE! Gens du Québec, imaginez un peu ce qui se passerait à Montréal si, après une grosse tempête de neige, on ne déblayait pas. Pensez à la paralysie qui s'ensuivrait. Pensez à ce qui arriverait. Et pourtant, dans ce cas, rien ne serait détruit! Alors qu'à Port-au-Prince, non seulement les débris encombrent les rues et les terrains vagues, mais les gens vivent toujours sous des tentes, que le premier gros coup de vent va faire virevolter joyeusement, tout le monde le sait! Et on ne parle pas des presque inévitables inondations, bien sûr... Donc, rien ne va s'améliorer dans un avenir proche. Et pourtant, pourtant, comme le souligne notre ami Patrick, plusieurs de ces «camps» sont en passe de devenir des installations permanentes... enfin, jusqu'au premier gros coup de vent! On estime qu'il faudra pas moins de 10 ans pour reconstruire la capitale... Dix ans, pour le peuple, c'est un futur loin. Tout peut arriver entre-temps, y compris deux ou trois ouragans et, tant qu'à être prophète de malheur, un autre séisme majeur, pourquoi pas? Non pas qu'on le souhaite, mais bon, considérant la nature même du pays (je parle de sa géologie et de sa situation géographique), la chose reste tout à fait possible. Cela dit, Patrick Lagacé semble l'avoir compris : les Haïtiens sont des survivants. Quand la fin du monde va nous tomber dessus -- style 2012 ou The Day After Tomorrow -- et que les humains vont se mettre à mourir comme des mouches, vous verrez que les survivants ne seront pas ces Américains armés jusqu'aux dents et qui se prennent pour Rambo, mais bien des gens simples, au moral d'acier et à l'humeur inaltérable, comme les Haïtiens. Ceux-là survivront. Se reproduiront (pour ça, je n'ai aucune crainte). Et repeupleront la planète.

Mais nous n'en sommes pas encore là. D'ailleurs, si vous lisez les propos de Mme Roc, vous allez comprendre qu'elle aussi s'alarme, et sans doute pas pour rien, puisqu'elle a l'air d'en connaître un brin sur la politique haïtienne; plus que moi en tout cas! Donc, je vous suggère de la croire : c'est vrai que depuis un mois, tout est calme, et c'est un fait avéré que le football (soccer si vous préférez) a mis sur la glace les frustrations sociales et économiques au profit du spectacle. Et puis, cadeau des dieux, le temps n'a pas été si mal jusqu'à maintenant et le pays, Port-au-Prince tout particulièrement, a été épargné, et donc, les gens peuvent continuer d'habiter leurs abris de fortune. Mais le Mondial est fini (Bravo Espagne!), la vie reprend son cours normal et les préoccupations d'avant reviennent avec encore plus de vigueur... Témoin cet article... Mais on n'y peut pas grand-chose, alors on attend, on écoute et on observe. Qui vivra verra, comme on dit...

Mais je vous en prie, lisez l'entrevue de Nancy Roc. C'est édifiant.

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