jeudi 22 juillet 2010

Faire feu de tout bois


Je me distance un peu, je le reconnais, mais bon, que voulez-vous? Il y a d'autres chats qui méritent d'être fouettés ici et faut bien qu'on s'en occupe, pas vrai? Cependant, je ne vous laisse pas tomber pour autant, surtout que l'actualité nous remet Haïti en plein portrait pour n'importe quel motif.

Ainsi aujourd'hui, c'est cet article paru hier et signé Caroline Touzin qui m'a fait sourire. Bon vous allez me dire que le sujet n'a pas de quoi faire sourire, mais c'est qu'on annonce des choses que tout le monde sait. Et ne me dites pas que vous ne saviez pas. Je l'ai répété à satiété, et bien d'autres sources ont affirmé la même chose, en anglais comme en français : Haïti est un arrêt pipi presque incontournable dans le voyage qui mène la cocaïne sud-américaine (colombienne entre autres, ça aussi tout le monde le sait) vers le lucratif marché nord-américain. Regardez une carte et vous allez comprendre : au sud d'Haïti, il n'y a rien, que la mer jusqu'au prochain rivage qui se trouve à être le Venezuela et la Colombie, justement. Alors même avec une imagination prosaïque et limitée, il est facile de voir pourquoi le transit par Haïti est intéressant... Et par la République Dominicaine aussi, c'est bien évident, mais en Haïti tout est tellement plus facile. Et comme les Haïtiens ne sont pas consommateurs, eh bien tu parles s'ils s'en tapent que la drogue transite par leur pays...

Une chose que l'article dit, c'est que depuis le tremblement de terre, c'est pire. Je pense que c'est une affirmation gratuite et à mon sens, fausse. Car s'il est une chose que le séisme n'a pas changé, c'est bien ce trafic extrêmement lucratif et bien rodé; déjà, en 2003, on en parlait comme d'une mécanique bien huilée donnant d'excellentes performances. On parlait de Cap Haïtien comme de la capitale des gros bonnets du trafic. Puis, en 2004, alors que nous étions à Fond des Blancs, on parlait des arrivages fréquents à Côte-de-Fer et dans les environs. Nous avons même eu à traiter des blessures par balles, une fois entre autres où les gens étaient venus à notre petit hôpital en pleine nuit et avaient causé tout un émoi parce qu'ils étaient, semble-t-il, armés jusqu'aux dents. Rivalités locales imposent... Trafic courant donc, bien connu des usagers incluant la police, mais trop bien rodé pour qu'on puisse l'éliminer. Et puis, est-ce qu'on le veut?

Car au risque de me faire lancer quelques tomates avariées, je vous demanderai : pourquoi faudrait-il éliminer ce trafic? Pourquoi ne pas laisser cette source de revenus couler librement dans le pays? Oui, bon, je sais, c'est illégal. Mais le problème de la drogue n'est pas un problème haïtien, je le redis, et comme les clients américains ou canadiens continuent de s'approvisionner, il faut bien la drogue continue d'entrer au pays de différentes manières, non? Alors si ce n'est pas depuis Haïti, ce sera via un autre endroit et d'autres s'enrichiront de ce commerce marginal mais ô combien payant. Alors pourquoi pas Haïti? D'ailleurs, je me souviens avoir lu jadis que la force économique de la Colombie passait nécessairement par le trafic de la cocaïne. Ce qui est tout à fait logique. Même s'il s'agit d'argent noir qu'il faudra blanchir, c'est tout de même de l'argent, et en quantité non négligeable. Or, comme l'a si bien dit l'empereur Vespasien quand il a décidé de percevoir une taxe sur la collecte d'urine : «L'argent n'a pas d'odeur». Et si vous voulez mon avis, la coke ne sent sûrement pas plus mauvais que l'urine... Sans blague, soyons francs : le trafic de la drogue n'est pas vraiment un malheur pour ce pays, puisque ce n'est pas ici qu'on la consomme. Or, ceux qui sont impliqués dans cette activité -- et ici je parle des haut-gradés -- sont des gens intelligents (forcément), entrepreneurs et organisateurs et souvent, socialement engagés (politique entre autres). Si donc l'argent coule à flots, on peut s'attendre à ce qu'une partie retombe directement dans la communauté sous forme de dépenses publiques bien visibles (statut oblige) ou, indirectement, dans les secteurs de la santé et de l'éducation. Bref, un businessman est un businessman et peu importe si son business est inavouable, s'il est un bon businessman, il fera des profits, qui seront par la suite réinjectés dans la communauté d'une façon ou de l'autre. C'est du moins comme ça que je comprends l'économie. Tout ça pour dire que si quelques trafiquants locaux s'en mettent plein les poches parce que l'Amérique du Nord consomme de la cocaïne, eh bien je ne m'en offusquerai pas du tout.

Et vous?

Aucun commentaire:

Publier un commentaire