jeudi 15 juillet 2010

Refaire le pays?


Lisant hier le blogue de Patrick Lagacé qui est revenu de son long séjour en terre haïtienne, j'ai vu ce commentaire d'un lecteur anonyme (SKIDOOMAN) qui m'a plu, et que je vous passe.
«Le problème en Haïti, par contre, c’est:
1- Comment on s’assure qu’il y ait des dirigeants le moindrement éclairés? Le gouvernement en place n’a pas l’air si mal, mais est-ce qu’il a le zèle des réformes qu’il faut?
2- Est-ce qu’une telle évolution peut se produire si un pays est DÉJÀ une démocratie? L’Inde est en train de fournir une réponse que l’on espère positive, parce que les tigres asiatiques, eux, sont tous passés par une phase de despotes éclairés – la démocratie est venue avec la richesse, et non l’inverse.
3- Sommes-nous prêts à ouvrir inconditionnellement nos marchés? En Asie, les Américains l’ont fait devant la “menace” communiste. Mais en Haïti, ce serait par pur humanisme – nous n’avons rien à y gagner. 
4- En Asie, il y avait déjà une culture qui valorisait l’éducation. Malheureusement, et je peux me tromper, cette culture-là, on ne la retrouve pas en Haïti. Alors, comment fait-on pour la développer?»
Je ne sais pas qui se cache derrière Skidooman, (et pour une raison évidente, j'ai peine à croire qu'il s'agit d'un Haïtien), mais il n'est pas si à côté de la coche que ça (notez que je dis «il» parce que ça me fait l'impression d'être un gars). Qu'on me permette d'y aller de mes commentaires :

1-«Le gouvernement en place n'a pas l'air si mal...» Ce n'est pas faux. Avant de dire que le gouvernement actuel ne vaut rien et que Préval est un pantin, faudrait quand même comparer des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges. La valeur de Préval (ou sa non-valeur) est relative à celle des présidents qui l'ont précédé, en l'occurrence Aristide et la série noire des Duvaliers, père et fils. Certains ne jurent encore que par eux, alors qu'ils ont instauré un régime de terreur qui les a bien servis (Duvalier fils, d'après ce que j'en ai lu, aurait fui avec plus de 75 millions de dollars, c'est quand même pas rien) mais qui a laissé le pays dans la grande noirceur (et aussi dans la grande noire sœur). Certes, Préval n'est pas Obama, mais personne ne lui a demandé de l'être et faudrait peut-être mettre les choses un peu en perspective. Le gouvernement actuel est pourri, c'est vrai, mais pas plus que ceux qui ont précédé, alors ce n'est pas complètement faux de dire qu'il a l'air pas si mal.  «...mais est-ce qu'il a le zèle des réformes qu'il faut?» NON. C'est bien clair. Tout bon politicien vous le dira : la seule chose qui importe dans ce pays, c'est l'image. Tout est question d'apparat. Les réformes, celles nécessaires à l'émancipation du pays, se feront à petites doses, tout doucement et sans faire peur aux gens et en ménageant l'image de celui ou de celle qui les propose. Sinon, c'est la catastrophe, la guerre civile ou quoi encore!

2- «Est-ce qu'un telle évolution peut se produire si un pays est DÉJÀ une démocratie?» Question très pertinente. Sans être un expert, faut bien dire que la question fait réfléchir. Habituellement la démocratie correspond à un aboutissement. Après des années de tyrannie plus ou moins déguisée, le peuple se tanne, se révolte et instaure la démocratie. Mais il y a démocratie et démocratie, n'est-ce pas? La démocratie, d'après ses racines grecques, c'est le gouvernement par le peuple. Rien à voir avec la tyrannie déguisée qu'on voit dans de nombreux pays, d'Afrique notamment. Or il est vrai que Haïti a hérité d'une démocratie à la va-vite. Difficile de conscientiser les gens quand ils ne savent ni lire, ni écrire... On peut leur raconter n'importe quelle salade et les grandes gueules, au reste fort convaincantes, ne manquent pas dans ce pays, laissez-moi vous le dire... Donc, la démocratie passe nécessairement par la conscience de ce qui est et de ce qui doit être et le gros bon sens. Or, c'est un fait observable que le peuple haïtien dans son ensemble n'est pas encore là. Donc, il n'est pas du tout évident que ce pays puisse émerger de sa fange, même s'il possède un régime démocratique.

3- «Sommes-nous prêts à ouvrir inconditionnellement nos marchés?» Question politique, s'il en est une. Et dont l'auteur connaît certainement une partie de la réponse, puisqu'il poursuit en disant que «en Haïti, ce serait par pur humanisme», et on sent que l'idée lui paraît plutôt farfelue et fort improbable. Je ne connais rien au marché international, mais le commerce extérieur présuppose un échange dans lequel toutes les parties y trouvent leur compte. C'est le win-win américain : tout le monde gagne, personne ne se plaint. Mais qu'a le Canada à gagner à faire commerce avec Haïti? Pas grand-chose. Stimuler le commerce, c'est sans doute bien joli sur le papier, mais dans la pratique, faut que les profits sonnent...

4- «Une culture qui valorise l'éducation...»  Alors là, mon cher Skidooman, tu l'as dans le baba! S'il est une chose que le pays promeut à qui mieux mieux, c'est bien l'éducation! Et s'il est une chose que le peuple paie le prix fort sans rechigner, c'est l'éducation! En fait, c'est même un paradoxe que j'ai déjà dénoncé : les coûts faramineux d'une éducation à la qualité discutable dans un pays où les gens sont pauvres, pauvres et pauvres, alors que dans le nôtre, l'éducation est gratuite et sa qualité, plus qu'acceptable, quoi qu'on en dise. Donc si l'on veut réformer quoi que ce soit en Haïti, ce doit être le système d'éducation, non pas pour en refondre les programmes, mais plutôt pour le rendre accessible à tous. Et ça les amis, c'est pas demain la veille...

Tout ça pour dire : refaire le pays? Ça paraît bien d'en parler, mais il y a si loin de la coupe aux lèvres...

1 commentaire:

  1. Non, l'âne de la photo ne représente nullement Patrick Lagacé... Il n'est pas toujours brillant, mais ça n'en fait nullement un âne pour autant!...

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