dimanche 9 décembre 2012

Erreur de jugement


Je vous raconte ce qui suit pour vous illustrer une fois de plus ce que je vous ai déjà dit mais qui n’en finit jamais de nous surprendre et parfois de nous choquer. Je parle ici de la résignation haïtienne.

Jeudi dernier, alors que je suis à bavarder dans la cour avec quelques personnes, une dame arrive et après s’être poliment excusée pour l’interruption, m’annonce qu’elle vient de se faire avoir par un chauffeur de taxi-moto qui l'a proprement filoutée de 1000 gourdes (25 $) en prétextant qu’il allait lui faire de la monnaie. Puis il a filé sur sa moto sans demander son reste... Chacun y va de son grain de sel, plusieurs condamnent la malhonnêteté du chauffeur et tous s’entendent pour déplorer la naïveté de la dame. Laquelle n’a plus d’argent pour les soins médicaux de sa fille, vous vous en doutez bien. Je lui dis de ne pas s'en faire trop et de passer me voir. Quelques minutes plus tard, je la reçois dans mon bureau et lui exonère les frais de chirurgie de sa fille, lesquels se montent à environ 35 $. Un peu plus tard, la dame revient avec son ordonnance médicale : j’accepte encore une fois de l’exempter de payer, même si ce n’est pas bien cher. Jusque là, tout va. Mais lorsque je l'ai revue passer ma porte une troisième fois, j'avoue que j'ai commencé à perdre patience et lorsque j'ai constaté que c'était pour se faire exonérer un test de laboratoire d’environ deux dollars, là je me suis dit : «Ça fera.» Et j'ai tancé la dame en lui disant que je ne croyais pas qu’elle n’avait pas ce montant pour le test, qu'elle abusait de ma crédulité et que si c’était vraiment le cas, elle devrait s’en passer tout simplement. Non, mais des fois... La dame, fort contrite, est partie penaude sans demander son reste. Je l'ai vue encore à quelques reprises, mais n'en ai pas fait de cas. Or, hier matin, samedi, voyant la dame toujours assise sur son banc, j'ai demandé à ma compagne (qui l'est aussi au travail) d'aller aux nouvelles. C'est alors que j’ai appris que la fille de la dame n’ayant pas passé le test de laboratoire, le médecin refusait de lui donner son congé médical! J’en suis devenu tout chose… Je croyais vraiment qu’elle avait de quoi payer ce test, moi!… Lourde bourde pour quelques gourdes! Erreur de jugement de ma part, je le reconnais bien volontiers, mais avouez qu’à la place de la dame, vous eussiez insisté un peu là!

C’est pour cela que je vous dis : cette résignation des gens du peuple — surtout les petites gens — surprend et rend mal à l’aise. Alors qu’il suffirait seulement de parler, d’expliquer brièvement la situation, genre «je viens de loin et je n’ai plus d’argent» ou dans le cas que je vous narre «le médecin a besoin du test du labo et je n’ai pas d’argent pour le payer», ces gens se taisent, baissent la tête — s’attendent sans doute à se faire battre en sus — et s’éclipsent le plus discrètement possible. Et le pire, c’est que le personnel infirmier, tout à fait au courant des exigences du médecin et de l’état incomplet du dossier de la patiente, ne va pas plus loin, ne pose aucune question et ne cherche en aucune façon à connaître le pourquoi de la chose. «C’est comme ça.» On se résigne et on attend que ça passe. Et tant pis si la personne reste malade, tant pis même si sa vie en dépend, on ne dit rien, on attend que les choses se tassent d’elles-mêmes et que le temps fasse son œuvre, en bien ou en mal, bondye konnen…

Oui, c’est vrai, la résignation de ce peuple force l’admiration, je l’ai dit précédemment. Mais parfois, elle énerve au plus haut point! Quand elle devient de la soumission excessive, entre autres. Comme si des relents d’esclavagisme traînaient toujours dans l’air du temps…

De quoi s’en sentir bien malheureux…

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