mardi 28 février 2012

L'argent et le bonheur


Ce qui suit n’est pas un sujet léger. Mais il est universel, alors je vous en parle. C’est que, comme c’est un peu la tradition à chaque début d’année, nous venons d’octroyer les augmentations de salaire aux employés de notre petit hôpital. Or, cette année, en raison de contraintes extérieures, elles sont modestes. Insuffisantes, en fait. Et surtout, incomprises.

Comme vous le savez maintenant, ma position administrative me place directement entre les patrons et les employés, ce qui ressemble fort à «entre l’arbre et l’écorce» ou, comme les Américains disent "between a rock and a hard place", autrement dit un endroit pas tellement confortable... D’un côté, les employés veulent la lune, de l’autre les patrons veulent bien sacrifier quelques miettes; allez donc contenter tout le monde! Vous me direz que ce n’est pas si différent dans notre grand pays nordique et vous aurez raison. Chez nous, les négociations donnent souvent lieu à de véritables bras de fer où des plumes volent au vent, mais l’on finit toujours par s’entendre. Ici, ce n’est pas la même chose. Nos employés n’étant représentés par aucune entité administrative, c’est un chapeau qui me revient de fait, sinon de droit. Un rôle que les patrons n’apprécient guère et qui laissent les employés sceptiques quant à la qualité de ma représentation, en d’autres termes, je suis perdant sur toute la ligne!

C’est un peu ce qui s’est produit avec les dernières augmentations approuvées par les patrons. L’exercice visait à ne pas dépasser 5% total. Vous allez me dire que ce n’est quand même pas si mal, 5%, et qu’on aurait tort de s’en plaindre. Sauf que ce pourcentage est trompeur car il s’appuie sur un montant réel qui, s’il est trop petit, ne fera pas le poids. Ainsi, pour tous nos employés qui sont au salaire minimum ($150 US par mois), 5% ne font que $7.50 par mois et avouez que ce n’est pas avec ça que vous allez vous envoyer en l’air et faire bombance! Dès lors, comprendre que les employés sont frustrés non pas à cause du pourcentage alloué, mais bien à cause de ce que ce pourcentage signifie en termes d’argent sonnant devient plus facile, voire évident. Eh bien c’est ce qui se passe. Nombreux sont les mécontents et peu importe la façon dont j’arrive à expliquer la chose, le montant de l’augmentation ne grossit pas…

Est-ce à dire qu’il faudrait donner aux employés les salaires qu’ils et elles réclament? Ce serait non seulement difficile financièrement, mais également risqué. Car même en doublant les salaires, tout le monde s’attendrait à une réédition du geste l’année suivante! C’est que les salaires en Haïti sont bas, bien bas, bien trop bas pour un pays où l’on doit payer pour tout et où tout est cher. Croyez-le ou non, gens du nord, le coût de la vie ici est aussi élevé qu’au Canada sinon plus. Alors dites-moi : vous feriez comment, vous, pour joindre les deux bouts avec une famille de quatre enfants d’âge scolaire (l’école n’est pas gratuite) et un salaire de $150 par mois? Moi, je vous le dis en termes simples : c’est impossible. Et pourtant, à force d’imagination, ils y arrivent…

Les augmentations représentent l’espoir. Espoir d’une vie meilleure où la lutte est moins farouche; où l’on peut s’asseoir et reprendre son souffle; où l’on peut voir une petite lueur dans la grande noirceur de ce tunnel qui n’en finit pas. Or, lorsqu’elles sont chiches, l’espoir s’étiole et le coup est dur. Et c’est précisément ce qui s’est passé cette année. Tout le monde a reçu son augmentation, mais paradoxalement tout le monde est dépité, car l’espoir s’est évanoui et il ne reste que la dure réalité d’avoir à composer avec un salaire qui reste toujours, en dépit de quelques dollars de plus, insuffisant.

J’essaie tant bien que mal d’expliquer, de faire valoir qu’une augmentation, si minime soit-elle, vaut mieux que rien du tout, mais on me regarde avec scepticisme et parfois, avec cette tristesse qui me dit, mieux que n’importe quel mot, que je ne comprends rien, moi le nanti.

C’est triste, hein?


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