mardi 21 juin 2011

Au tribunal


Avez-vous déjà été convoqué au tribunal? Si oui, vous savez que tout suit un protocole bien établi, à la fois bien huilé et bien coincé. C'est la même chose partout, je pense, peut-être un peu plus protocolaire et par là même, plus lourd en Haïti. Convoqué au tribunal de la Paix où doit me rejoindre notre avocat, je m'y présente à l'heure dite (10 h), malgré l'avis de notre avocat qui me dit que le magistrat ne s'y présente jamais avant 10h30 de toute façon. Cependant, c'est la troisième fois qu'on m'y convoque, et je tiens à être à l'heure. En quoi j'aurai tort, bien sûr...  La troisième fois, vous avez bien lu : la première fois, la séance a été annulée à cause de la pluie (oui, oui, ici la pluie suffit à annuler bien des activités et à fermer les écoles); la seconde, j'ai refusé de prendre la convocation des mains du gardien de sécurité qui l'avait reçue du huissier; mais cette fois, il semble que je n'aie pas le choix, alors aussi bien y passer de bon gré.

L'avocat se pointe passé 10h30; je le suis tandis que l'on monte à l'étage et qu'il se fait un devoir de saluer, de façon bien ostentatoire, tous les fonctionnaires de cet impérial office. Le magistrat n'est pas encore là : on va l'attendre un peu. Il arrivera vers 11h10, mais au moins il est là et nous pouvons passer à l'affaire qui nous concerne séance tenante.

L'affaire, vous la connaissez puisque je vous en ai parlé déjà : il s'agit du pauvre gars qui s'est électrocuté en allant cueillir un fruit. En peu de mots, je raconte ce que je sais et insiste que j'ai toujours été sincèrement malheureux du triste sort qu'a subi ce jeune homme, soutien de famille de surcroît. Ce qui est la plus stricte vérité, d'ailleurs. Le magistrat, bien seyant dans son complet gris, chemise à col empesé et cravate impeccable, opine du chef : il semble trouver cette narration crédible. Vient le tour de l'avocat de la partie adverse, en l'occurrence la famille du défunt qui présente sa demande comme une plaidoirie méritoire. Ce qu'elle n'est pas, car elle cherche à m'accabler d'un tort qui n'est certes pas le mien, ni celui de qui que ce soit, incidemment. Mais que ne ferait-on pas pour aider une pauvre famille miséreuse, n'est-ce pas? Et puis, l'Institut est riche, n'est-ce pas? Et puis le frère du défunt est totalement naïf, n'est-ce pas? Bref vous voyez le topo. Je sens que les dés sont pipés et que pour un exemple de Justice, on devra vraisemblablement repasser. Mais c'était mal sentir. Le magistrat fait le point et, citant un article de loi, déclare que l'Institut, représenté par votre humble scribe, détient effectivement une part de responsabilité dans l'affaire du seul fait que la barre de fer qu'a utilisée le défunt pour signer son arrêt de mort appartient à l'Institut, nonobstant la raison d'être de sa présence en ces lieux. Mieux encore, cet homme estime que l'offre monétaire que j'ai faite à la famille n'est tout de même pas dérisoire (c'est le mot qu'il a utilisé) et, pour peu qu'elle soit bonifiée quelque peu, lui semble tout à fait raisonnable. En contrepartie, il estime que demander $50,000 US en dédommagement est nettement exagéré, ce en quoi je suis tout à fait, mais vraiment tout à fait d'accord. Cependant, il a clairement signifié aux deux parties que ce n'était pas au Tribunal de fixer ce montant, si bien que le problème reste entier et toujours irrésolu. Or, le fossé entre les deux parties est profond et large, abyssal, j'oserais dire. Mais bon. On verra. Avouez que ça ressemble un peu à L'Huître et les Plaideurs, où La Fontaine ne se gêne pas pour se moquer sans vergogne des litiges et de leur issue rarement en faveur des principaux protagonistes... Bon d'accord. J'avoue que je suis un peu biaisé sur le sujet, car bien que la profession d'avocat soit honorable et parfois nécessaire, ses représentants en sont souvent de parfaits escrocs, opérant sous le couvert de la loi et de la justice. Oui c'est raide, je le reconnais, mais mes expériences avec ces professionnels n'ont jamais été très réjouissantes ni satisfaisantes, en Haïti pas plus qu'au Québec...

Comme quoi au Québec comme en Haïti, les litiges éclatent pour les mêmes raisons avec, sans aucun doute un aboutissement similaire...

Mais le pire dans toute cette histoire, c'est que le mort est toujours à la morgue, attendant patiemment (sa patience est sans limite) que l'affaire se dénoue. Mais sans égard à la patience du défunt, ce n'est quand même pas correct, mais alors pas du tout.

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