jeudi 31 mars 2011

Question d'argent


Vous qui suivez mes élucubrations savez maintenant ce que nous faisons dans ce coin de pays. Connaissez les méandres du travail que nous tentons d'effectuer jour après jour (et qui inclut les doubles poignées de porte). Mais il est un aspect de ce travail que vous ne connaissez pas et dont j'ai envie de vous parler aujourd'hui : les petits prêts aux employés.

Certes, il n'entre pas dans nos attributions administratives de servir d'agent prêteur. Mais la situation du crédit étant ce qu'elle est dans le pays, le peu que l'on peut faire représente une énorme différence. Ainsi et sans vouloir vous assommer avec des chiffres (qui aime les chiffres, je vous le demande?), au cours de l'année financière qui se termine aujourd'hui, nous avons prêté pas moins de $52,000 US à nos employés, remboursé intégralement au cours de cette même année, de sorte que nous pouvons clore l'exercice sans complications inutiles (les comptables parmi vous me comprennent). Il s'agit d'ailleurs de l'une des règles arbitraires que j'utilise : tout prêt consenti doit être remboursé intégralement avant la fin de l'année financière en cours. Une autre règle touche le montant total du prêt : en principe, il ne peut être supérieur à trois mois de salaire. En principe, bien entendu. Car je puis faire quelques exceptions, tant que l'on reste dans le raisonnable. On établit par la suite une modalité de remboursement qui convient à l'employé, lequel remboursement sera déduit du salaire mensuel et le tour est joué. Cette façon de faire fonctionne bien, ne coûte pas un sou à l'organisation et est extrêmement appréciée des employés. Moins des patrons, cependant, qui y voient une inutile complication administrative et un risque financier (léger, mais bon). Mais je leur ai expliqué la valeur de cet avantage social pour les employés et ils ont fini par acquiescer. Pourquoi est-ce si appréciable? Pourquoi les gens ne vont-ils pas tout simplement à la banque, comme tout bon consommateur qui se respecte?

C'est que la situation économique du pays n'est pas du tout la même. En Haïti, obtenir un prêt d'une institution financière n'est pas chose facile. Quand je raconte à mes amis haïtiens comment les choses se passent au Canada et combien il est facile d'y obtenir un prêt important, ils n'en reviennent simplement pas. Prenons le cas de mon neveu et de la maison neuve dont il vient tout juste de terminer la construction, aidé en cela de son père. Même si l'on tient compte des économies que l'auto-construction permet de faire, le coût de la maison et celui du terrain sur lequel elle est sise sont largement hors de portée de la bourse de mon neveu, si économe soit-il (ce dont je doute, entre vous et moi). Mais, comme c'est le cas à peu près pour tout le monde, les institutions financières sont d'accord pour avancer les fonds, en autant que le crédit du client soit acceptable. En plus, avec une maison neuve située de surcroît dans un quartier neuf, en pleine expansion, le prêteur n'a pour ainsi dire aucun risque. Alors il prête de bon gré. Quant au neveu, avec un intérêt qui n'atteint même pas les 4%, il peut effectuer ses paiements mensuels sans trop se serrer la ceinture. Bref, tout le monde est content et la société s'enrichit. Même chose pour un char neuf, soit dit en passant...

Or ici, c'est tout à fait le contraire. Les gens n'ont que des emplois mal rémunérés et tout coûte les yeux de la tête (sauf les mangues qui nous tombent dessus en cette saison). Construire, ne serait-ce qu'une bicoque grande comme votre placard à balais, coûte plusieurs milliers de dollars et les banques ne sont pas chaudes à l'idée d'avancer cet argent, car les garanties sont inexistantes. Alors au mieux, elles accepteront de prêter une petite somme à des taux frisant, voire dépassant les 30%... C'est précisément ce qui rend la formule des petits prêts aux employés si attrayante : l'absence d'intérêts. En général, les prêts servent à payer les frais scolaires des enfants, les réparations majeures de la maison (cf photo ci-dessus), le coût de la location annuelle du logis (payable en entier à la location) et les imprévus, genre maladie soudaine ou mortalité -- les funérailles sont toujours extrêmement coûteuses. Donc les petits prêts sont un soulagement rapide à une douleur lancinante et pénible (un peu semblable à celle qui me scie la jambe depuis plus d'un mois, tiens) et permettent à ceux qui en bénéficient de hausser un tant soit peu leur qualité de vie. S'ils en sont reconnaissants? You bet, comme disent les réfugiés pakistanais en territoire américain.

Certes, je le redis, ce n'est pas grand-chose. Mais c'est un petit quelque chose quand même qui aide à faire une petite différence. Alors avis à mes détracteurs : c'est déjà ça, non?

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