L'article de Chantal Guy me fait sortir de ma torpeur habituelle du samedi afin de partager avec vous ce que le texte m'inspire.
À la différence d'un autre journaliste - que je n'ai pas besoin de nommer, j'en suis sûr -, les propos de Mme Guy sonnent juste, parce que, je le confirme, ils le sont. Haïti n'est plus la «perle des Antilles» qu'elle était jadis, mais faut comprendre que ce n'est pas sans raison qu'on l'avait ainsi nommée : Haïti séduit, pour peu qu'on en oublie ses petits problèmes, ces petits problèmes dont les médias saturent nos neurones. Oui, il y a le choléra. Oui, il y a le tumulte politique. Oui, il y a des problèmes sociaux énormes. Oui, il y a les catastrophes naturelles à répétition. Tout ça est vrai, et même plus. Mais Haïti, c'est ÇA. Haïti n'est plus la perle qu'elle était, mais elle reste Haïti. Ce qu'elle a perdu en luisance, elle l'a gagnée en résilience. Pour ma part, je décris souvent la vie ici comme un joyeux bordel. Vous avez compris que «bordel» dans ce contexte n'a rien à voir avec une maison close, mais plutôt avec le désordre qui prévaut à tous les niveaux. Et c'est joyeux, c'est rieur, c'est insouciant, c'est je-m'en-foutiste, bref, c'est vivant. Par opposition à mortuaire, si vous me suivez. Car la vie, les amis et les amies, c'est joyeux, n'en doutez pas un seul instant. Et les Haïtiens le savent, eux qui ne connaissent pas le suicide...
Le thème pourrait mériter un approfondissement qui dépasserait largement les cadres de ma petite chronique habituelle. Je ne dis pas que je ne m'y attarderai pas un jour. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je me complais dans le facile, dans le texte de Chantal Guy que je seconde sans réserve aucune. Sa perception est juste, je le redis, car elle ne cherche pas à comprendre le pays et à nous l'expliquer, mais plutôt à nous faire partager ce qu'on sent comme une passion du pays, de ses gens, de ses couleurs et de la vie qui l'habite. Et la passion, par définition, ne se justifie pas. Demander à n'importe quel étranger qui aime ce pays la raison de cet amour, c'est comme demander à des amoureux pourquoi ils s'aiment : on aime l'autre parce qu'il est qui il est. C'est global et inconditionnel. Ainsi en est-il de ce pays tordu : on l'aime parce qu'il est ce qu'il est, avec ses bons côtés comme avec ses mauvais. Remarquez, je ne dis pas que les mauvais côtés sont appréciables : on s'en passerait volontiers. Mais en même temps, on sait que les mauvais côtés balancent, en quelque sorte, ce qui serait d'une perfection ennuyante. Alors qu'on me lâche un peu les baskets avec les problèmes d'Haïti, comme si c'était là l'essence même du pays. Que non. Le pays a ses problèmes, certes, mais sa vérité est ailleurs. Haïti n'est qu'un pays comme bien d'autres, à la culture riche et complexe, à l'histoire exceptionnelle et au mœurs différentes. Qu'on cesse donc de vouloir faire d'Haïti une province américaine ou canadienne! Haïti n'est pas en crise d'identité, Haïti est pauvre, tout simplement. Quand je vois certain journaliste que je ne nommerai pas (le même) clamer du haut de son ignorance l'irresponsabilité des Haïtiens ou leur désintéressement des affaires publiques ou leur apathie ou que sais-je encore, je trouve ça pitoyable. Les Haïtiens ne sont rien de cela. Ce sont des gens qui vivent parce que ce sont des gens qui luttent.
C'est d'ailleurs sur ce fort beau texte de Victor Hugo, tiré des "Châtiments" que je vous laisse.
Ceux qui vivent ce sont qui luttent;Ceux dont le cœur est bon. Ça, ce sont mes Haïtiens...
Ce sont ceux dont un dessein ferme
Emplit l’âme et le front;
Ceux qui, d’un haut destin,
Gravissent l’âpre cime;
Ceux qui marchent pensifs,
Épris d’un goût sublime,
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque labeur ou quelque grand amour.
C’est le travailleur, pâtre, ouvrier;
Ceux dont le cœur est bon,
Ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, les autres, je les plains.
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