vendredi 14 mars 2008

Le travail



J’ai déjà dit que nous étions en Haïti pour travailler. Ce fut la raison de notre première venue au pays et c’est toujours ce qui sert de prétexte à notre séjour haïtien. Prétexte… raison… n’y a-t-il pas là un glissement subtil? Bravo aux perspicaces! Effectivement, notre intention première était vraiment de venir travailler en Haïti, de nous insérer dans une structure solide et d’y faire notre part de boulot, pour ensuite et ensuite seulement et en autant que le temps nous le permette, découvrir un peu Haïti. Mais on ne peut pas marcher cloisonné comme ça dans ce pays : le travail, quel qu’il soit, reste toujours imbriqué dans les vicissitudes quotidiennes. Chaque jour apporte son lot de petits problèmes, certains aisément résolus, d’autres moins, mais toujours intimement liés à la réalité haïtienne. Tantôt, ce sont les routes qui deviennent impraticables en raison de l’excès de pluie; tantôt, ce sont les denrées de base qui brillent par leur absence; tantôt c’est le compteur électrique qui explose bruyamment au beau milieu de la nuit pour cause de surcharge; tantôt, c’est un employé dont le papa décède; tantôt, c’est la maison du voisin qui s’écroule à cause du vent… Et je pourrais continuer comme ça pendant des pages, mais vous avez compris le topo, n’est-ce pas? Le travail, ce n’est pas le travail, c’est la vie. Notre contribution, toute professionnelle qu’on la souhaite, est d’abord et avant tout humaine. Travailler ici, c’est créer; c’est trouver des solutions à des problèmes concrets, vécus par des gens ordinaires souvent dépassés par les événements. Ici, pas question de pelleter le problème dans la cour du voisin : il n’est pas là. Il faut simplement se retrousser les manches et faire ce qu’on peut. La médecine, vue sous cet éclairage, devient faillible, plus humaine et les excellents médecins haïtiens savent faire preuve de modestie, surtout en regard des faibles moyens techniques dont ils disposent. Un proverbe d’ici le dit bien : « Doktè pran swen ou, men se pa Bondye » (Je ne vous traduis pas, juste pour vous titiller les méninges.) Le travail ici représente de beaux défis, nous force à l’ingéniosité et développe notre adaptabilité. Et je ne parle pas de la patience, puisque j’en ai déjà parlé…! Qu’importe dès lors les petits problèmes?

Faut dire que tout est dans le rythme. Or, tout le monde le sait, les Haïtiens, fils de l’Afrique, ont le sens inné du rythme et de la mesure de leurs ancêtres. Ainsi, la journée de travail typique commence par les salutations, les serrages de main et les « Et la nuit? ». Puis, il faut bien passer aux faits divers, aux réflexions politiques, aux derniers commérages… ça, c’est le « ti-palé ». Finalement on se met au boulot; on y va doucement — faut pas risquer un lumbago, quand même! —, sans forcer sa nature et ainsi passe la journée. Néanmoins et malgré ce que les sceptiques croiront, des choses se réalisent, des résultats s’obtiennent, des progrès se font sentir. Rythme haïtien, rythme « cool jazz »… Qui dit mieux?

« Le travail est la plus belle chose au monde; pourquoi ne pas en garder un peu pour demain? », disait un illustre inconnu. C’est, en tout cas, ce que font la plupart des Haïtiens qui nous entourent et c’est ce que nous, petits castors industrieux, avons tant de mal à imiter.

2 commentaires:

  1. Un proverbe d’ici le dit bien : « Doktè pran swen ou, men se pa Bondye ..........

    Le docteur prend soins de nous, mais c'est pas le bon dieu ?

    haha intéressant le créol (créole ou créol ?)

    Samuel

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  2. Correction de la traduction: Le docteur prend soin de VOUS (pas de nous). Le reste est tout bon. Mais le créole (kreyol en Haïtien) n'est pas toujours aussi facile, dis-toi bien ça...

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