mardi 19 avril 2011

Mourir pour rien


On dit souvent des accidents qu'ils sont «bêtes et méchants». C'est une façon courante de souligner notre impuissance et notre incompréhension face à des drames qui n'avaient aucune raison d'être. Eh bien hier, nous avons eu droit à un accident «bête et méchant». Qui a coûté la vie à une personne. C'aurait pu être deux.

L'accident est toujours, par définition, ce qui n'est pas prévu au programme. On roule sur une autoroute quasi-déserte et tout à coup, surgi de nulle part, un cerf se dresse en plein milieu de la route. Surprise et manœuvres d'évitement. Si ça marche, on s'en tire avec une belle frousse, sinon, c'est l'impact, la mort de la pauvre bête et les dommages à la voiture et possiblement à ses occupants. Ça, c'est un accident. L'accident n'est pas l'occurrence possible ou potentielle qu'on évite, parfois de justesse; l'accident, c'est le fait accompli. C'est la rencontre d'occurrences qui n'étaient pas supposées se rencontrer. C'est un jeune homme, une perche métallique et un fil haute tension : les trois éléments n'ont rien de problématique en soi, mais leur combinaison est fatale, comme le pauvre jeune homme l'a appris--trop tard, bien entendu. Foudroyé, le gars. On l'a transporté à l'hôpital que pour y constater son décès. Vous dire que ç'a causé un émoi local serait peu dire : tout le monde était atterré, tout le monde était pris de saisissement, comme on dit ici. C'est que le jeune homme ne souffrait d'aucune maladie, ni d'aucune faiblesse apparentes; il était en bonne santé, en très bonne forme. Comment dès lors peut-il mourir d'un simple choc électrique, c'est la question que plusieurs se posaient et qui, pour plusieurs, restait sans réponse. D'autres y donnaient des réponses fantaisistes comme le choc lui a fait bouillir le sang ou lui a éclaté le cœur ou a retiré toute l'eau qu'il avait dans le corps. Tout ça pourquoi? Pour cueillir le fruit de l'arbre à pain, (ci-dessus) que tout le monde adore.

Reste qu'il est dur pour ces gens ordinaires de comprendre comment cette énergie qu'on ne voit pas et qui ne sert, en résumé, qu'à allumer les lumières peut terrasser. Tuer aussi efficacement qu'un pistolet et pourtant, sans effusion de sang. Sans blessure apparente, en fait. Une personne âgée, malade du cœur ou prise d'un cancer, passe encore; mais un jeune homme dans la force de l'âge, bien sur ses deux pieds? Disons que c'est dur à admettre et pourtant, il faut bien se rendre à l'évidence. D'où le saisissement : on est tellement surpris et on se sent tellement démuni qu'on ne sait plus à quel saint se vouer... D'où la discussion en fin de journée avec ce groupe d'habitués de notre institution et qui étaient là à se demander ce qui avait bien pu provoquer un tel drame. Et chercher s'il n'y avait pas, quelque part, un coupable qui méritait de payer pour son crime. J'ai fait de mon mieux pour expliquer ce qui s'était passé en mentionnant les propriétés du courant. Que ce n'est pas parce qu'on ne le voit pas qu'il est inoffensif; que ce n'est pas parce qu'il passe par un fil horizontal qu'il ne cherche pas à descendre à la terre par n'importe quel chemin, incluant l'humain; que le courant, lorsque le voltage est élevé, peut tuer n'importe qui. Bref, j'ai tenté, tant bien que mal, de démystifier cette énergie mal connue. «Bel pawol» a dit une dame à sa voisine; «Li pale byen». Merci bien madame. Je fais ce que je peux. Et c'est pas beaucoup, bien malheureusement.

La mort n'est pas une nouveauté. Surtout pas dans ce pays, surtout pas depuis le tremblement de terre... 300,000 morts environ, c'est quand même pas rien. Imaginez par exemple, gens du Québec, une ville comme Gatineau où, tout à coup, il ne reste plus personne... Plus rien que des rues désertes. Que des cadavres! Dur à imaginer, n'est-ce pas? Mais c'est pourtant ce qui s'est passé par ici. En pire, bien entendu... Pourtant, on finit par tourner la page et la vie continue. Mais la mort de ce jeune homme, si inutile, si gratuite, vient nous rappeler toute l'impuissance qui entoure la fin d'une vie. Le vide. L'absurde. Et franchement, ça fait mal. Hier, quand je parlais avec ces gens, je sentais que nous étions tous unis par cette tristesse nécessaire face aux imparables coups du sort. Qu'y faire, sinon se morfondre en chœur?

En tout cas, je puis vous le dire : hier, pas besoin de demander pour qui sonnait le glas.

1 commentaire:

  1. Triste nouvelle en effet. Parfois les gens survivent miraculeusement à une telle électrisation. Un employé d'Hydro-Québec que j'ai reçu à l'urgence il y a 7-8 ans avait fait le même geste sur une ligne de 14,000 Volts. Son pied droit reposant sur un transformateur au moment de l'accident, le courant lui avait littéralement cuit les deux bras et le pied. Étonnamment, il n'avait subit aucun dommage interne! Il vit aujourd'hui heureux, avec deux bras et un pied artificiels très fonctionnels. Quand ton tour n'est pas encore venu...

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