vendredi 11 février 2011

Les volontaires


Je n'avais pas vraiment l'intention de vous écrire aujourd'hui, mais l'article que je viens de lire m'incite à le faire. Car il s'agit là d'une réalité que nous côtoyons presque chaque jour et qui n'est pas toujours évidente à comprendre. On dit que "l'enfer est pavé de bonnes intentions". En d'autres termes, les intentions, si pieuses qu'elles soient, ne suffisent pas à faire le bien (et à nous mériter le ciel, bien entendu). Or, c'est un peu ce qui se passe en Haïti : des tas de gens viennent ici en vacances déguisées et se font du bien en imaginant qu'ils en font au pays. Ces propos peuvent paraître durs, mais en fait, ils ne le sont pas. Les gens qui viennent avec l'idée d'aider (et Dieu sait s'ils sont nombreux) sont sincères, pour la plupart en tout cas. Mais ils pèchent par ignorance et condescendance. L'aide qu'ils entendent apporter n'en est pas vraiment. Ainsi, le jeune gars en forme qui "aide" les Haïtiens à creuser un trou a peut-être le sentiment de leur donner un bon coup de main, mais à la vérité, les Haïtiens n'ont besoin de personne pour les aider à creuser un trou! Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne seront pas enchantés de pouvoir travailler avec le "petit blanc". Car il y a ça aussi : tout le monde ici aime bien se payer la tête du voisin, surtout s'il est blanc, blanc-bec et qu'il ne comprend pas la langue. Tout le monde a un "fun noir", les étrangers comme les Haïtiens, mais ceux-ci pas pour les mêmes raisons que ceux-là. Et nous qui sommes entre les deux, souvent à faire le pont linguistique, eh bien on ne sait souvent pas trop sur quel pied danser...

Ce qui me rappelle une histoire que je vais partager avec vous. Lorsque nous étions à Deschapelles, à l'Hôpital Albert Schweitzer, nous nous occupions, entre autres choses, des équipes de volontaires qui passaient régulièrement à l'hôpital. Cela se produisait environ une fois par mois et les équipes séjournaient en moyenne une semaine. La plupart du temps, le projet que l'on préparait pour ces Américains se limitait à un quelconque travail de peinture que les gens faisaient à leur rythme. Une fois, cependant, les hommes de maintenance de l'hôpital avaient entrepris un gros travail : la réfection de la toiture de l'hôpital. Il fallait d'abord retirer le vieux revêtement en bardeaux d'asphalte, remplacer les planches pourries et remettre un nouveau revêtement. Mais le vieux revêtement était tout simplement cuit sur le toit et représentait un vrai travail de titan. Quand le groupe de volontaires du mois a débarqué,  j'ai offert à ceux qui s'en sentait capables la possibilité de joindre l'équipe haïtienne sur le toit, en leur disant bien que c'était un travail exténuant et très éprouvant à cause de la chaleur. Trois messieurs m'ont dit que c'est ce qu'ils voulaient faire (j'avais un projet de peinture pour le reste du groupe). Eh bien vous auriez dû voir la tête de ces gars après leur première journée : crevés, mais heureux!  J'appris par la suite que les gars (trois hommes solides) avaient voulu montrer aux Haïtiens ce dont ils étaient capables. La leçon d'humilité, je vous dis  pas... Après quelques heures sous un soleil de plomb, après que l'un deux ait souffert d'un coup de chaleur (hyperthermie), heureusement bénin, ils ont compris. Pendant tout ce temps, les employés haïtiens ne disaient rien; très vite les gars ont compris que, tout costauds qu'ils fussent, ils étaient incapables de suivre le tempo haïtien, plus lent mais constant comme une machine bien huilée. Ils ont fait presque trois jours -- c'était un de plus que je pensais qu'ils feraient -- avant de passer à la peinture... Mais ce qu'ils ont appris sur ce toit n'avait pas de prix.

Les volontaires ici ont leur raison d'être, je ne dis pas le contraire. Mais de grâce, lâchez-nous avec la condescendance! Comme le dit si bien l'article, si vous voulez aider Haïti, oubliez le bénévolat; envoyez plutôt de l'argent là où il sera utilisé à bon escient. Mais alors, est-ce à dire qu'il faut déconseiller aux gens de venir passer une quinzaine? Justement pas. Au contraire. Mais il faut mettre les choses claires : quand nous invitons les gens à venir nous voir, ce n'est pas pour qu'ils se tirent dans les murs et s'échinent à la tâche! Je n'arrête pas de dire à qui mieux mieux que Haïti est un fabuleux pays! Pourquoi ne pas venir avec la simple idée de passer du bon temps? Avant de penser à donner au pays, il faut penser à ce que le pays peut nous donner. Tout le contraire de la célèbre citation de Kennedy, tirée de son discours inaugural, mais néanmoins véridique. Haïti a tant à offrir : des paysages, la mer de tous les côtés, des montagnes et une végétation luxuriante, surtout au sud. Au nord, il y a la Citadelle, près de Cap Haïtien, un jalon de l'Histoire qui vaut à elle seule le détour, et c'est pas moi qui le dis. Mais surtout, surtout, il faut venir en Haïti pour le peuple, ces gens simples, rieurs, accueillants, chaleureux, tolérants et serviables, entre autres. Et je pense que tous ceux, toutes celles qui ont passé quelque temps dans le pays confirmeront la chose. Quant aux autres, eh bien je ne vous demande pas de me croire sur parole : venez et vous verrez.

Remarquez que je fais bien la différence entre les spécialistes qui nous rendent de courtes visites, certes, mais tout de même fort appréciées parce que très efficaces. C'est le cas, entre autres, des audioprothésistes. La semaine qu'ils ont passée fut courte, c'est sûr, mais leur apport technique a été considérable et de ce fait, sincèrement apprécié. Même chose pour les équipes médicales. Le personnel médical, les techniciens de tout acabit, les gens de métier qui le connaissent bien sont toujours les bienvenus; les autres, les volontaires qui, mis à part leur bonne volonté, n'ont rien à nous donner qu'on ne peut trouver localement sont souvent plus encombrants qu'autre chose. Haïti n'a pas besoin d'aide. Pas de cette sorte d'aide, en tout cas. Haïti n'a pas besoin de gens qui vont leur dire comment creuser un trou ou qui voudront le faire à leur place. Haïti n'a pas besoin de l'aide du Blanc-qui-sait-tout, mais qui en fait, ne connaît pas grand-chose. Vous voulez savoir comment distinguer les volontaires utiles et appréciés de ceux qui ne sont qu'embarrassants? Facile. Il suffit simplement de se poser la question : l'aide apportée serait-elle tout aussi appréciée ailleurs, en Europe ou en Amérique, au Japon ou en Australie? Si c'est le cas, vous avez votre réponse. Mais si non, il faut se poser des questions sur la vraie nature de cette volonté d'aider.

Sans doute me trouverez-vous sévère. Je ne le suis pas. Amer? un peu.  Réaliste? assurément.

2 commentaires:

  1. Francine Saint-Cyr12 février 2011 à 07 h 54

    Ton analyse sur le bénévolat fait réfléchir, ça me donne le goût d'y aller vacances en Haïti...

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  2. thanks for this nice post 111213

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